Pastille fraicheur

Notes de l’auteur : <br /> Attention ! Présence d'une scène de sexe explicite !  

Saki Harui – Sous-lieutenant Sawada                                                         Torii, Janvier 2003

 

Le sceau des Sawada s’étalait sur le diplôme. Elle effleura le relief du bout des doigts et sa gorge se bloqua un peu. Elle l’avait. Enfin. Son nom s’étalait en gros symboles calligraphiés juste en dessous de son nouveau titre. Saki Harui, cadette, était officiellement promue au rang de sous-lieutenant avec effet immédiat. Sa première mission devait l’attendre quelque part en-dessous du papier, dans une autre lettre. Elle souleva délicatement son diplôme pour le transférer à côté de son sac et jeta quelques feuilles sans importance jusqu’à tomber sur la lettre fermée. Sa mission ! La jeune femme déchira la fermeture et attrapa la feuille pour la parcourir rapidement. Son sourire se fana. Elle tourna le papier, rien au verso. Ses yeux lurent et relurent les quelques phrases. Escorter l’Héritier Sawada lors de son déplacement du Domaine Sawada à l’Antre des Roses. Du baby-sitting en somme. Son front se plissa. Elle aurait dû être fière d’avoir été choisie pour garder le jeune Héritier durant son séjour à l’Antre. Un cadet sur plus d’une centaine à disposition. Saki soupira en tirant sur la fermeture de son sac pour y ranger diplôme et ordre de sortie. C’était un honneur et pourtant elle n’arrivait pas à s’en satisfaire.

Niko Sawada. Il devait avoir plus ou moins huit ans. Beaucoup de rumeurs avaient circulés sur sa disparition l’année précédente et la campagne vengeresse que l’Oyabun, son père, avait lancé. L’enfant avait été retrouvé entouré des ossements de sa mère, devenu totalement sauvage dans les quelques mois de sa captivité. On le disait même complètement fou, ce qui pouvait expliquer son transfert à l’Antre : peut-être allaient-ils devoir changer d’Héritier et confier Niko à Kiyoshi, le dirigeant des Roses. Ce dernier avait été très proche d’Ambre Sawada, rien d’étonnant qu’il se charge de son fils. Mais dans ce cas…est-ce qu’on la mettait au placard elle aussi ? Un grattement à la porte la sortir de ses pensées noires. Elle s’ouvrit sur une belle caramel :  Kaoh. Un sourit fleurit sur les lèvres des deux jeunes filles pour se rejoindre en une douce embrassade. Saki s’y perdit quelques secondes avant de murmurer contre les lèvres de son amante.

-       Tu es folle, et s’il débarque… ?

-       J’ai inondé les chambres d’arrêts, le major est trop occupé à hurler sur les deuxième année pour nous déranger.

Kaoh s’attaquait déjà à son cou, ses paroles vibrant sur la peau blanche de sa collègue. Saki eut un rire et fouilla derrière le dos de Kaoh pour attraper la poignée de la porte et la refermer sur elles. Le déclic de la serrure coïncida avec le grelot de sa fermeture éclair. Elle rit encore, la tête vidée de ses problèmes. Elle saisit les mains baladeuses, tenta de remonter son pantalon et abandonna en se sentant poussée sur le lit d’Akita Senou, un autre cadet en fin de formation. Après une rapide excuse mentale, Saki attrapa Kaoh pour la guider vers ses lèvres et l’embrasser à pleine bouche, leurs corps adolescents débordant d’une énergie frustrée par les règlements. Le sommier gémit sous leurs poids combinés. La jeune métisse était grimpée par-dessus Saki pour lui saisir le poignet. Elle le tira au-dessus de sa tête et lui remonta le T-shirt sans douceur, ses dents plongeant à l’attaque des tétons déjà raffermis par l’excitation.

Mordillements, caresses, Saki avait de la peine à se concentrer pour libérer ses mains. Elle lutta pourtant et se retourna d’un coup de rein pour écraser Kaoh de son poids. Son genou s’infiltra dans ceux de la belle soldate pour séparer les jambes et permettre au pantalon de glisser le long des jambes mates. Une peau douce et métisse paraissait par pouce à chaque poussée. Kaoh s’agita, impatiente et râla sur sa lenteur, tirant un rire de la japonaise. Elle l’embrassa pour la distraire et glissa ses doigts sous le dernier rempart de tissu, le long de son mont, traversant une jungle bien maitrisée pour s’enfoncer dans le chaud et l’humidité. La jeune femme ferma les yeux, serra les draps sous ses doigts et se laissa envahir par la sensation montante, les lèvres accrochées à celle de son amante. Sa respiration s’accéléra et elle se tendit, le corps concentré sur la boule qui menaçait d’exploser.

Et plus rien.

Un rire.

Kaoh ouvrit les yeux, au bord du gouffre. Contre sa bouche, ce rire, elle le mordit. Saki s’écarta avec un cri, encore amusée et se lécha les lèvres pour en effacer le sang. Ses doigts coururent sur sa peau blessée. 

-       T’es qu’une brute, tu sais ça ? 

Elle s’allongea contre son amante pour l’embrasser et faire taire les plaintes et injures par d’autres baisers. Ses mains se baladaient sur les fesses à présent découvertes de Kaoh et œuvraient pour un retrait total des habits. Les mains de la métisse se plantèrent sur ses épaules pour la repousser et se redresser, virant le pantalon de ses jambes. Elle attrapa la Japonaise et la ramena violemment contre elle. Ses dents s’ancrèrent dans l’épaule blanche.

-       Aoh ! Kaoh !!

-       Un souvenir.

Saki accrocha sa bouche sur l’oreille de son agresseur. La douleur de l’épaule disparut aussitôt. Projeté en arrière, elle atterrit la tête sur le coussin et faillit arracher l’oreille de son amante. Les yeux de Kaoh se fixèrent dans les siens. Essoufflée, Saki rit et se redressa légèrement pour lui voler un baiser puis descendit tout doucement, se tortillant sur les draps, déposant des baisers  à chaque nouveau coup de hanches.

-       Lève les bras.

Elle monta ses mains jusqu’au niveau de celles de Kaoh, elle sentit sa chemise être tirée vers le haut. Ses yeux s’agrandirent en sentant le tissu s’étirer autour des boutons et elle se secoua pour se libérer et déboutonner son haut. Un long rire accueillit son empressement et la métisse roula sur le côté pour laisser un peu d’espace à sa compagne. Les uniformes volèrent loin du lit et elles se rassemblèrent une nouvelle fois. Saki posa quelques baisers à l’intérieur des cuisses offertes, ses doigts attrapant les fesses rondes pour l’aider à rester en place. C’était chaud. Humide. Salé. Un peu amer. Kaoh s’étira vers le ciel, les mains ancrées dans les épaules de Saki. Elle se mordit la joue pour contenir un râle.

-       Hn…’tends

Kaoh se força à bouger, contenant un peu l’onde électrique sui s’était créée au centre de ses reins. Crispée par l’fort, elle bascula sur Saki et se pencha pour lui offrir la même torture. Ses coudes supportèrent à peine le retour du plaisir. C’était à qui rendrait l’autre folle en première.

 

 ***********

 

Nichée l’une contre l’autre, les deux cadettes récupéraient leur respiration. Kaoh posa un baiser sur le front humide de son amante en la serrant un peu plus. Les yeux fermés, elles écoutèrent la respiration de l’autre, s’accrochant aux odeurs pour graver l’instant au mieux. Il s’enfuyait déjà pourtant. Les muscles se relâchaient, les minutes s’écoulaient. Saki se détacha lentement, à contrecœur. Sur son front, la chaleur du baiser s’effaçait tandis que les lèvres s’éloignaient et que le corps suivait, hors de leur petit nid. La jeune japonaise se redressa, les draps chiffonnés autour d’elle, pour regarder la chute de reins brune monter et descendre à la pêche aux habits. Ses doigts se crispèrent sur les linges souillés par leurs ébats, mais elle resta silencieuse, douloureusement consciente qu’un mot éclaterait leur bulle.

-       Tu vois mon béret ?

Déchirure. Saki se secoua un peu et elle sortit du lit pour fouiller la pièce. La coiffe s’était glissée sous l’un des lits. Elle l’attrapa et frappa le tissu pour en chasser la poussière, ses doigts effleurant l’insigne qui y trônait fièrement. Kaoh avait été acceptée dans l’équipe de cryptologie, un titre qui lui donnait droit aux études supérieurs, probablement sur un autre Monde. Les Terriens ou les Quatrièmes possédaient les meilleurs sites pour ça. Les doigts de sa compagne se fermèrent sur le béret et elles échangèrent un regard avant que Kaoh ne se penche pour lui voler un dernier, long, baiser. Saki ferma les yeux et ne les rouvrit que sur le dos qui s’éloignait.

Elle aurait pleuré sinon. 

La porte du dortoir se ferma dans un claquement sec et Saki resta là un instant. Incapable de bouger jusqu’à ce que l’air froid sur sa peau nue se charge de la réveiller. Elle frissonna et attrapa des habits pour filer sous la douche, abandonnant la scène. Pas le temps de ranger. L’horloge de la caserne retentit dans sa course retour. Encore humide, sa peau collait à ses habits, elle serra ses cheveux dans un chignon grossier avant de le cacher sous sa casquette de fonction. Tant pis pour l’allure, tant pis pour le lit défait ! Elle se précipita hors de la caserne, sac sur le dos pour pouvoir le jeter sur une des piles de transmission. Pas besoin de vérifier l’adresse, elle se maudirait plus tard, au pire hurlerait, mais ça serait toujours moins terrible qu’être en retard à sa première mission !

-       Mika !! Attends !!!!

Son cri avait traversé le terrain et elle coupa à travers le gazon pour rejoindre la barrière isolant la caserne. Un adjudant blasé l’y attendait, la main couvrant un laser pour empêcher la fermeture.

-       Cadet. Il faudra un jour cesser ces négligences temporelles. Autorisation de sortie ?

La feuille vola hors de sa poche jusqu’au visage du garde. Mika retint un sourire et continua son regard désapprobateur tout en parcourant la feuille. Les nouveaux diplômés étaient toujours aussi adorables. 

-       Tout est en ordre. Bonne chance.

Il s’écarta pour la laisser passer et allait retirer sa main quand son nom résonna encore une fois. Un autre retardataire. Saki eut un rire nerveux et traversa la zone barrée sans demander son reste, marchant d’un bon pas jusqu’aux uniroues.

Le parc de cycles était accessible librement, ne demandant qu’une authentification numérique. Saki fouilla ses poches pour en retirer son transcripteur. La petite boite noire tenait facilement dans sa veste, mince et de la taille d’un jeu de cartes terrien. La jeune femme attrapa les deux extrémités pour l’allonger, révélant un écran translucide et rétroéclairé. Technologie dernier cri. Travailler pour les Sawada avait des avantages. Le cycle fit un léger claquement une fois son code scanné et Saki pu grimper dessus, positionnant ses deux pieds des deux côtés du mono-roues avant de l’activer grâce à son transcripteur. Elle entra sa destination et se laissa porter le long des chemins. Des petites montagnes de feuilles rouge et ocre s’empilaient sur les côtés, alors que les plus jeune des cadets s’activaient à garder les parcours propre. L’automne. Avec sa population végétale et animale, le domaine était de tout temps aussi bourdonnant qu’une ruche ; les Cadets n’y dérogeait pas. Tout autour de l’Académie et de la Caserne, des cadets jouaient, étudiaient, s’entrainaient, sans manquer de la saluer lorsqu’ils l’approchaient. Saki en rosissait de plaisir à chaque fois, les galons de ses épaules montant de quelques millimètres alors qu’elle rajustait sa posture.

Les interactions se firent plus rare alors qu’elle s’enfonçait dans le domaine. La température avait baissé de quelques degrés alors que des ruisseaux convergeaient, entourant les chemins d’eau et changeant la végétation autour d’elle. L’humidité remontait le long des hautes racines, nourrissant d’épaisses mousses et une végétation luxuriantes. Saki ne savait plus où donner de la tête tant les couleurs l’interpellaient. Elle se tendit un peu, soucieuse en voyant une masse sombre s’enfuir à son approche. Est-ce qu’ils laissaient les prédateurs en liberté ? Elle ne s’était jamais autant avancée dans le domaine Sawada. Son uniroue continua, s’élevant légèrement pour passer en navigation magnétique (elle supposait) lorsque le chemin se fit vert. Elle traversa ainsi la première frontière protégeant les propriétaires et déboucha sur une zone plus dégagée, ouvrant à sa vue la deuxième et dernière frontière naturelle : la lignée d’Oorèmes. Ces arbres majestueux grandissaient en développant d’énormes et longues racines qui s’emmêlaient avant de plonger dans l’eau, créant ainsi un mur de bois visible et sous-marin. Les branches n’étaient pas non plus en reste, soigneusement taillées de manière à créer une imperméable étendue de feuilles irritantes. Seule était visible une large bouche, ouverte à la circulation quotidienne.

Saki jeta un coup d’œil inquiet à sa montre tout en rangeant son moyen de transport à côté d’une lignée de ses semblables. Son retard s’épaississait ! Désespérée, elle se résigna à ne pas employer la chaîne d’accès normale et à sortir son ordre de mission pour couper à tout protocole de protection. Son transcripteur était équipé des autorisations nécessaires et elle put escalader l’Oorème par la voie de service afin de traverser le tunnel creusé au sein de l’arbre. L’odeur de la sève faillit la faire vomir et elle hâta le pas, n’osant courir. Apparaître transpirante et ahanante devant son chef direct, Nanami Sohu, était une très mauvaise idée. L’homme était réputé pour son exigence de l’étiquette et son intransigeance. La jeune femme frissonna en s’imaginant affronter le jeune secrétaire. Il devait avoir plus ou moins le même âge qu’elle pourtant, mais les histoires l’accompagnant suffisait à effacer sa jeunesse. Il avait avancé rapidement dans les rangs, sur les traces de son père, s’imposant comme l’un des gardes du jeune Héritier. On racontait qu’à la récupération de Niko Sawada, ce dernier avait gelé le cœur du soldat, terrifié à l’idée d’être attrapé. Nanami-san n’avait rien lâché, gardant l’enfant contre lui.

Elle finit enfin de traverser l’arbre et déboula sur la petite plateforme métallique, ses yeux s’écarquillant pour la troisième fois de la journée : les transports étaient déjà là !! De longues pièces noires imitant les voitures terriennes flottaient sur la zone de préparation, prêtes à décoller. Plus le temps pour Nanami, Saki se précipita en bas des escaliers et rejoignit en courant Yamato-san, celui qui aurait dû devenir son grand frère si elle n’avait pas été si en retard. Il l’accueillit avec une taloche sur la tête et un bouteille de thé brûlant. Elle s’inclina profondément pour s’excuser et se redressa fissa en voyant les pieds s’éloigner. Le thé lui réchauffait les mains agréablement et elle le savoura tout en suivant son chef, le plus discrètement possible, mémorisant les positions des gens et leurs fonctions au fur et à mesure de leur petit tour. Trois voitures, des cycles indépendants, une trentaine d’hommes. Toute cette organisation pour le déplacement d’un enfant. Elle se demanda brièvement l’utilité d’un tel dispositif avant que ses yeux n’accrochent les brassards blancs noués aux bras des gardes. Certains étaient visiblement encore nerveux, à effacer une larme lors d’un rare temps mort.

Tout le domaine était en deuil. Elle ne l’avait pas réalisé à la Caserne. Bien sûr la nouvelle leur était parvenue et bien sûr tout le monde avait été attristé – Ambre Sawada avait toujours eu la main douce et le cœur généreux, ramenant des fruits à chaque visite de la Caserne – mais personne là-bas n’avait réellement connu la première dame.

Yamato l’attrapa par l’épaule et la fit sursauter. Lui aussi avait les traits marqués. Il récupéra la bouteille de thé vide pour la jeter à un autre et emmena la jeune femme à la voiture principale.

-       Il arrive. On l’a endormi pour éviter une crise : ne le touche pas et s’il se réveille, enclenche l’alarme et protège toi au mieux.

Saki regarda son chef d’un air confus. Elle devait se protéger de qui ? De l’Héritier ? Ses lèvres s’arrondirent sur une question, qui resta bloquée dans sa gorge. Un enfant était sorti de la bulle. Parfaitement éveillé. Il jeta un coup d’œil aux alentours, s’attardant sur elle avant d’acquiescer et de se décaler pour laisser un adulte passer. Saki avait le cœur au bord des lèvres : les yeux de l’enfant avaient suffi à retourner son estomac, ramenant un goût désagréable de thé acide dans sa bouche.

-       Evite ses yeux.

Elle fusilla son supérieur du regard, incapable de se retenir. L’avertir que le démon personnel de Niko Sawada serait du voyage aussi aurait été une bonne idée non ? Yamato lui mit une taloche sur la tête avant de s’avancer pour rejoindre l’homme à la sortie de la bulle. Nanami-san. Saki oublia aussitôt son malaise pour rajuster sa position. Elle ignora soigneusement le démon et dévisagea la légende qui marchait vers elle, vers la voiture. Le jeune Héritier Sawada reposait dans ses bras, immobile et apparemment léger comme une plume. Ou était-ce les muscles sous le costume ? La jeune femme se secoua un peu en réalisant le regard de Yamato sur elle et rougit avant de s’enfoncer dans la voiture. Elle s’assit en face des deux enfants, gratifiant Nanami du salut le plus professionnel possible.

Le secrétaire génial répondit par l’usage et elle essaya de ne pas se sentir déçue. C’était ridicule d’espérer plus. Il était secrétaire, elle était cadet. C’était un génie, elle venait de commencer. Saki chassa au loin son admiration pour ne plus que se concentrer sur son travail. L’enfant dormait, le démon veillait. Tout irait bien.

-       Saki. On va partir. Rappelle toi. Pas d’héroïsme stupide. Nanami-san sera dans la voiture avant, moi dans celle de derrière. C’est un simple transport, aucun incident n’est attendu.

Le secrétaire sortit après quelques mots. Il ne restait donc pas ? La fraîche sous-lieutenant trouva ça étrange. S’il s’agissait d’un transfert sans histoire, pourquoi ne pas garder Nanami près de Niko ? Pourquoi une escorte aussi large ? La guerre des gangs était loin d’être finie, mais ce n’était qu’une raison supplémentaire d’utiliser une petite équipe plutôt qu’un cortège. Yamoto se racla la gorge, il attendait un retour pour fermer la porte. Saki entendit le système de verrouillage se mettre en place et elle se rajusta sur son siège, ses yeux curieux allant directement se poser sur l’Héritier. Il avait été allongé sur deux sièges, la tête sur les genoux de son démon. Le kimono, blanc de deuil, faisait ressortir ses cheveux d’un noir de jais, et rendait probablement encore plus pâle la peau de l’enfant. Il était adorable. Et glacé. Saki se frotta un peu les bras, cinq minutes et la cabine de la voiture avait déjà perdu quelques degrés. Elle jeta un coup d’œil au démon, mais il ne semblait ni dérangé, ni décidé à intervenir sur la magie de son propriétaire. De la magie à huit ans, la jeune femme frissonna : un génie précoce ou un gamin traumatisé ? dans les deux cas, elle préférait le voir dormir. Sa mission n’en serait que plus simple. 

Le cortège de voiture se mit lentement en route et traversa le Domaine avant de se diriger vers leurs voisins : les deux plus grandes propriétés de l’île étaient les deux situées au-dessus de la falaise qui culminait Torii. Tant mieux. Le voyage n’en était que plus sûr, à défaut d’être court. Même en passant par la porte Est du domaine Sawada, il restait plusieurs kilomètres de forêts et de champs à traverser avant d’atteindre l’Antre des Roses. L’excitation ne tarda pas à s’évanouir. Le trajet était long, monotone, avec deux enfants immobiles – dont un qui la fixait d’un air méchant quand il ne s’adoucissait pas pour veiller sur son maître. Les démons de la Famille Sawada, elle ne se souvenait plus de leurs origines, que des bribes d’une histoire dont elle n’était pas même certaine de la véracité. Cadeau de l’Empereur, malédiction jetée par un dieu sur un colon, découverte d’un trésor, domestication…les Sawada construisaient l’histoire japonaise au même rang que la famille impériale : ils la vivaient. La preuve en était le kimono porté par l’Héritier devant elle : des symboles simples qu’on retrouvait sur tous les sceaux officiels, quelques soit l’âge du support. 

La jeune femme tendit ses bras devant elle pour observer les mêmes symboles sur ses boutons de chemise. Elle les bougea un peu pour les faire briller, perdue dans sa contemplation. Un arrêt brutal de la voiture la projeta vers Niko. Heureusement ses mains déjà tendues purent s’appuyer sur le dossier au-dessus du corps endormi. Elle loucha sur le côté, crispée : la respiration  de l’enfant avait eu un accroc. Le démon l’attrapa par son col et la renvoya dans son siège sans délicatesse. Des détonations retentirent : le convois était sous attaque ! Un petit bruit mignon perça la couverture sonores des balles et Saki sentir son cœur s’arrêter dans un long frisson glacé. Elle tourna la tête de la fenêtre pour observer les deux enfants. Quatre paires d’yeux l’observaient, l’une encore perdue dans les limbes d’un sommeil chimique, l’autre agressive. Elle sentit un mal de tête poindre et pressa sur l’alarme à son poignet. L’Héritier s’était réveillé. Une explosion se déclencha derrière eux, faisant voler la voiture d’escorte dans leur direction.

-       A terre !

Elle attrapa l’enfant par le poignet pour le projeter sur le sol avec elle. Kuro les rejoignit et entoura Niko de ses bras pour le rassurer. Une volée de balle ricocha sur la voiture, heureusement qu’elle était blindée ! Saki remercia silencieusement les mages de fer et se redressa. Des coups de feu ne faisait que pleuvoir sans l’ombre d’une interruption. Sa peau s’hérissa en sentant une once de magie dans l’air. Le jeta un coup d’œil aux gamins. Niko Sawada se dissimulait sous l’étreinte de son démon. Elle pouvait entendre les accrocs dans sa respiration. Une odeur de feu commença à envahir la voiture. Merde ! La jeune garde se précipita par la fenêtre de séparation pour activer le recyclage d’air intérieur. Un léger gémissement lui fit dire que c’était trop tard. Ils ne mourraient pas asphyxiés, mais l’Héritier était entré dans une panique incontrôlable. Elle le regarda se mettre à illuminer la voiture comme un lampadaire alors que ses sceaux de rétention s’activaient les uns après les autres pour contenir sa magie. La température était tombée de plusieurs degrés déjà. Saki retourna à sa place sans avoir détecté de mouvements à l’avant. Elle était seule pour gérer ça. Les mots de Yamato revinrent à son esprit. Ne pas jouer les héros. Mais elle ne pouvait quand même pas laisser deux gosses mourir de panique ou par balles ! Surtout celui qu’elle avait été formée pour protéger !

Ses yeux se déportèrent sur la poignée de la porte. Non. Elle n’ouvrirait pas. Hors de question qu’une brèche apparaisse dans le coffre-fort sur pattes que cette voiture était. Un frisson la parcourut. Le froid s’insinuait sous ses habits. Elle s’assit bien droite dans son siège sous l’œil curieux du démon. Un bref intérêt avant que son attention n retourne sur son maître.  Saki suivit le regard et observa l’héritier paniquer. Ses membres se raidissaient au fur et à mesure que la température baissait. Elle grelotait. Tout autour d’eux les échanges de coups continuaient. La voiture était proprement canardée, gardée intacte uniquement par la protection magique des homme de fer. Une protection qui se briserait si elle ouvrait la porte. Saki se mordit la joue. Ce n’était ainsi qu’elle avait prévu de vivre et de mourir. Mourir. La jeune femme avait accepté cette éventualité en changeant de corps pour rejoindre les soldats à son âge de raison. Elle était douée pour la stratégie et adorait l’art de se battre. Les gardes semblaient être le groupe parfait pour l’accueillir. Et ça l’avait été ! L’entraînement, la discipline, étaient durs mais ils formaient une famille soudée. Quelque chose de précieux. Non. Saki ne regrettait pas son choix.

Le froid la faisait presque pleurer. Elle avait glissé ses mains sous ses jambes pour tenter de les garder au chaud. Ses joues, son nez, tout commençait lentement à s’estomper de ce monde pour passer au suivant. Elle ferma les yeux et se nicha tout au fond de la voiture, roulée en boule dans l’espoir de garder un peu de chaleur. L’image ensoleillée de Kaoh s’immisça entre ses pensées glacées. Un sourire déchira les lèvres gercées tandis qu’une larme réchauffait sa joue. La jolie cryptologue devrait trouver une autre promesse, elles ne se reverraient pas. Saki s’accrocha à son souvenir du matin, ses membres cessèrent de trembler. Elle entrouvrit ses yeux pour se noyer dans ceux du démon, leur piquer un peu de chaleur. Une autre explosion. Au loin. Si loin…elle ne voulait plus bouger. Qu’on la réveille une fois tout terminé, elle n’avait plus peur. C’était son travail.

Baby-sitter. Gardienne. Garde du corps. Cadette.

Cadette. Oui Saki était une cadette. 

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