Prélude

Par Fenkys
Notes de l’auteur : Bien que l'histoire se place environ dix ans avant la naissance de Deirane, ce prélude et les interludes qui vont émailler le roman se situent juste après la conclusion de La paysanne.

Le soleil venait de se lever. Vespef s’étira. Elle se réveillait rarement aussi tard. Mais d’habitude, elle allait nager dans l’océan. Ou, quand elle se trouvait loin de la mer, elle prenait une longue douche. Or, dans cette maison, elle ne bénéficiait ni de l’un ni de l’autre de ces éléments. Elle sortit une tenue propre de son coffre et s’habilla. En descendant vers la salle commune, elle découvrit Daisuren qui s’affairait déjà dans la cuisine.

— Bonjour, la salua-t-elle, j’ignore ce que vous préparez, mais cela dégage un fumet délicieux.

— Mes respects, votre majesté.

— Pas de ça entre nous. Aussi longtemps que je serais votre invitée, appelez-moi simplement Vespef.

— Ce ne serait pas convenable.

Vespef retint un soupir. Depuis deux jours qu’elle vivait dans cette maison, Daisuren continuait à lui manifester une déférence qui la mettait mal à l’aise et l’empêchait de jouir de ces vacances forcées. Son idée consistait à rentrer en Helaria juste après avoir déposé Deirane chez elle. Mais à l’origine, il était prévu qu’elle reste loin de la Pentarchie pendant quelque temps. Et le capitaine ignorant ses changements de projets avait profité de ce qu’ils se trouvaient dans la région de production du lin pour remplacer tous les cordages. Haubans, aussières, drisses, écoutes, tous avaient été retirés. Le navire n’était plus en état de naviguer. Il avait également fait venir des charpentiers pour réparer les dégâts, coups d’épée ou impacts de flèches causés par l’assaut d’Aldower. Elle était donc coincée dans cette ferme aussi longtemps que son bateau ne serait pas en mesure ni de l’accueillir ni de l’emmener ailleurs.

Elle sortit de la maison. Dehors, Cleriance, la sœur aînée de Deirane, prenait l’air, assise sur un banc juste à côté de la porte. La pentarque ne put s’empêcher de comparer les deux femmes. Elles se ressemblaient beaucoup, si ce n’était que Cleriance avait une taille plus normale et que ses cheveux avaient dû être bruns avec des reflets dorés, couleur que l’on retrouvait sur les quelques mèches que le gris n’avait pas envahies. Mais le plus gros contraste entre elles, au point d’en être choquant, était la différence d’âge apparent. Pourtant Cleriance n’avait que quelques années de plus, mais elle semblait beaucoup plus vieille. Était ce qu’Aldower avait infligé à Deirane qui la préservait ou la vie campagnarde qui avait usé son aînée.

— Déjà debout, remarqua Vespef.

— Il faut bien. Les légumes ne se récoltent pas tous seuls.

— Vous avez besoin d’aide ?

— Ce ne serait pas de refus.

La stoltzin tourna son regard vers ce qui retenait l’attention de Cleriance. En bas de la colline une jeune femme se dirigeait vers le petit lac, un seau dans chaque main.

— C’est Deirane ? demanda Vespef.

— Quand elle était enfant, c’était son travail d’alimenter les purificateurs d’eau.

— Je l’ignorais.

Vespef remarqua qu’en se levant, Cleriance se tenait les reins. Elle lui tendit la main pour l’aider. L’humaine la saisit avec reconnaissance. La sœur aînée de Deirane n’était pas comme sa mère. Elle semblait accepter Vespef et son rang sans aucun problème.

— On dirait que votre dos vous fait souffrir. Vous avez eu un accident ? demanda Vespef.

— C’est l’âge tout simplement.

— Vous voulez que je jette un coup d’œil ?

— Vous êtes guérisseuse aussi ?

— Je possède quelques compétences dans ce domaine.

Elle posa sa main sur les reins de Cleriance. Elle repéra rapidement la vertèbre tassée et le cartilage usé. C’était à sa portée de corriger cette blessure, mais cela allait être douloureux.

— J’ai vu ce qui n’allait pas. Ça va faire un peu mal, et il vous faudra plusieurs monsihons pour vous remettre. Je m’en occuperai ce soir à la veillée.

— C’est préférable.

— Maintenant, on va aux serres ?

— Pour les légumes ? Demain matin. J’ai déjà fait la récolte du jour.

Vespef était déçue. C’était pourtant évident, l’humaine était debout depuis bien plus longtemps qu’elle, elle avait commencé ses tâches quotidiennes.

— Il n’y a rien d’autre à faire ? demanda-t-elle pleine d’espoir.

— En cette saison, à part nourrir les animaux… Mais ça, ce n’est pas avant ce soir.

— Mais comment vous occupez-vous le reste de la journée ?

— La couture. Papa a commandé du tissu en ville. Il ne devrait pas tarder à arriver.

— C’est un domaine que je ne maîtrise pas.

— Je peux vous apprendre si vous voulez.

La pentarque détailla le chemisier brodé que portait la paysanne. Il avait dû coûter lui un temps énorme à confectionner. Même si les matériaux n’étaient pas luxueux, le résultat était magnifique.

— Je ne crois pas que j’aurais la patience, répondit-elle.

Cleriance haussa les épaules. Elle se prépara à entrer dans la maison.

— Vous savez où se trouve Saalyn, demanda Vespef.

— Elle est à l’écurie. Mais dépêchez-vous. Elle veut visiter le château d’Aldower.

— Merci.

Elle quitta Cleriance, se dirigeant vers l’écurie. Elle y retrouva Saalyn, comme escomptée, en compagnie d’Öta. Et s’ils avaient prévu de se promener, ce n’était visiblement pas pour tout de suite. Heureusement, Vespef les avait surpris avant que la situation devint réellement embarrassante. Elle toussa pour les prévenir de son arrivée. Saalyn sursauta, elle s’écarta de son amant, comme si elle commettait une faute. Puis, un sourire gêné sur les lèvres, elle rajusta son corsage. On aurait dit une adolescente prise sur le fait par son père.

— Tu pourrais t’annoncer, protesta Saalyn, à quoi te sert ta télépathie.

— Désolée, répondit Vespef, je ne m’attendais pas à…

Pour une fois, la pentarque, d’habitude si éloquente, n’arrivait pas à trouver ses mots.

— J’avais oublié l’effet stimulant des meules de foin sur les sens, dit-elle finalement.

Un effet qu’elle n’a fait que théoriser pensa Saalyn. Juste avant de se remémorer que si Vespef se montrait discrète sur ses amours, elle ne pratiquait pas l’abstinence non plus. En fait, elle ramenait rarement des hommes au palais, mais il lui arrivait fréquemment de découcher. Peut-être avait-elle réellement testé les meules de foin.

— Tu voulais quelque chose ? demanda-t-elle.

— Vous allez au château d’Aldower ?

— Oui.

— Je vous accompagne.

L’air embarrassé des deux guerriers libres lui fit comprendre qu’elle n’était pas la bienvenue. En réalité, ils cherchaient un endroit pour s’isoler. La visite n’était qu’un prétexte. Peut-être n’envisageaient-ils même pas de se rendre dans cette forteresse à la sinistre histoire.

— C’est bon, allez-y sans moi.

Saalyn était soulagée. En même temps, elle se sentait coupable. Elle s’amusait, alors que sa pentarque ne semblait pas aller bien.

— Tu es sûre ? vérifia-t-elle.

— Pourtant, tu parais bizarre. Tu as un problème.

— C’est juste que je m’ennuie, il n’y a rien à faire ici.

Saalyn sourit. Si ce n’était que cela, ce n’était pas bien grave. Tout en continuant la discussion, elle entreprit de harnacher de son cheval. Quand il fut prêt, elle donna une dernière accolade à sa reine.

— J’ai pris un usfilevi avec moi. Ce soir, on va faire la fête.

— Promis ?

— Jurée. Si je mens, je vais en enfer.

— Je ne crois pas en l’enfer, lui rappela-t-elle. Je ne crois en aucun dieu.

Elle quitta l’écurie tenant sa monture par la bride. Öta lui emboîta le pas. Mënim ne les accompagnait pas. Elle se demanda où l’apprentie s’était cachée. Vespef la connaissait peu, mais elle l’imaginait sans problème explorer les environs.

 

Perdue dans ses réflexions, Vespef ne remarqua pas la personne qui entra, guidant deux chevaux.

— Excusez-moi, je vous dérange ?

La stoltzin se retourna brutalement. L’intruse était une femme. Son visage n’était pas sans rappeler Cleriance, mais sa silhouette, moulée dans une tenue de cuir brun, était très différente. Elle avait dans l’idée que la sœur aînée de Deirane devait beaucoup lui ressembler quand elle était adolescente. Cette femme n’avait pas encore enfanté ni ne s’était usée aux travaux de la ferme. Une version plus jeune de Cleriance. Une cousine proche ?

— Non, j’allais sortir. Je dois jeter un coup d’œil sur le dos de votre tante. À toujours rester baissée à ramasser des légumes, il la fait souffrir.

— Ma tante ? À ma connaissance, elle ne se trouve pas ici. Et quand elle vient, elle ne s’occupe pas des légumes.

— Cleriance.

— Ah !

L’inconnue fit un sourire qui rendit son visage encore plus beau qu’il ne l’était.

— Cleriance n’est pas ma tante. C’est ma sœur aînée.

— Vous êtes Elhrine ?

— Non l’autre. Teriante.

Teriante. Deirane s’était beaucoup confiée pendant le voyage, mais jamais elle n’avait parlé d’une troisième sœur. Pendant qu’elle s’approchait, Vespef l’examina. Cette femme était très jeune, certainement moins de vingt ans. Or Deirane avait quitté sa ferme parentale depuis plus longtemps que cela. Elle avait dû naître après son départ. Deirane avait eu une sœur et elle l’ignorait.

 

Teriante arriva suffisamment près pour bien voir Vespef. Elle la détailla de la tête aux pieds. Son regard n’exprimait aucune curiosité. Il l’évaluait. Elle s’attarda un moment sur le corsage, qui cachait bien mal deux fruits que de toute évidence elle aurait bien goûtés, avant de descendre sur le reste de la silhouette. Cette tunique lui avait été prêtée par Saalyn qui était plus petite qu’elle, elle découvrait la taille, une fine bande de peau nue dans laquelle les yeux de Teriante se perdirent. Vespef la laissa poursuivre son examen. Enfin, elle revint au visage.

— Une stoltzin, s’écria-t-elle, maman doit être dans tous ses états.

— Elle ne m’a pas paru hostile, répondit Vespef.

— Qu’avez-vous fait pour la calmer ? Et d’ailleurs, que fait une stoltzin dans ce trou paumé ? On vous voit rarement aussi haut au nord.

— J’ai ramené votre nièce.

La joie illumina aussitôt le visage de la jeune femme.

— Cleindorel est de retour ? Je comprends que maman vous supporte, si vous lui rendez sa petite fille.

Teriante détacha les lourds paniers fixés aux flancs des chevaux.

— Vous êtes quoi ? Une guerrière libre ?

— Pas moi, non. C’est Saalyn, la femme qui m’accompagne qui l’est.

— Voilà qui explique votre présence. Et le résultat plus sérieux. Vous imaginez que mon frère avait fait appel à une sœur disparue depuis bien avant ma naissance pour la retrouver.

Elle avait donc raison. Elle était née après le départ de Deirane de la ferme.

— Vous parlez de Deirane ? demanda Vespef.

— Vous la connaissez ?

— C’est elle qui a requis l’aide des guerriers libres.

Teriante posa son ballot et se redressa l’air étonné.

— Ainsi l’idée de Telet n’était pas si stupide finalement. Depuis le temps que j’entends parler d’elle, j’ai envie de la rencontrer.

— Vous la verrez ce soir. Elle est rentrée avec nous.

Teriante mit un long moment avant de répondre.

— Où est-elle ?

— Dans la maison. Elle assiste votre mère.

— Vous lui ramenez sa fille et sa petite fille. Maman doit vous vénérer.

— Vous allez la voir ?

— Plus tard, je dois m’occuper de ces chevaux d’abord. Ils ne peuvent pas attendre. Vous m’aidez ?

— Bien sûr. Mais je ne sais pas comment on fait.

La jeune femme pencha la tête sur le côté.

— Je vais vous montrer.

Teriante avait guidé les deux montures dans leur stalle.

— Vous prenez une bourre de paille comme cela et vous frottez le dos du cheval.

Elle joignit le geste à la parole et commença à bouchonner son cheval. Maladroitement, Vespef tenta de l’imiter.

— Pas comme ça, intervint Teriante.

La jeune femme passa dans le box de Vespef. Elle se mit derrière la stoltzin et lui attrapa le poignet pour la guider.

Très vite, les gestes de Teriante changèrent de nature. Vespef sentit sa poitrine s’appuyer contre son dos et la main libre de la jeune humaine se poser sur sa taille, dénudée par sa tenue. Au bout d’un moment, le simple contact devint caresse. Elle sentit les lèvres de la jeune femme contre son cou lui déposer de multiples petits baisers. Elle pencha la tête pour l’inviter à continuer.

Teriante laissa tomber le bouchon de paille. Elle entreprit de dénouer le lacet qui maintenait le corsage fermé. Le nœud était compliqué, Vespef dut lui venir en aide. Enfin débarrassé du lien de cuir, elle put glisser une main dans le décolleté et lui caresser les seins. Elle marqua une brève appréhension en découvrant la froideur de la peau de la stoltzin. Mais elle reprit bien vite ses attouchements. Cette différence entre les deux peuples rebutait beaucoup d’humains, mais pas Teriante.

Vespef se retourna pour faire face à sa partenaire, mettant fin ainsi au délicieux contact. Teriante hésita un long moment. C’est l’air décidé de Vespef qui la poussa à continuer. Elle retira la tunique de la stoltzin, la dénudant jusqu’à la taille. Elle se délecta de la vision qui lui était offerte.

— Toutes les stoltzint sont comme toi ? demanda Teriante.

Vespef ne répondit pas. Elle se contenta de dénouer sa ceinture et de laisser glisser son pantalon jusqu’au sol. Elle ne portait plus rien sur elle.

— Je n’ai jamais vu une femme aussi belle que toi, murmura Teriante.

Devant l’air hésitant de la jeune femme, Vespef reprit la parole.

— Que t’arrive-t-il ? On dirait que tu as peur.

— C’est que… Tu es ma première stoltzin.

— Si ce n’est que ça.

Elle lui passa les bras autour du cou.

— Je vais te montrer.

Vespef rapprocha son visage de celui de Teriante. Leurs lèvres se collèrent, leurs bouches se joignirent. Les mains de la jeune femme parcoururent le corps de la stoltzin. Vespef ne s’écarta que le temps d’enlever le chemisier de sa partenaire.

 

La porte de la grange s’ouvrit, une personne entra.

— Vespef, vous êtes là ?

Vespef reconnut le timbre de Cleriance.

— Je suis occupée, répondit la stoltzin.

Cleriance s’avança guidée par la voix. Elle remarqua les deux corps nus et enlacés.

— Excusez-moi, dit-elle d’un air géné.

Elle battit en retraite vers la sortie.

— Elhrine arrive. Elle sera là dans quelques calsihons, dit-elle avant de quitter les lieux.

Elle referma soigneusement derrière elle.

Vespef se pencha vers Teriante pour reprendre leurs ébats où ils avaient été interrompus. Mais cette dernière s’écarta.

— Que se passe-t-il ? demanda Vespef.

— Vespef. C’est un nom répandu chez toi ?

La pentarque venait de comprendre.

— En Mustul, il est assez fréquent. Mais en Helaria non. Je crois être la seule à le porter.

Teriante mit un long moment avant de répondre.

— Je suis désolée. Je ne savais pas qui vous étiez.

La jeune femme était sur le point de s’enfuir, la seule chose qui la retenait était la peur de vexer sa partenaire. Vespef se retourna sur le dos. Elle se cambra, gonflant, la poitrine.

— Cela fait presque un monsihon que tu joues avec mon corps et moi avec le tien. J’étais parfaitement volontaire. Et je ne pense pas t’avoir forcée non plus.

— Non. Mais j’ignorai que vous étiez une impératrice.

— Pentarque !

— C’est pareil.

— Pas vraiment.

Vespef prit une main de la jeune femme et la posa sur un sein.

— J’ai un peu froid. Nous autres stoltzt sommes des êtres tropicaux. Une impératrice t’ordonnerait de réchauffer le jumeau. Une pentarque espère jusque tu le feras parce que tu en as envie.

Timidement, Teriante approcha ses lèvres du téton et le mordilla délicatement, arrachant quelques soupirs à la stoltzin. Mais la passion du début n’était pas revenue. Finalement, Vespef repoussa sa partenaire et le mit à califourchon sur elle.

— Il ne nous reste que quelques calsihons, ne les gâche pas.

— Comment ça quelques calsihons ? Après tu pars.

Vespef sourit face au ton de panique de Teriante. Elle remarqua qu’elle avait abandonné les formes de politesse.

— Non, je suis bloqué ici pendant au moins un douzain. Et j’ai bien l’intention de te laisser largement profiter de moi. Et moi de toi. Tu as des objections ?

— Non.

— Alors, prouve-le. Utilisons au mieux le temps qui nous reste avant d’aller rencontrer ta sœur.

Vespef se cambra pour inciter Teriante à jouer avec ses seins, mais la jeune femme préféra attirer la stoltzin vers elle pour l’enlacer et l’embrasser à nouveau.

 

Vespef rejoignit la cour de la ferme au moment où une charrette s’arrêtait devant la porte. Elle était conduite par une femme dans la force de l’âge accompagnée de trois enfants. Au même moment, la porte s’ouvrit. Jensen, sans doute attiré par le bruit des roues, était sorti sur le seuil.

— Bonjour Papa, le salua la femme.

— Bonjour Elhrine, je ne t’attendais pas si tôt.

— Ton message semblait présenter un caractère d’urgence.

En se dirigeant vers son père, elle embrassa la cour d’un regard, découvrant la présence de Vespef, et derrière celle de Teriante, le corsage encore ouvert. Malgré tout l’amour qu’elle éprouvait pour sa jeune sœur, elle désapprouvait son mode de vie. Alors que Jensen s’était montré strict dans l’éducation de ses aînées, la petite dernière n’avait jamais reçu le moindre reproche de sa vie. Elle en avait profité.

Jensen et Elhrine s’enlacèrent un moment. Puis elle l’aida à s’asseoir sur le banc.

— Il y a quelque chose de changé, remarqua Elhrine. Cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas vu si joyeux. Il s’est passé quelque chose.

— Ta sœur est rentrée, répondit Jensen.

— Oui, enfin, je n’y vois rien d’anormal, elle vit ici, dit-elle en jetant un coup d’œil vers Teriante.

— Pas celle-là, l’autre.

— L’autre ? Quelle autre ? Je…

Soudain, elle comprit. Elle cacha sa bouche derrière ses mains pour cacher son émotion.

— Deirane ? s’écria-t-elle.

Jensen hocha la tête.

— Où est-elle ?

De la main, le vieil homme désigna la plaine en contrebas de la ferme. Elle remarqua deux silhouettes, une toute petite et une autre de taille normale.

— C’est elle ? demanda-t-elle d’une voix rendue vibrante par l’émotion.

— Oui.

— Et la personne qui l’accompagne ?

— Son fils Hester. Mon petit-fils.

— Mon neveu, murmura-t-elle, j’ai un neveu que je ne connais pas.

Elle se tourna soudain vers Vespef.

— Vous pouvez surveiller mes enfants un instant ? demanda-t-elle.

— Bien sûr, répondit-elle.

— Je peux m’en occuper, protesta Jensen.

Elle lui envoya un sourire qui en disait long sur ce qu’elle pensait de sa capacité à gérer sa marmaille turbulente. Il n’avait plus la force pour cela. Et lui-même était réaliste, il n’insista pas.

 

Laissant les siens à la garde de Vespef, Elhrine s’élança à la poursuite de cette sœur si longtemps disparue. Teriante s’approcha de son amante.

— Quand elle découvrira qui tu es, elle va faire une syncope, plaisanta-t-elle.

— Par contre, ça n’a plus l’air de te gêner.

— Vu l’aspect de toi que tu m’as montré en premier, j’ai du mal à te voir en reine.

Vespef lui renvoyant un sourire engageant. Puis elle se tourna vers les enfants.

— Tu ressembles à une princesse, remarqua la plus jeune fille du groupe.

— Mais je n’en suis pas une. En revanche, je connais des histoires avec des princesses.

— Et un prince charmant ? demanda un garçon.

Vespef chercha dans sa tête.

— Je pense que oui. J’ai aussi deux guerrières, une blonde et une brune. Et un vidame.

— C’est quoi un vidame ?

— C’est comme un duc, mais en Nayt.

Cette destination exotique éveilla l’intérêt de Teriante.

— C’est ainsi que les Naytains nomment leurs ducs ? demanda-t-elle.

— Pas exactement. Les vidames sont également grands prêtres. La Nayt est une théocratie. Et il y a plusieurs vidames par duché, un par dieux. Mais un seul exerce le pouvoir, celui du dieu dominant.

Vespef s’assit sur le banc. Sans faire de cérémonie, le garçon s’installa sur ses genoux.

— Tu es froide, remarqua-t-il.

— C’est parce que je suis une stoltzin.

Elle leva la tête vers Teriante.

— Cela n’a pas eu l’air de te gêner ce matin. Pourtant il y a des hommes que cela rebute.

— La fragilité masculine, plaisanta la jeune femme.

Elle céda aux instances de la fillette qui la tirait par la main pour qu’elle prenne place à côté de la pentarque et bénéficie du même confort que son frère. L’aîné du groupe, digne, préféra s’asseoir un peu à l’écart, pas trop cependant.

— Dans l’histoire que je vais vous raconter, on trouvera aussi un éparque.

Anticipant la question, elle continua.

— Un éparque c’est comme un vidame, mais de rang plus bas. Un peu comme un comte yriani.

Le garçon hocha la tête, il avait compris. Quant à Teriante, elle buvait comme du petit lait ces explications sur une contrée si différente de leur propre pays, et pourtant humaine.

— Quelqu’un sait où se trouve la Nayt ? demanda Vespef.

Le garçon leva la main, ce qui arracha un sourire à la pentarque.

— Au sud, répondit-il, sur une île.

— N’importe quoi, répondit sa sœur. Tout le monde sait que c’est à l’est.

— Au sud, répéta-t-il d’un air buté.

— Je crains que ta sœur ait raison, le corrigea Vespef. Au sud, sur une île. c’est l’Helaria.

— Tu es sûre.

— Un peu. C’est de là que je viens.

Le garçon n’ajouta rien. On lui avait appris à ne pas contredire les grandes personnes, mais il était facile de voir à son air qu’il n’était pas convaincu. Il pensait que Vespef se trompait.

— L’histoire que je vais vous raconter se déroule dans la Nayt. Mais elle commence dans le pays d’à côté, l’Oscard. La Nayt est un pays magnifique, l’Oscard en est exactement le contraire.

— Pourquoi faire commencer l’histoire en Oscard alors.

— Parce que si elle avait commencé ailleurs, les choses se seraient déroulées autrement et il n’y aurait pas d’histoire. Donc je disais que tout a commencé en Oscard, il y a un peu plus de trente ans.

Vespef commença son récit. Rapidement, tout son auditoire, même Jensen, fut captivé par ses paroles.

 

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Zultabix
Posté le 28/06/2021
Excellent prélude !!!
Très bien écrit, très bien rythmé ! Fluide, on dit toujours ça, mais c'est vraiment fluide.
Je ne suis pas spécialement porté par par le genre romance/fantasy, mais j'ai apprécié.
Bonne continuation !

Bien à toi !
Fenkys
Posté le 28/06/2021
Merci pour ce retour. Mes tweetos m'ont mis au défi d'écrire une romance. L'éparque de Burgill est ma réponse. Naturellement, il y a Saalyn dedans, donc il y aura une enquête. Mais cela reste une romance.
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