Partie II - Chapitre 15

Hermès avançait d’un pas rapide dans les couloirs du palais. Il descendait un escalier, passait une arcade, traversait de grandes salles. Il s’arrêta net devant une fenêtre qui offrait une vue imprenable sur les eaux de Barren.

Flora se trouvait sur les rives avec le roi. Une ride soucieuse barra le front d’Hermès, et il finit par se ressaisir. Il n’y avait rien à craindre de la part d’Elendil. Bien sûr, le monarque penserait à protéger son peuple, ce qui était tout à son honneur. Il avait accepté d’accueillir la cérémonie de l’éveil et tout ce que cela impliquait. C’était suffisant.

Pourtant, si ce qu’il avait entendu était vrai et que le gouffre de Sofia s’apprêtait à tomber, c’est qu’un traitre avait vendu l’arrivée des deux jeunes femmes.

Sortant de ses pensées, il reprit sa route et après plusieurs détours, finit par arriver devant une porte où étaient postés deux gardes en faction. D’un signe de tête, ils le laissèrent passer et Hermès entra dans une chambre charmante, mais trop éloignée du centre pour être proposée à un hôte de haute importance.

Il se doutait que la rancoeur du peuple des forêt de Kerrel ne s’était pas estompée. Bien évidemment, aucun de ceux qui avaient survécus à la dernière guerre était encore en vie. Mais les eaux de Barren permettaient à son peuple de vieillir et de prospérer en s’assurant de ne pas refaire les mêmes erreurs. Il était donc logique que Gabrielle ne soit pas installée près du trône.

Celle-ci patientait assise à un élégant bureau, lisant un livre qu’elle avait certainement pioché dans la petite bibliothèque à sa disposition. A la vue d’Hermès, elle sourit et se leva. Il remarqua alors la tenue rouge réservée aux acolytes de Gaïa et de Rhéa. Il est vrai qu’en tant qu’incarnations des titanides, elles étaient avant tout leurs prêtresses.

— Comment te sens-tu ? demanda Hermès.

— J’aurais voulu te dire que le voyage m’aura rendu malade et inapte à la fonction, mais non. Je vais très bien.

Le bain purificateur l’avait galvanisé. Si elle avait trouvé un peu gênant de se retrouver nue face à un homme, elle s’était assuré de ne rien en laisser paraitre. Gabrielle avait supporté stoïquement les différents bains, s’assurant d’être restée suffisamment longtemps dans les eaux tantôt gelée, tantôt brulante. Finalement, son chaperon n’avait rien trouvé à redire - que ce soit sur son physique harmonieux ou ses plongeons efficaces - et il avait finit par la déposer dans cette chambre où elle attendait depuis.

Bien évidemment, elle avait tenté de sortir, mais les deux hommes devant sa porte lui avait gentiment rappelé que son rôle d’invité était de rester dans ses appartements jusqu’à ce que l’on vienne la chercher. Ce qu’elle voulait, c’était aller faire un tour dans la bibliothèque royale, où Hadès avait annoncé s’installer. Qu’il y ait d’autres incarnations aurait dû être évident à ses yeux, mais elle n’avait jamais imaginé en rencontrer d’autres. Elle profita de la présence de son père adoptif pour en discuter avec lui.

— Ah oui, en effet… fit-il lorsque Gabrielle lui eut parlé de sa rencontre. J’ai bien senti sa présence tout à l’heure. Hadès est un personnage à part, Gabrielle. Ne t’en approche pas s’il te plait. Flora devra prendre encore plus de distance d’ailleurs.

— Pourquoi cela ? l’interrogea-telle. Tu sais, si on respecte le Panthéon des dieux Grecs, il est censé être mon fils.

Hermès ricana et se servit à boire.

— Oui, et si ton Panthéon tenait debout, il serait cloitré aux Enfers et n’en sortirait que pour rendre visite à Zeus et Poséïdon, et crois moi, c’est totalement improbable.

Intriguée par des noms qu’elle n’avait encore jamais entendu dans sa bouche, Gabrielle le pressa pour en savoir plus. Il finit par soupirer et alla s’installer à la fenêtre.

— Tu sais bien que la plupart d’entre nous avons du nous réincarner. C’est à dire que l’enveloppe mortelle dans laquelle notre ichor a été plongée est morte. De nous tous, seul Poséïdon est resté intact. Il vit, on le sait, mais personne ne l’a plus revu depuis des siècles. Parfois, je l’envie !

— Mais toi, tu es aussi une réincarnation non ? Je veux dire, tu es né humain n’est-ce pas ?

Hermès croisa son propre reflet dans la vitre à travers laquelle il observait un groupe d’hommes et de femmes revenir des sous bois, les mains pleines de baies et de fruits. Son regard fatigué lui rappela qu’en effet, il avait peut-être été qu’un simple humain un jour.

— C’est exact. Mais cela remonte à très loin tu sais, dit-il en se tournant vers elle. On arrête de compter au bout d’un moment.

Gabrielle s’en voulu d’avoir tissé le sourire triste qu’elle voyait à présent sur ce visage tant aimé. Elle s’approcha pour lui prendre la main, et se retint de justesse. Hermès croisa son regard.

— On ne se touche pas, Gaby. D’abord tu prends ton orbe, et ensuite tu réconfortes ton vieux, d’accord ?

Elle rit malgré elle, et se retint de l’interroger davantage. Après tout, maintenant qu’elle était ici et qu’elle savait ce qu’elle voulait à tout prix éviter, c’était à elle d’enquêter sur le moyen le plus sûr de s’en tirer.

 

On avait emmené Flora dans une chambre qui faisait plus du double de son appartement. Personne ne lui tenait compagnie, soucieux qu’ils étaient de ne pas entrer en contact physique avec elle. Mais deux servants - elle les reconnaissait maintenant grâce à leur tenue beige et à leur bracelet fait de rubans - vinrent lui porter une caisse entière de livre, qu’elle ne put lire faute d’en connaitre la langue.

Le roi lui avait expliqué que la bibliothèque était prise, et qu’il ne pouvait l’y faire emmener avant la cérémonie. Comme elle devait également rester sans contact et sans manger, il lui avait été proposé de rester dans ses appartements ce qui, après réflexion, lui convenait très bien.

Elle remarqua avec soulagement le petit tas que formaient sur son grand lit les vêtements qu’elle portait en arrivant ainsi que le sac. Avec un petit cri de plaisir, elle avait, à son arrivée, retrouvé son chat qui semblait avoir pris ses aises dans les quartiers qui lui étaient réservés. Quelqu’un avait pris soin de lui, et elle s’en voulu beaucoup de ne pas y avoir pensé plus tôt. Néanmoins, on ne lui permis pas de rester avec avant que la cérémonie ne s’accomplisse. Il partit donc dans les bras d’un énième servant, et Flora se retrouva seule.

Fouillant dans les affaires qu’elle avait pris soin d’emmener, elle trouva la pochette de tissu bleu, cousue par sa mère. Une pile de lettre ficelée dans de la corde en tomba, ainsi que des photos. Un carnet de croquis et un crayon suivirent, et Flora chercha dans la poche de ses vêtements le collier qui l’avait tant empêché de dormir des années auparavant. Son contact froid la fit frissonner, et elle le teint à bout de bras, observa les ondulations du soleil autour des deux moitiés enfin unies.

Qu’aurais donné sa mère pour retrouver la moitié ? Aurait-elle guéri si elle l’avait obtenu ? Aurait-elle adoré son enfant, bien qu’elle n’eut la capacité de lui rendre son sourire ?

Hermès avait donné ce bijou à Eric. Que savait-il de sa provenance ? Et si …

— Flora ?

Celle-ci sursauta, comme prise en faute. Eric entrebaillait la porte de ses appartements, les sourcils froncés. Elle ne l’avait pas entendu frapper.

— Entre. Excuse moi, j’étais ailleurs.

Il referma la porte derrière lui, et se tint à distance respectable de la jeune femme en prenant place à une table. Il semblait satisfait de la trouver entière et en meilleure forme.

— Je venais te voir avant la cérémonie. Tu sais que tu ne peux pas toucher d’être vivant, mais je me suis dit que tu devais te sentir un peu seule.

Flora sourit. Elle n’avait pas pris le temps de l’observer en détails, ni de le remercier sincèrement de lui avoir sauvé la vie. L’éclat doré dans ses yeux n’était nullement atténué par la lassitude qu’on y lisait pourtant. Ses traits tirés et sa mise froissée n’enlevait en rien un charme indicible. Elle se sentit soudain toute petite à côté de lui, comme si sa prestance prenait toute la place dans la grande pièce.

— Eric, je voulais… Je voulais m’excuser de ne pas t’avoir facilité la tâche quand tu es venu me voir… Et, te remercier de m’avoir sauvé…

Elle se mordit la langue d’être incapable de présenter des excuses et des remerciements convenables. Eric haussa les sourcils.

— Je t’en prie Flora. Je te l’ai dit, il n’est pas question que tu traverses tout cela seule. Je resterai auprès de toi autant que possible, même si je doute qu’il me soit permis de t’accompagner en permanence.

— De quoi tu parles ? risqua la jeune femme, incertaine.

Eric se passa la main dans les cheveux, et Flora reconnu là un signe de nervosité décidément universel. Il finit par soupirer.

— Tu seras formée à maitriser les pouvoirs que t’offriront les Reliques, entre autre. Certains sont plus disposés que moi dans ce domaine. Il est normal que tu t’instruises auprès d’eux.

— Mais je ne veux pas y aller sans toi ! répliqua Flora en se levant à moitié. C’est toi qui a renvoyé ce type d’où il venait, ce monstre, Granyel !

Eric sourit gentiment, de la manière que l’on réserve aux enfants trop enthousiastes.

— Oui, et ce que j’ai fait n’est rien comparé aux capacités de beaucoup d’autres. Moi, mon rôle est différent. Je t’avais dit que j’étais une réincarnation aussi, non ?

C’était vrai. Flora l’avait complètement oublié.

— Et bien, reprit-il, on fera appel à moi quand les tensions seront trop élevées. Je suis là pour les apaiser, même si je dois avouer - continua-t-il en riant - que ça n’a absolument pas marché avec toi !

Sans comprendre, elle le vit se lever et s’approcher d’elle, pour mettre un genou au sol près du lit. Il reprit.

— Moi, j’incarne Eros. Je suis celui qui accompagne Gaïa.

Flora cligna des yeux, interdite.

— Tu… Tu es… Eros ?

Elle se souvint alors de la fois où elle l’avait rencontré, au Louvre, alors qu’elle observait et s’apprêtait à copier la statue de Canova. Eros et Psychée.

— Je ne suis pas le Eros auquel tu penses, fit-il comme s’il lisait encore ses pensées. Je suis celui qui accompagne la Gardienne, car rien ne peut être créé sans l’Amour.

Les paroles du roi lui revinrent alors en mémoire. Les capacités qui lui seront confiées ne pourront être sagement utilisées que si elle était pleinement éveillée. Ou peut-être voulait-il dire qu’il lui faudra être consciente de la valeur de ses actes ?

Dans le regard de celui qui l’avait guidé du mieux qu’il pouvait, Flora lisait un profond respect, un courage et autre chose encore. Il n’aspirait qu’à faire ce que son incarnation attendait : préserver un équilibre sain.

Au loin, ils entendirent un chant mélodieux s’élever des jardins. Ils se regardèrent un instant sans comprendre, puis se levèrent précipitamment. Les fenêtres des appartements de Flora donnaient en partie sur les berges du lac bleu, et ils y virent une procession de femme chanter et marcher au bord de l’eau. Leurs bras soulevaient des paniers, dont ils ne pouvaient voir le contenu. Le soleil commençait à disparaitre sous les branches les plus basses, et une couverture sombre rejoignait petit à petit la colonne mélodieuse.

— C’est l’heure, déclara Eric.

Flora frissonna. Voir l’obscurité s’abattre sur le lac la perturbait, mais la voix d’outre-tombe de son voisin la remuait davantage. Eric observait la procession avancer, puis disparaitre petit à petit. Flora le vit serrer le poing et prendre une profonde inspiration. Elle sentait son stress et la tension qui nouait ses épaules. Il se tourna vers elle, et s’étonna de la trouver en train de l’observer. Il soupira.

— Je ne suis guère convaincant n’est-ce-pas ? Tu dois penser que je te serai d’un piètre secours…

Mais Flora sourit en secouant la tête.

— Non, murmura-t-elle. Au contraire, je me disais que j’avais de la chance de t’avoir.

Un soulagement perceptible gagna Eric, et il fini par sourire à son tour.

— Je ne peux pas te tenir la main. Mais je l’aurai fait si je le pouvais. - Il s’éloigna de la fenêtre après un court instant, et lui fit signe de le rejoindre. - Viens, Flora. Je pense que nous pouvons descendre.

Flora observa une dernière fois les eaux bleues, espérant y trouver les mêmes volutes qu’elle y avait vu plus tôt. Mais la surface lisse et régulière ne lui montrait absolument rien. Elle se détourna et rejoignit Eric qui lui ouvrait la porte.

— Que va-t-il se passer ? Je n’ai pas eu le temps d’en savoir plus.

Ils avançaient dans les couloirs éclairés par les derniers rayons du crépuscule et les lampes qui crépitaient à leur passage.

— C’est la première fois que j’y assiste tu sais ? Comme tous les autres d’ailleurs. Je sais que tu vas recevoir l’une des Reliques de Gaïa, tout comme Gabrielle en recevra une de Rhéa. Il y aura surement un discours j’imagine… Mais je ne sais pas encore qui sera présent.

Flora sentait son estomac vide trembler à chacun de ses pas, et la tête lui tournait.

— Et après ?

Ils descendirent un long escalier, au bout duquel une petite dizaine de personne s’était déjà rassemblée. Ils s’arrêtèrent ensemble au milieu de leur descente, et Eric se tourna vers elle.

— Et après, on prie pour que tout se passe bien.

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Xendor
Posté le 03/05/2020
Coucou,

Ah ! On voit que Gabrielle a des idées en tête ! Je trouve cependant qu'elle est bien sure d'elle-même. La façon dont elle s'est plongée dans les bains, comment elle ne sourcillait pas à se présenter nue devant autrui. Cela témoigne d'une grande force de caractère, voire trop ^^ Pour le coup je préfère Flora. Elle est beaucoup plus humble, gentille, bref plus humaine en fait.

Je soupçonne Gabrielle de vouloir empêcher de disparaître complètement et laisser place à Rhéa. Elle est trop forte tête pour se laisser fondre dans "un esprit Supérieur".

C'est pourquoi je trouve Flora bien plus intéressante 🙂 Sa faiblesse de caractère apparente dévoilera peut-être une autre façon de composer avec celle qu'elle va accueillir autrement que par le sale caractère.

Sinon je suis content de voir que quelques hommes de la mythologie soient des gentils. Enfin j'ai eu l'impression avec Hadès que c'était très relatif. 😅

Gros courage pour la suite 💪Hâte de découvrir la cérémonie !
Lucchiola
Posté le 20/05/2020
Hey ! J'ai toujours un temps de retard. J'espère que tu ne m'en veux pas de répondre en décalé, mais je te jure que j'ai pas beaucoup de temps... En tout cas tes commentaires m'enchantent littéralement !

Pour Gabrielle, tu as raison. Elle est aux antipodes de ce que représente Flora à l'heure actuelle. Elle le sait et elle en joue. Elle gérera ses Reliques à sa manière, et c'est vrai qu'elles évolueront en s'analysant de loin toutes les deux !

Des gentils dans la mythologie, il y en a si tu arrondis les angles XD
ludivinecrtx
Posté le 03/05/2020
Re ;).

Et bah dis donc j'aime toujours autant ce Eric, vraiment. Par contre Gabou est toujours aussi spéciale on va dire !! Et Hadés est là tranquille !!

J'aime bien cependant la relation Gabrielle/Hermés on sent de plus en plus qu'il y a un 'truc' entre eux et on a hâte de découvrir quoi.

Oui Flora, reste qui tu es c'est important pour la suite ;).

Par contre Eric tu fais flipper...On prie pour que tout se passe bien... lol

Sinon toujours bien décrit, les décors on l'air magnifique ;)
Lucchiola
Posté le 20/05/2020
Je viens voir tous mes commentaires en retard ! (le temps d'une pause tu sais !)
Notre Gaby nationale est bien spéciale hein ? Un peu atta-chiante XD

Quelle est la limite de la relation entre elle et Hermès ? Ou plutôt, où est le cadre ? O.o
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