PROLOGUE

     Les bottes maculées de boue de Kennie souillèrent le carrelage blanc des urgences de l’hôpital de Lennoxtown alors qu’il devait être un peu plus de trois heures du matin. L’aide-soignante de garde ce soir-là retira les lunettes de son nez, le fronçant légèrement alors qu’elle dévisageait le nouveau-venu, sans rien dire. La petite ville de Lennoxtown ne comptait que cinq mille âmes. La plupart des habitants y vivaient depuis toujours, c’est pourquoi elle reconnut la progéniture Fergusson du premier coup d’œil, même si elle n’avait jamais rencontré celle-là en particulier. L’aide-soignante abandonna à regret la tablette sur laquelle elle regardait des tonight shows pour se divertir.

    Le gamin, qui devait avoir environ vingt ans, n’avait pas l’air blessé et Fenella se méfiait comme de la peste de ce genre de mauvaise graine. Il avait les cheveux frisés, le nez frondeur et de larges cernes sous les yeux ; son apparence négligée ne l’incitait pas à l’accueillir chaleureusement. De plus, il salissait le sol du hall alors que son service se terminait dans une heure et qu’elle n’avait aucune envie d’aller chercher le matériel de nettoyage au premier étage pour nettoyer ses saloperies.

— Qu’est-ce que tu fais ici ? demanda-t-elle sèchement après l’avoir jaugé quelques secondes.
— Je cherche mon petit frère, il a disparu.
— On n’a enregistré personne ce soir, dit-elle alors, sans consulter son ordinateur ni lâcher le jeune homme du regard. Tu n’as pas un strap’phone ? Si tu avais appelé, tu l’aurais su.

    Kennie ne dit rien. Ça faisait plusieurs heures que son portable n’avait plus de batterie. Il avait cherché son frère pendant longtemps dans les landes, parcourant des kilomètres à pied, sans ressentir la fatigue. L’hôpital était apparu au détour d’un chemin et il avait suivi l’enseigne lumineuse, sans réfléchir. À présent qu’il avait cessé de marcher, il se sentait vidé de ses forces et sa gorge se rappelait à lui, douloureuse d’avoir trop crié le nom de son frère, Ian.

— Tu sais, si ton frère a disparu, continua l’aide-soignante avec un rictus hautain, il vaut mieux appeler la police. A l’hôpital, on ne peut pas faire grand-chose pour toi.
— Ta gueule connasse, lâcha Kennie, mais sans réussir à y mettre la force qu’il aurait voulu.
— Pardon ? s’étouffa la femme, outrée.

    Il s’approcha de la réception. Il était assez grand pour avoir une vue d’ensemble de l’arrière du comptoir et il tendit un bras malhabile pour récupérer le téléphone, balayant ce qui se trouvait autour. Il ignora les cris d’indignation de la secrétaire, composant le numéro de chez lui. Jamie répondit à la première sonnerie :

— Tu l’as retrouvé ?

    Kennie pouvait sentir l’angoisse dans sa voix et cela le faisait se sentir encore plus coupable et merdique.

— Non. Je suis à l’hôpital, ils ont eu personne.
— Papa va aller voir les flics, dit finalement son frère, après les quelques secondes qu’il lui fallut pour encaisser l’information.
— Ils feront rien pour nous là-bas, le prévint Kennie, sentant le combiné trembler contre son oreille.
— Tu rentres à la maison ?
— Non. On se retrouve plus tard.

    Il raccrocha sans attendre les protestations de Jamie. Son petit frère se trouvait quelque part dehors, paumé, par sa faute. Peu importe le temps qu'il mettrait, il allait le retrouver et le ramener à la maison.