Partie 1 : Eliott - Chapitre 2 : L'homme à la montre

Notes de l’auteur : J'ai conscience que ce chapitre n'est pas parfait mais j'attends vos commentaires et étant une éternelle perfectionniste il est possible que celui-ci évolue encore ! Bonne lecture :)

Malgré la fatigue excessive que j’avais accumulée ces derniers jours, je ne pouvais pas fermer l'œil. Allongé dans mon lit, regardant le lustre vieillot de mon plafond de bois se balancer de gauche à droite, j’étais songeur. Aileen était à côté de moi, elle lisait un livre sur son lit proche de la fenêtre. Elle jeta un œil sur moi, se rendant compte que je ne dormais pas elle ferma son livre. 

Qu’est ce qui te tracasse Eliott? 

Rien, j’ai juste du mal à m’endormir, je bois trop de café.

Depuis la ballade au port de l’autre jour ton esprit a l’air vraiment occupé, est ce que ça a un lien avec ce que tu crois avoir vu à Port Siava ? 

Je me dressais pour me mettre face à elle, pour lui affirmer que je n’avais pas rêvé c’était sûr, j’avais la certitude que cette dame était bien réelle. Je n’avais parlé de ma balade nocturne à personne, jusqu’à ce soir-là. Aileen était abasourdie; Après lui avoir affirmé que oui, tout était bien arrivé, elle prit un petit bol doré serti de petites pierres violettes. Elle était très douée pour tous les arts divinatoires, elle avait comme qui dirait un don. Bien sûr, ses prédictions n’étaient pas toujours exactes mais il y avait régulièrement une part de vérité. Elle alluma une bougie à la lavande et me pria de trouver certaines plantes que j’avais entreposées dans mes bocaux posées sur la grosse commode de la chambre. Elle broyait soigneusement des racines de mélèzes, des pétales de roses et des coquillages pour en faire une sorte de bouillie qu’elle ralongea à l’eau de pluie qu’elle gardait sur sa fenêtre. Sans trop savoir pourquoi, le mélange se mit à fumer, je la regardais perplexe, mais j’avais confiance. 

Respire la fumée.

Je senti mes yeux basculer vers l’arrière, et les mains de ma sœur se posèrent sur mes tempes. J’avais l’impression de regarder de haut une série de flash  d’appareils photos. Seules quelques images assez floues me venaient à l'esprit. Dans un premier temps je vis une jeune femme se jetter à la mer du haut d’une falaise, elle était vêtue d’une robe vieillotte semblable à celle de la dame du port. Je voyais ensuite, la lumière vive d’un énorme bateau à travers la nuit noire, le brouillard épais m'empêchant de discerner s' il s’agissait d’un bateau de la compagnie Herrington. Des personnes accostant les rives de Siavar, je ne voyais aucun visage, seulement quelques uniformes de cuir noirs avancer dans les rues portuaires d’un pas déterminé, la seule lumière dans cette pénombre venait d’étincelles sur le sol. La dernière image qui me vint à l’esprit était une rune, un symbole que je connaissais certainement mais dont il m’était impossible de retenir les traits. Ces images se répètaient en boucle dans ma tête, je sentais pourtant que Aileen en voulait plus. J’ouvris les yeux soudainement.

Elle ne te dit rien cette rune ? Tu ne l'as pas déjà vue quelque part ?

 J’essayais de creuser dans mes souvenirs. C’est vrai qu’elle me semblait familière mais je ne savais plus ni d’où ni pourquoi. 

Eliott, je crois que je sais. Demain matin on va aller jeter un œil au port je suis persuadée qu’on trouvera plus d’informations sur la dame que tu as vue.

Tu penses qu’on la reverra ? 

Je ne sais pas, mais fais moi confiance.

Qu'avait-elle donc en tête ? Je revoyais ces symboles tournés dans ma tête. De quoi s'agissait-il ? Et surtout a qui étaient ces uniformes noirs qu’on avait vue. 

Nous partions donc assez tôt dans la matinée, sans même expliquer à quiconque où nous allions.  Gréta nous regardait d’un œil draconien, elle savait très bien que Aileen détestait sortir sous la pluie, et qu’elle préférait rester dans la véranda ou sa chambre toute la journée. 

Je peux savoir où vous allez ? 

A la bibliothèque ! J’ai besoin de poser et reprendre beaucoup de livres et Eliott va m’aider à les porter ! 

Ne rentrez pas trop tard. Eliott, la dernière fois que tu n’es pas rentré assez tôt maman s’est fait un sang d’encre.

Je sentais bien que Gréta ne nous croyait pas, elle était loin d’être aussi naïve, inquiète, elle ne voulait vraiment pas être responsable si on attrapait froid ou si nous disparaissions par un temps pareil. Elle faisait clairement allusion à ma ballade nocturne d’il y a quelques jours, où j’étais rentré frigorifié et épuisé bien après mes parents. Nous nous mettions donc en route, il faisait très froid, le vent pénétrait dans nos mentaux sans jamais en sortir ne serait-ce qu’une seconde. C’était une météo assez usuelle à Siavar. Les nuages semblaient peser une tonne, il n’allait pas s’arrêter de pleuvoir de sitôt. Arrivés sur la place de Port Siava je jetais un coup d'œil à Aileen. Et maintenant? 

Maintenant on cherche des indices, je propose d’aller voir à la caserne où travaille maman, peut être que nous allons trouver quelque chose sur les runes ? Après tout, un port c’est ce qui accueille ce qui vient d’ailleurs.

Elle n’avait pas tout à fait tort sur ce point. Même si personne d’autre que les habitants de l’île n’entrait ou sortait, peut-être que ça n’avait pas toujours été le cas. Ce qui m’inquiétait moi en revanche, c’est que si nous croisions maman, il faudrait lui expliquer pourquoi en ces temps pluvieux nous ne sommes pas à la maison avec Gréta et Mabel. De plus, l'excuse des livres ne serait plus valable puisque nous ne serions assurément pas allés à la bibliothèque. Je dois avouer que je comptais bien sur Aileen et sa spontanéité légendaire pour trouver une excuse. Postés devant la caserne Herrington, sous les tôles rouillées qui faisaient un bruit infernal à cause de la pluie battante, nous nous jetâmes un regard incertain à travers nos mèches de cheveux trempées. Elle ouvrit l’imposante porte de métal glacée de la caserne dans laquelle nous nous sommes engouffrés les secondes qui suivirent. Les plafonds blanc étaient extrêmement haut, ils laissaient paraître une multitude de poutre en fer usées par l’humidité. Les odeurs de fer, de moisissures, d’humidité et surtout l’odeur du poisson entreposé étaient insoutenables. Horace était endormi la pipe à la bouche sur son fauteuil à bascule. Il était supposé garder l’entrée et gérer les arrivées des bateaux de pêche. Un sourire se dessinait sur le visage de ma sœur, il semblait à la fois satisfait et amusé. Elle me fit signe de la suivre dans le bureau d’Horace, juste derrière, où se cachaient des piles de dossiers tout à fait  démesurées.  Nous commencions à fouiller le bureau. Il était plein de cartes de l’île, de carnets de notes et de feuilles de comptes où le moindre poisson et son prix étaient inscrits. Je dois avouer que je n’étais pas persuadé qu’on trouverait quelque chose sur ces arrivants ni sur la dame du port. Il y avait tellement de choses à regarder aussi inintéressantes les unes que les autres. Aileen ouvrait tous les placards à la suite, elle y trouvait toutes sortes de babioles, de coquillages, et d'hameçons. Son regard s’arrêta pourtant sur un vieux tiroir fermé dont la poignée était encore bien plus rouillée que le reste des métaux de la caserne. Le brouhaha incessant des papiers et des pas de ma sœur s'arrêtèrent aussitôt qu’elle essaya de l’ouvrir. Il était fermé à clé. 

Pourquoi fermer le tiroir d’un bureau de pêche? 

Elle leva les yeux vers moi sans dire un mot, je compris ce qu’elle avait en tête. Pour elle c’était à cet endroit précis où nous trouverions ce que nous sommes venus chercher. Elle se leva, et commença à regarder les murs et les surfaces des meubles, cherchant la potentielle clé qui ouvrirait ce tiroir. Puis elle s’arrêta net. Elle regardait derrière moi, et en me tournant pour voir ce qui avait capté son attention je vis un trousseau de clé accroché à la ceinture du vieil Horace. 

Tu ne vas quand même pas essayer de lui voler ses clés pendant qu’il dort ? 

Tu veux en savoir plus sur la dame du port pas vrai ? Alors oui je vais essayer de lui voler ses clés. 

Mon cœur se mit à battre la chamade. Qu'allait-on lui dire s’il se réveillait et qu'elle était assise par terre la main sur son trousseau? Elle sortit du bureau doucement et s'accroupit près de la chaise à bascule du vieillard. Je la voyais retrousser les manches de sa robe de dentelle, et attacher ses longs cheveux blonds encore trempés par la pluie. Elle prit une grande inspiration, puis se concentra pour faire le moins de bruit possible. Horace lâcha un soupir qui la fit sursauter, par chance elle avait toujours les mains sur les clés et n’avait pas fait de bruit. Elle avait réussi.  Elle me regarda toute fière d’elle le sourire aux lèvres. En se levant et en venant dans ma direction, elle heurta du pied une vieille caisse de bois, ce qui fit arrêter nos deux cœurs je pense. Elle se retourna vers l’ancêtre et me fit signe qu' il n’avait pas bronché. Nous nous asseyons devant le fameux chiffonnier, et y glissons une à une les clés du trousseau, espérant que celui-ci s'ouvre à un moment. Un petit cliquetis annonçait la réussite de la manœuvre, je tournis la clé pour enfin tirer le casier et voir son contenu.  Quelle ne fut pas notre déception lorsque nous vîmes ce qu’il renfermait. Il y avait uniquement des magazines qu’Horace devait cacher pour pas qu’on l’accuse de ne rien faire au travail.  Cela dit, en regardant chaque couverture une à une, je remarquais que les dates remontaient d’au moins soixantes ans. Sur l’une d’elle, plus vieille encore que les autres, il y avait une illustration d’une vieille épave de bateau sur ce qui semblait être la plage tout au Nord de Siavar. Sans trop me poser de questions je pris le petit périodique et le glissa dans mon mentaux sans même le dire à ma jumelle. Elle semblait déçue de ce que nous avions trouvé, ou plutôt de ce que nous n’avions pas trouvé. Je la pris par la main, et lui fit signe pour qu’on sorte de la caserne. Elle reposa le trousseau de clé sur le petit coussin de toile du fauteuil d’Horace, et nous nous retrouvions à l'extérieur. Le temps se gâtait encore plus que lorsque nous sommes entrés. 

On devrait se mettre à l'abri Eliott, on ne peut pas rentrer tout de suite à la maison, avec le vent qu’il fait on devrait d’abord se réchauffer à la taverne le temps que la météo se calme. Sa voix était à peine audible tant le vent et les intempéries étaient bruyants.

Elle avait raison. Si nous rentrions maintenant ça serait bien risqué, entre les coulées de boues et le vent qui emportait tout sur son passage je ne sais pas si nous serions arrivés sans aucune embûches à la maison. La taverne était allumée. 

Arrivés trempés jusqu’aux os, Hilda la gérante et mère d’Agnès nous accueillit rapidement, nous proposant une tasse de chocolat chaud, des couvertures et une place près de la cheminée. Je regardais ma sœur boire dans sa tasse sans même lever les yeux vers moi en silence.

Quelque chose ne va pas ? Tu n’as rien dit depuis que nous sommes rentrés dans la taverne.

Gréta doit avoir envie de nous tuer. 

J’avais totalement oublié que Gréta nous avait déjà sermonnés il y a quelques heures avant que nous partions. 

Ne t’inquiète pas, elle doit se douter que nous n'avons pas tenté le diable. 

J’entendis mon prénom venant des cuisines. Hilda venait de prévenir Agnès de notre arrivée. Elle était sans doute la seule amie d’Aileen, du moins la seule avec qui elle avait eu de vraies conversations. Ma sœur était tellement renfermée sur elle-même qu’il lui était difficile de discuter avec les autres personnes, mais Agnès n’avait jamais essayé plus que ça de la sortir de son monde et je pense que c’est ce qui plaisait à Aileen. La demoiselle parut dans la pièce, les cheveux emmêlés comme d’habitude et le tablier plein de sauce et de farine.

Je suis contente de vous voir malgré cette tempête ! Vous avez réussi à vous réchauffer ? Vous avez besoin de quelque chose ? C’est papa qui offre! 

Merci Agnès, mais on a ce qu’il faut c’est gentil de sa part. 

Lui répondit ma sœur avec une voix très douce. Nous discutions avec elle un petit moment, esquivant toutes les questions sur notre venue au port par un temps pareil ! L’envie me prit de me dégourdir les jambes, et de me balader dans la taverne un petit moment. Je me dirigeais donc vers les cuisines lorsque Archie, le père d'Agnès, m'accosta en posant sa main sur mon épaule. 

Alors fils ? Vous êtes sûrs de n’avoir besoin de  rien tous les deux ? Qu’est ce que tu viens donc chercher dans les cuisines?

Non je vous assure monsieur, tout va bien ! J’avais simplement la bougeotte. 

N’hésitez pas si vous avez besoin de quoi que ce soit surtout. Si tu veux bouger un peu, tu as le droit d’aller partout dans la taverne ! Même à l’étage et au sous-sol si tu veux.  

Je le remercie d’un signe de tête. L’idée d’aller visiter le sous-sol pour la première fois attirait ma curiosité. Je pris donc le temps de descendre les marches de pierres, éclairées d’une ancienne ampoule qui n’a pas dû être changée depuis belle lurette. Je me tenais à la paroie de crépit blanc, qui tombait en miettes au moindre éffleurement. Ça sentait la poussière. Arrivé en bas de l’escalier qui me séparait du reste du monde, j'actionnais le petit interrupteur de cuivre logé dans un petit creux sur le mur. Devant moi se tenait des allées immenses de tonneaux, tellement poussiéreuses que ma gorge se mit à me gratter rien qu’en les voyant. Je m’avançais donc dans l’allée, mes pas faisant le bruit d’un éléphant au milieu d’une plaine tranquille. Il y avait des fromages, des poissons séchés sur tous les murs, des étalages de boîtes de conserve provenant de l’usine de Port Siava et quelques fromages fermiers des collines. J’arrivais au fond de la cave, et une étagère attira mon attention. C’était une étagère de bois, malgré le bois vernis encore impeccable j’avais la certitude qu’elle était là depuis bien longtemps. La raison pour laquelle mes yeux s’étaient posés sur ce meuble, était parce que sur celui-ci il y avait des photos en noirs et blancs dans des cadres en bois de bouleau. L’une d’entre elles me semblait d’ailleurs très intrigante. Il s’y tenait un monsieur bien habillé dans des vêtements d’une autre époque, il portait une belle redingote et un haut de forme très élégant.  A ses côtés, se tenait un homme qui ressemblait à s’y méprendre à mon grand-père Fergus, le père d’Horace. Il avait des petites lunettes carrées, une moustache épaisse, et portait un long manteau avec une petite montre à gousset dans la main.  La ressemblance avec papi Fergus me pesait, la photo semblait être trop agée pour que même mon grand père puisse y être présent, et pourtant les traits de son visage étaient si similaires que c’était presque effrayant. En regardant les autres photos je me rendis compte que cet homme y était présent régulièrement, pas toujours au premier plan d’ailleurs, parfois on le voyait seulement boire un verre en arrière plan à une table de la taverne, ou de dos avec une belle femme. J’avais de nouveau un pressentiment. Un son étouffé me fit sortir de mes pensées et sursauter d’un seul coup. Agnès et Aileen étaient là. 

Qu’est-ce que tu regardes ? 

Me demanda Aileen, soucieuse.

Tu ne trouves pas que cet homme ressemble à,..

Grand-père. 

Un silence s’installa dans la cave. Agnès essayait de jeter un œil par-dessus nos épaules. 

Tu penses que ton père sait qui c’est ? 

Je lui adressais ces mots avec un ton si pédant qu’elle ne tarda pas à me répondre.

Montre la lui, il te le dira ! Je crois qu’elle n’avait pas aprécié.

Je pris donc la photo, qui laissa une empreinte dans la poussière. Arrivé en haut dans les cuisines, je demandais à Archie s' il en savait plus sur l’homme des photos. Il me dit que l’homme au haut de forme était sans aucun doute l’un des premiers patrons de la taverne, mais en ce qui concernait l’autre à ses côtés, il n’en avait aucune idée.

Est-ce que je peux t’emprunter la photographie?

Bien sûr mon garçon, elle prend la poussière depuis une éternité dans la cave, elle ne m’est d'aucune valeur ! 

La tempête s’était bien calmée, et même si notre alibi de la bibliothèque ne fonctionnerait pas puisque nous étions les mains vides, il fallait rentrer. Nous remercions Hilda et Archie pour leur hospitalité, et nous repartions sur les chemins de la maison. Sans surprise Gréta nous accueilli totalement paniquée. 

Cinq heures !! Vous êtes partis cinq heures sous cette tempête! 

Nous nous sommes réfugiés à la taverne, ne t’inquiète pas, tout va bien.  

Aileen broda une excuse, elle prétextait que la pluie aurait de toute façon abîmé les livres, et que c’est pour ça qu' elle n’avait rien apporté. Sceptique Gréta commençait à nous laisser tranquille. Je décidais donc d’aller arroser les plantes de la maison pour me laisser le temps de réfléchir à la prochaine étape de nos recherches. En montant à l’étage, j’entendis Mabel jouer dans sa chambre, cela faisait un moment que je n’avais pas passé du temps avec elle. Je frappa à la porte verte de sa chambre. “Attends” me dit-elle avant de finalement m’ouvrir après quelques secondes. 

Fuego et Gorf n’étaient pas dans leurs vivarium. 

Il s’agissait de ses deux gros crapauds. Mabel a toujours eu une fascination pour les batraciens, dans sa chambre, il y avait une multitude d’aquariums habités par des têtards, et tout un tas de chambres de verre où des grenouilles avaient fait leurs nids. Je me souviens encore de quand Mabel est arrivée dans la famille, elle était si jeune et pourtant déjà si curieuse de ce qui l'entourait. Ses crapauds venaient de pondre, elle semblait très heureuse de me les montrer. Elle m’expliquait comment elle aménagerait l’habitat quand les œufs allaient éclore. 

Demain avec Gréta, on va voir papi ! Il a dit que si Fuego pondait il fabriquerait pour elle une nouvelle cachette pour ses petits crapauds quand ils auront leurs pattes !

Le fait qu’elle parle de notre grand père me fit un choc, il ne fallait pas que j’oublie ce pourquoi nous nous sommes trempés aujourd’hui. Je lui demanda donc de venir avec elles, prétextant simplement que cela faisait longtemps que je ne l’avais pas vu.  Après une bonne heure passée aux côtés de Mabel, je lui caressais doucement la tête avant de partir dans ma chambre afin faire ce pourquoi j’étais monté au départ. 

Le soir venu, j’entendis retentir la clochette de la porte, maman était de retour. Elle était trempée jusqu’aux os et sentait le calamar. La journée a due être rude pour elle, en mer, les bateaux lors des tempêtes ne sont que de simples fourmies emportées par un torrent violent. Heureusement les bateaux ne peuvent pas partir trop loin de la baie. Elle s'avachit de tout son poids dans son fauteuil à bascule, s’alluma une pipe et inspira un grand coup, laissant paraître des volutes de fumée au-dessus de sa tête. Au coin du feu, et sans un mot, elle considérait les photos de notre famille sur les étagères, comme elle le faisait chaque soir. Cette habitude qu’elle avait de jeter un regard sur nos portraits lorsqu’elle rentrait du travail semblait faire s’envoler la moindre tension qu’elle aurait pu ressentir après une dure journée en mer. Papa lui tendait amoureusement une tasse de thé chaud à la bergamote.  Tous les six dans le salon autour du feu racontait sa journée. Je n’avais pas trop envie de dire que nous étions partis sous une tempête pareille, mais Gréta nous avait déjà devancés. En revanche, elle restait humble, et essayait même de ne pas aggraver notre cas, elle prit les devants pour expliquer que nous nous étions réfugiés à la taverne. Papa ne semblait pas ravi, et maman l’était encore moins, mais nous allions bien et à leurs yeux c’était la seule chose qui semblait compter. 

Le lendemain venu, c’est en famille que nous rendions visite à nos grands-parents. Le vieux magazine et la photo dans mon mentaux, j’avais hâte de savoir ce qui se cachait derrière ces images. Gréta avait apporté le dîner, une magnifique dorade cuisinée avec des tomates et des petits légumes. Fergus avait l’air heureux, il était bien habillé, et avait la moustache bien retroussée. Benilde, ma grand-mère, avait comme à son habitude les mains terreuses, un pantalon semblant très confortable et un chignon dressé sur la tête. C’était une femme  caractérielle, à la critique facile, et d’’une spontanéïté redoutable. Elle passait la majeure partie de ses journées les mains dans la terre quelque soit le temps dehors, gardant ses pantoufles d'intérieurs dans son potager. Benilde aimait bien récupérer des bibelots et tout un tas d’objets divers pour décorer sa maison et remplir ses étagères, cette ancienne bicoque regorgerait sûrement de réponses à mes questions. La petite troupe attablée, j’attendais l’occasion d’avoir un peu d'intimité avec le vieil homme pour lui poser toutes mes questions. Le repas terminé, je le retrouvais dans la cuisine, il s’était attelé à la vaisselle pendant que les autres étaient dans le salon à discuter. Lui demandant gentiment de m’accorder quelques minutes de son temps, je lui sortit la photo de la poche interne de mon mentaux. Il marqua un temps d’arrêt avant de me regarder l’air soucieux. 

D’où vient cette photo mon garçon ? 

Je l’ai trouvée dans les sous sols de la taverne de Mr.Archie. Je trouvais que l’homme avec la montre à gousset te ressemblait beaucoup? Sais-tu s' il y a un lien de parenté ?

Son regard s’était éteint, assombri. Je ne comprenais pas très bien quels souvenirs j’avais bien pu faire remonter à son esprit.

Suis moi, je vais te montrer quelque chose. 

J’étais à la fois curieux et effrayé. Ses pas déterminés dans les marches de l’escalier qui montait jusqu’au grenier, résonnaient comme une pesante menace. J’ai toujours eu peur de visiter ce grenier, Gréta une fois m’avait dit qu’il était hanté par un vieux monsieur qui mangeait les pieds des enfants. Même à seize ans, cette histoire me donnait encore des frissons rien qu’à la montée des marches, il faut bien saluer la créativité qu’elle avait eu pour me traumatiser à ce point. Le couloir étriqué de cet étage sordide sentait la poussière à plein nez, et Fergus ne prononça aucun mot jusqu’à ce que nous pénétrions dans le grenier. Il ouvrit la porte miteuse, dont le grincement semblable à un rire maudit retentit dans tout mon être. Le bois pourrie des vieilles maisons encadrait le sol de tous les côtés, sol sur lequel se trouvait les fameux bibelots de Benilde et une multitude de cartons. Grand père se penchait doucement sur l’un d’eu, et dans un nuage de  poussière sortit une petite boîte de cuir roux, avec un symbole doré presque effacé en son dessus. Il ouvrit la boîte, inspirant un grand coup dans son épaisse moustache. Il me tendis un petit coffret en carton abîmé, et me fit signe de l’ouvrir. Ce que renfermait ce petit carton me saisit la gorge, posée sur un mouchoir de soie sombre il y avait une montre à gousset, la montre de la photo. Après l’avoir fixée durant ce qui m’avait semblé une éternité, je levais les yeux vers Fergus, il avait toujours en main la boîte de cuir dans les mains. Toujours sans dire un mot, il me la tendit à son tour. Je découvris à l'intérieur une multitude de photos jaunies par le temps, des babioles telles qu’un vieux stylo à encre, une dizaine de pinceaux secs, une petite broche, un morceau de tissus de dentelle noire et une pile de lettre toutes timbrées mais pas affranchies par la poste. En jetant un œil plus concentré sur l’adresse écrite d’une écriture divinement soignée, je compris que la destinataire n'était vraisemblablement pas de Siavar. 

L’homme que tu vois sur la photo que tu as trouvée, c’est mon grand-père Magnus Lanum, et il n’a pas toujours habité sur l’île, du moins c’est ce qu’on m’a toujours dit. Ma mère Odette, disait que son père était fou, qu’il avait toujours mentit, mais sa femme la contredisait sans arrêt. 

Mon cœur se mit à battre soudainement plus vite, venait-il de confirmer que des personnes étaient vraiment rentrées sur l’île auparavant ? C’était de loin la meilleure piste que j’avais eu jusqu’ici!

Je sentais grandir en moi un souffle de questionnement infini. La moindre phrase qui sortait de sa bouche m'offrait une occasion de produire à la chaîne une dizaine de questions supplémentaires. 

Tu crois qu’il cherchait vraiment à communiquer par delà les flots? 

Lui demandais-je en montrant de la main une dizaine de lettres.

Je ne sais pas, ce sont des histoires qui m’ont fait tant rêvées petit. Je n’ai jamais su s’il s’agissait de légendes, ou de souvenirs.

Une tension me prit dans la main, soudain, je laissai tomber les lettres et le boîtier de cuir au sol, mes mains avaient reçues comme une décharge électrique. Le vieil homme me regardait inquiet, mais moi même je ne savais pas d’où cela m’était venu. Je lui fit un signe pour lui prouver que ça allait avant de le rassurer et lui dire que je ne savais pas bien ce qui s’était passé à l’instant.  Un frisson parcouru ma colonne des reins jusqu’au cou, il n’y avait pourtant pas de fenêtre à cet endroit. 

Si tu as d’autres questions mon garçon n’hésite pas.

Fergus prononça ces mots pour me couper de mes émotions. Lui, en revanche, en avait absorbées à la pelle ce soir. Les souvenirs de son grand-père on du l’attérré. Il quitta le grenier bien moins rayonnant qu’à notre arrivée, me laissant seul, nageant dans ma curiosité, noyer par l’odeur des vieux papiers. J’avais enfin de quoi faire de véritables recherches, et le lendemain serait le commencement d’une enquête cruciale pour tout Siavar. 

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