Onze - L'enveloppe

Notes de l’auteur : En réalité, personne n'a vraiment peur d'avouer ses sentiments, on a simplement peur que ce ne soit pas réciproque.
Anonyme

6h30, 25 avril 15, indiquait son réveil. Parfait. Sélène possédait exactement quinze minutes avant que sa mère ne vienne la chercher. Et Philomène était toujours à l’heure. Il n’y avait donc pas de temps à perdre. Elle n’était pas certaine de vouloir photocopier le texte du Miroir du Riséd, mais si Sélène ne le faisait pas aujourd’hui, elle était sûre à trois cent pour cent qu’elle le regretterait par la suite. Au moins, ses sentiments pour Léo seraient dévoilés au grand jour, sans retour en arrière possible. Ils ne seraient plus que pour elle. Alea jacta est, le sort en est jeté.

Voilà pourquoi elle se trouvait dans le bureau, à six heures et demie du matin, en train d’imprimer deux pages couvertes d’une petite écriture ronde. Encore maintenant, elle n’était pas certaine de devoir lui donner tout ça. La jeune fille s’empressa d’agir avant de changer d’avis. Elle avait encore fait le même rêve cette nuit-là, et il commençait sérieusement à l’énerver.

Il se terminait encore au même endroit : dès que Léo tournait la tête, Sélène se réveillait. Elle n’était jamais allée plus loin que ça, comme si son indécision sur ce qu’elle devait faire empêchait son rêve de se terminer correctement. Le coucher de soleil, la mer, la balançoire, Léo… D’ailleurs, il n’y avait pas de balançoire sur la plage de Quiberon. Aucune. Pas même dans les environs. Ce lieu existait-il réellement ? Sélène commençait à en douter.

L’encre noire avait terminé de sécher sur les feuilles ; Sélène pouvait les saisir sans prendre le risque qu’elles gondolent. La jeune fille retourna sans bruit dans sa chambre et referma la porte. Elle prit un crayon et du papier, écrivant un court texte résumant la situation, puis s’empara de son stylo fétiche à encre pourpre effaçable pour recopier son brouillon en-dessous du texte du miroir. « As-tu deviné de qui est-ce que je parle ? Ce que je t’ai dit au baptême était faux. Combien de fois ai-je regretté de ne pas t’avoir avoué la vérité ? Combien de fois ai-je regretté mes mots ? Alors voilà : je t’aime, Léo Sherwood. Sans mensonge. Réponds-moi vite. » Et elle signa par son prénom, son simple prénom : Sélène. Et sur l’enveloppe, en guise d’adresse, la jeune fille nota d’une écriture ronde, après avoir longuement hésité :

Léo Sherwood

Le garçon des après-midis jeux

Celui que je connais depuis toujours

Sans se poser de questions, Sélène fourra l’enveloppe dans son sac, avant de changer d’avis. Elle n’avait jamais été courageuse. Jamais. Elle le voyait au cirque. Elle le voyait dans la vie de tous les jours. Pour une fois qu’elle osait quelque chose, même si c’était une erreur, Sélène était décidée à aller jusqu’au bout.

<3

Une fois arrivée à l’école, Sélène retrouva Alya pour aller en cours d’éthique, salle numéro 115. Comme dans les hôtels, c’était simple de s’y retrouver si on connaissait un peu les lieux. Les deux filles entrèrent dans la pièce. Il n’y avait pas personne hormis le prof et elles, mais Sélène hésita à glisser maintenant l’enveloppe dans son bureau. Il n’y avait aucun témoin… sans compter Alya. Et Sélène ne voulait pas lui avouer ce qu’elle s’apprêtait à faire. Pas encore, en tous cas. Non seulement elle ne se sentait pas prête, mais ça signifiait aussi trahir sa propre promesse, celle de tout avouer en premier à Norelia. L’ex de Léo. Sélène décida alors d’attendre. De toute façon, elle ne pouvait décevoir personne (hormis elle-même). Au pire, elle lui donnerait la semaine d’après.

Le cours se passa sans encombre. Sélène semblait un peu sur les nerfs, car elle ne savait pas comment s’y prendre quand le cours se terminerait. Un plan ? Elle n’en avait aucun. Pour l’instant, la collégienne avait juste glissé l’enveloppe dans son classeur d’éthique sans que personne ne remarque rien. Quoi faire après ? Sélène décida d’aviser à ce moment-là. La sonnerie se fit entendre sans que Sélène ait trouvé la moindre solution. Quelle ironie de savoir que si elle s’était décidée plus tôt, il lui aurait juste suffi de glisser l’enveloppe dans le bureau où elle avait été assise ! Hélas, assise au bureau de Léo, elle ne l’était plus. Plus du tout.

Que faire, là, maintenant, tout de suite ? Elle n’avait plus le choix. En s’assurant qu’Alya était occupée à ranger ses affaires, Sélène se dirigea vers la personne qui occupait le bureau de Léo. Cette fille se trouvait dans sa classe, mais elle n’avait pas eu beaucoup de contact avec elle ; cette dernière faisait partie des élèves populaires, et Sélène ne traînait pas avec eux. Oui, elle était connue, mais pas populaire. D’ailleurs, après cette journée mémorable, elle le serait encore plus, même si la jeune fille ne le saurait que plus tard. Beaucoup, beaucoup plus tard. Quand ce serait… trop tard.

- Salut ! Comment ça va ?

- Euh… Bien, et toi ?

Il n’y avait pas plus gênant. Cette fille, Emma, était une amie que fréquentait Chloé. Et Sélène trouvait que c’était la pire du « clan ». Mais bon : s’il fallait en passer par là pour donner cette enveloppe à Léo, elle était prête à assumer. Contournant le bureau par derrière, elle glissa la main à l’intérieur, où se trouvait désormais l’enveloppe. Alea jacta est. Plus de retour en arrière possible. Ce n’était plus une décision : maintenant, c’était un acte irréversible.

<3

Le cours de latin passa également sans que Sélène soit très attentive. Heureusement, il semblait n’avoir rien remarqué. Alya, en revanche, se doutait de quelque chose. Elle n’arrêtait pas de lui jeter des coups d’œil suspicieux, auxquels Sélène ne répondait pas, ce qui provoquait encore plus méfiance. Il faudrait qu’elle lui parle sans tarder. Mais sur le moment, Sélène possédait trop de choses auxquelles elle pensait. Avait-il bien reçu la lettre ? Que Léo faisait-il à ce moment-là, alors qu’elle se cassait la tête à répondre à la question ? Quelle était la réponse ? Non pas à cette question idiote ; l’aimait-il aussi ? Son amour était-il réciproque ? Que pensait-il de son texte ? Que fallait-il faire maintenant ? Nier ce qu’elle avait fait ou courir après une réponse ? D’ailleurs, Sélène avait-elle pris la bonne décision en lui avouant ?

C’était trop de questions sans réponses. Laissant les autres à l’écart, Sélène se focalisa sur la dernière : oui, elle avait eu raison de lui dire. En tout cas, ce fut la décision qu’elle prit. Il ne fallait pas qu’elle commence à la regretter maintenant.

<3

- Sélène ! Pourquoi as-tu parlé à Emma avec une enveloppe dans ta main, qui a ensuite disparu ?

Alya semblait furieuse. Très, très furieuse.

- Euh… C’était… une enveloppe pour elle, de la part de Chloé. Elles se sont brouillées toutes les deux, et du coup Chloé tenait à s’excuser… Elle m’a chargé de lui donner.

Pourvu qu’elle croie au mensonge ! Parce que Sélène mentait très, très mal. Et en plus, ce n’était pas crédible : oui, elle aimait bien Chloé, mais elles n’étaient pas si proches que ça. Il ne restait plus qu’à prier…

- Et pourquoi Chloé t’a-t-elle demandé à toi ? Ou hou, Sélène ?

Alya avait passé la main devant ses yeux pour la tirer de ses rêveries. D’ailleurs, Sélène ne rêvait pas : elle était juste en train de surveiller Léo du coin de l’œil.

- Parce que… Je sais pas, moi !!!

Fin de la discussion. Léo ne semblait pas avoir remarqué quoi-que-ce-soit : rien avait changé dans son comportement. Il ne paraissait ni mal à l’aise, ni préoccupé… pas même un coup d’œil en coin alors qu’il pensait que Sélène ne regardait pas. Etait-ce possible… qu’il n’ait rien reçu ? Etait-ce possible qu’il n’ait rien remarqué ? Que l’enveloppe soit toujours dans son bureau, à la même place qu’avant ? Encore des questions sans réponse…

Sélène passa toute la journée sur des chardons ardents, guettant le moindre signe qu’il se soit passé quelque chose. Peut-être qu’il parlerait de sa « découverte » (qu’il ne semblait pas avoir découvert) avec des amis, ou même n’importe qui. Peut-être que Léo lui jetterait finalement un regard fugace, à demi voilé. Peut-être le surprendrait-elle plongé dans ses pensées, ou avec la lettre à la main… Rien. Rien du tout. Pourquoi ?

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