"Répit" et non "repos".

Notes de l’auteur : Je suis assez mal à l'aise avec ces deux chapitres-ci car mon incapacité à accorder mes temps de narration ne m'a jamais paru flagrante. Ayez seulement la patience de supporter mes lacunes jusqu'à la fin de ce tome et sa réécriture (qui ne devraient pas tarder).

Merci beaucoup.

De retour à la guilde, Jayden et moi nous séparons. Il se dirige vers le terrain vague où j'avais cherché Cole plus tôt, à la recherche de Leïth à n'en pas douter. De mon côté j'entre dans le hall. Deux choses me surprennent alors, la première me fait sourire : personne ne me saute dessus pour m'ensevelir de questions sur l'endroit où j'étais, et d'opinions à propos d'Ô combien mes actes sont inconsidérés. La seconde, elle, me sidère : Cole. Je suis aussi sorti pour le retrouver mais… Je l'ai oublié.

Heureusement, il n'avait pas dû aller bien loin puisqu'il était là, assis à une table dans un coin. Profitant du fait qu'il ne m'ait pas encore remarqué, je l'observe un moment. Apparemment, il a décidé de se remettre au Fëln finalement, à en juger les trois gros volumes étalés devant lui. Fait étonnant, Ley n'est pas dans les parages. Pourtant la mine de poisson hors de l'eau que tire Cole me fait dire qu'il lui serait d'une aide appréciable.

Après l'avoir cherché un moment des yeux en vain, je me compose une expression que je veux joviale. Je ne suis pas particulièrement doué pour le mensonge, en grande partie parce que – moi qui le décèle au premier coup d'œil en temps normal – je n'en ai jamais vraiment compris l'intérêt. Aussi, prie-je vraiment pour que Cole ne remarque pas mon trouble. "T'es pas cramé, t'es pas cramé, pas cramé." me répète-je alors que j'avance vers lui.

"Tu es sûr que ça va ?, demande-je en faignant l'innocence.

Il se redresse d'un coup. Pour une fois que c'est moi qui le surprends et pas l'inverse, je m'en serai venté presque dans d'autres circonstances. Une expression trop fugace pour que j'arrive à l'identifier passe sur son visage, avant qu'il ne fronce les sourcils.

—Et toi ?

—Moi ? Ce n'est pas moi qui me suis mis à étudier le Fëln du jour au lendemain., réplique-je d'une voix un peu trop haut perchée.

—Qu'est-ce que t'as, en vrai ?, insiste-t-il, pas le moins du monde abusé par ma parodie de mensonge.

Plan B ! pense-je en agitant la main devant moi.

—Tu… Ne pense pas que Ley pourrait t'être d'une grande aide ?

Il me fixe sans ciller tandis que ma question s'évanouit quelque part entre nous sans obtenir de réponse.

—Bon d'accord, d'accord ! Si tu veux tout savoir… (Je réfléchis plus à deux mille à l'heure pour lui pondre un mensonge passable cette fois.) Le reste de ma phrase sort pourtant malgré moi : t'étais où ?

Un ange passe avant qu'il ne me réponde les yeux baissés sur ses pages de bouquin.

—J'ai visité.

—T'avais un doute sur le nombre des taches sur les murs de l'infirmerie ?, pique-je une fois la stupéfaction passée.

-J'ai visité.

-T'avais un doute sur le nombre des taches sur les murs de l'infirmerie ?, pique-je une fois la stupéfaction.

Il tourne une page.

-C'est pas parce qu'on y a passé les trois quarts de notre séjour que ça veut dire que c'est la seule pièce qu'il y a.

—C'est pas parce qu'on y a passé les trois quarts de notre séjour que ça veut dire que c'est la seule pièce qu'il y a.

Je souffle de dépit. J'ai tout sauf envie d'entamer une énième joute verbale avec lui, à la place je capitule et m'assois à sa droite.

—Bon, tu en es où ?"

 

*********

 

A partir de ce jour s'est installée une routine salvatrice pour Cole et moi (bon évidemment ça ne va pas durer, soyons réalistes). Ça nous a permis à tous les deux de retrouver un niveau et surtout un rythme de vie descend. Etape une – indispensable pour nous deux malgré tout ce que Galdor et compagnie pouvaient nous dire – mériter le gîte et le couvert qui nous étaient jusque-là gracieusement offerts.

Jayden n'ayant pas cafté mon habileté linguistique, ça nous a pris deux semaines en tout pour être paré au service au bar : une pour apprendre par cœur tout ce qui touche à la fonction de bartender version Sardag (les noms des ustensiles, des plats, cocktails et déserts, ceux des ingrédients de chaque recettes etc – non on n'a pas dormi beaucoup non).

Mais ce n'était pas le pire, non. Le pire, c'était la deuxième semaine. C'était… La semaine de la mort, de l'enfer, du démon, du diable, donnez-lui tous les noms que vous voulez, c'était un cauchemar, car il fallait apprendre à faire les recettes de la carte. J'ai un conseil à vous donner chers amis : vous voyez le gentil barman badin et avenant du bistrot du coin que vous avez toujours connu ? N'acceptez jamais de passer de l'autre côté du comptoir, JAMAIS. Il n'y a pas travail plus éprouvant : passer son temps à jongler entre telle où telle recette à la vitesse de l'éclair, en veillant à tout nettoyer à chaque fois et ne rien casser, quand on a dix pouces et une coordination négative comme votre humble serviteur c'est… Traumatisant.

Et si on vous explique en plus que vous devez garder joie, dynamisme et en mémoire toutes les préférences de la plus insignifiante à la plus extravagante de chacun de vos clients ? Vous l'aurez compris, il ne m'a pas fallu longtemps pour décider que je m'en tiendrai au service en salle et au nettoyage en fin de journée.

            Je me suis abstenu de trop me plaindre cependant. Déjà parce qu'en réalité, le plus dur n'a pas tant été de supplier le barman de la guilde de m'épargner ce job, mais bien de m'épargner tout court au bout du sixième shaker ouvert en plein vol. Et puis surtout, Cole souriait. Pas ses sourires espiègles de plaisantin, ceux qu'il fait pour donner le change devant ceux d'ici ou ceux plus charmeurs qu'il réserve à ces conquêtes. Non, Cole était vraiment heureux.

Il est d'ailleurs un peu responsable de mon lamentable échec derrière le comptoir. La première fois qu'il a décoché un tel sourire il s'est mis à faire le show avec ses shakers – oui parce qu'évidement avec la dextérité que nous lui connaissons tous, un seul à eu vite fait de ne plus lui suffire. Bref, il était en train de faire tournoyer ses trois shakers au-dessus de sa tête – comme s'il avait fait ça toute sa vie – sous les "Oooh" et les "Wouaaah" d'un public aux yeux ronds, quand tout à coup nos yeux se sont accrochés et là… Bim ! Sourire débile d'enfant à Noël.

J'ai été tellement surpris… Bref, mes mains, ces imbéciles, ont tentées d'elles-mêmes de faire pareil et… Grosse grosse cata. J'ai dû récurer jusqu'à la moindre rainure du parquet si je voulais retenter demain. Autant dire que, si je ne l'avais pas vécu au préalable, j'aurais pu dire que déambuler en tenu d'Adam au vu et au su de tous n'aurait pas été pire. J'aurais pu.

Enfin, heureusement pour moi, mon agenda était bien trop rempli pour que je trouve le temps de me morfondre. Il y avait les cours de langue déjà. Cinq fois quatre heures en ce qui me concernait et sept fois trois pour Cole. (J'avoue avoir été très surpris que notre chétif et très qualifié professeur de fortune ait accepté de passer quatre heures enfermé seul avec Cole dans la bibliothèque.)

Et surtout mes premiers cours d'initiation à la magie allaient débuter, je le savais, je le sentais. Vous l'avez compris j'en suis certain, la subtilité n'est pas dans mes cordes. Cependant je voyais certaines choses et je n'étais pas dupe : je sentais les yeux du Maître de guilde me suivre pendant mon service, j''avais remarqué les allez et venues incessantes du vieux testeur aigri (décidément il devait dormir avec mon Codex la nuit parce qu'il ne le lâchait plus).

Quand il venait, lui aussi me jetait des coups d'œil furtifs à tel point que, s'il ne s'éclipsait pas avec Galdor dans son bureau pour entrer dans des discussions animées, s'il ne réquisitionnait pas Ley et la bibliothèque pendant des heures, j'aurais cédé à la tentation de voir si un troisième œil ne m'avait pas poussé sur le front.

Pour être honnête, je ne savais pas trop comment prendre cette perspective. Autant le fait même d'apprendre m'excitait, et surtout, me soulageait : je n'avais oublié ni les allures de bombe atomique qu'avaient eu mes manifestations, ni leurs abominables effets secondaires.

D'un autre côté, tout ce que nous avons vu Cole et moi depuis notre arrivée : les pancartes, les statues vivantes, les baignoires autonomes, même la foudre, les hommes invisibles vindicatifs, la télékinésie meurtrière tout ! Toutes ont un point commun : elles m'intriguent plus qu'elles ne m'effraient. Je veux savoir, je veux comprendre, j'en ai besoin autant pour ma santé physique que pour celle de mes nerfs.

C'est pour cette raison que j'ai décidé de commencer en autodidacte. Ce qui n'as pas du tout plus à Ley quand il m'a pris sur le fait. Il s'est mis à gesticuler encore plus efficacement que d'habitude en m'assommant à coups d'études et articles sur l'éveil à la magie. Ils s'accordaient tous à dire à quel point le tenter seul pouvait être dangereux. Depuis, mes heures en sa compagnie avaient presque doublé, frisant le surmenage (alors que quand j'avais moi-même demandé à étudier tous les jours, il avait catégoriquement refusé justement pour cette raison).

En somme, malgré ce contre-temps auquel j'avais bien l'intention de remédier, le répit semblait bien de mise. Les seuls vrais points noirs dans cette histoire restaient donc que, petit un : nous n'avions toujours pas de nouvelles du Conseil concernant les mercenaires faits prisonniers. Petit deux : trop scrupuleux de faire éclater son petit bonheur, je n'ai toujours pas touché un mot des projets que je soupçonnais Galdor d'avoir pour moi…

Nos joutes verbales – bien que la dernière commençait déjà à dater – étaient encore présentes dans un coin de ma tête et bien que ces derniers temps nos rapports se soient apaisés, bien que Cole soit de mois au moins seul avec le temps, plus accepté par les différents membres de ma guilde… Je ne pouvais m'empêcher de me dire que si nous ne nous disputions plus, ça avait plus à voir avec le fait que nos plannings coïncidaient plus. En effet, tandis que mes horaires avec Ley augmentaient, les siens au bar suivaient le gré de ses affinités avec nos hôtes (dont il parvenait en réalité à gagner l'admiration et le respect plus par le sensationnel de ses shows derrière le comptoir que par sa maîtrise du verbe Lidrag).

Par ailleurs, une autre chose qui me frappait était qu'il ne se plaignait pas. Je m'explique : un hyperactif comme mon compagnon ne saurait décemment se contenter de passer ses journées à servir des cocktails et nettoyer des verres. Il devait faire autre chose de ses journées, et ne m'en parlait pas. Je ne savais pas quoi faire avec tout ça… Je ne savais plus, alors je suis resté là, avec mon indécision, à regarder les choses se faire sans pouvoir m'enlever de la tête cette impression de voir nos désaccords non résolus s'amonceler entre nous comme des particules d'électricité en un gros nuage d'orage.

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