Monsieur le Président

Par jus

Comme tout récit bâclé par un auteur inexpérimenté, mon histoire commence par les présentations, par La présentation. Présentation d'un homme sans plus d'intérêt qu'un fruit pourrissant sur la table où on l'aurait oublié. A ce titre ce texte se revendique nature morte, s'efforçant d'illustrer ce qu'une âme a de périssable.

Dans ce premier paragraphe, nous appellerons notre personnage "Monsieur B" ou "B" par souci de concision.

Monsieur B était de taille moyenne, de corpulence moyenne (quoiqu'ayant tendance à s'enrober avec le temps). N'en déplaise à Mick Jagger, monsieur B n'était ni un homme fortuné, ni un homme de goût. Il n'était ceci dit pas miséreux non plus, et n'avait rien de ridicule. Ce n'était pas un homme bête, ni un homme malin, et il vivait une vie normale, avec un travail normal lui garantissant des revenus normaux, marié à une femme normale, père de deux enfants normaux. En résumé, B ne brillait que par la formidable Banalité à laquelle il doit son nom.

A l'apogée de sa médiocrité, B a exprimé le désir le plus commun chez l'espèce de grands singes à laquelle il appartient : celui de dominer.

Quoi de plus compréhensible ? Aigri par des années d'obéissance, sa frustration n'a fait que s'accumuler jusqu'à rompre les digues de sa civilité. Ainsi, dans l'impossibilité de s'assouvir au travail ni au foyer, ce désir irrésistible s'est tourné vers un club sportif ingénu qui passait par là. Le plus naturellement du monde, B y a adhéré, se plaçant tout de suite dans une posture autoritaire, mêlant condescendance et ton mielleux face aux figures d'autorité en place. (On notera que le choix d'une association sportive est des plus surprenants pour un homme qui n'a plus couru depuis l'école primaire.)

C'est sans surprise que l'année suivante il fut nommé président du club, et nous l'appelleront dorénavant 'Monsieur le Président".

On ne peut que l'imaginer se réveillant dans sa chambre présidentielle aux côtés de la première dame du club, se tirant du lit les genoux craquants, éprouvés par son poids cumulé à celui de son ego présidentiel.

Sans entrer dans les détails, qui demanderaient une forêt entière là où je ne dispose que d'une bûche, Monsieur le Président n'aura cessé de mener de ces petites luttes qui n'ont d'autre dessein que d'affirmer son contrôle. C'était plus qu'il n'en fallait pour s'attirer ma polie désapprobation. Plus tard, il a commis l'erreur qui m'a poussé à le haïr : celle de remporter son ultime combat face aux représentants de l'ancienne autorité. Ainsi mon entraineur, avec qui j'entretenais la relation que seuls ceux qui ont eu un professeur dévoué connaissent, s'est retrouvé à la porte, le cul dans le caniveau, sans autre recours que la reddition.

Monsieur le Président,

Je vous fais une lettre,

Pour vous envoyer paître,

Comme le dernier manant.

Votre médiocrité cultivée savamment,

Murit en vanité, excellent carburant

Capable de hisser un primate encombrant

Jusqu'au rêve inavoué de son avènement.

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Didie Clau
Posté le 07/01/2022
Il y aurait tant de choses à dire sur la nature humaine et sa bêtise qui semble malheureusement inépuisable ! Tu as réussi un portrait haut en couleurs et sans concession d'un homme avide de reconnaissance au point d'éliminer les plus méritants.
Bien triste histoire de la vie quotidienne.
Tu as bien su faire ressortir tes sentiments à l'égard de ce monsieur B. J'ai aussi aimé la fin avec ce poème qui l'interpelle directement (et qui me rappelle les morales des fables).
Un récit dans lequel le défaut de médiocrité est bien épinglé.
Bonne continuation.
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