Pluie du printemps (4)

Par Pouiny

Libéré officiellement du lycée pour les prochains jours, je me sentais assez perturbé par tout ce qu’il s’était passé. Mon chronomètre, en rappel du soleil, sonna à nouveau, et je l’éteins prestement. L’appareil photo dans le sac, je n’avais pourtant pas vraiment envie de photographier le soleil maintenant. Mais l’envie de rentrer à la maison était encore moins forte. J’appréhendais beaucoup la réaction de ma mère en voyant son fils chéri blessé. Peut-être qu’elle aurait encore pleuré. Alors, sans y réfléchir plus que ça, en sautillant sur mes béquilles, je me dirigeai derrière le lycée, vers le champs de tournesol. D’abord maladroit, je pris le coup tant bien que mal de marcher avec ces béquilles, essayant de m’amuser un peu. Sans la possibilité de courir, je me rendis compte à quel point le champ n’était pas si près du lycée que je le pensais. Après une dizaine de minutes, il fut enfin à vu d’œil. Je m’approchai encore un peu et respirai profondément la douce odeur des tournesols.

 

Si d’ordinaire je les voyais plutôt de loin, sur le tumulus un peu au dessus, cette fois j’étais à la limite qui séparait le chemin du champ, et je réalisai a quel point les tournesols étaient des fleurs immenses. J’étais loin d’être petit ; pourtant, face à elles, je me sentis minuscules. Les tournesols sont des fleurs de l’été, et les fleurs commençaient à peine à se former, pourtant la tige droite et couverte de feuille déjà était d’une grande beauté. Quelques pointes de jaunes apparaissaient dans la verdure espacée, secoué par des bribes de vent printanier. Bientôt, le champ serait incomparable de beauté, et ce jusqu’au début de l’automne, ou les fleurs se faneront doucement.

 

Fatigué de ma marche et de ma journée, une idée un peu idiote s’engouffra en moi. Je regardai furtivement si il y avait bien personne. Ne remarquant même pas un chat, je me décidai alors. Cachant mes béquilles dans l’herbe, je m’engouffrai à l’intérieur du champ en clopinant. L’espace entre les plantes étaient raisonnable et pouvait donc m’y déplacer sans causer de dégât. Le déplacement, bien qu’un peu douloureux pour ma cheville, était très étrange, me mouvant dans l’ombre de plantes immense et pourtant paraissant si fragile. J’avais l’impression d’être un enfant dans un labyrinthe exigu, ou devenu un petit insecte grouillant près de la terre. Puis, fatigué de marcher dans le champ, je m’assis, et regardai le ciel. Le soleil de milieu d’après midi illuminait avec grande ferveur le ciel bleu et blanc. Machinalement, je regardai ma boussole. Pour sortir du champ sans trop de problème, j’allais sans doute en avoir besoin. Et mon chronomètre sonna encore. J’arrêtai calmement le soleil et regardait encore le ciel. Entrecoupés des pousses vertes et quelques début de fleur jaune, le tout illuminé par un soleil blanc, quelques nuages et un ciel bleu profond, j’entrevis dans la vision le potentiel d’une bonne photo à donner à Béryl. Je pris l’appareil photo de mon sac, le mis à mon cou, et commençait les réglages. Je m’allongeai a terre et la sensation de la terre contre mon dos et mon crane fut très relaxante. Fraîche et douce, tout semblait prospérer. Je regardais le ciel dans mon viseur. Je cadrai ma vision, trouvait un centre joli, quel angle rendait le soleil plus ou moins visible. Et j’appuyai sur le déclencheur. Un petit clic survint, une fois, deux fois, trois fois. Je remis le cache sur l’appareil puis le posa délicatement sur mon torse, presque immobile. Enfin, je fermai les yeux.

 

Au ras du sol, à l’ombre des tournesol, il faisait presque frais. Mais le soleil au dessus de moi envoyait malgré tout de sa chaleur, et ainsi, je me sentais bien. Je pris une grande respiration, et j’eus l’impression de vraiment respirer, comme si j’avais été en apnée pendant longtemps.

« Élever des tournesol, ça doit être un beau métier... »

Le vent soufflait légèrement, et je sentais mes cheveux bouger sur mon front. J’avais envie de rester ici, immobile, pour toujours. Devenir une plante, qui suit le soleil pendant des mois, qui meurt et renaît de ses graines durant les beaux jours. Mes pensées s’envolait, bien plus loin des chocs et des pleurs de la journée, pensant à une tranquillité immobile et reposante, pour moi et pour moi seul. Des journées dehors, au soleil, à suivre et surveiller des plantes. Travailler de ses mains et agir sur un tout petit rayon d’action. Oui, dans une autre vie, j’aurais bien pu être agriculteur.

 

Mais dans cette vie là, que pouvais-je être réellement ? Photographe ? Coureur ? Ou alors, peut être pouvais-je redoubler, m’investir dans mes études, et travailler dans la médecine ? Cette dernière option, j’y avais pensé juste pour pouvoir travailler aux cotés de ma sœur. Mais bien qu’il me semblait que ce fut la meilleure chose à faire, au fond de moi, je savais que ça ne me plaisait pas. Peut-être n’aimais-je pas vraiment aider les gens. Ou alors, peut-être n’avais je pas envie de passer toute ma vie constamment auprès de ma sœur.

 

Au fond, je le sentais, je le respirai. J’avais envie de m’envoler, loin, dans le ciel, comme s’il était pour moi seul. Mais je me sentais comme cloué sur place par l’idée que ma sœur puisse être seule, sans personne pour la voir. Elle n’y était pour rien, et c’était moi qui avait fait ces choix, bien sûr ; mais étaient-ils vraiment pertinents ?

Je ne savais plus comment penser les choses. Alors je m’imaginais ce que j’aurai voulu faire si ma sœur n’existait pas. Mais je ne pouvais pas penser ça. Car même si je m’imaginais faire un tour du monde, des photos de soleil en Afrique, courir aux Jeux Olympiques à Barcelone, la vie de ma sœur dépendait de la mienne. Je soupirai et fis silence dans mes réflexions. Au final, j’avais juste envie d’être heureux. C’était déjà un projet de vie un peu complexe quand on partait d’un terreau aussi stérile que le mien.

 

Alors que mes pensées se transformaient en image difforme, une sonnerie me sorti brutalement de mon petit monde mental. Un peu énervé, je rouvris les yeux, et les refermai aussitôt, aveuglé par le soleil. Plissant les yeux, je pris mon chronomètre, je supprimai méthodiquement, une a une, toutes les sonneries et les alarmes que j’avais pu mettre pour chaque jours, et que j’avais tenu méthodiquement à jour selon l’avancée du soleil. Et enfin, coup de grâce, j’enlevai les piles du chronomètre.

« Si quelque chose doit venir, à présent, ça viendra de moi-même. »

J’étais a deux doigts de jeter mon chronomètre au loin, mais j’eus peur de polluer le champ, alors je rangeai la carcasse désormais inutile dans ma poche, et je refermai les yeux. Au bout de quelques secondes, je plongeai dans un sommeil profond.

 

« Aïden !! »

Mes paupières très lourdes s’ouvrirent de moitié. Quelque chose m’avait tiré d’un sommeil sans rêve, et je ne sus pas de suite si j’avais rêvé ou si quelqu’un avait bien crié mon prénom. La vue sur le ciel, suivi d’un frisson m’ouvrit a une première évidence, trois heures s’étaient au moins écoulées, et le soleil allait se coucher sur les montagnes.

« Aïden, tu es là ?! »

Je voulu me relever d’un bond, mais ma cheville refusa l’effort ; la douleur me prit tellement de court qu’elle me coupa la gorge. Je me relevais sur mon pied valide pour me rendre compte que ma tête ne pouvait pas dépasser du champ de tournesol. Je voulus répondre mais ma voix semblait brisée et je ne pus pas produire de réponse très sonore. Néanmoins, il suffit pour que j’entende au loin.

« Je crois avoir entendu quelque chose !

– Tu es sûre ?

– Aïden, où est-ce que tu es ? Réponds nous ! »

Je reconnus enfin la voix de ma mère. Celui qui lui avait répondu devait sans aucun doute être mon père, mais il était inhabituel qu’il ne travaille pas à cette heure de la journée. Me rendant compte qu’il serait sans doute inutile de répondre au milieu du champs, je pris ma boussole et me dirigeai vers là d’où je venais. Tentant de me presser, je fis bouger les feuilles à mon passage qui bourdonnaient à mes oreilles et mon pied valide s’enfonçait un peu plus à chaque petit bond. Je commençais à me rapprocher du chemin alors que j’entendais de plus en plus distinctement les voix qui m’avaient appelé.

« Excusez moi, madame, est-ce que vous auriez vu un jeune garçon passer par ici ? Il est grand, brun, et normalement sur béquilles… »

Ils avaient donc été prévenus de mon accident sans même que j’eus à leur dire.

« Non, je suis désolée, mais je viens juste de passer…

– Papa, maman, je suis là ! »

J’arrivai enfin à sortir du champ, et en un bond, je me retrouvais sur le petit chemin caillouté, ou se trouvait mes parents paniqués, essoufflés, et une dame bien en chair aux cheveux gris.

« Aïden ! Cria ma mère en se jetant dans mes bras. Mais où est-ce que tu étais passé, on t’a cherché partout !

– Vous avez pourtant l’habitude que je rentre tard, non ? »

Je regardais mon père qui me secoua la tête. Même lui semblait affecté.

– L’infirmier nous a appelé pour nous prévenir de ton accident et voulait savoir si tu étais à la maison, expliqua ma mère. J’ai appelé à la maison, je n’ai pas eu de réponse, alors j’ai appelé à l’hôpital pour savoir si tu étais allé voir Béryl, mais l’hôpital m’a juste dit que tu étais passé ce matin… Je suis alors partie de mon travail voir par moi-même, mais aucune trace de toi ! Je suis allée rendre visite à Béryl, et elle m’a expliqué ce qui s’était passé ce matin… J’ai cru qu’il t’était arrivé malheur, mon chéri, j’ai eu si peur…

– Attends… tu as rendu visite à Béryl ? »

Elle se détacha de moi et me regarda avec des yeux rougis par les larmes, et mon père eut d’un seul coup l’air très mal à l’aise. C’est ce moment là que choisit la femme âgée pour s’éclaircir la voix.

– Hum, jeune homme… Je suis désolée d’interrompre ces retrouvailles, mais… Qu’est ce que tu faisais dans mon champ ? »

Surpris, j’eus un mouvement de recul, puis par volonté de montrai mon respect, je me tins le plus droit possible en le regardant dans les yeux :

« Je suis sincèrement désolé de m’être introduit dans votre champ sans votre permission, je vous présente mes plus sincères excuses ! Votre champ est très beau et cela fait plusieurs mois que je vais le voir quotidiennement pour le prendre en photo, vous avez vraiment des fleurs magnifiques, et j’aimerais savoir si vous auriez du travail pour moi dans ce champ cet été ! »

La fin de la phrase me surpris moi-même, et mes parents d’autant plus. Mais tout ce qu’elle eut comme effet chez l’agricultrice fut de la faire rire de très bon cœur.

« Eh ben si on m’avait dit qu’il y avait encore des jeunes aujourd’hui qui s’intéressaient aux plantes ! Même le mien préfère la nouvelle technologie ! On en reparlera avec grand plaisir, petit, est-ce que tu veux que je te donne mon adresse ? »

Ne croyant pas mes oreilles, je hochais la tête vigoureusement. Elle prit un bout de papier et un crayon, et me le donna avec une main chaleureuse. Je pris le papier sans trop comprendre ce qui se passait. Et dans le silence, elle salua mes parents, et s’éloigna. Mes parents la regardèrent, comme bouleversé d’avoir assisté a ce qui était arrivé.

« Je ne savais pas que tu voulais travailler dans l’agriculture, souffla mon père.

– Moi non plus, répliquai-je.

– Bon, s’écria ma mère, presque joyeuse. Et si on rentrait ? Nous avons beaucoup de choses à nous dire. »

Et me faisant une bise sur la joue, elle commença à s’éloigner sur le chemin. Mon père resta à coté de moi, semblant un peu inquiet. Je jouai avec mes béquilles alors et lui lançai du plus chaleureusement qu’il m’était possible.

« Ne t’inquiètes pas, je vais bien. C’est rigolo, en fait, de marcher avec des béquilles.

– Tu n’as pas besoin d’aide ? Tout va bien ?

– Ça va. »

Mon père soupira, sans doute de soulagement. Je le regardai.

« Tu as vraiment quitté ton travail pour ça ?

– Oui, je n’ai pas eu le choix… Ta mère était vraiment inquiète. J’ai essayé de lui dire que tu étais grand et qu’il n’y avait pas à s’en faire, mais son petit était perdu, tu vois ? Je n’avais pas vraiment envie de la laisser seule.

– Ce ne sera pas trop grave ?

– Non, c’est exceptionnel. Et puis, mon patron sait très bien que j’aie une famille. »

Et il soupira encore. Respirer était une des habitudes de mon père. Non pas qu’il fut essoufflé, je pense qu’il aimait juste simplement la sensation.

« Elle est vraiment allée voir Béryl ? »

Le changement de ton fut radical. J’étais proche de la messe basse, et peut être un peu en colère.

– Oui… C’est pour ça que je suis parti du travail. Si elle m’avait prévenu, je lui aurais dit de ne pas le faire… Cela faisait plus d’une année que nous ne l’avions pas vue et j’imagine même pas ascenseur émotionnel de revoir sa mère après tout ce temps, mais qui ne s’inquiète que pour son fils adoré.

– Si vous la voyez plus souvent, aussi… Le problème ne serait pas posé.

– Est-ce que c’était ça, que tu nous reprochais tout ce temps ?

– Évidemment. Quoi d’autre ? »

Il souffla, ne sachant sans doute pas quoi répondre.

« Je n’ai pas le temps d’y aller à cause de mon travail, les horaires ouvertes aux visiteurs sont trop restrictives pour moi. Mais même, je sais bien que c’est une excuse… Je suis vraiment désolé, Aïden.

– C’est pas à moi qu’il faut dire ça, répliquai-je avec un ton froid.

– Tu sais… Tu n’as pas idée dans quel état cela met ta mère de voir notre fille. Je ne pouvais pas le supporter, entre le déchirement de la vie si dure de ma petite fille, et ta mère détruite comme devant une vision d’horreur chaque jour un peu plus. J’ai essayé d’être là pour elles, j’ai poussé ta mère a voir des spécialistes pour soigner son état, mais quand ceux-ci lui ont parlé de prendre de la distance avec Béryl, je suppose qu’elle a du le prendre physiquement au mot. J’essaie d’arranger les choses pour qu’elle arrête de craindre sa fille, car celle-ci a besoin de son aide. J’essaie d’appeler Béryl, quand je peux, mais si je le fais et que ta mère s’en rend compte, elle le vit comme si je la rendais coupable d’être une mauvaise mère incapable. Mais Béryl n’y est pour rien, et évidemment ne comprends pas ce qui se passe et cherche à contacter sa mère. Et moi, je suis au milieu de ce tir croisé…

– Et moi, alors, je suis où ? »

Il eut l’air de réfléchir quelques secondes.

« Sans doute pas très loin, à coté de moi. Ce n’est pas facile, hein ? »

Je ne répondis pas, mais curieusement, ces simples mots me firent sentir plus proche de mon père, un tout petit peu. Nous marchâmes en silence, lentement, jusqu’à la voiture où ma mère nous attendait. Elle s’installa au volant, et mon père rangea mes béquilles dans le coffre, pendant que je m’installai à l’arrière. Alors que nous allions partir, ma mère sembla comme prise d’une idée soudaine, et déclara :

« Et si nous allions manger au restaurant, ce soir ?

– Euh… Il ne vaudrait pas mieux d’abord aller à l’hôpital, prévenir Béryl que tout va bien ? »

Je venais a peine de proposer, que je vis ma mère devenir presque aussi livide que ma sœur. Sa main commençait a trembler sur le volant, quand mon père intervient :

« Je… J’appellerais l’hôpital pour qu’ils passent le message. Et tu pourras aller la voir demain pour confirmer. Ça vous va ? »

Malgré la question apparente, la réaction de ma mère démontrait bien qu’il n’y avait pas le choix. J’étais assez inquiet pour Béryl. Je venais d’apprendre que mon père avait essayé de garder contact avec elle, et qu’elle avait du beaucoup communiquer avec lui sans m’en avoir jamais parlé. Si Béryl et moi parlions de beaucoup de choses, nous n’évoquions quasiment jamais la famille, de peur que ce soit douloureux. Mais je me demandais si elle allait vraiment bien, alors que nous nous préparions à manger en famille.

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dodoreve
Posté le 01/04/2021
"D’abord maladroit, je pris le coup tant bien que mal de marcher avec ces béquilles, essayant de m’amuser un peu." Mwahahah qui n'est pas passé par là xD
Le moment dans les tournesols ceci dit, il est trop chouette <3 Tout plein de couleurs, du temps qui passe et du fil de pensées qui passent dans la tête d'Aïden.
"J’étais a deux doigts de jeter mon chronomètre au loin, mais j’eus peur de polluer le champ, alors je rangeai la carcasse désormais inutile dans ma poche, et je refermai les yeux." J'ai trouvé ça mimi ahah entre l'envie du drama et la conscience écologique, tu as fait le bon choix, Aïden xD
Après la tempête qui précédait, c'est un passage qui m'a semblé plus léger. Et en même temps l'interrogation de la fin reste en suspens : jusque là Béryl avait toujours l'air de présenter un visage plein d'énergie à son frère, mais effectivement est-ce qu'elle va si bien que ça... Je vais finir cette pluie du printemps de ce pas :) !

"je me sentis minuscule(/)"
"une sonnerie me sorti(t) brutalement"
Pouiny
Posté le 02/04/2021
ça reste un enfant, quand même, hein ! Moi j'avoue que je l'aurai jeté, le chronomètre, puis qu'après j'aurais réalisé et que j'aurais passé une bonne heure à le chercher xD

Merci encore pour le commentaire :D
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