PARTIE 2

Le lendemain, je retournais au bureau le cœur léger. Le soleil pointait ses rayons majestueux sur les visages ensommeillés des passants. L'air sentait bon. J'étais parti une demi-heure plus tôt de manière à pouvoir me rendre à pied à mon travail. L'expérience du bus me restait en travers de la mémoire. Je regardais le monde autour de moi. Rien n'était changé. Rien ne changerait. Les rues, les arbres, les gens, étaient comme d'habitude et ils le resteraient. Il n'y avait aucune raison pour que cela soit autrement.

J'en étais là de mes pensées, quand, levant les yeux, je me retrouvais face à l'entrée du magasin aux boîtes grises. La porte en était grande ouverte et une musique douce, filtrait à travers deux haut-parleurs situés de chaque coté des battants. L'établissement semblait vide. Je consultais ma montre. J'avais encore dix bonnes minutes devant moi et je n'avais qu'à traverser la rue pour me rendre à mon travail. Je pénétrais doucement et, aussitôt, la musique fit place à une voix de femme au timbre chaud et rassurant.

« Bienvenue dans notre magasin. Nous vous attendions. Vous trouverez ici tout ce que vous désirez y trouver. Voici la marche à suivre ; choisissez une allée, avancez parmi les rayons, arrêtez-vous à un étalage, prenez un carton, dirigez-vous vers la caisse, payez et sortez. Nous vous remercions de votre visite et nous espérons que vous en parlerez autour de vous… Joyeux Noël. »

Intrigué, je m’enfonçais dans une allée. De chaque coté, des centaines de cartons gris. Comme je l'ai déjà précisé, ils étaient rigoureusement identiques et rien, pas une étiquette, pas une information ne laissait deviner, même par un détail, la nature de leurs contenus. Dans ces conditions, comment faire un choix ?

Je pris un paquet au hasard et voulus l'ouvrir, mais je ne réussis pas. Il était comment dire... formé d'un seul et unique bloc. Complètement hermétique. De plus, il était constitué d'une matière plastique très résistante, et impossible à déchirer par la seule force des mains. Que pouvait-il bien y avoir à l'intérieur ?

Tous ces gens, que j'avais vu sortir en possession du paquet, le savaient-ils, eux ? Il n'y avait ni publicité, ni promotion. Le prix n'était même pas indiqué. Combien cela pouvait-il valoir?

Soudain, la réalité me secoua comme un prunier ! Neuf heures cinquante-huit ! J’avais tout juste deux minutes devant moi pour ne pas être de nouveau en retard. Je me précipitais vers la sortie, le carton encore dans les mains. A la caisse, une nouvelle surprise m'attendait en la personne de Mlle Rachel, l'ex standardiste. Nous avions toujours eu des rapports aimables, elle et moi, et la majorité des gens qui la connaissait, la trouvait tout à fait sympathique. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'avais été étonné de son renvoi. Elle me reconnut, et m’adressa un sourire radieux. Je n'avais malheureusement pas le temps de lui parler et je payais l'article sans me soucier du prix.

Avant de partir, je lui faisais, néanmoins, un signe amical de la tête, pour lui montrer que, moi aussi, je l'avais reconnue.

Je sortais en hâte et manquais même de me faire renverser par une voiture en traversant. J'arrivais pile, en même temps que M. Lebon et nous montâmes ensemble dans l’ascenseur. Très digne, emmitouflé dans une épaisse canadienne, le directeur regardait droit devant lui. Ses mains, gantés de cuir, serraient nerveusement une serviette marron clair. Sans échanger une parole, nous arrivâmes à destination. Je m'écartais pour lui laisser le passage, quand il remarqua le paquet que je tenais dans les bras. Il eut un mouvement de recul, leva rapidement les yeux sur moi, tandis qu'une légère grimace prenait forme sur sa lèvre supérieure. Cela ne dura que quelques secondes, et le visage du directeur reprit l’expression neutre qui lui était coutumière. Puis il disparut dans son bureau et s'enferma à clé.

A huit heures, je rentrais chez moi. Le soir, alors que je cherchais à me divertir avec un organigramme-télé éducatif, mes pensées se mirent à flotter et, sans savoir pourquoi, elles se dirigèrent vers la jeune femme des rêves. Presque aussitôt, j'entendis un bruit sec et aigu, un crépitement...

Je cherchais des yeux l'origine de ce bruit, quand je sus, de manière évidente qu'il provenait de mon étrange acquisition. Le cube, car il ne s'agissait décidément pas d'un vulgaire paquet, vibrait de manière imperceptible. Le son devint plus uniforme toujours dans les mêmes tonalités, mais plus harmonieux... comme une mélodie. En même temps que le son se transformait, le cube fut envahi par une lumière froide qui semblait venir de l'intérieur. Une énergie intense dont le foyer était le centre du cube. Comme s’il avait été découpé au laser, le cube se sépara en deux, laissant jaillir des rayons lumineux. La pièce était noyée de lumière. Lentement, les rayons se concentrèrent en un point précis, jusqu'à former une boule incandescente qui tournoyait dans l'espace. Le phénomène était déjà assez fantastique pour que je reste immobile, les yeux fixe, incrédule, quand la structure de la boule changea, se transforma. Elle s'étira, lentement, jusqu'à prendre forme humaine... la forme d'une jeune femme. Le rayonnement s'amenuisa, absorbé par le corps en composition, et mourut. Le transfert moléculaire - je ne voyais pas ce que cela aurait pu être d’autre, en tout cas, mon esprit n'aurait pu le concevoir - était achevé.

Devant moi, semblable en tout point à mes rêves, se tenait l'inconnue aux yeux verts. Elle était sortie du néant pour me rejoindre.

Elle semblait épuisée, comme après un long voyage. Sa peau était luisante et l'on pouvait encore apercevoir les reflets humides de son passage à travers la matière. Cela peut paraître insensé, mais je n'étais pas très surpris. A la lueur des derniers événements, ce n’était qu'un épisode supplémentaire d'une histoire déjà bien complexe. Elle était devant moi, vivante, en chaire et en os, sortie de nulle part. Ça, c'était la réalité !

J'allais chercher mon manteau pour la recouvrir, car elle était nue. Je supposais que pour ce genre de voyage, les vêtements étaient superflus. Pas besoin de valise. J'étais moi-même étonné du sang-froid et, surtout, du cynisme dont j'arrivais à faire preuve dans une situation comme celle-ci.

Je jetais un œil sur le cube. Il avait repris son aspect originel, froid et impénétrable. C'était sans doute une de ces espèces de machines à téléporter dont la radio et la télévision ne cessaient de vanter les mérites depuis des mois. Le voyage instantané, la distance abolie, le prix insignifiant, etc. Etc. J'en étais arrivé à croire, comme bon nombre de mes concitoyens, que c'était une légende, une invention fabriquée de toutes pièces par ces messieurs les « scientifiques » afin de justifier les crédits fabuleux qui leur étaient attribués par le ministère, et surtout, afin de justifier leurs dépenses, non moins fabuleuses.

Il faut quand même savoir que, chaque citoyen, était tenu de verser une cotisation mensuelle - on ne disait plus Impôt - pour la F.I.R.D, Fédération Internationale de Recherches et de Découvertes. Cette organisation, avait été fondée en 1996, par Thomas H. Bernart, ancien président du parti libéral et actuel ministre des sciences et études. Si je prends le soin de donner ces détails, c'est que cet homme eut une grande part de responsabilité dans l'effondrement moral et social de milliers d'individus, et... de moi-même. A cette époque, la fondation employait plus de deux cents personnes régulières et près d’un millier de façon périodique.

Elle travaillait principalement sur la matière organique, la substance chimique et génétique. Elle était pourvue également d'un centre d'étude cosmologique et de plusieurs laboratoires en dehors de la ville, dont les entrées étaient jalousement gardées.

En attendant, la jeune femme s'était endormie sur mon divan, et je n'osais pas la réveiller. Je sentais que de toute façon j'allais bientôt connaître une partie du mystère qui entourait ma vie depuis déjà trois mois. Trois mois que je n'avais pas vu passer, qui avaient défilé comme un mauvais film sur l'écran de mon existence.

J'allais me coucher, avec dans l'esprit une farandole tourbillonnante de questions. Cette nuit-là, je ne dormis pas.

Au matin, je trouvais une femme radicalement différente. D'abord, elle avait pris une douche et sentait bon la fleur de rose. Ensuite, elle avait fouillé dans l'armoire où se trouvaient les vêtements de ma femme, et enfilé une robe rouge en toile de Coutrai et un gilet de flanelle blanc cassé    

J'eus un choc en la voyant ainsi. Je voulus protester pour son manque de correction mais l'expression de son visage, calme mais tendu, me stoppa. Elle dut s'apercevoir de mon trouble, car elle baissa les yeux et rougit.

Et, pour la première fois, j'entendis sa voix. Elle était chaude et grave. « Veuillez m'excuser de la liberté que j'ai prise, mais je ne pouvais décemment pas rester avec votre manteau sur les épaules. » J'avalais ma salive. « Vous avez parfaitement bien fait !.. Et d'ailleurs, je vous l'aurais proposé !

- Merci ! Dit-elle en me regardant fixement.

Et voilà ! J’étais de nouveau attiré par elle !.. Sauf que cette fois-ci, elle était devant moi, bien vivante. Mes mains étaient moites. J'avais chaud.

- Je comprends votre émotion, M. Bernart !...

Ces deux syllabes claquèrent dans mon cerveau et rebondirent en une multitude d'échos sur les murs de ma mémoire. Un flash, et l'image d'une machine immense et noire.

- Je comprends votre émotion, M. Polakov !

- Comment m'avez-vous appelé ?

- Je sais que vous vous posez des questions…

- Et l’une d’elles, et non pas des moindres, c’est votre présence ici.

- Je vais vous répondre... mais auparavant, j'aimerais que vous m'écoutiez attentivement.

Elle semblait hésiter.

- … ce que j'ai à dire, n'est pas facile. Vous avez certainement entendu parler de ce nouveau système de voyage à travers l'espace... tout le monde en parle...

-  Oui, le téléporteur.

- C'est cela, mais ce n'est pas un téléporteur. Elle parlait lentement. C'est un amplificateur d'ondes cérébrales et, plus particulièrement, des ondes ORELA ; Ondes de rêves latents. Elle scruta mon visage. Je sentais qu'elle attendait de moi une réaction.

- Cela devrait me dire quelque chose ?

- Vous ne vous souvenez vraiment plus de rien, une image, un visage ?

Elle me parlait comme on parle à un malade après une longue convalescence.

- Qui êtes-vous ? Demandais-je. J'ai l'impression de vous connaître !...

Je faisais des efforts pour me souvenir. Je savais que c'était important. Une partie de moi luttait pour émerger de la gangue d'obscurité qui m'emprisonnait.

- J'ai des visions quelquefois ! Je vous ai souvent vu au cours de mes rêves... est-ce que je suis encore en train de rêver ?

Elle respira profondément.

- A partir de maintenant, vous allez faire très attention à tout ce que je vais dire, et vous allez vous forcer à vous rappeler. D'accord ? Très bien...  Elle se leva et arpenta la pièce fébrilement. Elle cherchait visiblement les mots exacts pour exprimer au mieux sa pensée. Vous devez savoir que la plupart des humains utilisent moins d'un centième des possibilités cérébrales qui sont, dès leur naissance, en leur possession ? Cette formidable machine qu'est le cerveau humain a, de tout temps, fasciné les hommes. Chacun, à sa manière, a tenté d'en démonter le mécanisme, d'en connaître les rouages, d'en être le maître plutôt que le pitoyable élève. En cherchant à se dominer, à se contrôler, l'homme n'a réussi qu'à s'échapper à lui-même... mais il y a des hommes dont l'héritage génétique est beaucoup plus développé, beaucoup plus intense. Des hommes à l'intelligence supérieure...  des mutants en quelque sorte. Elle s'arrêta un moment pour donner plus de poids à ses mots. … L’un d'entre eux s'appelle Thomas H. Bernart.

Il y eut comme un frisson de l'air. La pièce me parut rapetisser.

- Cet homme, poursuivit-elle, était... est un dangereux utopiste ! Il a réussi, aux cours des années, à développer certaines de ses sensations au cœur de ses rêves, ce qui lui a permis de les vivre avec une acuité et une force qui l'ont rendu maître de son imagination. C’est ainsi qu’il s’est créé un univers psychique. Elle marqua une pause. Seulement, cela ne lui suffisait pas. Physiquement, il n'existait pas. Il n'était qu’une entité, capable d'agir virtuellement, sans plus. Il était condamné à rester sur le seuil de son propre monde. L'autre, celui où il vivait, lui était devenu odieux. Malgré des fonctions importantes au sein du gouvernement, il ne pouvait plus supporter d'être un élément parmi tant d'autres, un maillon dans la chaîne... il voulait le pouvoir absolu.  Elle arpenta de nouveau la pièce rageusement en se tordant les doigts. Il voulait être dieu et le pêcheur qui jouirait des avantages d'être dieu. L'enfer et le paradis à lui tout seul !  Elle eut un petit rire sec, nerveux. Pour aller encore plus loin, il enregistra, grâce à une machine de son invention, ses voyages. Puis, comme le décorateur de cinéma travaillant sa maquette avec précision, il modifia, arrangea son paysage à son gré. Il creusait une vallée par ici, dressait une montagne là, choisissait la couleur de son ciel, l'odeur de sa terre... il avait même imaginé la femme parfaite. Il ne lui restait plus qu'à descendre comme le messie, et profiter de ses biens.

J'étais tassé dans mon fauteuil, osant à peine respirer.

- Il était désormais convaincu d'être le créateur et, d'un certain point de vue, il n’avait pas tort ! Ce qui se passait dans son sommeil, était réel... sa réalité ! Mais il trépignait. Il n'était rien d'autre qu'un voyeur, un impuissant. Et puis un jour, il trouva la faille. Muni d'un appareil voisin de l'électroscope, il décela la présence d'une énergie qui se manifestait lorsqu'il dormait. Le cerveau, en activité, dégageait des ondes qui emplissaient sa chambre... les fameuses ondes ORELA. Capter et utiliser cette énergie, fut un jeu d'enfant pour un homme tel que lui. C'est là qu'intervint l'amplificateur. La construction d'une machine aussi importante, nécessitait l'emploi de matériels sophistiqués et d'une main-d’œuvre gigantesque. C'est ainsi que fut créée la FIRD. L'appareil mis au point, il s'y enferma et fut projeté dans son monde. Là, une surprise de taille l'attendait... il était... invisible, comment dire, sans consistance. Il traversait les murs, les gens comme un fantôme. Pourquoi ? Parce qu'il amenait avec lui un passé, une mémoire physiologique et physique qui n'avait pas cours dans cet univers. Il lui fallait un nouveau code, une nouvelle réalité génétique.

Elle se tut, se leva, s'approcha de moi et s'agenouilla près du fauteuil. Elle pris ma main et la serra très fort.

- Il s'implanta une mémoire neuve... effaçant la sienne en même temps ! Il choisit de devenir un homme sans prétention, ordinaire, un homme qui se révélerait aux yeux du monde ébahi, le prophète, l'intime de dieu, l'homme le plus puissant de l'univers. Un simple comptable... Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. ... Nommé Elmer...

- Taisez–vous ! criais-je, en sautant du fauteuil. Vous racontez n'importe quoi ! Vous délirez complètement !

- Mais en changeant d'identité, il changea aussi sa façon de rêver ! ... Ses grands yeux verts m'enveloppèrent d'un feu ardent. Il se retrouva dans un univers étranger, hostile, qu'il ne comprenait pas, qu'il ne contrôlait pas. Cela ne dura pas très longtemps. Les quelques bribes de souvenirs qui lui restaient s'évanouirent. L'implant qu'il s'était greffé était arrivé à maturité et il devint, irrémédiablement et pour l'éternité, Elmer POLAKOV, émigré russe et vivant en France depuis dix-huit ans.

Je voulus me lever, mais une force écrasante me fit retomber sur mon siège. Je ne voulais... je ne pouvais croire à l'histoire de cette femme.

Je n'étais certainement pas cet homme abject dont elle me parlait. Moi, je savais qui j'étais, d'où je venais... L'image de mes parents souriant un soir de Noël, des cadeaux à la main. Mon enfance à Moscou, le lycée, l'usine où travaillaient mon père et mon oncle, tous ces détails, je ne pouvais pas les avoir inventés ?! Je la regardais, cherchant la vérité au-delà de son regard. Elle avait baissé la tête et sanglotait doucement. Au travers de ses larmes le murmure de cette phrase... «... réveillez-vous, laissez-moi retourner dans mon monde... » et je ne pouvais rien faire pour elle. Je voyais bien qu'elle avait perdu l'esprit. Comment lui faire comprendre que je ne pouvais pas être un autre que moi ? Si elle avait pu être à ma place, elle aurait été convaincue.

Toutes ces années que j'avais vécu, elles étaient bien en moi, je les avais sentis couler dans mes veines secondes après secondes. Chaque palpitation de mon cœur...

Je la regardais longuement. «Rentrez chez vous à présent. Retournez d'où vous venez»

Elle pris sa tête entre ses mains et cria : Mais je ne peux pas ! Vous ne comprenez pas ! Nom de dieu, vous êtes en ce moment enfermé dans une machine qui ne s'ouvre que de l'intérieur, sans connaissance, le crâne bourré d’électrode, certainement avec un sourire béat au coin des lèvres, en extase et en vous foutant royalement de ce qui peut arriver à votre famille ou à vos amis ! Mais ce qui est le plus grave... Elle était rouge de colère. ... C'est que vous avez entraîné des gens étrangers à vos caprices dans cette aventure. Par la puissance de votre machine, vous les avez arraché à leur univers pour les projeter dans le vôtre... comme Mlle Rachel ou encore M. Lebon et ne me dites pas que vous n'avez jamais rien remarqué d'anormal depuis quelque temps ! Faites un effort pour vous souvenir, c’est important. Ne m’obligez pas à...

- Quoi ? Qu'est-ce que vous dites ? M. Lebon un homme de... du... mais de quoi vous me parlez à la fin !? Vous voulez me faire croire que je n'existe pas ! Que je ne suis qu'une illusion, que je fais partie d'un rêve que, dans un autre monde et sous une autre forme, je suis en train de vivre !

- OUI ! explosa-t-elle, c'est exactement ce que je suis en train de dire !

- Et bien vous êtes complètement folle ! Je me dirigeais vers le télé-vidéo. J'appelle la police ! On va vous enfermer et vous ne l'aurez pas volé. 

- Alors il ne me reste que ce moyen... excusez-moi.

Des plis de sa robe, où elle l'avait dissimulé, la lame d'un couteau jaillit. Elle fonça sur moi, pointe en avant cherchant ma gorge. La lame, s’enfonça à quelques centimètres à peine de mon cou déchirant le col de ma chemise. J'avais roulé jusqu'à terre, instinctivement, les coudes serrés le long de ma poitrine. Je n'avais pas le temps de réaliser, qu'elle était de nouveau sur moi. Son acharnement, la fureur de ses attaques, étaient tels que je compris qu'elle ne cherchait pas seulement à me tuer, mais à me détruire. Le second coup se ficha dans mon avant-bras droit qui se mit à saigner abondamment. D'une ruade, je réussis à me débarrasser d'elle alors qu'elle armait pour me frapper encore. La première chose qui me vint à l'esprit, c'était de fuir. Contre une telle furie, je n'avais aucune chance. Je jetais des regards désespérés autour de moi. Un verre qui traînait sur une table basse me servit de projectile, et dans le même temps je me ruais vers la porte d'entrée. J'entendis un sifflement et le couteau vint se planter dans le battant avec violence.

J'ouvris et me précipitais dans l'escalier. Deux mains aux ongles acérés s'enfoncèrent dans mon dos et me précipitèrent dans le vide. Par réflexe, j'agrippais une de ses mains, l’entraînant avec moi dans ma chute. Nos deux corps emmêlés bondirent sur les marches, glissèrent sur les rampes d'appui le long du mur en granit. Au milieu de notre dégringolade, j'entendis un craquement sinistre suivi d'un faible gémissement. En bas de l'escalier, à l'étage inférieur, nous fûmes stoppés par le mur du couloir. Une forte douleur me tiraillait le bras droit. Je regardais mon poignet. Celui-ci, s'était complètement retourné et faisait un angle bizarre avec mon coude. Quant à la fille, elle ne bougeait pas. Soudain, je sentis son corps se ramasser sous mes fesses, et devenir flasque et mou comme une baudruche qui se vide. Je l'examinais plus attentivement. Ses lèvres étaient devenues grises. Je la retournais et vis une grande trace bleutée le long de sa nuque. Je me relevais doucement. Ainsi, la jeune fille de mes rêves, celle que j ‘avais tant attendu, que j'avais tant cherché, dont j'étais tombé mille fois amoureux, gisait là, le cou brisé dans une cage d'escalier, les jambes et les bras désarticulés, jetée dans un coin comme une marionnette inutile. Je me mis à pleurer comme un gamin. Je pleurais, je ne pouvais plus m'arrêter de pleurer.

Je remontais péniblement l'escalier et vidéophonais au service de police en leur expliquant la situation, puis je redescendis près du corps en les attendant. Mais en bas, je ne trouvais qu'un petit paquet de vêtements vide recouvert d'une fine couche d'humidité.

 

 

Au cœur de la grande machine noire, Thomas H. Bernart, du plus profond de son inconscience, leva un bras et de l'index déverrouilla le système d’auto- destruction de l'amplificateur et pianota le code secret.

Son visage s'illumina.

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