Première leçon

Par Pouiny
Notes de l’auteur : J'ai exploité mes cours de technique vocale pour écrire les prochains chapitre, mais je ne suis pas un expert là-dedans, donc je ne sais pas si tout est très clair !

Monsieur Patrício constata bien vite que quelque chose avait changé dans le quotidien de son fils. Il continuait de rentrer le soir avec lui, mais il le voyait de moins en moins l’aider sur le terrain. Le matin, quand il arrivait, il aidait, mais très vite il finissait par disparaître à un endroit que personne ne connaissait. Mais monsieur Patrício n’était pas d’humeur à lui faire une quelconque remarque. Car pour la première fois depuis qu’il élevait cet enfant, il semblait véritablement heureux. Acacio souriait davantage, avait plus d’entrain dans son travail et sa cuisine. Et surtout, les nuits douloureuses aux cris incessantes s’estompaient, petit à petit. Bien qu’il était parfaitement incapable d’interroger son fils, il était soulagé de voir enfin le jeune garçon commencer à s’épanouir quelque part, même si ce quelque part lui était pour l’instant inconnu.

 

« Donc ! Comme tu le sais, les mots sont composé de voyelles et de consonnes. Commençons avec les voyelles !

– Pourquoi les voyelles ? Demanda Acacio en élève attentif.

– Parce que chaque mot a un corps et que les voyelles sont leur âme. C’est le son de la voyelle qui détermine l’esprit, le sentiment d’un mot. C’est l’essence d’un mot, sa base la plus pure ! Donc, ne me coupe pas, et commençons !

– Je ne comprends pas ce que tu dis, caméléon. »

L’animal, en professeur irritable, fit claquer sa langue :

« Si tu pouvais te concentrer un petit peu, aussi ! J’ai accepté de t’aider, pas de me répéter ! Bon. Prenons un mot au hasard, par exemple ; chaton. Si j’enlève les consonnes et que je te dis ‘’aon’’, tu vas penser peut-être qu’il me manque quelques neurones mais, dans un contexte tu peux comprendre quand même que je te parle de chatons. La ou si je t’enlève les voyelles et que je te dis « sht » tu vas juste penser que j’ai éternué, peut importe le contexte ! Voilà pourquoi les voyelles sont l’âme d’un mot, et les consonnes leur corps. Tu l’as, cette fois ?

– Attends, attends... »

Acacio regrettait presque de ne pas pouvoir prendre de notes. Il avait beau l’impression de naviguer dans un terrain instinctivement connu, tout lui semblait comme sortir d’un autre monde. Mais, impatient, le caméléon tapa du sol de sa queue.

« Quoi, attends ? C’est le plus simple, bon sang ! Est-ce que tu sais au moins la différence entre des voyelles et les consonnes ?

– Bien sûr ! S’exclama le jeune garçon, sur la défensive. »

Mais la langue du caméléon claqua à nouveau.

« Ks, ks, ks, tu mens très mal, bougre d’imbécile.

– C’est toi, l’imbécile ! Tu ne l’as même pas expliqué !

– Ah, donc c’est à moi de prouver quelque chose, maintenant ? Rétorqua le caméléon avec des yeux qui roulèrent dans tous les sens. Les voyelles sont des sons qui résonnent dans ta bouche et dans ton crâne vide de tout liquide céphalo-rachidien. Rien n’arrête les voyelles, son air est libre, comme l’air, justement. Là où les consonnes sont crées par des impacts qui bloquent l’air mieux qu’un fouet un lion du cirque. Mais on parlera des consonnes plus tard, parce que comme je l’ai dit, les voyelles sont le plus important ! Tu as compris, cette fois, gamin ?

– Oui, je crois que j’ai saisi. Tu es obligé de m’insulter à chaque fois que tu parles ? Demanda Acacio avec agacement.

– C’est le prix de mes leçons, répliqua le caméléon. Donc ! Les voyelles sont formées en partie par la forme de ta bouche. Pas que les lèvres, attention ! L’ouverture de la bouche compte aussi ! Tu me fais des essais ? »

Le garçon s’exécuta.

« Je te vois jouer avec les lèvres, mais l’ouverture de la bouche reste toujours minuscule. Tu veux parler aux fourmis, ou quoi ? Allez, ouvre moi ça en grand !

– Mais j’y arrive pas ! »

Le caméléon eu un bruit de claquement de langue et mit le bout de sa queue dans la bouche du garçon pour essayer de tirer l’ouverture. Acacio eu un mouvement de recul dégoûté :

« Mais tu es fou ! C’est horrible de faire ça !

– Oui et pas qu’un peu, répliqua le caméléon avec un air tout aussi écœuré. Si tu faisais plus d’effort, je n’aurais pas besoin de m’y mettre. Allez, gamin, fais plus d’effort, ouvre la bouche !

– Mais je ne peux pas !

– Très bien. »

Résigné, l’animal frappa le sol de sa patte.

« Tu es un serpent. Tu es un boa, immense, impitoyable. Tu n’as rien mangé depuis des jours, et là, un éléphant mort passe devant toi. Une aubaine ! Tu dois le manger pour survivre, mais pour ça il faut qu’il rentre dans ta gueule. C’est une question de survie ! Il faut que tu ouvres la bouche, le plus grand possible, pour que l’éléphant rentre. »

Et pour imager son histoire, le caméléon ouvrit la bouche lui-même, le plus grand possible. Par réflexe, sa langue se projeta loin avant de retomber mollement par terre. Acacio, amusé, répondit :

« Impossible que l’éléphant rentre, avec ta toute petite bouche. Regarde ! »

Et Acacio déplia sa mâchoire en grand. Ses muscles au début luttèrent, mais il força jusqu’à ce que les os empêchent le mouvement davantage. Les yeux du caméléon s’agitèrent dans tous les sens alors qu’il replaçait sa langue dans sa bouche.

« Parfait, Acacio, parfait ! Tu vois quand tu veux ! Tu sens les muscles de la mâchoires, comment il s’étirent ?

– Aaah, répondit le jeune garçon en signe d’assentiment.

– Voilà ou je voulais en venir. Tu peux faire des voyelles aussi avec le mouvement de ta langue. Si tu la soulèves, tu vas boucher le trou qui te sert de gorge et produire un autre son. Tu modèles ton air comme tu souhaite qu’il résonne ! Reste la mâchoire ouverte à manger ton éléphant et réponds moi oui, tu dois en être capable ! »

Le jeune garçon oublia alors la honte et le ridicule et se prêta aux exercices improvisés par l’animal qui curieusement, n’avait jamais eu à réfléchir pour savoir comment produire des sons. En rentrant chez lui, son père constata que son fils se massait anormalement les joues.

« Tu t’es fait mal, Acacio ?

– N… Non… »

Même si son père ne remarqua pas la différence, le jeune garçon senti qu’il avait répondu plus rapidement qu’à l’accoutumé, et cette petite victoire lui réchauffa le cœur.

« Pourquoi te frottes-tu les joues comme ça, alors ? »

Son père ne s’attendait sans doute pas à une réponse, sachant que son fils ne répondait presque jamais. Mais avec un drôle de sourire, l’enfant répondit :

« Lél… élf… phant. »

L’homme ne sut pas si il avait réellement compris le mot qui n’avait aucun sens apparent, alors par pudeur, il n’insista pas davantage.

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Sklaërenn
Posté le 18/03/2021
J'aime beaucoup. Ça me fait penser aux alphas la leçon de phonétique XD (une méthode pour apprendre le son des lettres de façon ludique avec les enfants si jamais tu ne connais pas ) mais en plus rigolo pour le coup ! Ça ferait bien rire mon fils ahah.
Pouiny
Posté le 18/03/2021
Wa mais je connaissais pas non plus ! ça m'interesse beaucoup, pour le coup, ça peut vraiment me servir ! Je me suis basé sur mes propres cours de technique vocale et des interventions que je peux faire avec des élèves en primaire, c'est comme ça que je suis arrivé à ce dialogue :) Merci beaucoup ! :D
Louison-
Posté le 17/03/2021
Chouette ce premier cours de phonétique !

Je dois dire que j'étudie la linguistique un peu à l'uni et que c'est une branche qui ma fascine particulièrement et que donc c'est un vrai plaisir de suivre le caméléon expliquer la phonétique de façon aussi ludique ! Vraiment comme ton écrit c'est un conte tu as bien cerné le ton à employer et le caméléon qui possède son petit caractère nous fait bien rire et anime un sujet qui pourrait être barbant par son contenu. Donc vraiment bon point, c'est vulgarisé à merveille !

Et définitivement leur dialogue coule vraiment fluidement, sans accroc, j'apprécie cet interaction qu'ils entretiennent avec l'enfant ^^ je crois l'avoir déjà dit mais je me répète haha, c'est juste que ça me sonne vraiment naturel la façon dont ils parlent :)
Pouiny
Posté le 17/03/2021
Les dialogues, c'est ce que j'aime le plus, j'adore créer des interactions :D Merci beaucoup ! ça me fait grave plaisir, j'avais peur que ça soit pas forcément très clair ou quoi
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