Point de non retour

Sam a du mal à émerger de son sommeil profond, il a mal à la tête, il ne veut pas se lever. Il repositionne sa couverture sur lui pour être plus au chaud comme dans un cocon. Plusieurs secondes s'écoulent avant que Sam se questionne. Comment se fait-il qu'il ait une couverture sur lui ? Ses souvenirs refont surface. Il a été abandonné par le Borgne en plein milieu du désert sans argent, sans eau et sans nourriture. Il relève la tête tant bien que mal pour comprendre ce qui lui sert de couverture. Ses yeux poussiéreux ont du mal à distinguer ce qui lui tient chaud. Il entend une lente respiration qui le sort définitivement de son sommeil comateux. Par réflexe, son corps se met debout. Sa tête tourne, la douleur dans le nez le martyrise. De larges ailes se soulèvent au dessus de lui. Il reconnaît le papillon de la veille. Apparemment, l'insecte l'a protégé toute la nuit et il est resté à ses côtés. Le papillon le regarde, ses grands yeux ovales le fixent du regard. Sam aussi le dévisage si on peut parler d'un visage. Il reçoit de ce papillon plein de compassion et d'amour. L'insecte l'apaise, il agit sur lui comme un calmant. L'animal chuchote de nouveau, il veut lui dire quelque chose. Sam ne comprend toujours rien à ce qu'il dit. Les acouphènes réapparaissent et s'amplifient dans sa tête. Une torture de plus. L'animal arrête de chuchoter, il a les yeux tristes et en trois coups de battements d'aile s'envolent dans le ciel bleu. Sam est triste lui aussi, il aurait apprécié profiter d'un peu de compagnie. Au lieu de cela, le désert s'étire à perte de vue autour de lui. Cette grande étendue de sable est mouchetée par ci par là de quelques arbres noirs, brûlés. Aucune feuille n'a réussi l'exploit de survivre sur les branches mortes. Seuls des boules de gui vertes se sont installés autour des branches. On dirait des arbres de noël d'un genre nouveau en plein milieu du désert. Sam admire ce paysage  sorti tout droit d'un tableau de Dali. Il le trouve beau. La faim lui crée un spasme dans l'estomac. Rien à manger, rien à boire. Il ne peut pas rester là. Il faut qu'il retrouve la rivière. Il ramasse son sac à dos, noue son t-shirt sur la tête depuis qu'il a égaré son bonnet il ne sait où puis enfile son pull rouge pour se protéger du soleil siégeant au zénith. Sam est déboussolé et le soleil, de par sa position, ne peut pas l'aider à lui indiquer l'ouest. Effectivement, persuadé d'avoir réussi à photographier mentalement la carte, il souhaite prendre cette direction pour rejoindre la prison. Sam est convaincu que Le borgne l'a volontairement éloigné de la rivière quand ils se sont enfoncés dans le désert. Il doit donc rebrousser chemin pour atteindre le haut des gorges. Les jumeaux ont hérité d'un sacré sens de l'orientation et Sam compte bien dessus pour l'aider aujourd'hui à retrouver son chemin. Les jumeaux s'amusaient souvent enfants à faire semblant de se perdre pour avoir l'occasion d'utiliser une carte et une boussole. « Une boussole !!! » Une ampoule s'est allumée dans son esprit. Il se rappelle avoir récupéré une boussole dans le sac de frère. Il ouvre son sac à dos en espérant que le Borgne ne lui a pas volé. Il l'avait rangé précieusement dans une petite poche, à l'intérieur de son sac. Lorsqu' il aperçoit l'objet désiré logé dans ladite poche, des larmes de soulagement apparaissent au coin de l'oeil. Il l'oriente vers l'ouest et se met en route. En chemin, il croise les doigts. Il prie pour ne pas s'être trompé.

Il a l'impression d'errer sans fin dans le désert car aucune trace du canyon pointe à l'horizon. A plusieurs reprises, la fatigue le fait trébucher sans le faire tomber. Le soleil redescend. « Pourvu que je retrouve la rivière avant la nuit sinon je vais mourir » pense t-il désespéré . Sa gorge est si sèche qu'il a l'impression qu'elle prend feu. Le vent se lève et amène avec lui quelques grains de sables qui lui déchiquettent la peau du visage. Si en plus les éléments sont contre lui, pense Sam qui perd un peu plus espoir. Il entend des mots dans les rafales de vents : « Sam ?, Sam ? …. on est là…. » puis disparaissent. Sam a l'impression d'entendre la voix de ses parents. Du pur délire en déduit-il en vue de la situation. Les bourrasques reprennent. Les grains de sables continuent de lui taillader la peau. « Chéri…..tout va bien….. ». Sam hurle : « Papa maman mais où êtes vous ? Je ne vous vois pas ». Il souhaiterait plus que tout au monde revoir leurs visages, il a tellement besoin d'eux. La tempête de sable le tourmente avant que le vent se calme puis plus rien. Il s'écroule. La faim, la solitude, la chaleur le rendent dingue. Il veut abandonner. « C'est foutu, pense t-il, cela ne sert plus à rien ». Las, il reste assis par terre, et observe hagard ce qui s'étend devant lui. Soudain, ses yeux s'arrêtent sur une forme mouvante. Il cligne plusieurs fois des yeux pour rendre l'image plus nette. A son grand étonnement, il croit voir une forme humaine agenouillée sur un rocher. Il se relève et reprend son sac à dos. Il fonce tout droit vers cet homme ou cette femme. A cette distance, il ne distingue pas grand-chose. La forme humaine se relève. Sam s’arrête net. La magicienne, encore elle, s'étonne t-il. Elle se tient en équilibre au bord du précipice. Elle déploie ses bras au dessus d'elle et par magie se transforme en un magnifique vautour blanc. Sam court puisant dans le peu d’énergie qui lui reste pour la rattraper. Dans sa course, il fait fuir le vautour et s'approche dangereusement du vide. Il s’arrête à temps. Il cherche du regard le vautour blanc qui semble avoir disparu. A t-il rêvé, il ne sait plus ce qui est réel ou non. En haut de la falaise, il admire la rivière en contrebas. « J'y suis arrivé, putain j'ai réussi ». Sam sait qu'il n'est pas arrivé à destination et qu'il faut redescendre la falaise et que sans corde c'est impossible. Il a beau balayer le précipice du regard, il ne voit aucun moyen de descendre. Sans s'y attendre, Sam se fait harponner les épaules par deux serres. Le vautour blanc est de retour et s'accroche à lui. Il se débat, le rapace ne le lâche pas. Il manque de le faire tomber dans le vide. Puis le rapace le relâche. Sam déstabilisé cherche à s'écarter du précipice mais le rapace ne lui en laisse pas le temps, il le percute avec violence. Sam sent son corps s'envoler, il voit le vide en dessous de lui. Il est comme en apesanteur puis la chute le tire vers le bas. Sam n'arrive pas à crier, il ferme les yeux et se laisse aller. A quoi bon ? C'est peut-être mieux ainsi ? Cela lui paraît long. Alors qu'il s'attend à percuter le sol, rien ne lui arrive. Au bout d'un moment, il ouvre les yeux. Il n'est plus en train de tomber, mais bel et bien en train de voler. La surprise est grande quand il s'aperçoit qu'il se trouve sur le dos du papillon géant. Celui-ci vole avec allégresse au milieu des gorges pour se poser délicatement sur la terre ferme prés de la rivière. Sam descend de sa monture et remercie le papillon par une caresse. « Merci papillon, tu m'as sauvé la vie, je ne sais pas comment te remercier ». Le papillon à son tour se lève et lui pose une aile sur la tête. L'insecte cette fois-ci ne dit rien et s'envole aussi vite que la dernière fois. Sam le regarde partir jusqu'à ce qu'il sorte de son champ de vision. Ni une ni deux, Sam se jette dans la rivière et boit à grosses gorgées. Il se sent revivre.

*

Après le petit-déjeuner durant lequel Théo n'a rien avalé, il écoute à demi-mot son double qui lui expose son plan :

— Nous allons nous rendre au Grand Rassemblement, rare moment où Lui apparaît. Il va faire son discours annuel. Je fais partie du groupe de sécurité qui protège Lui. Tu vas me remplacer. Je pourrais ainsi organiser en coulisse une rencontre. C'est compris ?

— Qu'est-ce que je dois faire ?

— Rien, tu prendras mon poste et tu ne bougeras plus. Tu dois juste prévenir tout débordement.

— Mais si çela arrive je fais quoi ? Demande Théo inquiet.

— Tiens prends cette matraque et suis moi. On va être en retard.

Une matraque, un peu léger en cas de débordement ou de violence, pense t-il. Néammoins, à cet instant précis, il a très envie de l'utiliser sur son double. Sa main moite l'empoigne avec force. Il est juste derrière son double qui ouvre la porte à clés. Il veut le fracasser mais n'y arrive pas, son courage a pris la fuite. De toute façon, il est trop tard, la porte s'ouvre sur le couloir bruyant. Des va et vient infernaux lui rappellent qu'il n'est pas seul avec son double dans ce monde. Ce n'est pas dans ses habitudes d'être content de voir des gens, pourtant là maintenant il aimerait leur crier à l'aide. Cependant, il en est incapable. Quelles en seraient les conséquences dans ce monde de dingue ? Alors, il suit son double bêtement. C'est pour lui, une humiliation de devoir suivre son bourreau comme une ombre et le tout sans rien dire. Son double ne le lâche pas d'un œil. Il le prend par le bras et le dirige vers l'entrée d'une grande salle où une foule d'hommes et femmes s'aggrandit. Ils rejoignent d'autres hommes grenouilles réunis en cercle en plein milieu de la foule. Personne ne s'est rendu compte de sa présence, tous ont l'air concentré à leur tache. Un des hommes crie aux autres « à vos postes !» et chacun s’exécute comme de bons petits soldats bien disciplinés. Les hommes grenouilles se dispersent dans toute la salle. Théo se fait diriger par son double qui l'emmène à droite de la salle :

— Tu restes là, tu gardes ta matraque en main et tu attends que je reviennes te chercher, ok ?

— Ok mais….

Théo n'a pas le temps de finir sa phrase, son double l'a déjà abandonné à son propre sort. Il le voit se faufiler au milieu de la foule. Il ne sait pas s'il vient de rêver pourtant il a l'impression d'avoir vu un pistolet dans la main de son double. Plutôt étrange car tous les hommes grenouilles portent leur arme à la taille.

Soudain, la lumière se tamise dans la salle et des projecteurs dirigent leurs faisceaux lumineux vers la grande scène. Une musique d'orchestre se met à jouer. Un homme avec des cheveux poivre et sel et un masque noir fait son entrée. Une longue barbe blanche tressée tombe jusqu'à sa glotte. Il est habillé très chic. Son costume noir vêtue d'une redingote de la même couleur arpente une croix blanche. Sa tête est orné d'un chapeau haut de forme noir avec un liséré or. Il est suivi par deux hommes-grenouilles qui l'invitent à rejoindre le pupitre situé au centre de la scène. Théo le regarde avec admiration. Est-ce que Lui est son grand oncle ? Il aimerait tant lui poser la question. Il compte sur son double pour rencontrer avec Lui comme convenu. Bien sur, il doute de plus en plus de sa sincérité. D'ailleurs, il ne sait pas où est passé son double, il a disparu. Lui se racle la gorge et prend la parole :

— Mes chers compagnons, je suis heureux de vous parler. Je tiens d'abord à vous remercier de participer à la préservation du monde parfait que nous avons construit ensemble. La paix est notre unique letmotiv. Bien sur il y aura toujours des réfractaires, des rebelles qui ne comprennent pas le sens d'un monde juste, pacifique et parfait et qui nous obligent à user de moyens radicaux qui nous attriste. Mais pour qu'il y ait perfection ne doit-on pas éliminer ce qui fait défaut ? Je sais que vous me comprenez, vous agissez pour le bien…

D'un coup, les lumières s'éteignent et celles de la sécurité se mettent en marche. La foule s'agite. La salle est baignée d'une lumière tamisée. Théo entrevoit son double en train de se frayer un chemin à travers la foule inquiète. Il est sur maintenant de voir un pistolet dans sa main. Lui est resté sur la scène, il tente d'apaiser la foule. Les hommes-grenouilles se sont resserrés prés de Lui. Théo a un mauvais pressentiment, il quitte son poste et cherche à rattraper son double à travers la foule qui fait des vagues. Il se démène pour ne pas se faire bousculer et ne pas perdre de vue son double . Théo pense qu'il se dirige droit vers Lui avec une mauvaise intention. Son double s’arrête et fixe Lui d'un regard froid. Cela laisse le temps à Théo de se rapprocher, il n'est plus qu'à quelques mètres de son objectif. Le bras de son double se lève, le pistolet en l'air. Théo crie « non ! » et lui saute dessus sans réfléchir. Un coup de feu est tiré. La foule devient incontrôlable, tumultueuse. Théo est allongé sur son double qui essaye de se débattre, il le contient de tout son poids. Il se fait marcher dessus. Il perd sa prise. Son double arrive à se relever, il cherche son pistolet qui est tombé. Théo est par terre, il a mal partout. Il aperçoit le pistolet au sol, il se traîne comme un ver de terre pour le ramasser. Son double lui marche sur la main et récupère le pistolet. Les hommes grenouilles qui assurent la sécurité de Lui se jettent dans la fosse avec l'agilité d'une horde de chats. Ils tentent de maîtriser celui qu'ils considéraient comme l'un des leurs pour le contraindre à lâcher son arme. Théo se relève tant bien que mal, il est sur que son corps est rempli de bleus à présent. Même la blessure à son poignet que son double lui avait infligé ce matin lui semble bien lointaine. La foule a quitté la salle, il ne reste que Lui et ses gardes du corps, Théo et son double. Lui s'adresse à l'homme qui a voulu le tuer :

— Alors traître tu veux ma mort !!!! Qui es tu ?

—Je m'appelle Louis !!

Il le défie de ses yeux injectés de colère. Lui se rapproche de l'homme furieux.

— Pourquoi veux-tu ma mort, Louis ???

— Parce que tu nous considère comme des pions, je ne suis pas un pion. J'existe !!! Tu ne sais même pas qui je suis !!! Et il lui crache à la figure.

— Espèce de petit morpion, effectivement tu n'es rien et tu ne seras jamais rien !!! Qu'on m'enferme cette vermine !!!!

Théo en retrait observe la scène, gêné. Les hommes-grenouilles embarquent son double avec eux qui ne dit mot. Avec son air suffisant, il toise Théo de tout son orgueil. Il ne comprend pas l'acte de révolte de son double. Il a agi seul. Il était évident que sa tentative de rébellion allait se montrer vaine. Théo se demande si son double n'a pas agi par pur caprice comme un enfant qui fait une crise. Il voulait juste attirer l'attention de Lui, rien de plus.

Théo sort de ses pensées quand il remarque Lui s'avancer vers lui. L'homme lui prend la main et lui dit :

— Je sais qui tu es, petit, je t'attendais.

Théo se met à pleurer, ces mots le réconfortent et l'apaisent. Il est désormais serein. Lui lui fait signe de le suivre. Thé, honoré d'être ainsi considéré, quitte la salle le cœur léger.

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Elly
Posté le 30/09/2023
Coucou !

C'est finalement le papillon qui l'a sauvé ! Qu'il soit sain et sauf est le principal, mais cette magicienne est intrigante. Je me demande comment va se passer la suite pour lui.
Théo s'en sort finalement bien, mais après ce qui s'est passé avec son double, je suis méfiante avec Lui. Je redoute ce qu'il pourrait lui faire...
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