Même les blagues de Josh ne lui calme pas les nerfs. Son échange avec Andy était tellement grotesque. Puis ces deux heures de supplice. Il avait tenté de se concentrer sur le cours.
Le fait qu’elle ait pris la parole plusieurs fois, n’avait pas facilité les choses. Il n’avait cessé de jeter des œillades en sa direction, intrigué par le foulard autour de son cou. Les températures restaient assez élevées pour la saison.
Il ressent une profonde libération lorsqu’il fume sa première cigarette de la journée, Andy l’en ayant privé le matin même.
― On peut modifier le programme de ce soir ? propose Chris
― Tu avais quoi en tête ?
― J’ai besoin de me défouler, un peu de boxe ne me ferait pas de mal.
― Tu comptes m’expliquer pourquoi, après seulement trois jours dans la Bande, Andy a tenu à te parler ce matin ?
― Rien de grave.
― Ça sonne faux venant de toi.
Josh le connaissait mieux que personne, il savait que Chris avait la fâcheuse tendance à se mettre dans des situations assez complexes. Après quelques minutes, celui-ci finit par cracher le morceau.
― Putain, mec, tu t’es mis dans une sacrée merde sur ce coup, rétorque Josh une fois le récit de Chris terminé.
― Je sais. C’était au-dessus de mes forces de ne pas agir.
― Chris le chevalier servant, s'amuse son ami à ses dépens.
― Je t’en prie, fou toi de moi, je ne te dirais rien
― Il sait que tu es resté avec elle?
― Il n’en a pas parlé ce matin, sinon il ne m’aurait pas fait grâce de sa gentillesse.
― Tu marques un point.
Le couple passe juste devant eux, Josh hoche la tête en guise de salut, Chris ne bouge pas. Tout ce qu’il voit, ce sont leurs deux mains entrelacées. Un rappel d’Andy, qui confirme qu’elle est bien à lui.
―Tu veux frapper quoi ce soir ? Un sac de frappe, un punchingball ou moi?
― Tu sais qui je rêve de frapper, pour l’instant un sac devrait faire le job.
― Tu vas tenir toute l’année sans péter un plomb?
― Comme si j’avais le choix, soupire-t-il
― Juin arrivera vite.
Josh l’avait dit à contre-cœur. Le départ de son ami ne l’enchantait pas réellement, même s'il lui en parle depuis une dizaine d'années. Jamais il ne se fera à l’idée que ce grand dadais tatoué et percé pourrait être un jour un soldat. Ou plutôt, il ne voulait pas l'admettre.
Il avait conscience des risques que ce dernier allait encourir et il ne pouvait rien y faire, à part lui apporter son soutien.
À leur arrivée, la salle est quasi vide, il salue le coach et parle un peu avec lui. Josh lui demande souvent des conseils pour les programmes de Chris.
― Alors quoi de prévu aujourd’hui ? leur demande t-ils
― Une envie de boxe, il n’y a pas de cours prévu dans la salle ? demande Josh
― Elle est libre, pas de soucis.
Il leur tend la clé avant qu’ils se dirigent en direction des vestiaires. L’étendu des tatouages de Chris n’est un secret pour personne, encore moins pour Josh. Pourtant, à chaque fois il se surprend à les fixer bêtement.
― Le prochain est prévu pour quand ? demande celui-ci lorsque qu’ils se changent
― Quand je serai parti d’ici.
― Tu vas faire tes plaques militaires ?
― Oui, argue-t-il froidement
Pour eux deux la réponse était évidente, mais encore plus au vu du passé de Chris. Josh aurait voulu s’excuser pour cette question trop intime, le mal était fait. Certaines choses devaient rester de l’ordre du souvenir.
― Et toi, tu comptes t’en faire un jour ? le taquine Chris, pour couper court au silence pesant qui allait s'installer.
― Avec ma phobie des aiguilles, n’y compte même pas !
Ils s’installent dans la salle, Chris entoure ses mains de bande de boxe, préférant frapper à mains nus, qu’avec les gants
―Tu vas te ruiner les phalanges
― C’est le but
Il voulait avoir mal, ressentir quelque chose de plus que la simple adrénaline qui allait déferler dans son organisme. Avoir fait taire ses émotions un certain temps, n’avait pas été bénéfique.
―Ne te plaint pas si tu ne peux pas dessiner après !
Il donne le premier coup sans se soucier de la remarque. Josh peine à tenir le sac tant Chris met de la force dans ses frappes.
Les bandes ne tardent pas à se tacher de sang au fur et à mesure de la séance. Il ne semble pas ressentir la moindre douleur sur le moment, souhaitant juste frapper jusqu'à tomber de fatigue. Il a besoin d’exorciser, pas seulement Andy, mais aussi d’autres parties de sa vie qui tente de resurgir.
Même après une heure, cela n’a pas totalement suffit à le détendre.
Ils se sont allongés, tous les deux à bout de souffle, sur le sol de la pièce.
― J’aurais dû lui mettre mon poing en pleine figure ce matin, s'énerve Chris
― Ça ne t’aurais rien apporter de bon.
― Comment tu peux “bosser” pour lui ?
― Réfléchis, rien que pour toi, si tu avais sauvé Juliette sans être un de ses larbins, il n’aurait pas hésité à faire de ta vie un enfer.
― Je me demande si je n'aurais pas préféré ça, plutôt que de devoir m’écraser face à lui.
― Crois-moi, il vaut mieux être avec que contre lui.
― Il y aurait bien une solution pour que j’arrête de penser à elle …
Josh ne le laisse pas finir
― N’y pense même pas !
― C’est derrière moi tout ça.
― Tu es sûr ?
Il n’ose pas répondre, n’en étant pas réellement sûr.
― Je serais sage, j’éviterais de me faire de nouveau remarquer.
― Comme si tu savais le faire, le taquine le skateur
Le brun décide de regarder l’heure sur l’écran digital de son portable. L’après-midi est bien avancé.
― On devrait rentrer, on est plus bon à rien, je crois.
Se lever s’avère être plus difficile qu’ils ne le pensaient. Leurs muscles se sont raidis suite à l’effort.
― Tu l’as voulu, tu assumes, rétorque Josh
Il n’avait pas prévu de se rendre ici. Face à cette porte close, son cœur tambourine. Il a peur d’entrer, de prendre ce raz de marée de souvenirs et d’émotions, pour finir par s’y noyer.
Il tâtonne le mur de pierre à la recherche de sa cachette. Après quelques essais infructueux, il met enfin la main sur la roche derrière laquelle il a caché ses clés. Il hésite encore une poignée de minutes, jetant des regards à ce jardin laissé en friche, puis se décide à entrer. La maison est telle que dans ses souvenirs de l’été dernier. L’odeur de musc si particulière plane encore sur les lieux.
Il effleure du bout des doigts, les derniers vestiges de son enfance. Son grand-père est mort il y a un an, la douleur est pourtant semblable à celle du début, si ce n’est pire.
Il ne reste que très peu d’objets sur les meubles. Il a pu récupérer ce qu’il voulait, avant que le reste ne prenne la poussière. Ses oncles et tantes sont en conflit quant à l’avenir de cette demeure. Lui s’en contre fou, tant qu’il peut y venir quand le besoin s’en fait sentir.
Il se revoit tout petit, fouillant chaque placard à la recherche d’un trésor. Ses parents travaillaient déjà beaucoup à l’époque, son grand-père était son ancrage, son confident. C’était un héros de guerre, ses insignes fièrement exposées sur le manteau de la cheminée. Chaque jour que Chris passait avec lui, il réclamait les histoires plus folles, les unes que les autres, des exploits militaires de son aïeul.
Il prenait place sur ses genoux, ouvrait grand ses oreilles et profitait de chaque mots prononcés. Ses yeux bleus semblables à des soucoupes fixaient l’orateur, pétillant d’admiration.
C’est suite à ces récits que Chris avait décidés qu’il deviendrait soldat, pour suivre les traces de son héros. Il lui avait tout passé, complètement gaga de son petit-fils. Les tatouages, les piercing, c’est lui qui l’avait accompagné ou qui avait signé ses autorisations. La seule chose qu’il ne tolérait pas était la cigarette.
Chris ne se souvenait même plus comment il avait commencé à fumer, mais tout ce qu’il sait c’est qu’il n’avait que treize ans. Son grand-père était un radar olfactif, quand il est revenu du lycée, malgré la tonne de déodorant dont il s’était aspergé, son aïeul l’avait tout de suite senti. S'en était ensuivi la pire dispute qu’ils aient eu. À ce jour, il la regrette encore. Être un con de première, il en avait l’habitude, surtout avec les autres, mais la déception dans le regard de cet homme qu’il admirait tant, l’avait profondément blessé. Il s’était racheté bien des années plus tard, avec son premier tatouage.
Lorsqu’il avait retiré le film protecteur de ce dernier, son grand-père avait pu découvrir, avec une émotion non dissimulée, ses plaques militaires gravées a jamais sur l’avant-bras de son petit-fils.
Sa discussion avec Josh avait ravivé tout ce pan de sa vie, qu’il tentait tant bien que mal d’oublier. Car avant les souvenirs à peine supportables, il y avait le deuil, qui parfois s'accompagnait de subterfuges pour mieux le supporter.
C’est ce qui le terrorise justement, cette envie de plus en plus pressante, de vouloir taire ses émotions à nouveau. Laisser son démon le ronger à petit feu, jusqu'à la fêlure. Il l’avait vaincu une fois, il ignorait s’il serait capable de le battre à nouveau.
Sous la colère de ses pensées destructrices, il saisit un ancien vase sur la table couverte de poussière, avant de le fracasser au sol. Il décide qu’il est temps de quitter ce lieu empreint d’une nostalgie qu’il ne gère toujours pas.
Un an ne suffit pas à soigner un cœur, que la perte a détruit.
Il se revoit encore à l’enterrement, sur l’un des bancs de l’église, le plus près du cercueil, accompagné de son père. Il n’avait pas su retenir ses larmes, pendant le discours du prêtre. Pas que ses mots l'aient touchés, la religion ne faisait pas partie de sa vie. C’était le fait d’avoir ce cercueil face à lui tout ce temps. De savoir que plus jamais il n’entendrait sa voix si rassurante l’appeler “tombeur”, à chaque fois qu’il franchissait le pas de la porte, sa veste en cuir sur le dos.
Il aurait voulu hurler, jusqu'à s’en époumoner, mais rien ne sortait, à part ces sanglots en continu.
Les premières semaines, il ne s’en souvenait plus tellement, juste ce puits sans fond dans sa poitrine, qui l'aspire irrémédiablement vers le fond. Il a passé tout ce temps dans sa chambre, les rideaux tirés, refusant le moindre contact, mangeant que lorsque la faim prenait le dessus sur la tristesse. Puis, il a décidé d’errer comme une âme en peine dans Lilas, ses pas le ramenant à coup sûr dans cette foutue baraque. C’est entre ses murs qu’il a commencé à se détruire, à effacer le deuil de la pire des façons.
Il s’assoit sur le siège conducteur avant de poser sa tête sur le volant. Il doit reprendre sa contenance avant de rentrer. Si sa mère apprend qu’il est venu ici, elle va s'imaginer le pire. Elle n’aurait pas totalement tort.
Elle repensait souvent, tard le soir, en attendant le retour de son mari, à ce qui s’était passé cet été-là. À l’état de détresse de leur unique fils, qu’ils n’avaient pas sût voir, trop occupé par leurs emplois respectifs. C’est Josh qui avait donné l’alerte, sans quoi il ne s’en serait jamais rendu compte, avant qu’un accident ne se produise. Il rentre après elle ce soir-là, du sang séché sur les mains.
― Ne panique pas, j’ai fait de la boxe avec Josh
― Je n’ai rien dit, argumente-t-elle
Elle le scrute des pieds à la tête, quelque chose la perturbe dans son attitude
― Tu es sûr que tout va bien ? Tu peux tout me dire, tu sais.
― J’ai juste besoin d’une bonne douche maman, je t’aiderais avec le repas après ok ?
Elle se prend sûrement trop la tête, tentant de se rattraper dans ce rôle de mère pour lequel elle n’a fait qu’échouer.
Depuis l’intervention de Josh, elle avait réduit ses heures de travail pour passer plus de temps avec lui. Son mari ne pouvait pas en faire autant au vu de son statut au sein de son entreprise.
Ce qui la terrorise c’est la facilité avec laquelle Chris avait pu leur mentir tout ce temps. Rien n'aurait pu laisser entrevoir l'étendue que tout cela avait pris dans sa vie.
Elle prend la direction des fourneaux lorsqu’elle entend ses pas dans l’escalier.
― Tu avais un menu en tête ? lui demande-t-elle
― On pourrait faire un poulet massala
― Ça fait une éternité qu’on en a pas fait, tu as raison.
Elle coupe le poulet tandis que lui prépare la sauce. Il parle peu dans ces moments-là, laissant la musique rythmer leur ballet culinaire.
― Comment va Josh? se renseigne-t-elle entre deux bouchées
― Ça va, tu le connais, ça l'éclate de me préparer des programmes de l’enfer à la salle.
―Tu arrives à suivre ? Entre ça et les cours?
― Oui ne t’inquiète pas
― Il est très beau ton dernier dessin
Il se fige, sa fourchette à l’orée de sa bouche. Il la repose avant de répondre.
― Lequel ?
― La jeune fille au-dessus de ton bureau. Tu peux me le dire si tu as une copine.
Il se braque, les poings serrés.
― J’ai pas le temps pour ça. C’est juste une fille que j’ai vue dans les couloirs, elle a un copain de toute façon.
― Oh, d’accord
Elle aurait aimé qu’il trouve quelqu’un à qui il pourrait se livrer, en dehors de son amitié hors du commun avec Josh
― Ça n’a pas d’importance.
Sa réaction semble disproportionnée pour le sujet. Elle n’ose pas le questionner plus sur cette mystérieuse demoiselle.
― Tu veux attendre ton père avec moi ?
― Tu n'en as pas marre de vivre comme ça ?
― Chris…
― Oui, je sais. C’est grâce à lui qu’on a ce train de vie. Je ne le vois jamais, est-ce qu’il sait au moins à quoi ressemble son fils?
― Ne sois pas trop dur avec lui, je n’ai pas fait mieux, je te rappelle.
― Laisse tomber, je vais dans ma chambre.
Il dépose un baiser sur son front avant de gravir l’escalier au pas de course.
Cette discussion avec sa mère n’avait pas arrangé son humeur. Il aurait dû se douter que ne le voyant pas en rentrant, qu’elle allait directement foncer dans sa chambre.
Ses mains tremblent, une sensation qu’il n’avait pas éprouvée depuis quelques mois.
― Fait chier, s’emporte-t-il
Machinalement, il touche son tatouage, comme un point d’ancrage. Il s’allonge sur son lit, se saisit de ses écouteurs et lance une playlist en aléatoire.
Le premier titre qui résonne dans ses tympans est « Heroine » de Sleeping with sirens.
C'est plus fluide, on prend plus le temps de faire connaissance avec les perso ! bravo poulette ! continue like that ! tu es sur la bonne voie de la réussite tekass