Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle ignore où elle se trouve. Sa respiration s'accélère, prise de panique. Elle observe autour d’elle, des lits individuels, des rideau immaculée et surtout une femme qui s’affaire à ses côtés. Elle tente de se relever trop vite, des étoiles danses devant ses yeux. Elle capitule puis s’allonge à nouveau.
― Tu es enfin réveillée, s’enthousiasme la femme
Elle pose un verre d’eau sur la petite table attenante au lit.
― Comment suis-je arrivée ici ?
La femme n’a pas le temps de lui répondre. Andy fait une entrée fracassante dans la pièce.
― Je me pose la même question, réplique-t-il
― J’étais dans mon bureau, j’ai entendu frapper. Quand je suis sortie, il n’y avait que toi dans ce lit.
Andy lève un sourcil, visiblement peu convaincu par le discours de l’infirmière.
― Je peux ?
Il pointe du doigt la chaise sur laquelle elle est assise, un sourire de parfait gentleman aux lèvres. Il n’en faut pas plus pour faire rougir la femme qui s’empresse de lui céder sa place pour les laisser seule. Juliette se relève sur les coudes quelques secondes, avant de parvenir à s'asseoir face à lui. Elle attrape le verre d’eau et en bois quelques gorgées. Il la regarde en silence, la mine sombre.
― Qui ?
― Je n’en sais rien. Je me rappelle seulement avoir quitté le cours d'algèbre.
Il l’observe, dubitatif. Un gargouillement se fait entendre. Juliette se plie en deux de douleur.
― Comment tu peux avoir faim avec tout ce que tu manges, s’étonne-t-il écœuré
Elle saisit de nouveau du verre d’eau et le termine d’une traite. Ça ne parvient pas à combler le vide de son estomac. La douleur se répand dans sa poitrine, lancinante, comme si on lui écrasait les poumons. Elle ne montre rien, ne voulant pas paraître faible face à lui.
― Tu peux me ramener ? supplie-t-elle d’une petite voix
― Tu dors chez moi ce soir
Elle tressaillit, elle avait totalement oublié ce détail et ce que cela impliquait. Elle repensait souvent à l’euphorie du début, à la joie qu’elle ressentait à l’idée de partager une nuit à ses côtés. Tout a changé en trois ans.
Elle se lève péniblement, un voile obstrue sa vision. Andy la devance d’une dizaine de pas, sans même se retourner pour s’assurer qu’elle va bien.
― Dépêche-toi je n'ai pas que ça à faire
Elle est à bout de force, ses pas sont hésitants. Elle manque de trébucher à plusieurs reprises. Lorsqu’elle aperçoit enfin le cabriolet rouge flambant neuf, elle accélère. Andy est déjà au volant, le moteur ronronne, tandis qu’elle parvient difficilement à ouvrir la lourde portière. Elle s'installe sur le siège passager, il la dévisage, blasé.
― Arrête ton cinéma, ça devient lassant
Ses mots sont cinglants, pleins de reproches et de dégoût. Pourtant, c’est lui qui devient dingue si on ose l’approcher, voire juste la regarder. Lui qui a exigé qu’elle perde du poids, la faisant dériver dans cette spirale infernale dont elle n’arrive pas à se sortir.
Il tapote frénétiquement l’écran digital du véhicule, avant qu’une sonnerie retentisse. Il appelle un de ses gars.
― Tu as un moyen de pirater les caméras du couloir ?
Elle en déduit qu’il a contacté Zach, le petit génie de l’informatique. Le bruit caractéristique des touches d’un clavier rythme la communication.
― Tu sais quel secteur, et quelle heure? demande Zach tout en continuant à taper.
― Salle d'algèbre, vers 15 heures.
Le silence s’étire toujours, ponctué du cliquetis des touches.
― J’ai ! s’écrie Zach, visiblement satisfait, mais ça ne va pas te plaire.
― Arrête avec les devinettes.
― Dommage, j’allais commencer en te disant “bras tatoués”.
Ses mains serrent le volant, au point de faire blanchir ses articulations.
― Merci Zach, assène-t-il avant de raccrocher.
Il appuie lourdement sur la pédale d’accélérateur. Le nombre sur le tableau de bord passe de deux à trois chiffres. Elle ne pourra pas le raisonner, c'est peine perdue. Un rire nerveux s'élève de sa gorge.
― Petit enfoiré !
Le sang de Juliette se glace. Elle sait qu’un seul élève a les bras tatoués, le même dont les iris bleu-gris ont fait naître des papillons au creux de son ventre hier. Chris.
Andy ralenti à l’approche du quartier pavillonnaire où il réside. Toutes les maisons reflètent la richesse de leurs propriétaires, celle de ses parents ne fait pas exception. Il n’y a pas d’autres voitures dans l’allée, visiblement ils sont absents.
Ils gravissent les marches du perron dans un silence étouffant. Sa colère reste perceptible. Elle ose à peine respirer de peur d’être victime de son courroux. Elle prend place sur l’immense canapé de cuir beige. La décoration de la maison la charme à chaque fois.
Andy n’a jamais connu le besoin. Sa mère est une décoratrice d’intérieur très reconnue, son père entraîne l’équipe de foot de Lilas. Il a transmis sa passion et sa ferveur à son fils, pour que celui-ci accomplisse le rêve manqué de son père : jouer en équipe nationale.
Il ouvre le frigo, et en sort deux compotes ainsi qu’une bière.
― Mange, lui ordonne-t-il tandis qu’il décapsule sa bouteille avant de la porter à ses lèvres
Elle sait que s’il boit, c’est que la colère qui gronde en lui est plus grande qu’il ne le laisse paraître.
Il fait les cent pas tandis qu’elle avale difficilement son maigre encas. Son estomac se comprime, la douleur toujours présente s’intensifie à chaque bouchée. Elle n’a pas la force de terminer le second pot, tant elle souffre. Lorsqu’il pose un regard sur elle, la haine brûle dans ses yeux ambrés. Il termine sa bière cul sec.
― Lève-toi Princesse
Ce surnom lui donne la nausée. Il l’utilise quand il veut la dominer, la contrôler. Elle s’exécute, le cœur au bord des lèvres.
Il décale sa longue chevelure sur le côté, caresse sa clavicule, avant de faire courir ses doigts le long de son bras. Il dépose un baiser dans son cou. Elle est tétanisée. Il fait glisser nonchalamment la bretelle de son débardeur, ses lèvres suivent la courbe de son port de tête.
― Tu m’appartiens n'est-ce pas?
Elle hoche mécaniquement la tête. Il la déshabille au fur et à mesure de ses caresses. Elle ne veut pas, plus, qu’il la touche de cette façon. S’opposer à lui dans ces conditions est trop dangereux. Elle se retrouve en sous-vêtements au milieu du salon, sous le regard avide d’Andy. Lui qui sous-entend qu’elle le dégoutait quelques heures auparavant, se délecte de cette vision. Une bosse déforme son jean au niveau de son entre jambe
― Finalement, tu n’as pas tant grossi, tu as pris là où il fallait, assène-t-il en claquant les fesses de Juliette.
Il lui tourne autour, tel un vautour, attendant le dernier soupir de sa proie. Elle est transie de froid, son corps est parcouru de frissons. Il s’approche d’elle, enserre son cou avec sa main. Il soulève son corps avant de la jeter sur le sofa. Tout son être vibre sous le choc de la collision.
― Tu ne t’en sortiras pas indemne.
Il cherche un exutoire à sa haine, en attendant le face à face avec Chris. Elle est l’unique “chose” à sa portée. Il va la détruire, plus qu’elle ne l’est déjà. La peur se lit sur son visage.
Dans un réflexe de survie, boostée à l’adrénaline, elle tente de s’enfuir vers la salle de bain. Andy la rattrape bien trop vite.
― Tu as raison, dit-il, en la poussant dans la pièce avant de verrouiller la porte, on a de quoi s'amuser ici.
Elle voudrait hurler, le frapper de toutes ses forces. Il avance vers elle, son réflexe est de reculer, pour mettre le plus de distance entre eux. Son dos percute la paroi de pierre de la douche à l’italienne. Il allume le jet, avant de la maintenir en dessous. L’eau est glacée, ses dents ne tarde pas à claquer, sa peau se couvre de chair de poule.
― Stop Andy, supplie-t-elle
L’eau est telle une chape de plomb sur son visage, elle peine à respirer. Après de longues minutes d’agonie, il coupe le jet et lâche sa prise. Elle s'effondre à genoux, parcouru de sanglots, qu’elle ne parvient pas à retenir. Dans son dos elle entend Andy ouvrir la porte, puis quitter la pièce.
*
Andy patiente sur le parking, calé contre la portière de sa Mustang. Au loin, Chris stationne sa voiture. La haine bouillonne toujours autant en lui. Il doit tempérer, son excès de colère pourrait lui faire perdre un atout pour la Bande mais surtout pour lui. Lorsque Chris arrive à son niveau, il engage la conversation. Au départ sur des banalités, avant d’aborder le sujet qui l'intéresse.
― La clause du contrat à son sujet me semble assez clair
Il toise Chris du regard, tentant de le déstabiliser.
― Et j’aurais dû faire quoi ? rétorque Chris déjà blasé par cet échange
― Me contacter !
― Dans l’état où elle était, tu aurais préféré qu’elle reste à même le sol le temps que tu daignes arriver ? C’est un être humain !
Le ton de Chris lui déplait fortement, il prend sur lui pour ne pas l’étrangler. Tous les regards sont tournés vers eux dorénavant, il doit faire profil bas pour ne pas entacher sa réputation
― Je donne les ordres, tu obéis ! Pour un futur militaire, ça ne devrait pas poser de problèmes.
Touché. Chris tique, visiblement étonné qu’Andy soit au courant de son plan de carrière.
― Je serais compréhensif cette fois-ci, tu ne pensais pas à mal. Je veux juste qu’on soit d’accord sur une chose.
Chris acquiesce, pressé d’en finir avec cette discussion plus que ridicule. Andy simule une accolade avant d’ajouter :
― Ne t’avise pas de l’approcher à nouveau, ni même de poser ne serait-ce qu’un regard sur elle. Elle m’appartient.
Chris déglutit, tandis qu’Andy s’éloigne, un sourire triomphant aux lèvres.
Il rejoint les gars les plus fidèles de la Bande dont Zach qu’il remercie encore pour le coup de main d’hier soir. Sans lui, il aurait ruminé des heures durant pour savoir lequel l'avait trahi. Même si l’évidence lui saute maintenant aux yeux.
Il retrouve Juliette un peu plus tard dans la matinée, lors d’un de ces cours barbants. Sa carrière étant quasi assurée à la fin de l’année scolaire, il ne voyait pas la nécessité de se fatiguer avec les études. Il se trouvait dans la moyenne et cela lui allait amplement. Il avait forcé Juliette à porter un jean à l’instar du short qu’elle avait hier. Il l’avait également affublée d’un foulard, pour cacher les traces de strangulation qui sont apparues dans la soirée.
― Il ne s’approchera plus de toi, lui affirme-t-il plus pour lui que pour elle
Son regard fixe un point dans le vide. Elle n’a aucune envie de parler avec lui. Son corps garde les stigmates d’hier. Invisible aux yeux de tous, ressenti par elle uniquement. Si elle avait su, il y a trois ans, ce qu’il adviendrait, jamais, elle ne lui aurait avoué ses sentiments. À cette instant elle se sentait stupide, de s’être jeté dans la gueule du loup.
Elle l’avait aimé si fort. Un de ces premiers amours qui vous brûle de l'intérieur. Déjà lors de leur dernière année au jardin d’enfant, elle n’avait d’yeux que pour lui. Tout s’était accentué au collège. Ils étaient dans deux établissements séparés. Leur chemin se croise le matin, elle attendait ces instants avec impatience. Puis, elle avait franchi le pas juste avant l’entrée au lycée, par texto. Deux mots “Je t’aime” suivi d’un silence assourdissant. Puis la sonnette retentit. Elle était descendue en trombe pour le trouver sur le porche dans sa tenue d'entraînement.
L’enfer avait débuté suite à la première victoire d’Andy sous les couleurs de l’équipe du lycée. “Tu es trop grosse, ça nuit à mon image, tu dois faire un régime”. Des mots qu’il lui avait prononcés à la sortie des vestiaires ce soir-là. Elle avait commencé à sauter des repas, il l’avait aidé en la surveillant. Puis les crises de boulimie, les vomissements se sont ajoutés. Malgré tous ces sacrifices, elle n’était pas à la hauteur pour lui. Il la haïssait autant qu’il l’aimait. Chacun de leurs échanges étaient ponctués de ce regard de dégoût, avant de se transformer en passion dévorante, puis en escalade de violence. Détruite, soumise, il ne la voulais que de cette façon. Entièrement à sa merci, sans point de chute, ni échappatoire.
Andy est beau c’est indéniable, sa peau légèrement hâlée, son sourire enjôleur, ses muscles saillants et ce regard d’or incandescent. Lucifer était un ange avant de devenir le Diable. Beaucoup sont jaloux de sa relation, sa place, dans les bras de cet homme qu’elles désirent. Même sa mère le couvre de louanges à chaque repas qu’ils partagent. “Tu n’as jamais était aussi belle que depuis qu’il est dans ta vie” se plaisait elle à dire.
Elle n'entendait pas sa petite fille vomir ses tripes la nuit après avoir dévoré tout ce qui lui tombait sous la main, juste le temps d’oublier. Elle ne laisserait même pas sa place à sa pire ennemie. Peut-être qu’elle le méritait après tout. Elle avait tant voulu croire en cet amour idyllique dont tout le monde parle. Cet amour de jeunesse qui se transforme en amour éternel. Personne ne pouvait lui venir en aide. Car personne ne savait.
La mention d’un prénom la tire de ses pensées. Chris suit le même cours qu’eux, elle avait oublié ce détail. Elle se retient de jeter des regards dans sa direction. Il l’intrigue, encore plus avec ce qui s’est visiblement passé hier. Le fait qu’il ait outrepassé l’autorité d’Andy le rend encore plus intéressant. Elle lance un regard à la dérobée sur l'entièreté de la salle, pour ne pas éveiller les soupçons d’Andy. Lorsque son regard se pose sur Chris, il sourit, sûrement à une blague de Josh avant de passer une main dans ses cheveux noir de jais. Il se met ensuite à triturer l’anneau qu'il a à la lèvre. Elle sent une bouffée de chaleur s’insinuer en elle.
L’arrivée du prof ne suffit pas à lui remettre les idées en place. Heureusement pour elle, les cours d’Histoire la passionnent. Elle n’hésite pas à répondre aux questions posées avec brio.
Quand le cours se termine, que tout le monde quitte la pièce, elle ne peut s’empêcher de le suivre du regard, jusqu’au moment où il quitte son champ de vision. Sa poitrine se comprime, lorsque Andy saisit sa main pour l'entraîner vers le self. Elle sait que ces sentiments à son égard s'éteignent au fur et à mesure. Et ce à partir du moment où il a levé la main sur elle la première fois. Pour autant, avec tout ce qu’il lui dit, même si elle n’était pas sa prisonnière, elle n’est pas sûre qu’une autre personne puisse vouloir d’elle.
Décidément, Andy est vraiment monstrueux et Juliette est en danger ! Est-ce que Chris va désobéir à nouveau pour la secourir ? J'espère.
Ton écriture est toujours aussi fluide, j'aime beaucoup !
J'ai juste remarqué ça :
-elle avait totalement oublié ce détails -> ce détail
-Ses mots sont cinglants, plein de reproche -> pleins
- J’ai ! s’écrit Zach -> s'écrie ?
- Il fait les cents pas -> cent pas
- Tu as pris là ou il fallait -> où
-À cette instant elle se sentait stupide, -> cet instant
-Tu n’as jamais était aussi belle que depuis qu’il est dans ta vie -> été
Voilà, j'ai hâte de lire la suite !
Merci pour ces petites corrections :)