Partie 1 - Chapitre 1

Les balles fusent au-dessus de leurs têtes. Le sable soulevé par le vent cache toute visibilité. Un an qu’il survit dans cet enfer pavé d’armes, de sang et de désolation. Son escadron est pris en embuscade en plein désert. Ils avancent à tâtons, la mort les attend au moindre coup de feu. Une grenade surgit face à eux. Il hurle aux autres soldats de s’éloigner, il se sait déjà condamné. Une déflagration ne tarde pas à ébranler son monde. Il est touché.

Partie 1

5 ans plus tôt

Chapitre 1

C’est l’une de ces matinées chaudes de septembre, le ciel est d’un bleu azur, le soleil brûle la peau. Les feuilles dansent doucement au rythme de la brise qui ne permet pas de se rafraîchir réellement. Chris est assis sur l’un des innombrables bancs de la cour, une cigarette à la bouche. La chaleur a aussi eu raison de lui, il a troqué son éternel perfecto contre une chemise en flanelle noire et blanche, ses tatouages exposés aux yeux de tous. Josh arrive au loin, son skateboard sous le bras, ses longs cheveux châtains se balancent au gré de ses pas. 

― Salut mec, lance Josh avant de s’assoir aux côtés de son ami 

Même cette fournaise ne semble pas venir à bout de sa bonne humeur habituelle. 

― Ça consiste en quoi cette intronisation ? demande Chris avant de tirer une nouvelle fois sur sa clope. 

Josh l’avait convaincu d’intégrer, La Bande, ce groupe est tenu par Andy, le capitaine de l’équipe de football du lycée. Le tatoué n’est toujours pas enclin à devenir le larbin de cet enfoiré de première. Sa réputation est connue dans tous à Lilas et ses environs, mais surtout entre les murs de l’établissement. Mafieux dans l'âme, il sait gérer ses hommes d’une main de fer. Sa liste de contacts est immense du fait de sa popularité grandissante dans le milieu sportif. Être dans ses rangs , c’est s'assurer une protection. 

― Rien d’exceptionnel, répond Josh, tu devras lire et signer le règlement, puis prêter allégeance. Il te fera un petit laïus sur nos missions et basta. 

― Du temps perdu en gros, souffle-t-il agacé de se plier à une telle mascarade, Josh continue de parler tandis que les pensées de Chris sont accaparées par le passage d’un ange blond. Sa queue de cheval se balance de droite à gauche. Les volants de sa robe lilas suivant le même rythme. 

― Réveil toi Roméo, le chambre Josh 

― Putain, j’ai recommencé ? 

― Comme à chaque fois que Juliette envahit ton champ de vision. 

― Fait chier ! 

Il aurait voulu se lever et lui parler, peut-être même la faire rire. Depuis trois ans, c'est le même schéma qui se répète. Il la voit et perd pied. Juliette pourrait être une fille ordinaire, ce n’est pas du tout le cas. Tout serait beaucoup plus simple sinon. Sa relation avec Andy n’est un secret pour personne. Ils sont ensemble depuis la seconde, le couple phare du lycée. Le footballeur et la jeune ingénue dévoreuse de bouquins. Tout droit sorti des Frères Scott. Chris le sait, il n’a aucunes chances d’attirer une femme aussi douce que belle, comme elle. Encore moins en passant sous les ordres de son copain. Malgré le ton idyllique de leur histoire, tous avait pu constater qu’au fil de ses trois années, Juliette avait changé. Elle, si pulpeuse, tout en forme et en rondeur, avait fondu comme neige au soleil, ne laissant que des os beaucoup trop apparents. Même son sourire avait perdu en intensité, son regard avait fini par se ternir à son tour. Son groupe d’amis s’est considérablement réduit, avant d’être inexistant. Personne n’aurait su dire ce qui s'était produit pour changer à ce point une jeune femme à qui tout semble sourire. Josh avait un jour soufflé à Chris, qu’Andy n’y était pas étranger, sans rien ajouter de plus. 

La cloche sonne, sortant Chris de ses pensées. Sa cigarette s’est entièrement consumée, au bout de ses doigts. Il la jette dans le cendrier avant de passer son sac sur son épaule. Dans deux heures, il aura lié son destin à celui d’une personne qu’il méprise. Le cours de littérature parait durer une éternité. Le professeur s'est lancé dans une tirade sans fin. Chris n’écoute pas trop absorbé par son dessin. Il dresse un portrait de Juliette sous ses coups de crayons. Il sait que sans son diplôme son plan d’avenir tombe en ruine, pourtant dessiner permet de calmer ses pensées intrusives. Josh lance de temps à autre des regards pour suivre l'avancée du projet. 

― Ça change de tes caricatures de Batman, chuchote-t-il. 

Le prof sort son exemplaire des histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe avant d’en lire un extrait. On y parle d’un cadavre à la gorge tranchée, de porte fermée à clé de l’intérieur. Chris se demande à cet instant s'il n’a pas atterri en cours de criminologie. Puis le prof reprend sa tirade sur l’utilisation au sein du monde du septième art de l'œuvre de Poe. Citant au passage Tim Burton, que Chris apprécie énormément. L’heure se poursuit sur le même rythme, le tatoué étoffant au fur et à mesure des minutes son dessin sous le regard admiratif de Josh. L’intronisation va débuter sous peu. Chris patiente dans les gradins du stade, fumant cigarette sur cigarette. Sa patience est mise à rude épreuve, le fait qu’il soit littéralement en train de cuire en plein soleil n'aide pas. Josh finit par sortir des vestiaires, l’invitant à les rejoindre. Évidemment que tout ce cinéma aura lieu sur son territoire. 

En passant devant le bureau du coach, il remarque que le maillot d’Andy est accroché au mur, encadré. Il se tient debout au milieu de la pièce. Arborant fièrement sa veste de quater back au couleur de l’équipe. Les autres membres se tiennent à sa droite, formant une haie d’honneur. Il ne le salue pas, lui tend le fameux règlement que Chris lit. Il se retient de lever les yeux au ciel une bonne dizaine de fois. La partie la plus dure à lire concerne Juliette. Elle est intouchable, il le savait. Le voir écrit noir sur blanc le rend d’autant plus réel. Il signe à contre cœur. Un pacte avec le diable, voilà comment il le perçoit. 

Suite aux directives de Josh, il plante un genoux à terre, faisant face à Andy. 

― Je prête serment d’honorer chaque ordre émanant de toi, et de respecter tous les membres. 

Il attend l’approbation d’Andy avant de se lever. Celui-ci arbore un sourire carnassier face à sa nouvelle recrue. 

― Bienvenue parmi nous Chris. Je vais ajouter quelques détails par rapport au règlement que tu as signé. Tout d’abord sache que toute faute commise à des répercussions, j’attends de mes

hommes qu’ils soient irréprochables. Toutes les informations, conversations ou réunions doivent rester confidentielles. Des centaines d’autres paieraient pour être à ta place à cet instant, ne gâche pas ta chance. 

Chris reste stoïque, il hoche la tête lorsqu’il sent que c’est nécessaire. 

― Bien Messieurs, continue Andy, la séance est terminée. 

Ils quittent la pièce comme un seul homme. 

Abrité sous l’ombre des gradins, Josh laisse le temps à Chris de digérer toutes ces informations. La partie sur Juliette semble l’avoir ébranlé plus qu’il ne le laisse paraître.

― On ne devrait pas trop traîner, on mange tous ensembles après les réunions, lâche Josh

― Tu plaisantes ?

― C’est une des clauses du contrat, soupire-t-il

― Andy se joint à nous ? demande cyniquement Chris 

― Non …

Son silence s’étire un peu trop au goût de Chris.

― Il mange avec elle, c’est ça ?

― Oui, à une table voisine de la nôtre.

Il n’a pas envie de répondre, espérant juste que la torture sera de courte durée. 

Arrivé au self, Chris suit Josh dans le dédale des tables. Habituellement, ils mangent dehors pour qu’il puisse fumer, mais pas aujourd’hui. Ils retrouvent les larbins robotiques, agglutinés sur deux tables mitoyennes. 

Chris jette un simple regard à la table d’Andy et Juliette. Il s’attarde, sur le plateau de cette dernière, sur lequel seul une pomme verte trône fièrement. Son estomac se serre, ressassant ce que Josh lui avait dit au sujet de sa perte de poids. Elle relève la tête, son regard vert forêt se perd quelque instant dans ses pupilles bleues-gris. Il est troublé, son cœur bat à tout rompre. Tout semble s’être figé le temps d’un instant. Josh le rappelle à l’ordre en lui donnant une tape discrète sur l’épaule. Les discussions autour de la table sont centrées sur le sport. La majorité des gars font partie de l’équipe de foot. 

Chris n’est pas à l’aise, il ne préfère pas parler du fait qu’avec Josh tous les soirs ils s'entraînent à la salle. Heureusement qu’il n’aura pas à subir ce supplice chaque jour. Il prend congés une fois son plateau fini, Josh en fait de même. Il décide de boire un café plutôt que de fumer pour la énième fois de la journée. Ils arrivent à trouver un banc encore à l’ombre.

― Je te le ferai payer, tu en as conscience j’espère, assène Chris

― Je sais qu’ils sont lourds à parler sport, voiture et femme

― Non, tu crois ? L’archétype du macho dans toute sa splendeur.

Il rigole de concert.

― Fais attention la prochaine fois, rebondi Josh

― À quoi ? renchérit-il innocemment

― Tu sais très bien de quoi je veux parler, tu ne peux plus te le permettre, surtout en présence des autres.

Les mots de Josh lui font l’effet d’un poignard. Il en a malheureusement conscience depuis qu’il a apposé sa signature sur ce foutu bout de papier.

― Ce n’était pas intentionnel

― Je sais 

― Bordel , ses yeux sont encore plus beaux que je ne l’aurais pensé. Il ne se rend pas compte de la chance qu’il a.

― Visiblement si. Il ne mettrait pas autant de pression à son sujet sans raison.

La journée arrive enfin à sa fin. Lorsqu’il quitte le lycée, le tonnerre gronde au loin. L’air est moite, empli d’humidité. Les premiers éclairs zèbrent le ciel suivi d’un bruit infernal. Il ouvre son coffre pour vérifier que son sac de sport s’y trouve bien avant de partir en direction de la salle pour rejoindre Josh. 

La pluie martèle le toit en tôle depuis bientôt une heure. Chris éponge son front à l’aide de sa serviette. La sueur perle au bout de ses cheveux, trempant son cou par la même occasion. Il se lève du banc pour reposer les haltères sur leur support avant de se diriger vers le rameur. Josh lui à concocter un programme d’enfer, mélange de cardio à forte intensité et de musculation. Il enchaîne les vingt dernières minutes de rameurs, ponctué par des grimaces. La totalité de ses muscles le fait souffrir, il refuse d’abandonner avant la fin. 

― Bien joué, le félicite Josh à la fin de la séance

― Tu veux me tuer avoue, rétorque Chris hors d’haleine

― Je m’y prendrai autrement, il y a trop de témoins ici, pouffe Josh avant de flanquer une tape dans le dos de Chris.

Ce dernier se retient de l’étriper à cet instant. Il est perclus de douleurs, les courbatures du lendemain risquent d’être insoutenable. 

Une fois rentré chez lui, il se glisse sous le jet glacé de la douche, attendant que l’eau chauffe. Il bascule la tête en arrière, l’eau ruisselle sur son visage. Il pense à elle, ses grands yeux verts, ses joues parées d’une teinte rosée. Sans prononcer un mot, elle a réussi à le désarçonner. 

L’eau est maintenant chaude, il sent ses muscles se détendre au fur et à mesure.  La vapeur envahit progressivement la pièce dans un silence assourdissant. Sa mère ne rentrera que pour le dîner et son père, Dieu seul sait quand. 

Il enfile un survêtement noir avant de s’installer sur la marche du perron, son carnet à dessins sur les genoux. L’orage a cessé peu après son retour du sport, laissant dans son sillon l’odeur particulière de pétrichor. Il se contente de humer l’air, seul le chant des oiseaux lui parvient. 

Il ouvre le carnet, constate que son vernis noir commence sérieusement à s’écailler. Il commence à griffonner sans idées précises, avant de réaliser qu’il dessine un Andy sous des traits démoniaque. L’idée semble lui plaire. Il ne s'arrête  qu'une fois le portrait totalement terminé. Il a affublé le footballeur d’iris de reptile, de corne et de dents acérés. Bien loin de l’image de gendre idéal que celui-ci renvoi. Son estomac commence à le tirailler. Il regarde l’heure sur son portable, bientôt 19 heures, sa mère ne devrait pas tarder, elle sera contente si le repas est déjà dans le four. Il rentre avant de s'atteler à la tâche. 

La cuisine est loin d’être son terrain de prédilection, le faire de temps en temps compense tout ce que ces parents ont fait et feront pour lui. Il dresse la table, tandis que sa mère se gare dans l’allée. Ils mangent leur repas à deux, comme cela arrive bien souvent. Sa mère prend des nouvelles de Josh, lui demande comment se passe cette nouvelle et dernière rentrée au lycée. La fatigue le submerge, contrecoup de la séance intensive de l'après- midi. Il embrasse sa mère sur le front après avoir débarrasser son assiette, puis monte dans sa chambre. Il décroche le dessin de Juliette de son carnet pour l’accrocher au-dessus de son bureau. 

Le même schéma se répète le lendemain, Josh le rejoint, ils échangent quelques banalités avant de se rendre en cours. Son ami à cours de programmation l'après-midi, tandis que lui finit plus tôt. 

Il déambule dans les couloirs totalement vide après avoir accompagné son ami. C’est à cet instant qu’il la remarque. Complètement inerte sur le sol carrelé. Il ne devrait même pas y penser, pourtant il n’arrive pas à se refréner. Il ne peut décemment pas la laisser dans cet état. 

Il s’agenouille à ses côtés, sa poitrine se soulève, elle respire. Il glisse un bras sous son genou et l’autre dans son dos avant de se relever. Elle ne pèse rien, sa peau diaphane laisse entrevoir ses veines. Ce qui le déstabilise le plus, c'est cette fragrance de violette qui émane d’elle. Il décide de l’emmener à l’infirmerie, où elle sera plus en sécurité qu'à même le sol. Il la dépose sur l’un des lit libres. Décide de rester quelque minutes à ses côtés, espérant sans doute qu’elle ouvre les yeux, le laissant admirer une fois de plus ce regard si singulier. 

Après ce laps de temps, il quitte les lieux, frappe à la porte de l’infirmière puis s’éclipse avant d’être remarqué. Andy ne tardera pas à être mis au courant. Ça ne l'empêche pas de se sentir coupable pour l’avoir abandonné, seule, inconsciente. Il se moque qu’on ai pu le voir agir, ainsi que les répercussions que cela pourrait engendrer. Il a agit en étant conscient de son acte. L’important était de l’aider, le reste n’avait pas lieu d’être.