Il aurait espéré un autre réveil ce dimanche matin. Lorsqu’il se saisit de son portable après trois sonneries, il ne s’attend pas à grand-chose. Voir le nom de la mère de son meilleur ami s’afficher le tire de sa léthargie. Au vu de la descente aux enfers dans laquelle il s’est jeté à corps perdu, il imagine le pire.
― Bonjour Méredith.
Il se frotte les yeux, son subconscient vacillant encore entre rêve et réalité.
― Josh, excuse-moi je n’avais pas vu l’heure, je ne te réveille pas ?
― Non pas de soucis. Y a-t-il un problème ?
― Chris ne te semble pas étrange en ce moment ?
Il ne pouvait pas lui avouer que son fils et lui n'avaient pas échangé le moindre mot depuis presque un mois.
― Non pas plus que d’habitude. Il doit se prendre la tête avec l’armée.
― Il est vite sur la défensive, passe le plus clair de son temps dans sa chambre. Ça m'inquiète. Il ne t’a pas parlé de son grand-père récemment ?
― Non pas que je me souvienne. Il se met la pression vous le connaissez.
― Est-ce que ça te dérange de passer le voir ? Il n’a pas quitté sa tanière depuis vendredi soir.
― Non pas de problème. Je m’en charge.
― Merci Josh, heureusement qu’il peut compter sur toi.
Il raccroche, un goût amer dans la bouche. Il avait trahi la seule personne hors de sa famille qui avait un jour compté pour lui. Était-ce la meilleure solution que d’avoir accepté de l’aider une fois de plus à se sortir de cet infâme merdier dans lequel il l’avait aidé à tomber ? Et si Chris refusait de le laisser entrer ? S’ils finissaient par se battre ? Il ne voulait pas penser au négatif, voyant dans cet appel un signe qu’il peut encore, il l’espère, arranger les choses.
Arrivé chez son ami, il lit sur le visage de sa mère un sentiment d'échec qui se répète à nouveau. Son père quant à lui reste impassible. Il n’a que très rarement rencontré Marc Adams mais l’air strict qu’il dégage le terrorise.
La porte de la chambre est fermée mais par chance, pas verrouillée. Il l’ouvre, s’attendant à tout sauf au désastre qui lui fait face. Ses yeux s'accoutument rapidement à l’obscurité qui règne. Les rideaux sont tirés, aucune once de lumière ne parvient à traverser le lourd tissu noir. L’odeur du tabac froid emplit la pièce. Il se décide à aérer la pièce tant l’air est irrespirable. Un grognement ne tarde pas à se faire entendre. Il ne réagit même pas, son attention étant totalement accaparée par le nombre de bouteilles vides échouées sur le parquet. Il ne les compte pas, il sait juste que c’est beaucoup trop, même étalé sur trois jours.
― Je pensais avoir été clair ?
Sa voix si froide et tranchante le surprend.
― Ta mère m’a appelé, je ne fais que constater les dégâts.
Il saisit la bouteille à demi entamé de Rhum posé sur sa table de nuit avant d’avaler goulument quelques gorgées.
― Ne vient pas jouer au super héros, c’est déjà trop tard.
Il essuie sa bouche d’un revers de main, puis se cache sous les couvertures, refusant visiblement de faire face à son interlocuteur.
― Tu comptes vraiment continuer de la sorte ?
― Qu’est-ce que ça peut te foutre ? Ça te fera une histoire à raconter lors de la prochaine soirée.
― Tu me crois réellement aussi mauvais pour agir comme ça ? Je ne suis pas là uniquement parce que ta mère me l’a demandé.
― Laisse-moi deviner, elle aussi t'as payée ?
L’alcool le rend plus acerbe qu’il ne l’est déjà naturellement.
― J’ai renoncé à l’argent, depuis notre dispute.
― Tu penses m’attendrir ?
Le cliquetis des bouteilles qui s’entrechoquent est l’unique réponse que Josh décide de lui apporter. Il les glisse dans un sac de sport qu’il a apporté, sentant que ce type de situation allait se produire.
― Il n’aimerait pas te voir comme ça.
Il savait qu’il risquait de déchaîner un ouragan avec ses paroles mais il lui fallait un déclic.
― Ne t’avise pas de parler en son nom !
Il se lève, moyennement confiant de ses appuis. Ses narines se dilatent, des ombres glacées dansent au fond de ses prunelles.
― Vas-y frappe-moi ! Défoule-toi ! Je le mérite après tout.
― Pour que tu aies le rôle du gentil, n’y compte pas.
― Je dois faire quoi pour que tu me pardonnes ?
*
La question le prend au dépourvu, il avait le poing levé, prêt à s’abattre sur son ancien ami. Tous deux étaient essoufflés, leur poitrine se soulevant en rythme.
― Pourquoi je devrais te croire quand tu dis être là pour moi ? Tu m’as lâchement abandonné au profit de cet enfoiré. Toi, le dernier que j’aurais soupçonné. Toi, ce frère que je me suis choisi en dépit de tout. Toi qui a si souvent recollé les morceaux de cette vie qui ne m’épargne pas.
Des larmes se formaient au coin de ses yeux, un trop-plein qu’il doit évacuer. Ils se faisaient face l’un l’autre dans cette chambre digne d’un champ de bataille.
― Tu crois pouvoir faire mieux que l’alcool ? Tu crois que tu es capable de faire taire toutes ces putains de pensées ? Tu arriveras à me la faire oublier ?
― C’est vraiment ce que tu veux ? Ne plus jamais penser à Elle ?
― C’est ce qu’il m’a forcé à accepter pour me libérer.
La tête lui tourne tellement qu’il se rassoit sur le lit défait. Josh s'installe à ses côtés.
― Je ne peux pas faire ça.
― Je ne veux plus souffrir. Je ne veux plus la voir dans mes nuits se faire torturer. Ni entendre de nouveaux les mots qu’il lui a intimé de me cracher au visage. Je veux faire taire ce deuil qui me submerge.
― L’alcool y parvient pour le moment, tu sais que ça ne durera pas. Je ne peux pas te laisser continuer au risque d’entendre un jour ta mère en larmes au téléphone, m’informer que tu t’es foutu en l’air.
― Pourquoi tu ne fais pas comme tous les autres ?
― T’abandonner ? Tu l’as dit toi-même, l’ADN ne définit pas une famille. Je suis la tienne. Malgré mes erreurs.
― Je devrais aller me doucher et me redonner une contenance avant de rejoindre mes parents.
― Sage décision.
Il n’a pas besoin de le demander, il sait que son ami sera là à son retour.
Il ne s’attend pas à croiser son père lorsqu’il se dirige vers la salle de bain.
― Enfin sorti de ta grotte.
La chair de poule couvre sa peau, ce n’est pas la voix de son père qui le met dans cet état. Il n’a pas l’habitude de déambuler torse nue dans sa maison, sauf en été, ce qui allait de soi. Son aîné le détaille de la tête au pieds, passant un temps infini sur ses divers tatouages.
― Tu ressembles à un camé.
― Bonjour à toi aussi, ravi de te voir.
Ses pas s'accélèrent, il n’est pas en capacité d’avoir un échange avec cet homme plus longtemps.
Se noyer sous les trombes d’eau lui semblait être une idée des plus appréciable. Il haïssait sa facilité à masquer ses émotions, préférant souffrir intensément que de s’ouvrir aux autres. Et soudain tout explose. Il ne s’attendait sincèrement pas à voir Josh débouler, ni encore lui avouer ce qu’il retenait depuis des semaines enfoui en lui. Un fardeau que lui seul pouvait porter.
La vapeur formait un voile autour de lui, il allait devoir sortir de ce cocon de chaleur. Elle lui manquait plus qu’il ne l’aurait pensé. Il jetait de temps à autre des regards dérobés dans sa direction auxquels elle restait muette. Avait-elle détesté cet aspect de lui qu’il avait affiché ce soir-là, ou ses frasques sous alcool les semaines qui ont suivi.
Le reflet que le miroir lui renvoyait ne lui ressemblait pas. Son teint commençait à jaunir, ses yeux étaient injectés de sang, les paupières tombantes. Son visage avait fini par se creuser, ses mains lui semblaient squelettiques. Son père avait raison, un vrai toxico. Un mois qu’il avait cessé toute séance de sport, il le constate également. Ses muscles sont moins saillants, ses abdos commencent à s’effacer. Il déteste cette version de lui, ce zombie qui ne survit qu’avec sa bouteille.
Josh a réussi à remettre de l’ordre dans l’enfer, et finalement ça lui convient. Il le retrouve penché sur son carnet de dessins. Un petit rire narquois s’échappe de ses lèvres tandis que le tatoué passe un de ses fameux t-shirts noir, celui-ci floqué du logo de Batman.
― Je dessine si mal quand je suis saoul ?
― J’en sais rien, j’ai bugué sur l'Andy démoniaque ! Il est vraiment excellent.
La porte claque au rez-de chaussée suivi d’une effusion de voix. Il ignorait que sa tante passerait de nouveau
― Manquait plus que ça, soupira-t-il
― On ne peut pas y échapper, je suppose ?
― Prend ça comme une petite vengeance.
Les jumelles se ruent sur Josh avant même qu’il n'ait fini de descendre les dernières marches. Avide d’obtenir cet autographe, il leur répondit par la négative. Les deux sœurs parurent tristes sur le moment avant de passer à autre chose, les laissant un peu en paix. Sa tante devait surement chercher son nouveau sujet de discorde, elle salua Josh avec un sourire non dissimulé.
Il faisait partie de la famille . Il avait même côtoyé Daniel, l'aïeul de son ami peu de temps avant que la mort n’en décide autrement. Il l’avait pris à part peu de temps avant de s’éteindre pour s’entretenir ensemble. Chris avait patienté dans le salon, une tasse de café entre les mains, se demandant ce que ces deux-là pouvaient manigancer. Il n’en savait toujours rien, il devait questionner Josh à ce sujet, il lui devait bien ça.
Contre toute attente, c’est son père qui lança les hostilités ce jour-là.
― Meredith tu as vu ton fils?
― Oui et bien quoi ? Il a bonne mine, il est présent, il parle avec nous, je ne vois pas de problème.
Pour la bonne mine, le thermos de café que Josh avait apporté avait aidé.
― Son torse.
Sa mère ne voyait visiblement pas où son mari voulait en venir. Lui avait saisi. Le temps qu’il avait passé à le fixer ce matin, n’avait finalement rien d’innocent.
Il se lève et retire son t-shirt permettant à tout le monde d’admirer les cicatrices de son passé encré sur sa peau.
― Content ?
Le ton de défi qu’il avait employé ne semblait pas plaire au patriarche, mais il ne relève pas.
― Ça fait mal ? Demandèrent en cœur les jumelles
― Sur le coup, mais après on oublie qu’ils sont là.
― Je ne sais pas comment tu comptes trouver une fille avec ces horreurs, mais ça explique que tu ne nous en aies présenté aucune.
Il devait retenir son envie de l’étriper plus que les autres fois où elle s’était pointée.
― Ça tombe bien, je n’ai pas besoin de ton avis sur le sujet.
Sa mère tente de tempérer la conversation en apportant quelques rafraîchissements. Elle lui tend son haut qu’il a laissé sur le sol. Sûrement pour lui faire comprendre de le remettre. Il ne l’entend pas de la même façon, refusant de donner raison à ses détracteurs.
― Dire que c’est votre père qui me les a payés, et qui m’a permis de les faire. Visiblement ça saute des générations.
Lui aussi savait faire des piques bien senties, quand c’était nécessaire.
― Il t’a vraiment laisser faire n’importe quoi
― Lui il était là !
Qu’il s’en prenne à ses tatouages importait peu en vérité, là, il avait touché sa corde sensible.
― Fait attention à qui tu t’adresses.
Il se mit à triturer le piercing de sa lèvre. Il s’agit de son père, pas d’Andy sur qui il a pu se défouler. Il se rhabille avant d’aller griller une cigarette sur le perron, trop en colère pour faire semblant une minute de plus.
― Pardonne ton père.
Sa mère s’assit à ses côtés sur la balancelle.
― Tu as laissé Josh avec ces deux-là ?
― Il doit plutôt s’inquiéter des deux tornades.
― En quoi ça les amuse de critiquer chacun de mes faits et gestes ?
― Tu n'es pas comme tout le monde, certains n’y prête pas attention, eux, ça les perturbe.
Il ne pouvait pas lui dire qu’au lycée, la situation est semblable.
― Il te manque ?
Elle savait sa réponse, ce qui ne l'empêche pas de le questionner.
― De plus en plus au fil des jours.
― Le temps guéri les blessures.
Elle repart, le laissant terminer sa cigarette.
― Merci.
― Pour ?
― Avoir fait venir Josh.
Elle avait mis de l’eau dans son vin, il ne pouvait que le constater. Il en était reconnaissant, s’en voulant par la même occasion pour son comportement à son égard depuis quelque temps. Josh lui envoie des SOS depuis vingt minutes sur son portable, il a assez souffert.
― On peut aller dans ta chambre ?
Il avait pensé à verrouiller derrière lui avant de se joindre à ce simulacre de famille, visiblement les jumelles avaient tenté leur chance avant de lui demander. Il fait signe à Josh de le rejoindre.
― Oui mais on vous chaperonne, j’ai bien remarqué qu’il me manquait des affaires quand vous partez !
― On te les rendra t’inquiète, c’est que maman ne veut pas nous emmener à Hot Topic et ton armoire y ressemble.
― Dans le cas où j’y fais mes achats, ça se tient.
Le fait que sa très chère tante refuse que sa progéniture s’habille dans l’entre des weirdos ne l’étonne pas franchement. Il avait profité de quelques séances de babysitting, à l’époque, pour leur faire découvrir certains films et artistes marginalisés par le commun des mortels. Visiblement l’enseignement avait porté ses fruits.
Leurs regards scintillent devant l’entièreté de ce dressing noir.
― Un vêtements chacune et la prochaine fois, je récupère tout compris ?
Emy se rue sur un t-shirt du groupe My Chemical Romance, tandis que Alysha prend son temps.
― Si ta tante tombe sur tes fringues chez elle, ça va mal se finir.
― Je ne m'inquiète pas, elles sont malines, mais ça serait tentant de voir sa réaction.
― Tu ne penses quand même pas faire ce que je crois ?
― Les filles, ça vous dit de montrer vos trouvailles à votre mère ?
Les deux acquiescent, absorbés par leurs recherches. Emy a définitivement fait son choix pour le t-shirt de la Black Parade, Alysha a opté pour un des sweat à capuche inspiration vintage de l’affiche de L’étrange noël de monsieur Jack.
― Aly je te préviens, tu en prends soin, j’y tiens énormément.
Lorsque les deux sœurs rejoignirent leur mère, la mâchoire de celle-ci faillit en tomber. Les deux affublés de leurs nouveaux vêtements pour quelques semaines, les yeux maquillés d'eyeliner, Chris n’était pas peu fier.
― Toi ! éructa la première concernée visant du doigt son neveu.
― Tes filles prennent mon dressing pour un centre commercial, tu sais que Hot Topic existe ?
Il aurait rigolé à gorge déployée s’il avait pu tant la situation était tordante.
― Oh oui maman tu nous emmèneras !!
― Votre cousin s’en fera une joie.
― Tu prends des risques à me les confier sur ce coup. Bienvenue dans le clan des weirdos les filles !