Nuit en ville (6) - Champ de coquelicots

Par Pouiny

Il passa la quasi totalité de son trajet en somnolence. Quand il rêvait, il entendait le son du train. Quand se réveillait, il voyait passer ces plaines inconnues éclairées par un soleil timide. Il ne parla que pour présenter son billet au contrôleur. Sinon, il resta tranquille, seul, dans une sorte de bulle opaque au reste du monde. Après des heures qui passaient sans que le jeune homme chercha à les sentir, il fini par reconnaître quelques unes des montagnes qui passaient devant ses yeux alors que le train ralentissait. Avec une douceur infinie, alors que le jeune homme était plongé dans un silence intérieur, le train s’arrêta à la gare de sa ville d’enfance.

 

Il descendit tranquillement. Il avait du mal à réaliser que tout ceci n’était pas simplement un agréable rêve. En sortant de la petite gare creusée au milieu des montagnes qui entouraient la ville, il repéra rapidement Aïden. Il n’avait pas été en retard. Il l’attendait, a coté de sa moto bleue, deux casques dans une main. En le remarquant parmi tous les voyageurs qui sortaient du train, il lui adressa un petit sourire désolé. L’homme avait des traits tirés, une inquiétude se lisait dans ses yeux. Mais son visage était connu, amical. Pas de déception, pas d’hostilité se lisait sur sa figure. Alexandre, alors, senti en son cœur alors quelque chose se fissurer. Oubliant le monde autour, il couru pour sauter dans ses bras.

 

Surpris, Aïden manqua de faire tomber les casques. Il n’avait jamais été du genre à faire des démonstrations d’amour en public. Mais en sentant le jeune homme pleurer contre lui, il n’eut pas le cœur à le repousser. Faisant en sorte de ne se concentrer que sur lui et pas sur les potentiels regards aux alentours, il posa doucement les casques et répondit à son étreinte.

« Le voyage s’est bien passé ? Murmura-t-il avec douceur. »

Le jeune homme hocha la tête. Sa voix était enfermée dans sa gorge, l’effort pour lui répondre lui paraissait surhumain. Trop d’émotions se bousculaient et se battaient en duel dans sa tête. Il resta ainsi un moment immobile avant de finir par se détacher en prenant le casque qu’avait pris Aïden pour lui. Ne voulant pas insister davantage, ils se mirent alors en route en silence.

 

Le trajet, après des heures de trains, parut assez long à Alexandre. Aïden était quelqu’un de très prudent sur la route et qui roulait toujours très tranquillement. Le jeune homme profita surtout de la route pour s’accrocher au dos du motard de toute ses force, comme une coquille a un rocher pour ne pas se faire emporter par la mer. Le soleil était désormais celui de l’après-midi, haut dans le ciel, et le jeune homme appréciait ressentir une chaleur au-dessus de lui. Après un long moment de grande route, avec un moteur bruyant pour tout fond sonore, Alexandre finit par voir la moto entrer dans une petite ville. Elle ressemblait presque un peu à la sienne, bien qu’un peu plus petite. C’était aussi une ville montagneuse, mais les collines qui l’entouraient étaient bien plus petites. Aïden et Alexandre suivirent une petite rivière, qui semblait découper un des nombreuses collines. C’était comme une version miniature de sa ville d’enfance. Mais en vérité, elle n’était pas si ressemblante : cette ville là était plus rurale, plus enfoncé dans la campagne. La part faite à la végétation était plus importante. Il y avait plus d’arbres, les routes étaient moins droites. Tout semblait plus désert, plus tranquille. La moto continua sa route et plus ils entraient dans cette petite ville, plus Alexandre avait l’impression que c’en était pas une, tant tout lui paraissait vide. Il n’y avait pas de cinéma, pas de centre commercial, pas d’immenses infrastructures. Il y avait seulement des maisons, des collines montagneuses formant des murs d’escalades naturels, un parc, un cimetière, un petit hôpital. Il n’y avait qu’une seule école. S’il y avait un collège et un lycée, ils n’étaient même pas à l’intérieur même de la ville, comme si les bâtiments auraient été trop grand pour avoir leur place. Parfois, au milieu des habitations éparses, Alexandre pouvait voir passer un café, où des gens discutaient très fort au début de l’après midi. Comme s’il n’y avait pas de travail, comme s’il n’y avait pas d’obligations dans cette petite ville de campagne. Mais malgré cet étrange vide auquel Alexandre n’était plus habitué, il aimait ce qu’il voyait. Dans l’espace qu’il ressentait en voyant cette presque-ville, il se sentait accueilli. Comme si de la nature venait un environnement chaleureux. Aïden, concentré sur la route, regardait droit devant lui.

 

« Tu vois, cette maison ? C’est celle de mon père.

– Tu as grandi dans cette ville ?

– Moi, et Bastien, oui. »

Il était difficile de discuter sur une moto, même si elle ne roulait pas très vite sur les routes désertes. Aïden s’éloigna de la maison et sembla presque sortir de la ville. Très vite, il ne resta devant les yeux du jeune homme que des champs et des vignes. Seul sortait de cette plaine au milieu des montagnes un vieux bâtiment qui semblait immense au milieu du plat.

« Et ça, c’était notre lycée, indiqua simplement Aïden.

– Le champs de tournesol n’est pas loin ?

– Non. »

Alors, le jeune homme se redressa pour essayer de voir où il pouvait bien se trouver. Il y avait a cet endroit plusieurs champs, qui semblait peut-être appartenir à différentes personnes. Mais rien, de ces cultures, ne semblait pousser quelque chose qui ressemblait de près ou de loin à des tournesols.

 

Puis, en regardant plus loin, le jeune homme fut happé par une couleur pétante. Aïden, impassible, se dirigeait vers un bain de rouge, si fort qu’il pouvait presque faire mal aux yeux. Surpris, Alexandre eut presque l’impression qu’il se trompait de route. Mais la moto continuait d’avancer, et le terrain en friche devenait de plus en plus clair. C’était des coquelicots, sûrement sauvages, qui avait recouvert l’endroit de leur pétales fripées. Leur beauté frappa Alexandre en plein cœur, mais cette vision si forte et si étrange ne réussit pas à lui faire oublier ce qu’il cherchait à voir. Les petits coquelicots, par centaines, prenaient toute la place et créait avec le mouvement du vent, une immense mer rouge au milieu des herbe folles. Tous semblaient n’être animé que d’un seul mouvement. Rien en eux faisait penser à la puissance et la majesté des immenses tournesols, impassibles et dirigé qu’en un seul but. Pourtant, alors qu’ils longeaient désormais le terrain des coquelicots, roulant sur un chemin qui n’était pas goudronné, Aïden ralenti puis s’arrêta.

« On est arrivé, Alex. Le reste du chemin se fera à pied. »

Perdu, le jeune homme enleva son casque. Il ne savait pas quoi regarder entre les fleurs et l’homme. Aïden posait sa moto sur sa béquille, et sortant un sac du porte-bagage, il commençait à s’éloigner vers un bout de colline qui leur faisait face. Comprenant qu’il allait partir sans lui, Alex le rattrapa en courant :

« Mais… C’est pas… »

Une fracture dans son esprit le fit se figer. Aïden, voyant le visage choqué de son compagnon s’arrêta également de marcher. L’image qu’avait vu Alex dans ses rêves, face au chemin qui était désormais devant ses yeux, lui revenait brusquement en miroir, avec une force si colossale qu’il eut l’impression qu’il allait se faire écraser. Mais, immobile, il murmura d’une voix blanche :

« C’était là. »

Choqué, il fit un pas. Sa vision se confirmait. Il était désormais empli d’une certitude folle, que lui-même n’arrivait pas à comprendre. Aïden voulu faire un pas vers lui, quand, perdu dans ses pensées, le jeune homme s’enfuit dans une course effrénée.

« Alex ! Doucement, attend-moi ! S’écria Aïden alors qu’il couru après lui. »

Le jeune homme ne l’écoutait pas. Son corps souffrait alors qu’il le forçait à allonger les enjambée, qu’il grimpait sur la côte presque à quatre pattes. Dans sa tête, revenait la lumière aveuglante, la vue en contre-bas. Tout s’enchaînait et correspondait de manière incroyable a ce qu’il avait devant les yeux.

« Alex, ralentis, tu vas te faire mal ! Cria encore Aïden, sur ses talons. »

Prudent, l’homme accéléra encore, mais la course d’Alexandre était si folle, si frénétique, qu’il n’arrivait pas à le rattraper. Inquiet, il restait en arrière, craignant le voir tomber ou trébucher sur une des nombreuses branches du chemin. La nature pouvait être assez traître, et il était bien placé pour le savoir.

Très vite, il arriva au sommet du plateau. Alors, il se figea aussi brusquement qu’il s’était mis à courir. Il était face à un trou, un petit sommet où il n’y avait aucun arbre pour gêner la vue en contre-bas. Mais ce n’était toujours pas un champs de tournesol qui lui faisait face. Toujours aussi rouge, toujours aussi minuscule, il ne voyait pas clairement les petits coquelicots tant ils étaient insignifiant. Tout ce que restait de ces fleurs étaient un carré rouge, uni et pétaradant, comme si les petites fleurs avaient de quoi se vanter. Tout ceci lui semblait être une vaste blague, ou bien une immense folie. Sidéré, le jeune homme se laissa tomber à terre.

« Alexandre ! »

Aïden se précipita sur lui, se mettant immédiatement à genoux pour se mettre à sa hauteur. Il respirait fort, bien qu’il n’était pas aussi épuisé que le jeune homme qui avait couru a s’en percer les poumons. Très vite, il se senti pris de vertiges, alors que l’homme le soutint autant qu’il le pouvait.

« Est-ce que tout va bien ? Alex !

– Je suis devenu fou, hein, murmura le jeune homme pour toute réponse. »

Il avait presque fermé les yeux. Il n’en pouvait plus, tout lui semblait insupportable. Le rouge des fleurs, le vert des feuilles, le souffle du vent, tout ceci lui donnait mal à la tête. Aïden le serra contre lui avec inquiétude.

« Non, bien sûr que non… Tu n’es pas devenu fou, Alex. Tu es allé là où je voulais t’emmener.

– Comment ça ? »

Sans lui répondre, Aïden ouvrit son sac pour en sortir nerveusement une bouteille d’eau. Il fit boire Alexandre, comme un enfant. Il le laissa reprendre son souffle, mouillant légèrement son front. Les yeux bleus d’Aïden scintillaient avec force. Lui aussi semblait perdu au milieu d’une tempête. Quand le jeune homme reprit assez ses esprits pour tenir tout seul, Aïden s’assit a coté de lui, s’installant plus confortablement dans l’herbe. Il regardait la mer de coquelicot d’un regard vague.

« Ça doit faire… vingt ans, que je ne suis pas venu ici, fini-t-il par murmurer. Autrefois, il y avait des tournesols, en bas. Ils étaient tenu par une vieille agricultrice un peu revêche. J’ai travaillé pour elle, quand j’étais plus jeune. J’étais un peu plus jeune que toi, d’ailleurs. Mais, quand elle est morte, personne n’a jugé bon de reprendre son travail. Son fils n’a même pas voulu faire l’effort de revendre son terrain. Peut-être qu’il s’était dit qu’il allait en faire quelque chose ? J’en ai aucune idée. En tout cas… Ça fait longtemps que les tournesols sont morts. Ils ne poussent plus, ici. Mais, la terre était bonne, et les coquelicots poussent facilement tout seul à l’état sauvage. Ils les ont remplacé, un peu comme en souvenir de l’ancien champs. »

Il s’arrêta en entendant Alexandre renifler. La tête qu’il faisait était indéchiffrable. Même lui n’avait toujours aucune idée de ce qu’il ressentait.

« Pourquoi… Pourquoi je l’ai vu, alors ? Finit par demander Alexandre d’une voix brisée. Comment j’ai pu le voir ?

– J’en sais rien. J’ai… J’ai pas encore tout raconté, Alex.

– Excuse-moi.

– C’est rien. Je suis pas un très bon conteur, je te l’accorde. »

Il avait dit ça avec un léger rire. Mais il reprit la conversation avec un ton plus grave.

« J’aimais énormément ce champ de tournesol. Je l’ai découvert en entrant au lycée. Je faisais le trajet tous les matins en courant, dès que je les ai vu, j’ai eu un coup de cœur pour eux. Quand je me suis lancé dans la photo… J’étais en terminale, tu sais. C’est la première chose que j’ai pris en photo. Le soleil sous les tournesol. J’adorais cette vision, je trouvais ça exceptionnel. Et… »

Sa respiration trembla un peu. Il fit craquer une branche sous son pied. Sa voix, elle aussi, commençait à se troubler.

« Dans les derniers mois de sa vie, Béryl n’arrêtait pas de me demander quelque chose. Elle me demandait de lui montrer le soleil. Je lui avais montré tellement de photos, que je lui avais créé cette envie. Mais je ne pouvais pas lui en montrer un en vrai, ç’aurait été comme la jeter au feu. Alors… J’ai demandé à Bastien de me prêter son vélo. Et une nuit, après l’heure des visites, j’ai pris Béryl avec moi et je l’emmenée jusqu’ici. »

Attentif, Alexandre se redressa légèrement. Pour la première fois depuis longtemps, l’histoire qu’il entendait lui était totalement inconnue.

« C’était pas prendre un risque ? Demanda-t-il doucement.

– Si, avoua Aïden. Mais je… nous l’avons pris. Et a peine quelques mois plus tard, Béryl mourrait à l’hôpital. Je… Je n’ai jamais su s’il y avait eu un lien ou non. Si, avec Bastien, on avait été complice de meurtre, pour ça. Alors… On s’est promis de ne jamais en parler. C’est pour ça que je t’ai demandé ça. S’il t’en avait parlé. Parce que moi, j’ai tenu parole. Tu es la première personne à qui je dis tout ça.

– Non, il ne m’avait rien dit. Je n’en savais rien. »

Aïden laissa tomber sa tête dans ses genoux en une grande expiration. Alexandre commençait à reprendre ses esprits, ses moyens. La nature qui l’entourait était calme. Le vent soufflait légèrement. Le soleil était doux. Il n’y avait, plus de voiture, plus de moteur, plus de gens. Il ne restait au monde qu’Aïden et lui.

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