Oxygène

Par Elore
Notes de l’auteur : CW : claustrophobie, thalassophobie, sang.

Je ne sais pas exactement ce qui me réveille, mais le retour à la réalité est atroce. Je sens mes paupières qui luttent pour s’ouvrir - l’une d’entre elle est collée - alors qu’une douleur sourde enserre les parois de mon crâne. Contre mon épaule, il y a quelque chose de chaud, qui bouge doucement. Ma main est remontée à la source, sculptant les contours d’un visage mouillé.

Ma vision, d’abord sombre et floue, finit par s’ajuster. Je chasse le sang qui coule sur mon œil gauche et force mes paupières à s’écarter jusqu’à ce que ma vision se précise. D’abord, je vois l’habitacle de la voiture, le ciel en feu au-dessus de nous qui oscille anormalement. Puis, contre moi, Jezebel les yeux fermés, du sang plein la gueule.

- Jezebel ? Réveille-toi !!

Je me détache d’elle, commence à la secouer ; la voiture s’agite avec moi, mobile comme si on l’avait posée sur un matelas gonflable. Je m’arrête, consciente qu’un tel mouvement n’est pas normal.

Ce n’est qu’à ce moment que je sens l’eau dans mes chaussures.

 

Je baisse les yeux : un liquide trouble baigne le fond du véhicule et bouge contre mes chevilles.

- Putain !!

La panique agit comme une douche froide, remplissant mes veines d’adrénaline et chassant la douleur. J’ai tourné Jezebel vers moi et lui ai tiré une claque fébrile, qui a eu le don de faire partir sa tête de côté avant qu’elle ne se redresse d’elle-même. En la voyant rouvrir les yeux, j’ai senti une bouffée de soulagement m’envahir, chassée immédiatement par la peur.

- R... Raïra ?

- Faut qu’on sorte d’ici. On est dans l’eau, putain, faut qu’on sorte !!

Je continue à la secouer et c’est elle qui m’arrête, d’un geste maladroit mais déterminé. Son regard balaie l’habitacle, évalue la situation avant qu’elle ne s’anime, enlevant sa ceinture en une série de gestes tremblants. J’ai fait de même avant d’aviser la portière.

Il faut qu’on sorte, peu importe comment.

Cette idée prend le pas sur tout le reste.

Alors que je trouve la poignée et la tire, un grognement me parvient depuis l’arrière de la voiture. D’un coup d’œil, je vois Dog qui se redresse. Ses cheveux blancs sont tâchés de rouge sombre. C’est à peine si je prends connaissance de sa présence avant de retourner à la portière : une poussée, la porte ne s’ouvre pas. Ignorant le sang qui s’écoule de quelque part au-dessus de mes yeux, je recommence, appuyant de tout mon poids sur la porte. Le mouvement ne fait qu’ébranler la voiture et ma panique s’intensifie alors que je sens l’eau m’arriver aux genoux.

- Elle s’ouvre pas !

Je dois glapir car ma voix me semble trop aiguë pour être compréhensible. Alors que je prends mon élan pour réessayer, un geste sec me ramène en arrière. Je ne réfléchis plus, tente de me débattre alors qu’on me fait pivoter. Et dans ma tête, des pensées horrifiées se bousculent, font battre mon cœur à en crever.

Je vais crever, je vais laisser Hakeem et Lola seuls.

Je vais crever au fond de l’océan, dans une voiture qu’on ne trouvera jamais, avec une fille de la nuit et un homme que je hais.

L’air me manque.

La claque ravive la douleur de mon crâne et coupe court à mes pensées. Alors que je porte la main à ma joue humide, je vois Jezebel qui me fusille du regard.

- Calme-toi, Raïra.

J’essaie de dire un truc, mais rien ne sort. Sa main vient saisir ma mâchoire et l’enserre furieusement, me forçant à la fixer.

- On va s’en sortir, mais il faut que tu restes calme.

Dans la périphérie de mon champ de vision, je vois Dog qui s’approche. Il a l’air sonné, étrangement calme alors qu’il écoute Jezebel comme un enfant au moment de l’histoire du soir. Je me dis que si lui l’écoute

(et ignore le sel qui baigne nos bras),

je peux aussi.

Articulant avec soin, Jezebel reprend :

- Dès que l’eau aura rempli la voiture, on va pouvoir ouvrir les portes et nager vers la surface. Mon côté est défoncé, va falloir que tu le fasses.

Un regard vers sa portière à elle, déformée par l’impact. D’une légère pression, Jezebel se rappelle à moi.

- Tu vas pouvoir faire ça, Raïra ?

Je grimace, hoche la tête. Dans ma tête, il n’y a plus rien, plus que sa voix.

Et l’eau qui monte jusqu’à ma poitrine.

Une inspiration, et Jezebel me lâche. Je croise le regard de Dog, revient à celui de la conductrice. L’eau monte de plus en plus vite, atteint mes clavicules. J’ai pas envie de me retourner, lâcher sa présence, mais je le fais et mes mouvements sont comme en apesanteur. Sous l’eau, mes mains cherchent la poignée alors que je vois Dog faire de même de son côté - c’est la première fois qu’il a l’air presque normal, sans son habituel sourire de dératé. La main de Jezebel s’agrippe à mon épaule et, d’une voix impérieuse, lance :

- Respire.

C’est ce que je fais. Une grande inspiration coupée par les saccades, qui remplit mes poumons d’air glacé. Alors que l’eau monte jusqu’à mon cou, je fais basculer ma tête vers le plafond miteux de la caisse.

 

Quand j’étais petite, j’avais peur d’ouvrir les yeux sous l’eau.

C’est Hakeem qui m’avait appris à le faire.

 

Tout se passe en même temps.

L’eau recouvre ma bouche, mes yeux et mon nez, je sens à peine la voiture qui s’enfonce que la pression sur mon épaule se fait plus forte. Obéissant à l’impulsion, je tire la poignée et le mécanisme qui s’enclenche, s’ouvrant sur une immensité terrifiante. Poussant sur mes muscles endoloris, je me dégage et m’enfonce dans l’obscurité. Derrière moi, un mouvement ; je me retourne et avise Jezebel, les bulles qui s’échappent d’entre ses lèvres. Un regard de côté, je vois que la portière de Dog est ouverte mais qu’il n’est pas totalement dehors et s’agite ; j’ignore ce qui le retient.

Une saccade. C’est Jezebel qui a pris ma main et s’est appuyée sur le capot pour commencer à nager vers le haut, ignorant ostensiblement le punk. Je résiste peut-être une seconde mais elle force et l’air me manque déjà, alors je la suis, avide de respirer à nouveau.

L’océan finit par changer de couleur. Au moment où je me demande si mes poumons vont exploser, Jezebel crève la surface. De ses deux mains, elle m’aide à faire pareil et l’air me fait mal quand je respire enfin.

Mais je respire, c’est déjà ça.

Je respire et on est deux sur trois.

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_HP_
Posté le 13/04/2021
Hello !

Alléluia... Je vais sans doute paraitre horrible, mais je suis contente qu'au moins les deux filles soient sorties d'affaire 😅
Et même s'il est pas toujours très cool, je croise les doigts pour Dog 🤞
En tout cas j'ai beaucoup aimé ce chapitre, plongé dans les pensées de Raira ^^
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