Nommer

Notes de l’auteur : La dernière citation entre parenthèses est une paraphrase des derniers vers du poème « Barbara » de Jacques Prevert du recueil Paroles.

Parfois, son propre nom était un étranger. 

Parfois, son propre nom était un mythe. Comme une fable pour enfant. Comme un murmure qui la hantait. Comme une vieille histoire dont elle aurait oublié les fils. Elle ne s’appelait pas. Parfois, cette vérité la frappait étrangement. Comme si elle n’existait pas à son esprit. Son « moi » était un autre, et elle n’était personne. Plus elle y réfléchissait, plus sa réalité s’échappait, comme un écran de fumée. Et alors, elle comprenait que c’était ce qu’elleétait. Un écran de fumée. Un moule polymorphe. Un rampant parlant haut dans une langue volée. Son prénom avait un goût qu’elle n’était pas censé sentir. Elle n’était pas censé se regarder comme un inconnu dans le miroir, elle n’était pas censé sursauter à la vue de son visage et tirer sur sa peau pour en tester l’élasticité morbide. Elle n’était pas censé guetter le son de sa voix et être terrifiée des mots qui sortaient de sa bouche. Elle n’était pas censé être repoussée par ce regard sombre, ces cernes et ce teint fatigué, pas censé être si méfiante de ce corps mouvant, elle n’était pas censée sentir tant d’antipathie pour son porteur.  Ce porteur qui était elle. Qui était elle. « Que je suis. Je suis. Je m’appelle. Je m’appelle Busra et je suis faite de mes souvenirs ». 

Les souvenirs. 

Trop tôt, trop puissant, trop envahissant, trop. Les rejeter au fond de la cave. Les maintenir à distance. Retenir le flux. Agiter le fléau bien haut et les couvrir par son sifflement. Recouvrir et aplanir. Faire rentrer au dedans, faire s’enfoncer dans la glaise et danser sur la terre en tapant bien     fort des talons. Flamenco pénitent à la lueur des bougies. Ne pas fermer les yeux, ne pas laisser l’obscurité rappeler à la lumière et tout révéler. Ne rien révéler. Laisser l’enfant couvert de moisissure et de poussière agiter les marionnettes tant qu’il le veut, le laisser s’empêtrer dans les ficelles, nouer les cordes douloureusement, changer de visages trop vite pour sa peau, tordre les membres et dessiner ce chaos factice. Ne pas le chasser. Tout sauf la véracité. Laisser le mensonge se planter toujours plus loin dans le sol, laisser ses racines de plastiques pousser toujours plus profondément et serrer ses yeux pour les garder ouverts à en brûler. 

Marcheur aveugle à son propre nom. 

Son nom la tirait en arrière, son nom n’était pas à elle, son nom se tenait au devant d’elle et Busra restait en retrait, au loin, « au loin très loin d’elle même dont il ne reste rien ».

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Alice_Lath
Posté le 22/06/2020
"qu’elleétait" -> "qu’elle était". Y'a aussi un espace en trop à un endroit haha
Sinon, c'était vraiment un très beau passage, surtout la phrase avec les rampants et la langue violée, c'est vraiment très joli. Bref, c'est toujours un régal à lire, tout un jeu avec les mots qui sont modelés et remodelés.
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