Pluie du printemps (5)

Par Pouiny

Nous étions allé à un restaurant chinois à volonté. Ma mère reprit des couleurs et ne fit plus une seule allusion à Béryl de la soirée. Mais je ne pouvais m’empêcher d’y penser, me sentant coupable. Je repensais à cette histoire de restaurant sensoriel dont me parlait mon professeur. Je me disais que peut-être un jour, nous pourrions manger tous les quatre dans un de ces restaurants…

Mon père aussi semblait assez nerveux. Et au final, ma mère aussi devait beaucoup l’être, mais essayait de paraître heureuse. Peut être voulait-elle simplement se convaincre qu’elle l’était. Au milieu du plat de résistance, je ne pus m’empêcher de faire une remarque.

« Normalement, quand on va au restaurant, c’est qu’on veut fêter quelque chose…

– Et bien justement ! Nous avons bien quelque chose à fêter !

– Quoi ? Mon échec prochain au bac, ma foulure, ou le fait que je n’ai toujours pas de projet après le lycée ?

– Non, mieux que ça, insista ma mère sans se laisser dégonfler. Regarde. »

Elle sorti de son sac à main un papier qui ressemblait fortement à une lettre. Je commençai à lire :

« ‘‘Chère madame… C’est avec plaisir que je vous annonce que vos tirages ont convaincu le jury et…’’ quoi ? Mais tu ne fais pas de photo…

– Mais non, gros bêta ! J’ai envoyé certains de tes tirages à un concours photo, en précisant ton age, ton appareil et le fait que tu développes toi même tes photos… Et ils m’ont répondu que tu avais gagné !

– Quoi ?!

– Oui ! Ils ont trouvé ta thématique intéressante et veulent en faire une exposition photo de tremplin pour les jeunes talents ! Ils faut simplement que tu leur envoie les bobines et... »

Je ne savais pas si j’étais plus effaré qu’en colère. Les deux émotions se battaient en duel pour savoir si j’explosais la table tout de suite ou si j’attendais cinq minutes. Et je croisai le regard de mon père qui avait l’air de prier pour que je ne fasse rien de stupide. D’une voix blanche, je demandai :

« Maman, où est-ce que tu as récupéré mes photos ?

– J’ai simplement pris quelques une qui traînaient dans ta chambre, quand tu avais été malade, la dernière fois… Tu devrais faire plus attention à tes affaires ! J’espère que tes bobines sont mieux soignées !

– Tu as profité que je sois malade pour me voler des photos ? »

Je répétais lentement, en déglutissant, en espérant que l’envie de hurler passe et que mon cerveau se remette à fonctionner. Elle avait l’air sincèrement heureuse de voir que j’avais gagné le premier prix jeunesse, et vu sa fragilité, je savais que lui faire mal à cet instant précis pourrait la détruire. Mais je ne pouvais pas être heureux. Elle m’avait dépossédé de mes photos pour exposer mes photos alors que ce n’était qu’un geste d’affection entre Béryl et moi, et qui ne devait en aucun cas sortir de la chambre noire. Elle m’avait dépossédé de mon choix de devenir oui ou non photographe professionnel, choisissant à ma place sans même me demander. Je ne pouvais pas mentir sur l’effet de trahison qui emplissait mes oreilles et mon estomac comme un énorme coup de pied.

« Je n’avais pas spécialement envie de dévoiler ces photos à qui que ce soit, déclarai-je d’une voix blanche.

– Ah bon, mais pourquoi ? Si tu les prends, c’est bien pour montrer une vision de quelque chose à quelqu’un, non ?

– Est-ce qu’on peut rentrer ? Je commence à avoir mal.

– Oh, oui bien sûr mon chéri ! Je vais aller régler. »

Je venais d’esquiver un moment très difficile. Je fermai les yeux et avalai ma salive comme si j’essayais de digérer quelque chose de lourd. Mon père posa furtivement sa main sur mon épaule.

– Merci. »

Je me levai fermement, prit mes béquilles et me dirigeai vers la voiture.

 

Rentré dans ma chambre, voir ces traîtres de photos sur les murs me donnaient juste envie de tout déchirer. Je me sentais comme piégé dans cette chambre qui était censé être mon refuge. Je commençais à jouer avec les ciseaux en regardant fixement la boite où étaient rangées toutes mes bobines, quand j’entendis toquer à ma porte.

« Aïden, ouvre moi, s’il te plaît. »

En entendant la voix de ma mère, je failli faire semblant de ne pas l’avoir entendu, mais en me mettant une gifle, je finis par lui ouvrir. Elle me fit face avec un petit sourire désolé.

« Est ce que je peux m’asseoir ?

– Fais ce que tu veux, tu es ici chez toi, répondis-je avec un ton glaçant.

– Écoute, fit-elle calmement en s’asseyant sur ma chaise de bureau. Je me rends bien compte que as très mal pris ce que j’ai fait… Je ne suis quand même pas idiote.

– Tu m’as volé mes photos et participé à un concours sans me demander mon avis, tu t’attendais à quoi ? »

Mon ton augmenta sans même que je me rendis compte. Mais elle semblait s’y être préparé.

« Je veux t’expliquer pourquoi j’ai fait ça.

– Et bien vas-y, je suis tout ouï.

– … Je sais bien que tu ne t’épanouis pas au lycée. J’ai toujours vu que l’école ne t’intéressait pas, que tu n’avais jamais cherché à t’investir là dedans. Dès ton plus jeune âge, j’ai laissé tomber l’idée que mon fils serait un bon intellectuel. J’ai voulu t’éveiller à d’autres choses… L’art, la musique, le cinéma… Mais rien n’avait l’air de te parler. Et puis, plus tu grandissais, plus tu me fuyais. Alors j’ai désespéré que tu trouves un jour quelque chose dans lequel tu te sens complet. Puis un jour, tu m’as demandé si papa avait gardé son vieux polaroid. Alors nous te l’avons offert. Puis pour ton anniversaire, tu m’as demandé un objectif. Nous l’avons acheté. Puis, tu as demandé un surplus d’argent de poche, pour pellicules et des produits de développements. Nous te l’avons accordé. Puis j’ai pu te voir courir avec du matériel très lourd et incompréhensible, t’enfermer dans ta chambre. Je t’ai entendu, chantonner à des heures tardives alors que tu développais des pellicules. J’ai été bercé la nuit par la sonnerie de ton chronomètre qui retentissait a des minutes précises du développement. Puis nous sommes allés avec ton père à des réunions parents profs et des conseils de classes. Nous avons vu tous les profs dire que tu étais nul, un bon a rien, un singe parmi les humains. Je me suis sentie indignée que des professeurs disent autant de mal de toi alors qu’ils ne te connaissaient pas. Je me suis dite que si ils te disaient ce discours qu’ils m’ont servi, ou qu’au moins ils le laissaient transparaître dans leurs agissements envers toi, tu devais être affecté par tout ça et sentir nul. Je me suis dite que c’était sans doute pour ça que tu refusais catégoriquement qu’on voit ne serait-ce qu’une de tes photos. Peut être tu te sentais nul, mauvais, pas à la hauteur. Mais cette passion qui te prend autant de temps, si tu t’y investi tant, tes photos doivent finir bien par être belles. Je n’y connais rien du tout en photo, mais quand j’ai vu cette publicité, pour ce concours promettant une exposition au premier... Je me suis dite alors que… Si tes photos gagnaient, tu gagnerais en confiance en toi. Tu te dirais que tu as du potentiel, et que je t’encourage, quoi que tu fasses, quoi que tu deviennes. Alors… Je sais que ça ne te plaît pas, et que tu aurais préféré rester dans l’ombre, mais… Mon chéri, est-ce que tu ne veux vraiment pas essayer ? Tu aurais des retours sur tes photos, de quoi t’améliorer, des contacts ! Tu pourrais avancer, au moins un petit peu… »

Je restai silencieux. Ma colère s’était calmé, mais n’avait pas totalement disparue.

« Je n’en ai pas envie. »

Ma mère eut un petit gémissement, de surprise ou de déception.

« Et une partie de ton discours est faux. Tu as dit que tous les professeurs me trouvaient idiot, mais c’est faux. Mon professeur de sport a toujours été là pour me soutenir. Tu as dit que je te demandais du surplus d’argent de poche pour du matériel photo, mais c’est faux, et il suffit que tu regardes sous ce bureau où tu es assise pour t’en rendre compte. Ma question est : pourquoi tu as préféré la photo au sport ? »

Débarrassée de toute sa confiance, ma mère semblait perdre pied.

« Je… C’est pas que je ne voulais pas que tu fasses du sport, répondis ma mère, paniquée...

– La réponse est : c’est bien plus facile de me forcer de montrer mes photos en me les volant que de forcer mon corps à courir. Pourtant, ce que tu viens de faire, c’est du pareil au même. Tu viens de me déposséder de mon corps pour me faire courir alors que je ne voulais pas le faire.

– Mais…

– Je le ferai. »

Ma mère me regarda comme un chien battu, ne sachant plus quoi comprendre. Je me levai vers elle en clopinant.

« Maintenant que tu m’as inscrit, autant continuer. Néanmoins, au moindre problème, je t’en considérerai entièrement responsable, et je t’en voudrai. »

Je savais que je n’étais pas juste, mais c’était mon moyen un peu retord de me venger. Ma mère allait commencer à pleurer, quand je lui demandais de se pousser pour accéder à mes affaires de sport.

« Qu’est-ce que tu fais, Aïden ? »

Alors que je me débrouillai pour ouvrir mon sac en équilibre sur une jambe. Parmi tout le bazar qu’il y avait dedans, je finis par dégoter deux pao et mes gants de boxe, acheté il y a quelques années de ça. Je montrai les pao à ma mère, et lui répondit :

« Je prépare ma vengeance. Enfile ça.

– Tu ne vas quand même pas… »

Ma mère devenait livide, et presque sadiquement, ça me fit sourire.

« Si. Enfile les pao et tient les bien devant toi jusqu’à ce que je te dise quand arrêter. »

 

Elle n’avait vraiment pas l’air partante, mais m’obéis quand même. Je me plaçai face à elle, en garde autant que je le pouvais avec un pied en moins. Mes poings devant le visage, je mis un premier coup direct droit. Son bras recula sous l’effet du choc, elle ferma les yeux, très surprise, mais ne recula pas. J’enchaînai alors les coups, les séries que je connaissais, avec autant de force que je pouvais en étant en équilibre. Je n’avais jamais été très bon en boxe, mais la sensation de défoulement avait pu être tellement libératrice sur certains instant, que j’avais quand même acheté le matériel, au cas où. Désormais, je me remerciai de me l’être pris. La chaleur dans mes bras et l’intensité des mouvements finirent par accélérer mon cœur et provoquer cette sensation que je recherchais. Je voyais dans les pao rien de bien précis, une sorte de monstre fantôme ressemblant à l’avenir, la peur, l’ombre, et je frappais dedans aussi vite et fort que je pouvais. Puis, voyant que ma mère ne réussissait bientôt plus à tenir les pao droit, je baissais ma garde et pris une grande inspiration. Je ne pus empêcher un petit sourire de satisfaction, et ma mère baissa ses bras. Je la voyais, timide et pale, et je me rendis compte à quel point elle ressemblait à ma sœur. Alors, j’enlevai mes gants non sans mal, et je lui lançai doucement.

« Quoi ? Ah non, je fais pas ça, moi ! s’indigna presque ma mère.

– Oui, et moi je ne fais pas d’exposition de photo, répliquai-je. Allez, essaye, tu verras bien. »

Elle soupira, sans doute d’ennui, et enleva les pao que j’enfilai pendant qu’elle testait les gants, un peu grands pour elle. Elle regarda les pao comme si c’était un néant absolu.

« Mais je ne sais pas taper, moi !

– Moi non plus. Frappe, et puis c’est tout. »

Elle commença un mouvement, mais ce fut à peine si le gant frôla la fibre du pao.

– Non mais allez, fais un mouvement sérieux, tu verras bien. »

Et j’agitai les pao comme si c’était le méchant policier des guignol. Son regard changea, la lumière de ses yeux bleus s’illumina comme une lumière de défi. Et elle mit un premier coup, pas si mal.

« Tu vois, c’est pas si difficile. Allez, continue. »

Et je continuais de l’encourager, à chaque coup. Plus vite, plus fort, enchaîne, plus haut, plus bas. Je ne sais pas combien de temps ce moment avait duré, car nous étions tous les deux totalement concentré sur notre tache. Plus le temps passait, et plus ma mère tapait vite et fort, sans se soucier au reste du monde alentour. Je la sentis ne se concentrer que sur elle, ses poings et la surface à frapper. Et pour la première fois depuis longtemps, je la vis pendant l’exercice avoir un vrai petit sourire sincère, rien que pour elle-même.

 

Elle finit par s’arrêter, épuisée et je dépliai mes bras endolori par l’exercice. Encaisser les coups en ne pouvant presque pas s’appuyer sur mon pied droit était un exercice très compliqué, et je suis sûr, pas très recommandé. Mais je ne regrettai pas. Je reposais les pao alors que ma mère enlevait les gants en haletant un peu. M’asseyant non sans bonheur sur mon lit, alors que ma mère s’assit en face sur ma chaise de bureau je lançai ;

« On fera ça au moins à chaque fois que tu me lances dans ce genre concours.

– Je suis prête à relever le défi, souffla ma mère. »

Et pour une fois depuis longtemps, elle sembla heureuse. Elle se redressa, et me fit un bisou sur le front.

« Allez, bonne nuit mon guerrier. »

Et juste avant de passer, la porte, elle lança :

« N’oublie pas d’aller te laver ! »

Je ris, et la porte se ferma. Au final, cette journée n’avait pas été si mauvaise.

 

Je n’allais pas revoir Béryl le lendemain. Ma cheville, après avoir forcée, me faisait atrocement mal. Au lieu de ça, je passai la journée à développer et tirer mes dernières photos du champ de tournesol. Celle prise allongée au sol était clairement une de mes préférées ; un grand soleil d’après midi, illuminant de belles plantes vertes, avec un soupçon de jaune sombre. Après une journée de travail pour développer et tirer les photos, je n’étais pas peu fier de mon résultat malgré ma faible mobilité, et je me jurai d’aller voir ma sœur avec ma plus belle photo, dès la première heure.

Le lendemain, je me réveillai heureux ; j’allais partager à ma sœur une des plus belles photos que je n’avais jamais faite. J’en avais apporté deux autres, qui me plaisaient aussi mais un peu moins, que je comptais lui donner si elle était curieuse. J’avais hâte de pouvoir lui en parler et d’avoir son avis. Mais alors que j’entrai dans le petit couloir sombre, menant à la porte de sa chambre, quelque chose me parut étrange. Déjà, à coté de la chambre traînait un petit chariot avec posé dessus beaucoup de flacons et autres poches étranges en tout genre. Ensuite, une infirmière de garde que je ne connaissais pas sembler somnoler devant la porte comme un garde devant le palais du roi. Je m’approchai, plutôt indécis, et elle sursauta à mon approche. Elle rentra rapidement dans la chambre de Béryl, avant de s’approcher de moi et me chuchota à l’oreille :

« Tu ne pourras la voir qu’une heure, et il faudrait si possible éviter de la bousculer, elle est assez fragile.

– Il s’est passé quelque chose ? »

Elle ne me dit rien de plus. Inquiet, j’ouvris doucement la porte. La petite lampe sombre habituelle de l’hôpital était la seule source de lumière de la pièce.

 

Béryl était là, sur son lit, un cathéter dans le bras, et à coté de son lit, au lieu de la simple chaise, se trouvait les appareils de surveillance possible ; respiratoire, cardiaques… Ils étaient silencieux, sûrement pour ne pas rendre ma sœur complètement folle, mais la petite lumière que faisait l’écran rappelaient qu’ils étaient bien là. Béryl était allongée sur le lit, réveillée, mais semblait prostrée et préoccupée, ne me regardant même pas entrer. Ses yeux rouges l’étaient encore plus que d’habitude, et sa peau blanche semblait presque capable de briller dans l’obscurité.

« Hé… Salut, Béryl... »

Je n’eus aucune réponse. Pas de ‘‘tu es venu’’, plein d’espoir et de bonheur, juste en reniflement et un évitement de regard. Je posai mes béquilles par terre et m’essayai lentement sur la petite chaise, posée désormais plus loin de son lit.

« Ça va ? »

Je me sentis stupide de poser cette question. Évidemment que non, elle était à hôpital, des tuyaux et des appareils de partout, surveillée par un garde du corps en blouse blanche et ne m’adressait pas un mot, évidemment que ça n’allait pas.

« Je suis désolé de ne pas être venu hier, t’apporter une photo de soleil… J’avais un peu mal. »

Elle se rétracta encore plus à cette phrase là, et je me sentais encore davantage incapable de l’atteindre. Je ne savais pas quoi dire.

« Je… J’ai rien de grave, en tout cas. Je ne sais pas si tu t’es inquiétée... »

Mais je n’avais pas envie de parler de moi, j’étais pas là pour ça. Après un long moment de silence gênant où ma sœur avait le regard fixé douloureusement sur le sol, je me levai à cloche pied pour m’approcher d’elle, tendant ma photo de soleil devant ses mains.

« Tiens… Regarde, c’est une photo que j’ai prise hier… Qu’est-ce que tu... »

Je n’eus pas le temps de finir ma phrase que je finissais par terre. Béryl venait de violemment me pousser le plus loin possible d’elle. Choqué, je ne pus rien dire de plus. Béryl me fixait avec un regard rempli de colère, qu’elle ne détourna que pour regarder ma photo avec d’autant plus de haine.

« Mais qu’est-ce que je m’en fiche, de ta photo de soleil ! »

Et en hurlant ça, elle déchira ma photo.

« Du soleil, du soleil, toujours du soleil !! Pourquoi il y a toujours du soleil, dans votre monde ?! Pourquoi il n’existe pas des moments sans lumières, des moments où moi je pourrais vivre ? Pourquoi tu t’évertues à ce point à me montrer constamment un monde ou je ne pourrais jamais exister ! »

L’infirmière venait d’entrer dans la pièce en trombe en entendant les cris, et fut sans doute surprise de me retrouver assis par terre avec des yeux ronds. Béryl lui assena :

« Va-t-en, on discute là ! J’ai le droit encore d’avoir un peu de vie privée, non ?

– Béryl, il vaudrait mieux pour vous de vous calmer, tenta la jeune femme…

– Madame… dis-je d’une voix que je tentai d’être ferme. J’aimerais s’il vous plaît que vous partiez. Je vous appelle au moindre problème. »

Elle jugea la situation, regardant tour à tour ma sœur en furie, puis moi, puis décida de fermer la porte avec hésitation, sans mot dire.

« Pourquoi il devrait exister un monde avec constamment une lumière ? Pourquoi il ne pleut jamais, pourquoi il n’y a jamais de moment sombre, pourquoi tout doit être si brillant, si parfait ?!

– Je… Mon appareil peut pas… sous la pluie... »

C’était une fausse excuse, en vérité, je l’avais juste toujours évité.

« Alors tes photos mentent, tu me mens, tout me ment depuis le début ! Mais après tout, qu’est ce qu’on s’en fiche, c’est la petite handicapée enfermée dans le placard, elle ne verra jamais rien de la vie, alors on peut lui faire croire tout ce qu’on veut ! Lui faire croire qu’elle compte, lui faire croire qu’on l’aime, lui faire croire que tout brille et que le monde est beau, il n’y a aucun souci !

– Béryl…

– Mais le monde n’est pas beau, ton soleil n’est pas beau, tout est laid, tu es laid ! Vous êtes tous des monstres, et je vous déteste tous ! Moi je veux voir un monde sombre, un monde moche, un monde défiguré, un monde mat dans lequel je pourrais vivre, et je m’en fiche bien, que vous, vous trouvez le soleil beau !

– Béryl…

– Un jour, ne serait-ce qu’un jour, où le soleil disparaît de la terre, est-ce trop demander ?! Tu ne comprends jamais rien à rien, tu n’es qu’un égoïste qui ne fait que contempler ton magnifique soleil, mais tu as idée, toi, de tout ce qu’il me fait subir, ton beau soleil ?!

– Béryl…

– Ton beau soleil, qui est si beau sur tes photos, il me brûle la peau, il m’a donné des cancers, il m’a brûlé les yeux, qui fait que même toi, je ne te vois quasiment plus, il m’a privé de ma famille, et il m’a privé du bonheur ! Alors ton beau soleil, maintenant, garde le pour toi !

– … Tu as fait quoi de ta pierre, Béryl ? »

Son visage colérique s’effaça un bref instant pour de la surprise. Mais l’étonnement ne dura pas très longtemps.

« Qu’est-ce que ça peut te faire ?

– Qu’est-ce que tu en as fait ? »

Elle ne répondit pas de suite, assez pour reprendre pied.

« Je l’ai jetée.

– Tu mens. Pour aucun prétexte tu t’en serais débarrassée.

– Et qu’est ce que tu en sais ? Tu ne me connais même pas !

– Tu es ma sœur jumelle, Béryl. Je sais que tu me mens. »

Je me relevai, m’appuyant sur ma jambe gauche, fixant Béryl droit dans les yeux pour la sonder. Elle ne put pas soutenir mon regard. Je traversai la chambre à cloche pied en silence récupérer les deux bouts de ma photo déchirée.

« Tu es en colère, tu as envie de te défouler, je comprends. Je ne pense pas que dans ton état, on aura une véritable conversation. Je reviendrai plus tard. »

Je me baissai pour prendre mes béquilles et continuait, d’une voix la plus neutre possible.

« Je pensais te rendre heureuse en te montrant ce que tu m’avais dit avoir envie de voir. Je n’y ai pas réfléchi plus que ça, persuadé de mon point de vue, et je n’avais pensé à aucun moment que ça pouvait te rendre malheureuse. Je me suis conforté dans mon erreur, et je te présente mes plus sincères excuses. Maintenant que tu le dis de cette manière, je comprends que tu l’aies mal vécu. Mais, là, ça fait beaucoup pour moi et je ne peux pas tout gérer. Je vais réfléchir à tout ça, de mon coté, du meilleur moyen pour t’aider et t’être agréable, tout en guérissant de ma cheville. En menant ma vie de mon coté. Donc je vais te laisser. »

La colère de ma sœur disparut complètement pour de l’effarement et de la peur. Je me dirigeai vers la sortie, quand elle m’appela :

« Aïden !

– Quoi ?

– Tu reviens quand ?

– Je sais pas. Peut être dans une semaine. Peut être dans un mois. Peut-être pendant les vacances d’été. Je ne peux pas te dire. »

J’ouvris la porte, et je sentis la respiration de ma sœur trembler.

« Au revoir, Aïden…

– Au revoir, Béryl. »

Et je refermai la porte. Une fois dans le petit couloir sombre, je me serai sûrement effondré si il n’y avait pas eu l’infirmière qui me portait un regard inquiet. Je ne pus m’empêcher de lui demander ;

« Vous veillez bien sur elle, hein ? »

Mais curieusement, elle eut l’air gêné par rapport à ma question.

– Quoi, il s’est passé quelque chose ?

– Et bien… Comment dire…

– Oui ?

– Il s’est avéré qu’une des infirmières chargées de s’occuper d’elle la maltraitait. Elle l’insultait et la bousculait. Je n’ai pas les détails, ni pendant combien de temps ça a duré, mais Béryl a fini par tout avouer quand celle-ci aurait fini par lui arracher de force son collier lors de la prise d’un médicament. Elle nous a révélé ce qu’elle subissait, en suppliant qu’on retrouve sa pierre, mais dans une pièce aussi peu éclairée, et cette pierre qui a du rouler… Elle est introuvable. J’ai proposé à ce qu’elle soit transférée temporairement dans une autre chambre, pour qu’on puisse fouiller la pièce avec toute la lumière nécessaire, je suis sûre qu’on la retrouverait rapidement… Mais la directrice de l’hôpital a refusé, considérant que ce n’était pas une urgence…

– Vous savez que c’est dangereux, de me raconter tout ça ? »

Je le fixai assez intensément, ne sachant pas trop quoi en penser. Elle se mit a bégayer aussitôt

« Ah, euh, et bien… Vous allez porter plainte contre l’hôpital, je suppose… ?

– Non. Par contre, si vous pouviez me donner le nom de la personne, ça m’arrangerait. »

Elle acquiesça et me nota le nom.

« Pourquoi est-ce que vous faites ça ?

– Et bien… En vérité, je suis nouvelle ici. Suite à la dénonciation, la directrice a décidé de démettre mon ancienne collègue de ses fonctions et en compensation a décidé de m’embaucher moi. Je ne suis chargée pour l’instant de ne m’occuper que de Béryl a plein temps. Et… Je suis assez outrée parce ce qu’elle a pu vivre. Je pense qu’elle n’aurait pas juste du être virée, elle ne devrait même plus avoir le droit de travailler dans le milieu médical… Pour sa défense, elle disait qu’elle travaillait pour les malades qui avaient un espoir de guérison, et non pas des cas désespérés qui coûtaient trop cher pour pas grand-chose, et j’ai trouvé ça personnellement odieux. Mon frère est handicapé, et…

– Ça se voit que vous êtes nouvelle.

– Ah… ah bon ? Pourquoi ?

– Vous racontez beaucoup trop votre vie. »

Dit avec un petit sourire, en vérité son élan d’honnêteté et de gentillesse m’avait touché. Pendant qu’elle se perdait dans sa confusion, je déclarai :

« Vous êtes quelqu’un de bien. Est-ce que je peux vous demander un service ?

– Oui ?

– J’aimerais que vous veillez bien sur elle pendant mon absence. »

Elle eut un regard interrogateur, mais acquiesça. Je tournai le talon, et quittait alors l’hôpital, pour ne plus y retourner avant sans doute un petit moment.

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dodoreve
Posté le 01/04/2021
Eh bien, Aïden et sa mère qui s'entraîne, si on s'y attendait à ça aussi ! Mais j'ai trouvé que ça faisait du bien. Ils ont beau communiquer un peu plus dans ce chapitre, ça ne suffit pas toujours.
D'ailleurs la confrontation entre Aïden et Béryl me laisse sans mots. Et ça se finit sur cette histoire de maltraitance, et l'idée qu'ils ne vont pas se voir pendant un certain temps... Woaw.
Je m'en tiens à cette pluie du printemps pour ce soir, mais merci pour cette belle histoire, elle serre le cœur à bien des reprises mais elle est vraiment touchante. Déroutante aussi, tant la colère et le désir de vivre y sont très forts. Merci <3

"mes bras endolori(s)"
"dans ce genre (de) concours" (?)
Pouiny
Posté le 02/04/2021
La plus grande difficulté c'est de faire de la mère d'Aïden un personnage non pas méchant mais profondément blessé. Ce n'est pas quelqu'un qui fait des mauvais choix par ignorance ou par plaisir, mais qui les fait parce qu'elle n'arrive pas à faire autrement. Et tu as raison pour dire que ça ne suffit pas toujours ^^

Je suis vraiment content que ça te plaise, j'ai hâte de savoir ce que tu vas penser de la dernière partie ! :D
dodoreve
Posté le 02/04/2021
Tu réussis tout à fait à aller au-delà de ces difficultés pour la mère d'Aïden ! Et je dirais même plus : c'est en la montrant comme ça que tu lui donnes tant de profondeur. On lui en veut mais pas parce que c'est un personnage archétypal. On lui en veut parce qu'elle est humaine, et qu'on ne peut pas vraiment lui en vouloir en même temps. On s'y retrouve très bien avec le ressenti d'Aïden et les explications de son père :) Bravo pour ça d'ailleurs, ça demande quand même énormément de subtilité !
Pouiny
Posté le 02/04/2021
Merci beaucoup <3
Vous lisez