Prologue

Par doudou
Notes de l’auteur : Attention, ce roman traite de sujets difficiles, comme le viol, l’antisémitisme, et les violences physiques et morales. Tout a été inventé en respectant les faits historiques. Cependant, toute ressemblance avec un personnage réel est fortuite. Ce livre est une fiction, il est destiné au divertissement. Il a été créé sans aucune intention de donner des excuses aux actes que les nazis ont commis durant cette période, ni d’insulter ou de porter atteinte aux communautés juives. Ce roman a pour but de délivrer un message de paix et d’amour.

Janvier 1942, Danielle

 

Je butai contre une pile de livres qui tomba sur le parquet dans un bruit sourd.

Je posai une main sur ma bouche et ramassai à la hâte en râlant. Mince ! Quelle maladroite ! Puis mes mains s’arrêtèrent sur un ouvrage de Karl Marx. Ce dernier faisait partie de la liste Otto [1].

Je souris tendrement en levant les yeux au ciel. Monsieur Tillier, le libraire, n’était pas du genre à se laisser marcher dessus. Il aimait la liberté, les grands penseurs et la philosophie. Rien ne lui faisait peur, et c’était ce que j’appréciais chez lui. C’était pour cette raison que je venais ici chaque fois que j’en avais l’occasion. Je regardais les livres et débutais parfois de longs débats avec cet homme si gentil. On parlait durant des heures de l’injustice des restrictions, du quotidien des Français et du sort de ces pauvres juifs qui voyaient leurs biens vendus aux quatre vents.

Ils possédaient de moins en moins de droits. Les Nazis ne voulaient pas d’eux. Certains habitants pensaient même qu’ils étaient mauvais, fourbes et qu’ils causaient le déclin de notre économie. Ils donnaient raison à l’envahisseur. Je trouvais ces accusations répugnantes, pour moi c’était une aberration. En France, nous naissions libres et égaux en droits, mais depuis le début de l’invasion en 1940, la mentalité avait changé. Il n’y avait pas que chez les nazis que l’antisémitisme sévissait.

— Ah, il faut faire attention avec celui-là, prévint une voix derrière mon dos.  

L’homme superposa ses doigts aux miens et m’aida à ranger le tout sur la table. Le seul client s’en alla, nous laissant seuls, moi et le libraire.

— Vous ne devriez pas l’avoir en votre possession monsieur Tillier, lançai-je en reprenant le livre pour l’inspecter.

Il gratta son crâne dégarni, et sa moustache blanche se rehaussa sous son sourire pincé.

— Oh, tu connais mon opinion ma petite Danielle. Ce n’est pas à moi qu’on va dire ce que je dois faire ou non.

— Oui, mais vous pourriez vous faire arrêter pour ça. Un officier allemand est déjà venu vous voir pour vous réprimander… Quelqu’un a dû parler, vous dénoncer.

Voyant l’ennemi s’étendre de plus en plus, les citoyens de ce pays retournaient leur veste. Les délations étaient légion, chacun tentait ce qu’il pouvait pour obtenir quelques avantages de la part des Allemands.

Le libraire rit doucement en agitant sa main par-dessus son épaule, chassant mes paroles dont il n’avait que faire.

— Ne t’en fais pas, je ne me laisserai pas faire, chuchota‑t-il.

Je souris.

— Vous et votre détermination, hein !

Je cachai l’ouvrage au fond d’une étagère, puis parcourus le dos des autres livres du bout des doigts.

— Soyez prudent tout de même, je n’aimerais pas qu’ils ferment votre magasin. Votre librairie, c’est toute votre vie ! soufflai-je, mélancolique.

— Au moins, je pourrais te donner les ouvrages que tu aimes.

Il me pinça le bout du nez comme une enfant puis revint vers son bureau où une pile de papiers l’attendait.

Mon cœur se serra. Il ne prenait pas les choses au sérieux. Il avait gardé une âme jeune et pleine d’inconscience.

— Oh, attends ! Tiens ! fit-il en se précipitant vers moi.

Il tenait dans sa main un ouvrage à la couverture rouge intitulé On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. Je souris.

— Oh monsieur Tillier. Je ne peux pas accepter, vous n’avez qu’un seul exemplaire.

— Taratata, prends-le, je te dis, je te l’offre. Tu pourras lire la tirade de Perdican aussi souvent que tu le voudras.

Je me mordis la joue pour ne pas lui sauter au cou.

— Merci, monsieur. Bon, je reviendrai demain vous acheter d’autres livres, répliquai-je avec une œillade entendue.

Je réajustai mon châle, prête à repartir. Je devais faire des commissions pour ma grand-mère.

Je sortis et le froid me saisit. Je rabattis le foulard autour de mon cou et marchai rue St Martin en pressant le livre contre mon cœur. La neige tombait en gros flocons, formant d’épaisses couches sur le bitume de la ville de Paris. Je m’avançai avec précaution dans la ruelle pavée qui menait droit vers la boulangerie. Je frictionnai mes mains en claquant des dents, puis relevai le bout du nez.

Je m’arrêtai net. Une queue immense se profilait devant moi. Je soufflai, exténuée, puis jetai un coup d’œil circulaire pour jauger le nombre de personnes.

 J’aurais dû aller à l’autre, derrière la librairie. Il y a moins de monde là-bas.

Je décidai de faire demi-tour et de la rejoindre, le nez fourré dans mon manteau et les yeux rivés au sol.

Ma grand-mère tenait absolument à ses deux miches de pain le matin mais aujourd’hui j’y allais beaucoup trop tard. Il était à peine huit heures du matin qu’une foule de gens patientait déjà devant la devanture. Ils avaient tellement peur de n’avoir rien à manger qu’ils venaient tous aux aurores.

Un pas après l’autre, je frottai mes membres transis de froid.

La nourriture se faisait rare et les réquisitions de plus en plus fréquentes. Nous devions économiser nos tickets de rationnement. Depuis la défaite de 1940, nous serrions les dents et obéissions aux Allemands sans broncher. Ils régnaient en maîtres sur nos terres et ne manquaient pas une occasion de nous le rappeler. Nous nous étions peu à peu habitués à leur présence. Nous vivions selon leurs règles, écoutions la radio dans leur langue, lisions leurs livres… De toute façon, nous n’avions plus notre mot à dire, plus d’autre choix que de cohabiter avec l’ennemi.

Je passai sur le trottoir, traversai la route puis m’engageai dans une ruelle. La neige crissait sous mes pieds. Je soufflai sur mes doigts, répandant un nuage de condensation.

— Mach schnell !

Je levai la tête et me figeai. Mon cœur manqua un battement.

Monsieur Tillier était avec trois soldats et un officier. Je me postai dos contre le mur et observai la scène en silence. Il n’y avait personne d’autre qu’eux. L’officier portait un uniforme noir et un ceinturon qui laissait apercevoir le chrome luisant d’une arme. Il conversait avec le libraire, droit comme un i, les mains derrière le dos. Mon sang se glaça. Que lui disait-il ? Je me mordis la lèvre inférieure. Bon sang, je lui ai dit de se débarrasser de ces livres !

Je plissai les yeux et tendis l’oreille. Les mots hachurés de l’Allemand me parvinrent sans que je ne puisse les saisir. Monsieur Tillier le toisait en bombant le torse mais ses épaules s’affaissèrent et sa mâchoire se décrocha à la dernière phrase de l’officier. Pour la première fois, je voyais la peur le saisir.

Le militaire lui assena une violente gifle qui le fit tomber à la renverse.

Je mis une main sur ma bouche, le souffle coupé. Le gradé dégaina son arme et le pointa sur sa tête.

Une sueur froide remonta le long de mon échine et mon cœur tambourina jusqu’à exploser. Non, il ne va pas le tuer !?  Les yeux du libraire croisèrent les miens. Ternes et pleins de mélancolie, ils s’éclairèrent alors d’une lueur d’espoir. D’une mine contrite, il secoua légèrement la tête comme pour m’indiquer de ne pas m’en mêler.

Puis le nazi tira. La détonation résonna dans toute la rue et fit s’envoler quelques oiseaux posés sur le rebord des fenêtres.

Mes jambes flageolèrent et mon estomac se souleva. Le livre chuta de mes mains, s’écrasant dans une flaque d’eau.

Le sang se répandit sur le trottoir et tacha la neige immaculée. Les prunelles du libraire étaient tournées dans ma direction, mais elles devinrent vitreuses, sans vie.

Il avait tué monsieur Tillier ! Il avait assassiné un innocent juste pour un livre ! Serait-il capable de faire pareil pour un regard de travers ?

Les larmes me montèrent aux yeux et ma tête vacilla.

Secouée d’un spasme, je rendis le maigre contenu de mon estomac sur le trottoir, et me posai au sol pour ne pas tomber dans les pommes.

C’étaient des monstres, des meurtriers sans foi ni loi ! Les règles n’existaient plus, ils nous tuaient comme ils le voulaient dorénavant ! Je plissai les paupières et inspirai à fond pour parvenir à me calmer.

Nous devions faire attention. Eux qui prônaient tant la sécurité de notre peuple, qui nous priaient de nous fier à eux... En réalité, ils nous tuaient en toute impunité. Je ne devais plus les croiser, plus les voir, il fallait que je parte, que je me cache.

Je rouvris les yeux.

L’officier riait en frottant son bel uniforme, puis il se retourna et m’aperçut. Je retins mon souffle, pétrifiée. Son regard noir croisa le mien. Sous la visière de sa casquette, je remarquai le sigle d'une tête de mort, et, sur le col de son uniforme, des éclairs. Ses yeux étaient monstrueux, vides, sans âme.

Il se détourna ensuite puis ordonna à ses hommes de le suivre. J’expirai, expulsant un nuage de vapeur dans l’air.

Maudits soient les SS !

 

[1] Liste d’ouvrages prohibés par les Allemands

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J.J.Canovas
Posté le 14/09/2022
Hello ! Un prologue qui nous plonge directement dans l'horreur de cette époque. On s'attache déjà à la narratrice qui subit l'occupation et qui je pense va se révéler audacieuse et courageuse. En tout cas bravo pour ce début ! ;)
doudou
Posté le 16/09/2022
merci beaucoup Julie :)
Edouard PArle
Posté le 09/09/2022
Coucou !
En lisant le début du résumé (relation toxique), je croyais que c'était une romance contemporaine. C'est euh... pas vraiment le cas xD
Bon prologue, on entre vite dans l'ambiance et la violence de la chute nous plonge rapidement dans l'univers violent de 39 - 45. J'imagine que la narratrice sera la même pour la suite du roman, j'espère qu'on va en apprendre plus sur elle.
Sinon, choix de cadre audacieux. C'est une époque passionnante mais délicate à traiter !
Mes remarques :
"mais depuis le début de l’invasion en 1940, la mentalité avait changé." malheureusement, l'antisémistisme était présent en France depuis bien plus longtemps (l'affaire Dreyfus le montre bien)
"Il avait gardé une âme jeune et pleine d’inconscience." -> jeune et inconsciente ?
Un plaisir de découvrir ta plume,
A bientôt !
doudou
Posté le 10/09/2022
Coucou !
merci beaucoup pour ton commentaire ! Je vais prendre ça en compte!
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