Partie I

16 septembre 1942, URSS

J'ai trouvé ce carnet dans l'immeuble où nous dormons ce soir. Plus exactement, je l'ai trouvé abandonné sur un bureau collé contre le seul pan de mur laissé intact par le bombardement de nos avions de la fin août.

Nous ne sommes à Stalingrad que depuis deux jours, et déjà les pertes humaines sont énormes. Les Soviétiques sont acharnés, et ils ont l'avantage de connaître la ville. Ils s'embusquent sur les toits ou aux coins des rues et nous canardent.

Maintenant que nous sommes dans la ville, on peut penser que le plus gros est fait. Je l'espère, du moins. Pour mémoire, le 14, notre division a percé les défenses soviétiques. Nos objectifs étaient de couper tous leurs points de ravitaillement ; la gare centrale et le débarcadère sur le fleuve -la Volga, il me semble. On n'a été arrêté que par le corps de garde. Un peu plus, on atteignait leur centre de commandement et tout aurait été fini.

Depuis on s'enlise dans des combats sanglants. Mon unité est censée prendre la gare. Ce matin elle était presque à nous, ce soir ce n'est plus le cas. Il faudra recommencer demain matin, et peut-être encore longtemps. On n'a pas vraiment dormi depuis notre entrée dans la ville, donc on a eu le droit de se réfugier dans une cave pour y passer la nuit. Pas sûr qu'on soit nombreux à fermer l'œil.

Le pire, c'est de tomber sur des civils, quand ils sont armés. La situation est si désespérée pour eux que tous les habitants ont été réquisitionnés pour la bataille. Il paraît que la dernière ligne de défense anti-char, qui n'a pas suffi à nous arrêter, cela dit, était tenue par des femmes. On a retrouvé leurs cadavres dans les ruines. Les civils sont bloqués ici et ceux qui n'ont pas été ensevelis sous les décombres font peur à voir. Ils résistent en se planquant dans les caves ou dans les bâtiments encore debout. Quand on les trouve, les officiers les font exécuter en représailles, pour les décourager. Pour le moment la méthode n'est pas très efficace.

 

17 septembre 1942, Stalingrad

Pas eu le temps de finir hier. L'artillerie a repris son pilonnage au milieu de la nuit et ça tombait juste à côté. On dormait par tranches de quatre heures, à tour de rôle. Autant dire que ça n'a pas été une nuit reposante.

Les combats ont repris dès le lever du jour. Encore une bataille sans fin pour des bâtiments déjà pris hier. S'il faut conquérir toute la ville de cette manière, on ne va pas tenir.

 

18 septembre 1942, Stalingrad

Chaque jour qui passe, je me demande comment j'ai pu faire pour ne pas être touché par les balles qui pleuvent. À croire que les réserves de cartouches et de soldats soviétiques sont infinies. Ce qui est sûr, c'est que les nôtres ne le sont pas. Il est impossible de compter tous les camarades déjà tués. On est parfois obligés de laisser les corps sur place.

La première nuit, dans la cave, un gars du régiment m'a vu écrire et m'a demandé ce que je faisais. J'ai dit que je voulais que les générations futures connaissent le déroulement de la bataille. Je crois que ma réponse lui a plu. On n'a pas vraiment le temps de parler, mais il m'a toujours semblé être un brave type. Je me demande ce qu'il a fait avant d'atterrir ici.

On se demande tous pourquoi on a atterri ici, je pense.

Bref, il sait que j'ai une famille, là-bas en Allemagne, et il m'a dit que s'il survivait et pas moi, il essaierait de le leur transmettre. Je ne suis pas certain qu'il y arrive. Peut-être que c'étaient des paroles en l'air, une forme de soutien pour se redonner du courage.

Il se peut que les Russes nous aient jusqu'au dernier. Ils sont beaucoup trop acharnés pour se rendre. Ils savent que leur pays ne s'en remettrait pas. Nous contrôlons la moitié de leur territoire européen, et plus à l'est, c'est le Caucase et la taïga de Sibérie, où ils ont mis leurs goulags.

Les Allemands ont les Lager, et les Soviétiques les goulags. Idéologies différentes, mêmes méthodes.

 

20 septembre 1942, Stalingrad

Après ce que j'ai écrit il y a deux jours, je ne suis plus tranquille avec ce carnet. Je ne pensais pas, en le commençant, arriver aussi vite à comparer les deux camps sur ce point. Pourtant je ne le regrette pas.

Depuis qu'on est petits, on nous apprend la grandeur et la supériorité de l'Allemagne sur les autres nations, et on y croit, parce qu'à part le nazisme, aucune politique n'était parvenue à redresser le pays. On se dit que s'il faut sacrifier (ou massacrer) des millions de gens pour y parvenir, ce n'est pas si grave, parce que nos enfants pourront grandir sans avoir honte d'être Allemands, et que si l'URSS chute grâce à nous, ils régneront sur le plus grand Empire de l'Histoire, et même le sacrifice des soldats obtiendra alors réparation.

J'étais en France, et j'ai vu ce grand pays ployer et courber la tête en quelques semaines, accepter son joug en silence. On aurait pu rester là-bas, ce n'aurait pas été un boulot difficile ; à la place, on a envoyé le régiment conquérir l'Est, et depuis les morts sont des centaines et des régions entières sont dévastées. La ruine de l'agriculture et de l'industrie communiste a commencé et finira dans le sang.

Quand on a faim, qu'on ne peut pas dormir parce que les Russes attaquent de nuit quand les avions ne peuvent plus voler, et qu'on est si proche du soldat ennemi qu'on lit sa peur et sa détermination dans ses yeux et qu'il lit la même chose dans les nôtres, on ne pense plus à la grandeur du futur Empire. On pense que si on ne tire pas en premier l'autre va le faire, et qu'on ne sera plus qu'un mort parmi des milliers. Alors on tire, et même si parfois on croit qu'on a abattu tous les régiments, le lendemain une foule de nouveaux soldats ont traversé la Neva pendant la nuit et il faut recommencer.

Et même si on est plus nombreux, qu'on a plus de chars et plus de canons, que ce sont nos avions qui patrouillent au-dessus de nos têtes, cette arrivée incessante de Rouges tout frais nous empêche d'avancer vraiment. Nos nouvelles recrues sont dispersées partout. Stalingrad est bien trop loin de l'Allemagne pour qu'ils puissent arriver à temps si la situation l'exigeait. On le sait tous ici, et c'est pour ça qu'il nous est impossible d'abandonner.

 

22 septembre 1942, Stalingrad

Enfin le débarcadère est pris. Petit à petit, on coupe tous les accès de la ville aux Rouges. Ils finiront bien par se rendre. Il nous reste pourtant encore beaucoup à faire si l'on veut conquérir la ville entièrement.

Le débarcadère est pris, mais les pertes humaines sont énormes. Ce sont des unités entières qui disparaissent chaque jour dans les deux camps. L'épuisement est perceptible partout. J'en ai presque oublié ce que signifiait le mot der Schlaf : le repos.

 

30 septembre 1942, Stalingrad

Un tiers. Il ne reste plus qu'un tiers des hommes de la 71. Infanterie-Division.

Un tiers, ce n'est plus assez pour mener l'assaut, à ce qu'il paraît. Jusqu'à nouvel ordre, les survivants sont chargés de la défense du secteur sud de la ville.

Je n'irai pas jusqu'à dire que ce sont des vacances – loin de là. Mais enfin, patrouiller, ce n'est pas la même chose que d'aller en première ligne contre les Soviétiques.

Franz, le curieux aux belles promesses, s'en est tiré aussi, par un quelconque miracle.

Espérons que le reste de la bataille soit moins long et moins coûteux en vies humaines.

 

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ClaraDiane
Posté le 22/10/2022
J'ai commencé cette histoire, qui avait l'air originale puisque du point de vue allemand, et intéressante, mais je crois que je n'irai pas au bout >< pas à cause de l'écriture attention ! Je trouve le texte clair, mélange de faits anesthésiés et d'émotions - mais à cause du sujet. Tout ça pour dire que j'apprécie beaucoup la forme même si je ne souhaite pas continuer ma lecture !
ClaireDeLune
Posté le 23/10/2022
Je comprends tout à fait, le sujet n'est effectivement pas facile. Merci quand même d'avoir essayé et du compliment sur le style !
Fannie
Posté le 25/06/2018
Coucou ClaireDeLune,
Mes souvenirs de l’école étant vagues et lointains, je ne vais pas commenter l’aspect historique de ton texte.
Je dois avouer que je ne comprends pas le rapport entre le titre et le récit. C’est probablement une allusion à des choses dites à tes cours…<br /> C’est un journal écrit par un soldat, il peut donc être imparfait du point de vue du style. Mais il y a des petites choses qui rendraient la lecture plus fluide.
Coquilles et remarques :
par le bombardement incessant de nos avions [la mention « incessant » me semble étrange ; les bombardements ne peuvent pas continuer si une partie de l’armée se trouve dans la ville.]
Un peu plus et on atteignait leur centre de commandement et tout aurait été fini. [J’éviterais de mettre deux fois « et » dans la même phrase ; le premier peut être remplacé par une virgule.]
ce soir ce n’est plus le cas et il faudra recommencer demain matin, et peut-être encore longtemps [Même remarque ; je mettrais un point-virgule ou même un point après « ce n’est plus le cas ».]
la dernière ligne de défense anti char [antichar]
je me demande comment est-ce que j’ai pu faire [Je propose : « je me demande comment j’ai pu faire ».]
A croire que les réserves [À croire ; les accents ont pleine valeur orthographique, c’est pourquoi l’Académie française et Grevisse recommandent de les mettre également sur les majuscules.]
que les générations futures sachent le déroulé de la bataille [le déroulement ; voir ici : http://www.academie-francaise.fr/deroule-pour-deroulement / je mettrais « connaissent » plutôt que « sachent »]
Ils sont beaucoup acharnés pour se rendre [peu clair : ils se sont beaucoup acharnés ? Ils sont trop acharnés pour se rendre ?]
Nous contrôlons la moitié de leur territoire européen et plus à l’est c’est le Caucase [J’ajouterais une virgule avant « et » et une autre avant « c’est ».]
Fannie
Posté le 11/12/2019
Coucou ClaireDeLune,

Il y a si longtemps que j'ai commenté cette histoire que j'ai tout relu.
Comme un de mes commentaires a disparu lors du déménagement ou quand tu as réorganisé ton texte, je reviens sur cette partie, depuis « 20 septembre 1942, Stalingrad ». J'ai tenu compte de tes corrections.
Dans ce passage, on sent la lassitude qui gagne du terrain, ainsi que cette impression que tous les efforts déployés par les soldats allemands sont vains, que chaque petite conquête est un éternel recommencement.
— Je ne pensais pa,s [La virgule s’est glissée avant le « s » au lieu de le suivre.]
— et depuis les morts sont des centaines et des régions entières dévastées [Je propose « les morts se comptent par centaines et des régions entières sont dévastées ». Mais si tu veux vraiment garder ta formulation, il faut mettre une virgule après « entières » pour signaler l’ellipse du verbe.]
— Nos nouvelles recrues sont dispersées partout ; [Il faudrait un point à la place du point-virgule.]
— -loin de là. [Ici, il faudrait mettre un demi-cadratin.]
ClaireDeLune
Posté le 29/12/2019
Coucou Fannie ! Je ne pensais pas te revoir par ici... Merci pour les corrections et retour, je m'occupe de ça de suite !
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