Agathe avait toujours aimé les orages. Alors que sa sœur se dépêchait de rentrer le linge et que son père devenait nerveux, elle sortait en cachette depuis la cuisine jusqu'à la prairie voisine pour sentir l'odeur si particulière qui les accompagne. Nombreux étaient les gens du village qui lui prédisaient un malheur proche, mais le risque ne rendait l'expérience que plus belle. Elle n'était jamais plus heureuse qu'à humer l'air sous la pluie chaude d'été, avec ces éclats de lumière qui brisaient le ciel indigo.
Mais ce soir-là, elle écouta son père qui la pressait de rentrer à l'intérieur de la maison. Tandis qu'elle secouait ses pieds pour lutter contre l'impatience, son aînée la tapa légèrement sur la tête.
– Quand vas-tu arrêter d'être aussi immature, Agathe ? soupira-t-elle. Tu as dix-neuf ans. Tu as passé l'âge de bouder comme une enfant !
Elle eut envie de répliquer, mais s'abstint. Faustine n'était pas tellement plus âgée qu'elle du haut de ses vingt-trois ans. Néanmoins, depuis le décès de leur mère quatre ans auparavant, elle semblait avoir mûri brutalement. Agathe reporta son attention sur leur père qui venait leur apporter du pain et du fromage. D'un geste de la tête, il leur indiqua de regarder au-dehors : non pas par la fenêtre de la cuisine qui donnait sur la prairie à l'herbe grasse, mais l'autre. Celle qui donnait sur le château du Seigneur de Saint-Nattier, l'homme qui dirigeait leur ville et leur région. Cette bâtisse étaitt encore plus lugubre qu'à l'ordinaire, avec ses pierres d'un gris sombre et ses tourelles qui semblaient vouloir percer les nuages. La brève lumière des éclairs ne faisait que la rendre plus menaçante, comme tout droit sortie d'un cauchemar.
– Les filles, commença Gaspard Batiste après avoir avalé un peu de pain, j'ai une nouvelle à vous annoncer. Mais je pense que vous avez déjà plus ou moins entendu parler de cette histoire. Les rumeurs sur le château de notre Seigneur...
Agathe entendit sa sœur retenir sa respiration et fit de son mieux pour cacher sa curiosité. Pusieurs bruits couraient sur le Adolphe de Saint-Nattier et ses aïeux, mais pourquoi son père tenait-il à en discuter maintenant ?
– Je suis le meilleur tailleur de cette ville depuis plus de trente ans. J'habille le Seigneur au même titre que d'autres artisans de la capitale, et j'ose dire que je le connais un peu, dit son père, ses épais sourcils noirs froncés. C'est un homme secret et même si je le respecte, je ne saurai démentir ou approuver les rumeurs qui courent sur son château.
– Tu parles de la disparition de ces pauvres filles ! laissa échapper Faustine.
– Malheureusement oui, ma fille. Si je vous en parle, c'est parce que notre Seigneur est mort hier soir. Son messager est venu discrètement à la boutique tantôt me dire qu'il était décédé pendant la nuit.
– Et quel rapport avec nous ? osa Agathe, sincèrement déboussolée.
– Parce que je ne veux plus que tu sortes seule, orage ou pas. Toi non plus, Faustine. Qui sait ce que l'on pourrait découvrir dans cette bâtisse dans les jours ou semaines à venir, ou ce qui pourrait en sortir. Et parce que... hésita leur père, en signe de sa reconnaissance envers mon travail, Adolphe de Saint-Nattier m'offrait des médicaments venus de la capitale. Je ne sais pas si...
Il père se mit à trembler et se tut, incapable d'ajouter un seul mot. Agathe se jeta à son cou et l'enlaça, tout comme ma sœur. Elles échangèrent un regard terrifié. Il avait pas une bonne santé : quelques années auparavant, une pneumonie l'avait laissé largement affaibli et l'âge ne l'arrangeait pas. L'herboriste du village, de même que l'apothicaire, n'avaient pas les connaissances suffisantes pour lui proposer des médicaments de bonne qualité, et ceux de la capitale ne voulaient pas donner leurs recettes à n'importe qui. Pas contre une somme d'argent considérable... qu'elles n'avaient pas.
– Ça va aller, papa, murmurai Agathe qui embrassait son crâne dégarni. Nous trouverons un moyen.
Mais malgré son envie d'y croire, ses mots sonnaient faux.
j'aime bien ce prologue, court et calme. Il pose déjà la situation où se trouve bloquée notre héroïne...
Mais sinon j'ai eu un peu de mal avec le point de vue : "Alors que sa sœur se dépêchait de rentrer le linge et que mon père devenait nerveux,"
Aussi, Agathe a 19 ans mais dans le résumé il est dit qu'elle a 17 ans ^^ ce doit être une petite erreur
Sinon rien à voir mais quand j'étais petite j'étais obsédée par le conte de la Barbe Bleue. C'est probablement grâce à cette histoire macabre que j'ai commencé à avoir un penchant pour les films d'horreur et thriller :-) alors voir une sorte d'alternative LGBTQ+ ça me tente grandement !
A plus !!
Je ne connaissais pas du tout le conte, ça me donne envie de découvrir :)
Tes descriptions sont chouettes. On se représente bien l’ambiance générale. Bravo :D
(Désolée de répondre si tard)
Je ne connais pas beaucoup ce compte, juste les grandes lignes alors je suis assez heureuse de pouvoir le découvrir avec ta version ♥
Déjà, j'aime beaucoup le début, il est intriguant. J'ai un sentiment assez mélancolique avec le premier paragraphe, et il a quelque chose d'assez mystique qui s'en dégage aussi, entre la couleur du ciel, l'odeur de la pluie, le fait que tout le monde parte (même si en soit s'abriter c'est normal).
Le personnage du père dégage une tendresse retenue pour ses filles que je trouve très belle, et j'ai l'impression que c'est une personne qui s'ouvre assez peu. C'est sa manière de parler qui me donne cette impression, alors la fin où il semble relâcher sa peur donne vraiment une sacré aura à ton prologue !
Si je peux me permettre deux petits points à relever, ce serait le double "gris sombre" et "gris mauve", comme c'est quasiment les seules descriptions de couleur, elles se font écho et, même si elles sont éloignées dans le texte, provoque une répétition dans le sens ou elles sont assez marquantes. C'est peut être voulu, mais en tout cas c'est juste ce que j'ai remarqué !
Et il y a quelques participes présents qui me semblent sortir de leur emploi réglementaire :o en soit ça ne gêne pas (je tique dessus parce j'ai passé des heures dessus en cours et depuis chaque participe présent je le décortique). Mais ça peut être des ruptures choisis aussi, ça je ne sais pas !
Si tu veux je peux développer :o mais ce n'est pas obligé. J'espère que mon commentaire n'est pas déplacé. Dans tous les cas j'aime beaucoup, les deux points relevés n'enlèvent en rien la qualité du texte, et je vais de ce pas enchaîner sur la suite !
Tout d’abord, je trouve l'idée de départ intéressante et riche même si elle peut se trouver risquée, et je suis curieuse d’en voir plus.
Dans ta note introductive, tu mentionnes le rôle de « maire » ou bourgmestre à venir, mais j’ai trouvé l'atmosphère générale ( description du château, herboriste, tailleur, difficulté de se procurer des médicaments ) assez médiévale. Bien sûr puisqu'il s’agit d’un conte cette atmosphère peut tout à fait coexistée avec un maire, mais la mention du titre de Seigneur semble indiquer un système plus féodale ou aristocratique. M’enfin, c’est un détail et le bourgmestre n’a même pas encore eu le temps de faire son apparition que je chipote déjà. Voilà c’était juste un petit quelque chose qui me turlupinait.
Le caractère du personnage principal qu’on a pu entrevoir semble déjà cohérent avec le récit à venir, puisque sa curiosité, son esprit d’entrepreneuriat et une certaine indifférence du quand-dira-t-on paraisse utile à la suite de l’histoire.
Je me demande ce que les différences de caractères entre les deux sœurs nous réservent, et quel rôle aura eu la mort prématurée de leur mère sur leur construction ou l'intrigue.
En tout cas, c’est un bon début, avec de jolies images, un rythme simple et très lisible. Peut être à étoffer un peu plus pour contribuer à enrichir le décor ( quotidien, lieux, anecdotes...) ? Mais après tout, cette simplicité est tout à fait accrocheuse et j’ai tendance surchargée.
Hâte de lire la suite et bonne chance !
En fait, c'est un système où les Seigneurs contrôlent les régions de manière plus générale et ils ont des bourgmestres pour s'occuper des villes individuelles, sous leur supervision. Donc les bourgmestres s'occupent plus des affaires courantes de la ville (en espèce de médiateur) plutôt qu'en véritable dirigeant, même s'ils ont pas mal de pouvoir.
J'avoue que niveau description, je n'en ai pas fait beaucoup dans cette histoire (du moins dans mon souvenir) car il n'y a pas énormément de description de lieux dans les contes de base et je voulais plus m'axer sur les personnages. Mais on va visiter plusieurs lieux dans l'histoire et avoir des détails sur d'autres sphères de leur vie (on va parler de la royauté et de la religion et colonisation, puisque ça se passe dans un pays semblable à la Belgique qui était un empire colonial, même s'il y a des références à l'Europe de l'Est aussi).
Merci encore !