Réveil difficile

Notes de l’auteur : J'ai finalement regroupé deux chapitres pour raccourcir le retour en arrière. Qu'en pensez-vous ?
Bonne lecture !

Pas sûr qu’une recherche Wikipédia l’éclaire sur le sens du mot. Cela semblait être un langage pour initiés aux pratiques occultes. Il se dit à regret qu’il était décidément loin le temps douillet de son enfance innocente.

« Les futurs chevaliers sont adoubés, les apprentis magiciens sont révélés. C’est la consécration » lui révéla Sapristi, ou plutôt Arthur, à moins qu’il ne s’agisse des deux à la fois. Pas facile de s’y retrouver avec ce chat royal ou ce roi félin, après tout, c’était une question de point de vue. Jusque là spectateur silencieux, allait-il prendre le relais de sa reine pour conter la suite de cette retraite forcée ?

La réponse ne tarda pas. De puissants miaulements retentirent. Merlin, nouveau Champollion déchiffrait chacun d’eux. Il entendait la voix grave et assurée du légendaire souverain de Camelot. L’enfant ferma les yeux et l’atelier de l’enchanteur apparut, comme un vieux souvenir que l’on chérit. Les mots de Sapristi donnaient vie à la scène dans sa tête.

Le fil de l’action reprit donc. Le célèbre magicien prononçait quelques mots pour lever un sortilège. Aussitôt une trappe dissimulée dans le plancher apparaissait. Une fois ouverte, elle dévoilait un escalier qui s’enfonçait dans les entrailles de la terre. L’eau suintait sur les parois, tandis que le groupe cheminait  en silence. Ils ressemblaient à des mineurs. La lueur des lanternes devenait de plus en plus faible, l’obscurité les enveloppait davantage à chaque pas. Une odeur de terre humide submergeait leurs narines. Après avoir descendu une quantité infinie de marches moussues, ils se retrouvaient les pieds dans une eau glacée.

Le petit Merlin s’enfonça au cœur de cette vision, il sentait presque le froid l’envahir. Ses paupières closes se plissèrent plus intensément. Il oublia la présence d’Awena et de Sapristi et se trouva comme transporté dans les lieux.  L’enchanteur allait parler. S’il se concentrait, il allait l’entendre, il en avait la certitude.

« C’est une rivière souterraine qui conduit jusqu’à Brocéliande » précisa le magicien d’une voix claire comme l’onde matinale. Tel un espion invisible, notre héros en profita pour l’observer de plus près. Il ne ressemblait pas au personnage de ses livres d’enfant. C’était un homme grand et mince, qui semblait doté d’une élégance naturelle. Ses traits n’étaient pas ceux d’un vieillard. De son visage, il retint la barbe naissante et les yeux d’un bleu pâle presque gris. Malgré leur couleur froide, ils brillaient avec une intensité troublante. S'il avait porté une armure, on aurait pu le prendre pour un chevalier. Mais à quoi ressemblait-il vraiment ? N’était-il pas passé maître dans l’art de la métamorphose ?

Le petit garçon se concentra sur la suite de ses paroles. Cela devenait pourtant difficile, car une certaine exaltation l’envahissait. Il était en train de vivre quelque chose d’incroyable ! Il décida de se reprendre. 

« Nous réfugier dans la forêt ne mène à rien. Morgane la brûlerait pour nous y débusquer. Il faut tenter d’aller plus loin, là où nul ne s’est jamais aventuré, là dont nul homme ne pourra revenir, car il ne peut en être autrement avec la mutatio. »

L’étrange mot revenait sur le tapis.

« Chacun d’entre vous boira la potion que je vais préparer, puis je l’enfermerai dans un cercle magique avant de prononcer une incantation, expliqua posément l’Enchanteur.

- Une potion, un cercle et des mots. Et tu penses nous sauver avec ça ! Prenons plutôt la fuite, nous disposons d’un peu d’avance ! lança un des hommes. A cause de son ton méprisant, le garçon pensa qu’il s’agissait de Keu, le sénéchal.

Un autre chevalier intervint :

- Es-tu sur de toi Merlin ? Comment pourrons-nous reconquérir un jour Camelot si nous allons dans un pays dont nul homme ne peut revenir ?

Quant à Guenièvre, elle ajoutait :

- Ne peux-tu convoquer quelque dragon pour terrasser cette sorcière ? »

Arthur posa alors sa main sur l'épaule de son conseiller et ami. Un geste à la fois simple et solennel. Le silence revint.

L’enchanteur sourit avant de parler.

« Je vais en appeler aux quatre éléments et aux forces de la nuit, c’est la barrière des Mondes et du Temps que vous allez franchir ! »

Merlin ouvrit les yeux et ne put retenir un cri d’admiration ! C’était « Retour vers le futur » version légende arthurienne qui se jouait dans sa tête. Alors l’enchanteur jouait les savants fous, comme le fameux « Doc » dans le film !

« Alors, tu as vu ? lui demanda Awena.

- J’en suis au passage dans la forêt, lança avec enthousiasme Merlin. Et il lui adressa un regard suppliant pour qu’elle ne lui révèle pas la suite avant qu’il l’ait observée de ses propres yeux. »

Il était comme son père. Il détestait les gens qui divulgâchent la fin des bonnes histoires. Mais peut-on ordonner à une reine de se taire ?

« Alors ? » insista-t-elle.

Il ferma les yeux intensément. Rien.

« C’est ce que je craignais », finit-elle par conclure devant la mine déconfite du petit garçon.

Elle lui confia qu'à ce point là de l’intrigue, il en savait autant qu’elle. Quelle déception ! C’était comme apprendre que le plus captivant des romans était inachevé.

« Vous avez déjà pensé à une séance d’hypnose ? »

Il n’avait aucune idée des détails pratiques, mais il était prêt à tout essayer pour découvrir comment une reine s’était muée en arrière grand-mère acariâtre et un roi en chat. Et la fine fleur de la chevalerie qu’était-elle devenue ? Trop de questions l’assaillaient pour en rester là.

Awena se concentra.

« Je me souviens de paroles étranges de l’enchanteur dans une langue inconnue, d’un tourbillon surgi de nulle part et puis le trou noir, jusqu’à ce que je parvienne ici, raconta-t-elle d’une voix triste.

- Ici ? Dans cette chambre ?

- Non, je me suis retrouvée dans un bois. Je gisais à terre, le corps meurtri, comme si un violent naufrage m’avait rejetée sur un rivage inconnu. J’ai levé mon visage vers le ciel et je me suis sentie aussitôt prise de vertige comme si j’étais ivre. Je m’attendais à entendre le bruit des vagues au loin, mais rien. Juste le chant de quelques oiseaux. Mon bras droit tenait fermement un livre, j’ai compris que j’étais devenue la gardienne du grimoire. De l’autre, j’ai tâté le sol et porté une poignée de terre à mes narines. Elle était imprégnée d'essences d'arbres puissantes. Enfin, je suis parvenue à voir mon nouveau monde, mais depuis le ras du sol, car j’étais toujours incapable de me relever. Et une peur profonde m’a envahie, quand j’ai aperçu deux solerets plantés devant moi.

Un chevalier m’observait immobile et il ne pouvait s’agir de l’un des nôtres. Aucun n’aurait laissé sa reine à terre sans lui porter secours. Je songeais aussitôt aux hommes de Morgane ou à elle en personne. Je dissimulais du mieux possible le livre de magie sous mon long manteau et le pressais contre moi. Sa présence avait quelque chose de réconfortant. Pourvu que tout cela ne soit qu’une vision ou un songe ! Alors, j’ai allongé mon bras et décidé de toucher les pieds du chevalier en armure qui me surveillait en silence. Je m’attendais au contact froid de l’acier, il n’en fut rien. De la pierre ! Une statue ! Je suis parvenue enfin à m’asseoir. Et je les ai  aperçus.

- Les chevaliers du cercle ! s’exclama Merlin admiratif. Je savais bien qu’ils me disaient vaguement quelque chose, ajouta-t-il comme pour lui-même. »

Ma parole, l’enchanteur s’était pris pour Méduse !

- Deux manquaient à l’appel.

- Arthur et …

- Le moins aimable d’entre tous.

- Le sénéchal, murmura Merlin

- Nous avait-il trahis ? Avait-il renoncé au dernier moment ou bien la mutatio avait-elle échoué sur lui ? Je l’ignorais pour lors. Je contemplais les statues plus vraies que nature, sidérée par ce prodige. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si leur esprit demeurait sous la pierre, si leur cœur battait toujours, s’ils m’entendaient et voyaient ma douleur. Pourquoi n’étais-je pas parmi elles ? Et Arthur où se trouvait-il ? Je rassemblais le peu de forces dont je disposais pour hurler son nom aussi fort que possible. Aucune voix ne répondit à mon appel suppliant. Seul un étrange miaulement résonna en guise de réponse.

Un chat à l’air familier et aux yeux troublants s’avançait lentement  vers moi. Malgré ma confusion, je compris que l’enchanteur nous avait réservés à tous des sorts différents. La noble bête s’approcha pour me réconforter et je pleurais, je te l’avoue, à chaudes larmes, la tête enfouie dans son pelage. Bientôt, il se libéra de mon étreinte et me fixa profondément. Il me rappelait à mes devoirs de reine. Je devais lutter et cesser de me laisser aller au désespoir. C’est alors que j’avisais le puits. Nous étions peut-être toujours à Brocéliande, il s’agissait peut-être d’une fontaine merveilleuse, capable de rendre forme humaine à mon roi. Je m’approchais de la margelle pour observer l’onde. J' y découvris mon reflet. Un violent hurlement s'échappa du plus profond de mes entrailles. Comme  transportée soudain dans le plus terrible des contes, le miroir implacable formé par l'eau du puits me renvoyait ma nouvelle apparence. Je refusais d'y croire, pourtant je n'eus bientôt d'autre choix que d'accepter la cruelle évidence: la mutatio avait fait de moi une horrible vieille femme !

 

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Maric
Posté le 24/08/2022
Hello
Voilà qui répond à mes questions :)
Un très bon chapitre ou Merlin vit une aventure extraordinaire. Ses références sont amusantes et il semble s'accommoder de plus en plus à cet univers qui n'était qu'une légende il n'y a pas si longtemps pour lui
Toujours un grand plaisir de te lire
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 25/08/2022
Bonjour Maric,
Merci beaucoup de poursuivre avec enthousiasme ta lecture et de prendre le temps de commenter . Les révélations sont terminées, l'aventure et la formation de Merlin se profilent. J'espère que cela te plaira. N'hésite pas à pointer ce qui ne va pas . A bientôt.
sifriane
Posté le 30/12/2021
Salut Laure
Très bon chapitre. Les impressions de Merlin sont toujours bien décrites.
Etre au coeur de l'action avec lui est très agréable
Plus je te lis, plus je me dis que cette histoire ne peut que plaire aux enfants.
A bientôt
Laure Imésio
Posté le 08/01/2022
Coucou
Merci d'être toujours au rendez-vous. J'espère que cette histoire pourra plaire à des enfants, même s'ils ne connaissent pas toutes les références. A bientôt. Bonne inspiration.
Hortense
Posté le 19/11/2021
Excellent chapitre, clair et fluide. L'alternance de l'histoire et des impressions du petit Merlin est bien dosée. Tout s'éclaire à présent, on est au cœur du problème, reste à savoir comment le jeune Merlin va se tirer de cet imbroglio.

Juste deux suggestions à méditer :
- Il ne ressemblait pas au personnage de ses livres d’enfant : je rappellerai juste qu'il s'agit de Merlin ou de l'enchanteur pour éviter la confusion.
- Mais à quoi ressemblait-il vraiment ? Ressemblait-il vraiment à cela ? Comme tu viens de le décrire, il me semble que souligner le doute est plus en résonnance avec la phrase suivante.

A très bientôt
Laure Imésio
Posté le 22/12/2021
Bonjour Hortense,
Ravie que ce soit plus clair (ouf!), avec les vacances je vais pouvoir me replonger dans l'écriture et la lecture. A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 17/11/2021
Bonjour Laure,
C'est un joli chapitre. Le portrait de Merlin qui n'est plus le vieil homme que l'on connaît est intéressant, tout comme la rivière qui permet l'évasion. Tu expliques comment les personnages de l'histoire sont la réincarnation des figures légendaires. C'est une bonne idée de l'avoir expliqué dans ce chapitre car j'étais justement en train de me demander comment cette mutatio était possible ;)
A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 08/01/2022
Bonsoir Romanticgirl,
Merci encore une fois pour tes remarques bienveillantes et tes encouragements, ça fait du bien. A bientôt dans nos lectures croisées.
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