Nothing Else Matters - Metallica

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/tAGnKpE4NCI

J’avais 20 ans, quand j’écrivais son histoire. Il était trois heures du matin, quand je décrivais sa nuit. Le héros de mon projet le plus commensurable, qui ne m’avait pris à l’époque qu’un an de ma vie, mais qui n’avait pas fini de me suivre. La rédaction était longue, intense et disparate ; il m’arrivait d’écrire sans interruption pendant des semaines, avant d’abandonner le récit durant plusieurs mois. Et précisément, ce dernier jour d’écriture, plus fou que les autres, j’avais commencé le matin en me promettant de n’arrêter qu’une fois la fin écrite : j’en étais donc à presque dix-huit heures de rédaction acharnée, avec seulement une pause pour manger devant l’écran de mon ordinateur en relisant mon texte.

 

L’instant décrit était tout aussi intense que paisible. Mon héros, pouvant presque ressembler à un alter ego sur certains aspects, se perdait dans une nuit calme, éprouvant le tourbillon d’angoisse qui survient quand les tempêtes sont trop imposantes, trop traumatisantes. Et vivant pour sa musique, il choisissait de brancher sa guitare électrique pour interpréter une chanson symbolisant tous ces remous. Pour m’imprégner de l’émotion de la scène, j’avais décidé de l’écouter en boucle pendant des heures en plein milieu de la nuit, le clip YouTube tournant en arrière-plan, alors que mon texte blanc sur mon ordinateur éclairait la pièce rongée par l’obscurité. Nothing Else Matters, de Metallica, existait dans les deux pans de la réalité, devenant ainsi pour moi la première musique transdimensionnelle.

 

Metallica est le groupe du cyclique. Leurs compositions sont la définition même du lancinant. Lentes, fortes, aux temps appuyés avec lourdeur, elles font entendre encore et encore les mêmes couplets jusqu’à ce qu’ils se transforment en refrains, ne faisant qu’accroître leur puissance à chaque répétition. Et Nothing Else Matters n’échappe en rien à cette thématique. Le début et la fin se rejoignent, formant ainsi une boucle parfaite. La chanson monte et descend en intensité, avec l’ajout des instruments, la disparition d’autres, l’arrivée d’un solo. Mais tout se crée et se perd dans cette répétition infinie, portant sur elle le poids des mots et le poids du monde, devenant comme une transe, une incantation.

 

Et avec cette chanson et la fatigue, mon esprit s’est scindé. Je n’étais plus l’écrivain, tapant des phrases devant son ordinateur. Un souvenir, un authentique faux souvenir s’est formé en moi. Je voyais cette nuit qu’il vivait, ces sons qu’il entendait. Je ressentais la douleur et la détresse, sa tourmente. Épuisé, perdu, ne pouvant plus que gratter les cordes sales de sa guitare électrique en plein nuit, sachant pertinemment que ce n’était pas la chose à faire, même si c’était la seule dont il était capable. La scène que j’écrivais et les émotions que j’éprouvais avec lui, pour lui, ont fusionné avec les mots de James Hetfield.

 

« Never opened myself this way… Life is ours, we live it our way. All these words, I don’t just say… And nothing else matters. » La chambre n’était plus la mienne, ses murs n’étaient plus ceux qui m’entouraient. J’étais dans son appartement, assis sur la petite chaise en bois près du lit de sa chambre. J’entendais grésiller le vieil ampli dont la diode rouge s’allumait avec la tension. Tout était si vivant, si clair, si précis, que les mots s’alignaient les uns après les autres sans que j’aie à y réfléchir. Dans mon monde à moi, tout était calme. J’étais dans la maison de mes parents pour écrire, il était tard, il n’y avait pas un bruit. Pour la énième fois, la chanson criait dans la nuit noire, mais je l’entendais toujours comme si c’était la première fois, ou comme si toutes ces itérations n’étaient qu’un seul morceau de deux heures. Le temps s’était distordu, par je ne sais quel miracle. J’avais réussi à traverser mon écran pour un autre monde.

 

J’eus enfin fini d’écrire son histoire vers six heures du matin, après plus de vingt heures de rédaction intensive. Je me suis endormi aussitôt après, engloutissant dans le néant toute l’expérience étrange que je venais de vivre. Si bien que j’aurai pu oublier toute cette impression surnaturelle, si « Nothing Else Matters » ne m’y rappelait pas. Pour la première fois dans les Musiques Capsule, le souvenir que je décris n’est pas tout à fait le mien. Aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est dans son sentiment et sa nuit dans lesquels je me projette immédiatement d’instinct, en entendant cette introduction en cordes à vide. Tant et si bien que j’hésitais même à lui accorder une place parmi les autres, alors qu’elle la mérite amplement. Sans cette part de surnaturel et d’esprit qui nous joue des tours, les récits comme les musiques de toutes sortes deviendraient bien fades.

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Imre Décéka
Posté le 13/12/2021
Je découvre tes chroniques musicales avec appétit ! Ces tranches de vies reliées à des chansons, des morceaux de musique me paraissent très fécondes d'un point de vue littéraire. Ce premier texte ne me déçoit pas. Relier "Nothing else matters", Mettalica, et plus globalement le métal à un genre trans-dimensionnel me paraît très juste et très pertinent. Hâte de lire d'autres billets.
Bravo pour ce texte et merci pour le partage !
Pouiny
Posté le 14/12/2021
Merci beaucoup ! ça me fait très plaisir :) J'espère que les autres te plairont également ! D'ailleurs, je ferai peut-être une autre capsule avec Metallica, j'ai un autre de ses titres notés dans une liste ^^
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