Rêve éveillé

Notes de l’auteur : Voici ce que je considère comme le premier chapitre d'une courte histoire, qui n'a pour seul but que de m'entrainer à écrire, en m'amusant un peu. J'ai débuté sa rédaction sans vraiment réfléchir à l'histoire, en laissant mes pensées divaguer, en y ajoutant quelques éléments apparus selon mes humeurs, mes influences. Tout ceci est donc plutôt naïf, la structure est incertaine, et le style maladroit, mais il faut bien commencer quelque part ! Je compte bien rédiger d'autres courtes histoires différentes, il est donc (très) probable que cette ébauche n'en reste qu'une, mais je n'exclue absolument pas une petite suite.
Merci beaucoup aux gens qui prendront un peu de leur temps pour lire et aider un jeune lecteur à exprimer décemment ses propres idées !
(J'ai remarqué assez tard certaines fautes, je vous prie de m'en excuser, je promets de corriger tout cela !)

Mon rêve, mon bref moment de paix, vient de prendre fin avec la déflagration des bombes.
    
Chaque nuit se termine de la même façon depuis plusieurs mois. Aucun isolement, pas même le mien, ne serait capable de m’éloigner du chaos qui règne dans le monde extérieur. Pas la moindre minute, pas le moindre battement d’ailes des jeunes étourneaux, ne passe sans que ma mémoire ne m’accable avec le sifflement perçant des ailerons blancs de la brigade aérienne. Mon réveil est déjà un retour au cauchemar.
    Je cherche une stimulation, quelle qu’elle soit. Une rapide pensée vers la porte grinçante me sauve de mon brouhaha intérieur incessant.
    Je sens les rais du Soleil fade effleurer mes paupières entrouvertes, glissant dans ma rétine le rougeoiement caractéristique de l’aube fraîche. La fenêtre entrebâillée, que l’air chaud du soir me refuse de laisser fermer, laisse glisser en sa fente la douceur matinale que porte la brise vigoureuse. Mes cheveux en bataille virevoltent, comme des moucherons portés par les volutes aériennes. Le bois de la bâtisse craque, le toit résiste aux attaques du vent, comme une ultime résistance face à la décrépitude annoncée de mon refuge. C’est finalement le grattement dynamique du vieux monstre qui me convainc de quitter mon vieux lit presque croulant malgré mon faible poids.
    Mes yeux s’ouvrent, presque malgré moi. Je suis étonnée de ne pas être éblouie, il doit être encore tôt, même si le Soleil me parait être déjà bien haut. Je n’ouvre pas les rideaux, qui dansent et ondulent comme le corps d’une bayadère ; la question du temps ne m’intéresse plus. Seul mon rendez-vous quotidien compte. Je me redresse doucement, quoiqu’un peu trop vite à mon goût : mes membres son encore gourds, je lutte pour rester assise. Mes jambes basculent pas elles-même vers le bord du lit. Le vide est trop important pour que mes courtes pattes ne permettent à mes pieds de toucher le sol. Je sens pourtant la froideur des lattes monteur jusqu’à leur plante, rien de tel pour se décourager.
    
    Je saute le pas. Des dizaines de petites rainures craquent sous le poids de mon corps ensommeillé mais dispos. Je ne peux plus faire marche arrière. J’ai toujours pensé que la pire épreuve qu’ai connue l’humanité était de se lever tous les matins, et ce matin est le même que tous les autres. Mais je ne me plains pas, et je relativise : ma condition n’est pas si désagréable que ce que je m’imagine. Cette pensée m’emplit d’assez d’optimisme pour enfin oser faire un pas, et écraser de nouveau quelques unes des pauvres petites lattes, qui ont déjà du connaitre d’innombrables générations de petits petons.
    Les grattements se font de plus en plus impatients, j’ai peur de devoir me mesurer de nouveau au monstre qui les provoque. Je connais son rituel : une fois la porte ouverte, la bête me saute dessus, m’écrase et tente de me dévorer le visage. Je regrette chaque matin d’oublier de me remplir une bassine d’eau pour m’humidifier le visage ; même glacée, le liquide serait toujours plus agréable que la bave nauséabonde que m’enduit le monstre sablé. A peine ma main glisse-t-elle vers la poignée de laiton usée, que les grattements prennent immédiatement fin. Le silence devient trop pesant. J’esquisse un sourire, et décide pour une fois de surprendre mon ravisseur - je suis ce matin de bonne humeur. A croire que mon monstre l’est aussi.
    L’imposante carrure recule maladroitement, étonnée de voir la porte s’ouvrir aussi vite, mais le cerveau qui l’abrite n’hésite pas à reprendre rapidement ses esprits, et à me bondir dessus. Je croule sous son poids, et comme prévu, je sens sa langue chaude parcourir ma face mal éveillée. Le monstre s’arrête, recule, et ses yeux me scrutent, avec un regard presque victorieux et narquois. Cette bête est plus intelligente qu’elle n’en a l’air. Sa tête se baisse, le regret prend la place de la fierté. J’aime jouer avec sa naïveté, je sors mon visage boudeur. Ses yeux sont trop tristes, je ne veux pas résister plus longtemps. Cet attachien est mon seul allié en cette maison. Je lui souris, Molly sort sa langue : cet effort l’a autant épuisée que moi, et sa journée est déjà bien plus remplie que la mienne, qui vient à peine de commencer. La vieille chienne vient se blottir contre moi, elle ne manque jamais notre câlin du matin.
    Nous restons à terre, entre filles, pendant cinq bonnes minutes, mais mon ventre semble s’impatienter à son tour. Son grognement préoccupe Molly, qui se hâte de croquer la hanse de mon vieux bol aux bords grignotés, qui séchait depuis hier soir dans l’évier. Quelques gouttes s’écrasent dans le fond du verre que je n’avait pas lavé la veille. Ce robinet ne se fermera jamais complètement, et je ne veux pas parler de ce petit problème à Raul, il a déjà assez à faire pour être embêté par un infime souci de tuyauterie, et le tapotement des goutes contre le fond de la cuve métallique ne me dérange plus.
    Je saisis la cuiller qui traine sur la vieille table de chêne massif, et la posant à côté du bol en porcelaine que venait de déposer Molly, en lui glissant une petite tape sur la tête pour la remercier. Je n’ai plus de lait, et le dimanche est le jour de repos de Raul ; mon petit déjeuner sera sec. La boite de céréales était restée sur la table trop grande pour une seule personne. Elle parait toujours vide, même si les vieux chats du coin aiment s’y reposer quand Molly est en vadrouille. Je m’assoie à ma place habituelle, la vieille chaise grince sous mon poids. Ai-je pris du poids, ou est-ce que c’est cette maison qui est trop vieille, craquant comme les os d’une ancienne dame grinçante ? En tout cas, elle ne fait pas diminuer mon sentiment de solitude.
    Je me pose toujours à cette place, car en face de moi se trouve la fenêtre qui donne sur la vallée en contrebas. J’ai toujours apprécié la verdure, ou du moins c’est ce que je pensais, avant de déménager à la campagne. J’avais toujours trouvé les villes trop agitées, mornes et hostiles, avant mêmes qu’elles ne soient détruites, réduites en cendres pour la plupart. Aujourd’hui elles me manquent. Ou peut-être sont-ce les gens qui me manquent. Ici tout est en paix, même s’il règne constamment cette tension, ce suspens, cette sensation latente que cette paix n’est qu’un moment de calme avant la tempête. Cette épée de Damoclès qui pèse sur nos têtes, qui nous rappelle que les bombes tombent plus vite que les gouttes par temps d’orage, met tous les habitants sous pressions. Et par ces habitants, j’entends Raul et moi, puisque personne n’a montré sa tête depuis plusieurs semaines, pas même les ravitailleurs.
    Ce petit déjeuner fait partie de ces moments que l’on vit dans l’instant. Je pollue mes pensées avec la guerre, mais les bombardements sont trop imprévisibles pour devoir s’en inquiéter. Ces bombes sont comme une balle de sniper, quoique les bombes sont plus cruelles, en ce qu’elles sont trop rapides pour nous laisser le temps d’espérer y échapper, mais trop lentes pour ne pas s’en inquiéter. Par ces projectiles, c’est la mort qui nous regarde dans les yeux, et nous paralyse. Tu sais que je suis là, tu me vois, tu me sens. Je t’emporterai dans quelques instants, mais laisse-moi profiter un peu de ta panique. Et tout s’arrête. J’espère parfois mourir de vieillesse avant que l’une de ces bombes ne me détruise. Je rêve de m’éteindre dans le calme, blottie dans un fauteuil, les yeux rivés vers le ciel sans nuage, comme une bougie profite de ses derniers centimètres de cire avant que sa flammèche se noie. Mourir dans son sommeil, sans avertissement, serait même une fin plus enviable que la bombe, que le feu lent mais paralysant. J’envie parfois la balle de sniper.
    La guerre comme une chanson qui vous traine dans la tête… Je pense parfois que plusieurs personnes squattent dans mon cerveau, tant mes soliloques s’éternisent et se multiplient. Qui crée cette pensée ? Est-ce le moi que j’étais quand tout allait bien, ou est-ce une personne qui a débarqué une fois la guerre venue, comme si la conscience des morts venaient s’installer petit à petit chez les survivants ? Ou suis-je tout simplement folle ? Je pense que tout ça n’est qu’une façon de me rassurer, de me sentir moins seule, comme un vieux qui se parle à lui-même. A 21 ans, je suis déjà une petite dame gâteuse… J’ai toujours cru que la vieillesse s’imposait quand on perdait toute curiosité. Alors dans ce cas, je suis bien vieille.
    Pour garder une légère once de curiosité (ou du moins pour m’en donner l’illusion), j’allume la télé sur l’unique chaine que l’on peut capter : Canal 1. C’est surtout pour créer un fond sonore que je l’ai allumée. Les oiseaux et les gouttes régulières et entêtantes du robinet ne suffisent plus. Les mêmes infos passent sans cesse, même si les journalistes déguisent les news pour leur donner un peu de nouveauté. « Les forces armées en possession du 3ème cercle », oui, depuis au moins 3 mois. « Une nouvelle frappe purificatrice dans la zone industrielle du Confin », ou bien « Le Confin bientôt débarrassée des rebelles ». Tout se ressemble, il n’y a plus rien à dire quand tout est déjà détruit. J’ai eu ma dose de jeunesse. J’ai cependant toujours de l’appétit pour mes céréales ; je n’avais toujours pas entamé mon petit déjeuner. Molly regarde les images de la TV avec grand intérêt, comme si elle comprenait ce qui se passe. Peut-être comprend-elle, après tout, et même mieux que nous. Je redirige mon attention vers ma cuiller, posée à côté du bol rempli de ces flocons jaunes industriels. Certainement la dernière chose industrielle qui reste dans cet endroit champêtre. J’avale tout le contenu du récipient en quelques secondes, avant de me rendre compte qu’à peine une minute venait de passer entre ma première bouchée et ma dernière. Je mange comme si tout était sur le point d’exploser (ce qui est peut-être le cas).
    
    Le ciel s’assombrit peu à peu, la vallée est couverte par les ombres mouvantes et fantasques des nuages. Le petit ruisseau qui cour dans le petit bois derrière la maison se met à clapoter, ce sont les gouttes d’eau qui viennent rejoindre leurs semblables dans le flux continu et incessant du courant. La pluie s’intensifie ; mon rendez-vous n’aura pas lieu, à moins qu’un miracle ne survienne, ou que Raul se décide de venir me rendre visite malgré les kilomètres de champs et de forêts qui nous séparent (ce qui serait aussi un miracle). Raul est drôle, doux, toujours en forme. Mais j’aime surtout son « côté feignasse », comme il le dit lui-même. Il est une pause dans mes tempêtes solitaires, une trêve dans la course incessante au profit. Il me fait oublier que chaque moment est précieux : il les rend lui-même fantastiques, pas vraiment besoin de relativiser avec lui.
    Il avait été le premier à être transférer dans la zone, juste après les premier bombardements sur la capitale. Il avait surtout été le premier à être sélectionné pour le programme de sauvegarde des jeunes citoyens. J’avais suivi son chemin quelques mois plus tard, embarquée un matin par les soldats de l’Opposition, quittant ma famille sans pouvoir leur dire au-revoir. Raul avait au moins pu dire adieu à ses parents, quelques semaines avant qu’ils ne meurent de façon prévisible : ils avaient décidé de se rendre à l’Utopisse, comme il dit, trop naïfs pour croire qu’ils ne seraient pas traités comme de la chair à canon. Ils avaient péri au cours de la Bataille de la Seine, où les deux camps s’affrontaient à coups de Bateaux-Mouches explosifs, et de canons gelant. Une fois la Seine immobilisée, les armées d’Opos et d’Utos s’étaient rencontrées dans une dernière mêlée épique, avant de se noyer dans le fleuve glacial et déchaîné, remué par les vagues de 5 mètres, soulevées par la destruction des barrages mouvants disposés sous les ponts de Paris, et les obus lâchés par l’Uto sur la glace. Le tout avait engendré la fragilisation du champ de bataille arctique, et sa destruction, propulsant de toutes parts des fragments de glace et d’échardes mortelles de plusieurs mètres, transperçant et écrasant tout sur leur passage. Tout avait évidemment été diffusé en direct par les chaînes Uto, obtenues grâce aux pirates et aux hackers du parti. Cet évènement avait représenté le début de la destruction à grande échelle du territoire par l’armée, divisée entre Utos et Opos, les soldats en bas de la pyramide ne sachant pas toujours en la faveur de quel camp ils agissaient. Tout le monde avait su à ce moment que quelque chose se jouait, et que leur vie en serait définitivement changée, pour ne pas dire détruite, annihilée. Un joli traumatisme pour tous ceux encore en vie, Raul et moi compris.
    Si même Raul me fait penser à la guerre, à quoi bon résister et essayer d’effacer ce passé ? Notre but est de préparer le terrain pour les survivants rapatriés comme nous. Si même cette gangrène se propage en ce lieu protégé, comment peut-on avancer ? Raul et moi n’en parlons que rarement. Il a l’air de réussir à oublier. Ou du moins c’est l’impression que me donne ce sourire que je n’ai pas.
    J’ouvre la porte à Molly, toujours heureuse, même malgré le déluge. Je la vois s’impatienter le temps que je tourne la clef ; sa queue bat de gauche à droite sans perdre de son entrain, comme un salut énergique vers la nature, hâtive et euphorique, comme chaque matin, d’enfin s’enfuir de ce lieu clos envahi par les mauvais souvenirs que je porte et ressasse, collants comme une sueur tenace. La vieille femme que je suis se pose lourdement sur le fauteuil poussiéreux qui trône à côté de la porte, et s’endort calmement ; la nuit avait été rude, la journée à venir ne le sera pas moins.

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TimmyH
Posté le 16/06/2021
Helo !
Je suis tombée chez toi par hasard et je dois admettre que c'est un plaisir :P Tu dis que tu commences à écrire, c'est drôle parce que j'ai senti comme une timidité au début de ton texte, comme quelque chose de voilé parce que tu n'osais pas qui disparaît au fur et à mesure de tes mots. C'était assez cool et agréable ! Effectivement, comme tu le disais, c'est assez naïf, mais j'aime beaucoup. La naïveté a du bon, aussi, dans l'écriture ; elle apporte un je ne sais quoi de rafraîchissant qui rend tes mots doux et voluptueux.
Quelques petites tournures de phrases gagneraient à être assouplies, mais je suis probablement un peu reloue, héhé. En tous cas j'aime beaucoup le background, l'idée d'une espèce d'apocalypse industrielle/guerrière est une idée qui me parle et qui, finalement, parle à beaucoup de gens, je pense. Ton texte est finalement assez universel.
Je suis très contente d'être tombée chez toi, et j'espère bien que tu vas continuer sur cette voie !
Tchooo,
Timmy
Hortense
Posté le 11/06/2021
Bonjour,
Le coup d'essai n'est pas loin du coup de maître !
Bravo pour ce premier jet prometteur. J'avoue ne pas avoir trébuché sur les fautes, emportée par l'histoire que j'ai lue d'une traite.
L'écriture est fluide, riche et imagée. Le personnage capte immédiatement l'attention, on suit le cheminement de sa pensée, on appréhende le monde à travers son regard. Monde d'incertitude, d'angoisse où les simples gestes du quotidien, semblent obéir à un rituel immuable et presque dérisoire.

Juste une remarque :
"ils avaient décidé de se rendre à l’Utopisse... en la faveur de quel camp ils agissaient" Passage qui mériterait d'être éclairci. Peut-être préciser ce qu'est l'Utopisse, les partis en présence, et couper quelques phrases trop longues.

Bonne continuation
Hypémion
Posté le 20/06/2021
Bonsoir,
Merci infiniment pour votre retour ! Je suis ravi que ce début vous plaise.
Les différents éléments flous seront évidemment éclaircis dans les prochaines parties, je ne voulais pas noyer ce premier chapitre dans des explications (que je n'avais d'ailleurs pas au moment de l'écriture !).
Je ferai bien attention à ne pas trop allonger mes phrases, merci d'avoir relevé cette erreur.
Merci encore pour vos encouragements,
Hyp
Ella Palace
Posté le 11/06/2021
Bonjour,
Pour un auteur en herbe, tu nous offres un beau texte. Du vocabulaire, de jolies métaphores, des belles tournues de phrase que voici! On voit le travail. Bravo! Surtout continue, c'est prometteur.
Ella Palace
Hypémion
Posté le 19/06/2021
Merci beaucoup pour ce commentaire très encourageant !
Je n'ai pas vraiment pu me consacrer à l'écriture ces derniers jours (merci le bac !), c'est pourquoi j'ai mis un peu de temps avant de vous répondre, mais la suite devrait bientôt arriver !
Merci encore pour votre gentillesse et votre bienveillance, qui m'ont grandement motivé.
À bientôt j'espère,
Hyp
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