Partie 2 : Des dessins plein les mains

Par Elka

1.

Roxanne tint jusqu'aux limites de la ville avant de baisser sa vitre. Un air chaud s'engouffra dans l'habitacle et donna à Callinoé l'impression de respirer. Il avait déjà le dos et les paumes moites, des lunettes de soleil sur le nez pour se prémunir des rayons et les pieds en train de bouillir dans ses baskets.

— Allons y, Alonso ! s'exclama Roxanne.

Il sourit et accepta quand elle brandit son téléphone pour mettre de la musique. Il avait fallu batailler encore un peu pour que leurs parents ne reviennent pas sur leur accord, prouver qu'il savait parfaitement conduire la vieille R5 grise qui prenait la poussière dans le garage, mais la route leur ouvrait ses bras de macadam. Une part de Callinoé s'en satisfaisait, ce qui le soulageait. Il détestait évoluer dans le Vide.

Avec sa sœur en train de chanter sur le siège passager et la douce odeur de renfermée de la voiture, il se sentait bien. C'était agréable, malgré la chaleur. Grisant, oserait-il dire.

Il devait admettre adorer cette vieille bagnole. C'était celle des vacances de son enfance. Tout lui rappelait avec nostalgie des trajets allongé sur la banquette arrière, les premières vagues miroitantes de la mer aperçues derrière la vitre, des sandwichs industriels dégoulinant de mayonnaise dévorés, des heures de Game Boy à orienter la console pour éclairer l'écran comme il fallait afin de voir le jeu.

De tout ça il restait des fils crachés par le trou où s’était un jour trouvé l'auto-radio, un vieux sapin sans plus d'odeur se balançant au rétroviseur avec une peluche de chat usé jusqu'aux moustaches, et une tache clair sur le tapis de sol arrière, souvenir d'un dégobillage en règle quand il avait sept ans ; c'était amplement suffisant. Callinoé avait l'impression que Roxanne et lui imprimaient déjà de nouveaux souvenir dans les tissus et le plastique.

— Hé ! Des chewing-gums !

Roxanne examinait le contenu de la boîte à gants. Callinoé grimaça.

— Ils datent de quand ?

— Bah, comme dirait papa « ça se périme pas ces trucs là ».

— Commencer nos vacances par une bonne diarrhée, quelle belle idée !

— Tu crois que ça file la diarrhée, des vieux bonbons ?

Il haussa les épaules, n'en sachant foutrement rien mais bien décidé à ne jamais ingurgiter le moindre aliment traînant dans le véhicule.

— Ahaha, ils ont fondus ! Regarde, Callie, c'est « the chewing-gum centipede » !

Elle agita l'amas de pastilles blanches et leur rire redoubla quand elle le lâcha involontairement et qu'il disparut par la vitre ouverte.

— Voilà qui résout notre problème ! déclara Callinoé.

— La vache, on avait l'intégrale de Cabrel en cassette, ou quoi ?

Avec son habitude de sautiller d’un sujet à un autre, elle avait replongé les mains dans la boîte à gants et en tirait plusieurs cassettes. Les trois-quart étaient des copies aux titres calligraphiés par leurs parents.

— Deezer va nous trouver une jolie compil', décida-t-elle en pianotant sur son téléphone.

— Oh mon Dieu, sauvez-moi.

— Tu adores Cabrel. Ah tiens, Justine nous souhaite bonne route ! Aha elle est con !

Roxanne rattacha ses cheveux pour qu'ils arrêtent de lui battre les joues et tapota une réponse manifestement enthousiaste. Durant quelques secondes, il n'y eut que le « clic » électronique de son téléphone à chaque lettre, et Callinoé savoura le grondement des véhicules sur la route. Il savait qu'elle ne parlerait pas comme ça tout du long, mais comme il n'était pas doué pour la conversation, il fallait avouer que la verve de sa petite sœur l'arrangeait et l'amusait.

Il lui jeta un œil. Elle avait coulé dans son siège, la ceinture passant sur sa gorge plutôt que sa poitrine. D'ici peu, elle se déchausserait et allongerait ses pieds sous le pare-brise. Elle paraissait avoir oublié la musique et menait une petite discussion avec son amie. D'un geste absent, Callinoé vérifia la présence de son portable dans sa poche. Il n'avait pas vibré. Comparé à sa sœur, il ne recevait pas trop de messages.

Il s'ordonna de penser à autre chose. Ce genre d'accès de « jalousie », c'était comme le Vide : inutile. Ces pensées lui venaient de plus en plus, malheureusement. « Est-ce que je suis vraiment heureux ? » « Est-ce que je compte assez pour quelqu'un ? » « Est-ce que je suis indispensable ? »

Bien sûr que non. Personne n'était réellement indispensable, mais on se plaisait à le croire, à l'espérer. Callinoé songeait que Roxanne était indispensable à Justine, vu le temps qu'elles passaient ensemble et la fréquence de leurs messages et rendez-vous. Leurs parents étaient indispensables l'un pour l'autre. Peut-être Baptiste deviendrait-il indispensable à sa sœur, un jour. Sa pote Tabitha était indispensable à sa petite-amie.

Il pouvait continuer la liste des heures durant, trouvant de plus en plus de raison d'exister aux gens autour de lui, et de moins en moins à lui-même.

Était-ce des pensées suicidaires ? Il n'en avait pas envie, pourtant. C'était juste... le Vide. Encore et toujours. Il se le visualisait comme le néant de l'histoire sans fin, une ombre rampante annihilant la moindre chose sur sa route.

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Dédé
Posté le 23/09/2019
Ce clin d'œil à l'IRL de cet été ! <3

Callinoé me fait tellement mal au cœur… Et de plus en plus, étrangement, je me retrouve en lui, en fait. C'est peut-être en partie pour ça que j'aime d'amour ton histoire. Mais j'espère qu'il lui arrivera plein de bonnes choses ! Plein, plein, plein !

Ce qui est beau, c'est que le frère et la sœur sont complices mais quelque part… ils sont en train de s'éloigner l'un de l'autre. Parce que Calli ne va clairement pas bien et que Roxanne ne le voit pas. Parce que Calli n'arrive pas vraiment à partager l'humeur (si l'on peut dire) de sa sœur. Et ça fait bobo au cœur quelque part.

Bon, plus sérieusement, j'attends maintenant la référence à la spatule et à la chartreuse. (je blague, pour détendre l'atmosphère xD)

A très bientôt pour la suite de ce road-trip !
Elka
Posté le 24/09/2019
Clin d'oeil parfaitement involontaire puisque j'ai écrit cette histoire bieeeen avant l'IRL (du coup, désolée, pas de Chartreuse ni de spatule xD)
Mow, alors si tu souhaites tout plein de bonnes choses à Callinoé je les souhaite à toi aussi <3

Merci Dé !
Dédé
Posté le 24/09/2019
Tu lis donc dans l'avenir des IRL PAennes ! J'en prends note ;)
El
Posté le 22/09/2019
Je ressens chez Callinoé depuis le début une certaine.... solitude. On arrive très aisément à s'identifier, que ce soit lui ou Roxanne, tu maîtrises très bien le mélange des registres, on comprend ce qu'il se passe tout en pouvant imaginer l'environnement dans lequel se déroule l'action sans avoir l'impression d'être noyée sous l'action.... que j'aimerais pouvoir faire ça !
Elka
Posté le 22/09/2019
Callinoé a un aspect solitaire, tu as raison. En tout cas il a un peu tendance à l'entretenir, ce qui n'est pas forcément une bonne idée.
Merci beaucoup pour l'ambiance. Tu noteras que pour ne pas noyer sous l'action je... ne mets pas d'action xD
El
Posté le 22/09/2019
Et bien cette non-action est très agréable, ça me détend ! xD
Rimeko
Posté le 21/09/2019
Coucou Elka ! C'est re-moi !

Suggestions :
"Il avait fallu batailler encore un peu pour que leurs parents ne reviennent pas sur leur accord [...] mais (maintenant ?) la route leur ouvrait ses bras de macadam." Je sais pas ça me perturbe sinon
"la douce odeur de renfermée (renfermé) de la voiture"
à orienter la console pour éclairer l'écran comme il fallait afin de voir le jeu" Alors, je chipote, mais : dans ces cas-là, le but n'est pas d'éclairer l'écran, au contraire XD
"une tache clair(e)"
"Peut-être Baptiste deviendrait-il indispensable à sa sœur, un jour. Sa pote Tabitha était indispensable à sa petite-amie." ... qui sont ces gens, je suis perdue :P

Bon, j'ai pas grand chose à dire de nouveau sinon... Les souvenirs liés à la voiture m'ont rappelé les miens, c'était mignon. Et j'aime bien aussi que ça parle de plus en plus du Vide et d'une sorte de dépression, c'est intéressant. (Et le parallèle avec l'Histoire sans Fin m'a rappelé l'IRL chez Lou, ce qui est tout bénéf' lol)
Elka
Posté le 21/09/2019
Baptiste c'est son collègue de la librairie (Tabitha j'ai hésité à la nommer mais comme je le dis c'est son amie, mais du coup Baptiste existe bien)
Oui quand on a maté l'Histoire sans fin je me suis dit que si quelqu'un lisait iel comprendrait la référence xD ça tombait bien
Olek
Posté le 21/09/2019
Coucou !
Me revoici après quelques temps sans internet !
Comme toujours, je vais procéder dans l'ordre du texte :
- "L'impression de respirer" me fait bizarre, ça donne l'impression qu'il respire pas vraiment^^
- J'aime "les bras de macadam" !
- Je ne comprends pas trop "une part de Callinoé s'en satisfaisait, ce qui le soulageait. Il détestait évoluer dans le Vide." Je ne vois pas le sens que tu donnes au vide avec un grand v. Et Callinoé se satisfait de quoi ? De la route ?
- J'aime les souvenirs liés à la voiture !
-Arg les chewing-gums !
- La pollution de la nature par lâche de chewing-gums qui fait rire, moi ça me fait plutôt grincer des dents... C'est quand même composé de dérivés du pétrole et prend en moyenne cinq ans à se décomposer...
- J'aime la blague de Justine sous-entendue seulement par le rire de Roxanne.
- ça se passe en quelle année ? Vu le "clic" des portables, j'aurai dit vers 2005 environ...
- C'est triste que Callinoé évalue l'amour que lui portent les gens par le nombre de sms reçus...
Encore des câlins pour Callie qui semble en avoir besoin malgré tout !
Et merci encore pour cette belle histoire !
Elka
Posté le 21/09/2019
Hello !
Hmm quand je parle du "Vide" je pensais au néant que je mentionnais au chapitre d'avant. Mais du coup je relirais, il vaut peut-être mieux que je dise clairement Néant, ou "sensation de vide"
Que tu ne me prennes pas pour une grosse pollueuse : je fais très attention à la pollution aussi, donc en soi c'est vrai que ce n'est pas drôle. Mais pour mes deux personnages en plein voyage et qui s'amusent, c'est différent. Je suis certaine d'avoir déjà ri de trucs pas drôles et pas géniaux juste à cause du moment et des gens.
Mais si l'impression est mauvaise, je peux toucher un mot sur la nature =)
J'ai pas bloqué d'années, c'est bien quand un texte est intemporel. Mais je pensais clairement à notre époque (donc 2018-2019), je connais juste encore des gens qui écrivent avec les sons du téléphone, et y en a un c'est le "clic" des touches. Il est même assez reposant ce son.
Merci pour tes retours <3
Liné
Posté le 11/09/2019
Tu manies très bien ce mélange entre tristesse, nostalgie et humour ! Le tout dans une ambiance réaliste et avec des personnages auxquels on peut très facilement s'identifier.
Je suis juste un peu paumée avec ta numérotation des chapitres : ce serait pas plutôt la partie 2 ?
Elka
Posté le 14/09/2019
Merci Liné <3
Et ARG oui, quelle erreur pourrie, c'est bien la partie 2 !
Rachael
Posté le 06/09/2019
Cet inventaire du contenu de la vieille voiture est poilant. Entre les vieux chewing-gums et les cassettes de Cabrel… C’est juste un peu nostalgique, mais avec le côté humoristique qui fait que ce n’est pas triste, même si les sentiments de calinoé dérapent vers l’apitoiement à la fin.

Détails
des sandwichs industriels dégoulinant de mayonnaise dévorés : un peu bancal, pourquoi ne pas enlever « dévorés » ? (on se doute bien qu’ils les ont mangés…) dégoulinants ?
une peluche de chat usé jusqu'aux moustaches : j’adore ! (usée plutôt ?)
Durant quelques secondes, il n'y eut que le « clic » électronique de son téléphone à chaque lettre, et Callinoé savoura le grondement des véhicules sur la route. Il savait qu'elle ne parlerait pas comme ça tout du long, mais comme il n'était pas doué pour la conversation, il fallait avouer que la verve de sa petite sœur l'arrangeait et l'amusait : pour moi il y a comme une mini contradiction entre les deux phrases, puisque dans la première on dirait qu’il est content que sa sœur se taise, et dans la seconde il est content qu’elle parle…
Elka
Posté le 07/09/2019
Je suis contente que cet inventaire t'aie plut ! Je me suis bien amusée avec <3
Je vois la contradiction que tu notes à la fin, je vais changer : il écoute plutôt qu'il ne savoure. Il n'est pas exactement content que sa soeur se taise (pas encore, du moins :p) mais le changement le dérange pas parce qu'il trouve du plaisir aussi dans le "silence".
Merci Rach, tes remarques sont précieuses !
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