Partie 4

À son arrivée au commissariat, aucun café n’attendait Élisabeth sur son bureau. Boisseau n’était visible nulle part. Elle accrocha son manteau à la patère, là où aurait déjà dû se trouver la veste de l’inspecteur. Il ne l’avait pourtant pas prévenue de son absence.

Elle alluma l’ordinateur et alla faire un tour à la machine à café, auprès de laquelle se rassemblaient certains des agents de la veille et leurs collègues de la nuit. Ils se turent subitement à sa vue.

– Christophe va bien, leur dit-elle. Les médecins l’ont gardé en observation pour cette nuit mais il pourra sortir aujourd’hui.

– Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

– Hallucinations suite à une blessure infectée.

Ils ne parurent pas convaincus. Elle se versa un gobelet.

– Au fait, l’un d’entre vous a-t-il eu des nouvelles de l’inspecteur ?

Ils se regardèrent.

– On ne l’a pas vu ce matin… et il n’a pas appelé non plus.

– Peut-être qu’il est malade, proposa quelqu’un.

Elle hocha brusquement la tête. Il n’y avait pas d’autres solutions.

– Si vous avez des nouvelles, prévenez-moi.

Elle retourna à son bureau. Boisseau n’avait pas laissé de messages sur le fixe ni sur son portable pour prévenir de son absence. Il ne répondait pas non plus à ses appels.

Dans les couloirs, on parlait des prédictions de Pradier, mais, comme le matin, on se taisait à son approche. Arrivée à la fin de la journée, elle faillit crier sur Martin qui lui demandait où était rangé le dossier d’autopsie du petit. Elle décida alors qu’il était temps de rentrer à la maison.

Enfilant son manteau, son regard tomba sur le bureau inoccupé de l’autre côté de pièce. Elle ouvrit les tiroirs les uns après les autres. Premier tiroir, un paquet de chewing-gum, un carnet de chèque vide, un bloc-notes neuf. Deuxième tiroir, plusieurs stylos estampillés Police Nationale piqués à l’accueil et d’autres fournitures de bureau, le double de ses clés. Dernier tiroir, fermé à clé et ouvert au passe-partout, son arme de service, les deux [trois ?] chargeurs réglementaires. Elle la sortit. Déchargée, comme elle s’y attendait. Il ne voulait pas prendre le risque que les types qu’il ramenait parfois chez lui la trouvent, lui avait-il expliqué un jour. Elle la reposa dans son tiroir qu’elle verrouilla. Tout semblait normal. Mais il n’avait pas prévenu… Prise d’une inspiration subite, elle récupéra le double des clés.

La nuit tombait lorsqu’elle sortit du poste. Un dernier appel à Boisseau tomba sur répondeur. La marche la réchauffa.

Il habitait un deux-pièces à l’avant-dernier étage d’un immeuble ancien. La porte d’entrée massive donnait sur un hall tout en longueur bordé de boîtes aux lettres. Elle grimpa les marches à toute allure. Elle trouva son nom sur la sonnette. Personne ne vint ouvrir.

Elle batailla un instant contre la serrure, qui finit par céder. Elle ouvrit la porte.

Le froid la saisit. La fenêtre de toit était restée ouverte. Depuis combien de temps ?

Elle referma la porte derrière elle, repoussant la panique qui montait. Au-delà du froid, la pièce donnait l’impression d’avoir été abandonnée précipitamment. Juste à côté de la table s’étalait une flaque verdâtre, dont l’odeur acide avait depuis longtemps été dissipée par l’air glacial. Elle repoussa la panique, s’encrant dans ses réflexes. Elle parcourut l’appartement, prenant garde à ne rien toucher. Une casserole de pâtes non égouttées et depuis longtemps refroidies attendait sur la plaque éteinte. Le téléphone avait été oublié sur la table ; une lumière clignotante rappelait à son propriétaire les appels manqués, ceux de la commissaire et d’un certain Ismaël, qui semblait être son amant du moment au vu des messages. Dans la chambre, des affaires en désordre jaillissaient d’un tiroir ouvert.

Elle retourna dans la pièce principale, remarquant d’autres signes. Une chaise mal rangée. La table de travers par rapport au canapé. Les coussins de celui-ci en bataille. Une traînée de gouttelettes ressemblant atrocement à du sang, à proximité du vomi. Elle ferma les yeux, prit plusieurs longues inspirations. Elle n’avait plus rien à faire ici.

Elle sortit de l’appartement en fermant la porte à double tour et appela la procureure pour lui signaler la disparition de son inspecteur et demander l’intervention de la scientifique. Elle raccrocha après avoir donné l’adresse.

Une autre porte identique faisait celle à celle qu’elle venait de quitter. Elle sonna.

– Élisabeth Magnan, police judiciaire, annonça-t-elle en montrant sa carte à l’homme venu ouvrir. Je peux vous poser quelques questions ?

L’homme lui jeta un regard peu encourageant. Elle persista :

– Qu’est-ce que vous savez de votre voisin d’en face ?

– Pas grand-chose. Il est là depuis plus longtemps que moi. Quelqu’un s’est plaint du bruit ?

– Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

– Il y a eu tout un ramdam hier soir, tard. J’allais me coucher quand ça a commencé. J’étais surpris parce que j’avais entendu personne monter ou entrer. C’était comme si on baladait un meuble à travers l’appartement, et ils étaient au moins deux à discuter sans trop se soucier d’être discrets.

– De quoi ont-ils parlé ?

– Je sais plus. J’espérais dormir. J’ai pu que quand ils sont partis.

– Vous les avez entendu partir ? Quand était-ce ?

– Une heure plus tard environ, aux environs de onze heures du soir. On a fermé la porte à clé, et ensuite calme plat.

Elle quitta son témoin et sortit de l’immeuble accueillir l’équipe de scientifiques. Les heures qui suivirent furent consacrées à la recherche de preuves. Élisabeth nota les déclarations du voisin qui ne varia pas sa version. Elle s’évertua aussi à repousser les voisins qui venaient aux nouvelles. Enfin, on posa les scellés sur la porte et elle put rentrer chez elle, épuisée.

***

La nuit fur brève. Magnan se rendit au commissariat à la première heure rédiger son rapport. Elle l’envoya à la procureure et reçut en réponse l’ordre de ne plus s’occuper de cette affaire ; une équipe extérieure s’en chargerait à présent. C’était prévisible.

Elle se leva de sa chaise et alla se servir en café. Un petit groupe stationnait devant la machine. À son arrivée, le silence se fit. Elle se versa une tasse, sans que personne n’engage la conversation.

– Réunion dans cinq minutes, lâcha-t-elle.

Elle retourna s’enfermer dans son bureau, emportant la boisson brûlante.

L’annonce de l’arrivée d’une équipe parisienne à la réunion matinale déclencha une vague de chuchotements, assortis de regards hostiles dans sa direction, qui ne furent pas calmés par sa proposition de soutien psychologique pour les témoins des événements de la veille. Elle rétablit le silence et poursuivit. La routine devait primer.

Les agents quittèrent la pièce sans un regard en arrière, parlant entre eux. Une fois seule, elle détendit ses épaules douloureuses à force de se crisper et rassembla ses papiers. Une note l’attendait sur son bureau. « Et si Christophe disait vrai ? Vous seriez la prochaine. » Elle se laissa tomber dans son fauteuil. Le message avait été imprimé, difficile à retracer. On avait profité du bref instant passé à retrouver son sang-froid pour le déposer. Elle ne voulait pas savoir qui. Elle le passa à la broyeuse.

Elle sauta le déjeuner. Ses collègues de renfort étaient attendus en début d’après-midi. Ils furent à l’heure. Elle les reçut dans la salle de réunion avec les dossiers concernés. Le nouvel inspecteur, Heckmann, écouta attentivement son rapport et posa toutes les questions imaginables. Son adjoint prenait des notes et n’intervint pas.

La première étape de l’enquête les mena au bureau de l’inspecteur qu’ils fouillèrent avec application. Elle les observa en retrait. Les clés de l’appartement avaient déjà été versées aux pièces à conviction. La découverte de l’arme sembla plonger Heckmann dans la perplexité. Élisabeth dut expliquer plusieurs fois les raisons de sa présence.

Il claqua le dernier tiroir pour le refermer. Elle eut une brève pensée pour leur vieux mobilier fragile.

– Merci.

– Vous pouvez vous installer ici, si vous le souhaitez, proposa-t-elle.

Il accepta après quelques hésitations, s’installa et se plongea dans la lecture des dossiers.

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