Miscellanies - Jérémie Mignotte

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/tgWzMwzMBEI

Sur une autre de ses compositions, si vous voulez voir comment il les interprète en live :
https://youtu.be/smDZMAXBjDw

J’avais 16 ans. Nous étions à la fin du mois d’août et avant de passer mes derniers jours de vacances en compagnie de ce garçon, mes parents m’avaient embarqué quelque part dans des montagnes près de Grenoble, pour un stage de musique où ils m’avaient emmené avec. Ils avaient bien compris depuis longtemps que j’étais passionné par la musique traditionnelle, après des années à m’entendre récupérer d’oreille toutes sortes de mélodies pour mon simple plaisir. Ma mère qui aimait également beaucoup ce genre de musique s’était inscrite dans une classe de violon, et mon père pour des cours d’ingénieur du son.

 

En découvrant l’immensité du bâtiment, un lycée privé abandonné pour les vacances, et le nombre de stagiaires, j’eus très peur. Je me voyais devenir la risée du monde, à dormir dans la même chambre que mes parents. J’étais inscrit en classe de flûte, je ne connaissais personne, ni les élèves ni le professeur. Ma mère m’avait assuré qu’ils étaient de bons musiciens. Elle avait déjà rencontré le professeur de violon, et le professeur de flûte avait également travaillé avec lui. Elle possédait des albums de leur groupe, DJAL, signifiant du jour au lendemain. Le stage en lui-même était complet. La matinée, les élèves étaient chacun dans leur classe. L’après-midi, certains stagiaires se regroupaient pour des cours au choix, et ainsi je retrouvais ma mère pour des cours d’improvisation. Des ensembles entre les différents instrumentistes sur le répertoire appris dans la matinée se formaient, et enfin quand le soir arrivait se mettait en place des concerts et des bals, pour permettre aux ingénieurs du son et apprentis sonorisateurs de s’exercer.

 

Je n’avais pas vraiment envie d’aller au premier bal du soir. Je n’étais pas à l’aise avec tous ces gens que je ne connaissais pas. Une seule journée s’était passée, je me disais que tout ceci allait être bien long et je voulais en faire le moins possible. Mais ma mère insista pour que je l’accompagne, dans la grande salle, qui devait être un amphithéâtre. Uniquement la scène était éclairée, et beaucoup des stagiaires étaient en bas, dans le peu d’espace libre pour danser. Ma mère et moi étions montés, espérant ne pas nous faire remarquer dans l’obscurité. Sur scène, seul, était assis mon professeur de stage. Il était posé devant tout un matériel de pédales et de gestion du son que n’aurait pas à envier une rock star. Il était sur un cajón, une percussion en cube de bois creux, et à côté de lui, à portée de main, se trouvait une guitare. Il était immobile, au centre de la pièce, quasiment dans l’obscurité, sa flûte en ébène dans les mains. Il la posa sur son pied et commença alors la musique.

 

Il débuta par la guitare. Un thème mélancolique s’en dégageait. Il enregistra une boucle, qui continua de tourner alors qu’il tapait sur son bloc de bois. Il créait la structure, mais déjà en ajoutant des fioritures. Il permettait à sa flûte d’évoluer dans le plus bel espace, son air s’épanouir dans une organisation précise et inébranlable. Le son de sa flûte ressemblait au vent qui frôlait les branches des arbres. Il semblait naturel, épuré de tout artifice. Il enregistrait une boucle, improvisait une voix par-dessus. Et l’impression me prit que j’étais le seul à le regarder, en cet instant où tout le monde dansait et discutait, profitant d’un instant de répit dans le rythme de cours et de travail. Malgré toutes les escapades de sa mélodie qui jamais à aucun moment ne se ressemblait, il paraissait concentré, fermé sur lui-même. Une bulle s’était formée entre lui et les auditeurs, aux couleurs de sa musique. Et alors que le morceau continuait de varier, de changer malgré la structure inébranlable, une admiration sans bornes s’empara de moi.

 

Je ne pouvais plus détacher mon regard. Tout ce qui m’était accessible me plaisait. Cette musique aussi mouvante que répétitive, ce son au souffle apparent, cet univers loin de l’excentricité virtuose que je pouvais voir autour de moi en temps normal. Plus que naturel, dans son attitude et sa manière d’interpréter sa composition, s’imposa en moi un sentiment d’authenticité, d’une musique profondément personnelle, qui était née dans le creux de ses pensées et prit forme au bout de ses doigts. Plus qu’une admiration, plus qu’une appréciation, cette flûte me parla, plus que n’importe quelle autre auparavant. Alors que j’enregistrai sur le son minable de mon téléphone, en espérant pouvoir le réécouter plus tard, une idée se grava en moi sans que je puisse m’en défaire ; « c’est ce que j’ai envie de faire. »

 

Avec ce concert s’est envolée ma mauvaise volonté. J’ai discuté avec ce professeur autant que je le pouvais. En quelques minutes, il était passé d’inconnu à ce que j’avais le plus proche d’un modèle. J’achetai son album dès le premier jour de sa sortie et reconnu immédiatement cette musique entendue en bal de stage, devenue Capsule. Des années plus tard, quand je quittais le conservatoire et me lançais à nouveau dans la musique, je m’endettai pour une flûte en bois comme la sienne. Je m’achetai une guitare et un cajón. Enfin, encore plus tard, je le recontactai pour me conseiller sur des pédales de boucle, comme les siennes. Et même si ma musique ne ressemble pas à ses miscellanées, force est de constater qu’il m’a montré une voie, sur ce que j’aime et ce que j’ai véritablement envie d’interpréter.

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