Mina

Par Elore
Notes de l’auteur : CW : sexe (mention).

Ça s’est passé pendant les vacances d'hiver. Nos parents étaient rentrés et resteraient dans l'appartement pour une semaine. Il s'est vite avéré que mes craintes étaient infondées : trop absorbés par leur sacro-sainte Science et les histoires de voyages qu'ils nous racontaient, ils avaient à peine remarqué ce qui, dans nos regards, avait changé.

Leur présence, pour autant, n'avait rien de désagréable : ils étaient enthousiastes et peu collants. Le moment des repas mis à part, nous ne passions que peu de temps tous ensemble et cela nous arrangeait : j'aimais passer du temps seule et je sentais que Hakeem aussi.

Une nuit, alors qu'on était rassemblés autour d'une pizza - aucun de nos parents ne cuisinait vraiment bien - Hakeem a fait une annonce à double-sens.

- Je suis occupé mercredi soir.

- Par ton travail ?

- Ouais. J'imagine que ça ne vous dérange pas ?

- Bien sûr que non.

Un regard entre lui et moi, suivi d'un discret hochement de tête de son côté. J'ai repris :

- J'aimerais bien regarder un film avec Kate mercredi soir, aussi. Je peux ?

Nos parents se sont regardés, le père a haussé les épaules et c'est la mère qui a répondu :

- Si tes notes sont correctes et que tu ne poses pas de problèmes à l'école, je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas.

J'ai repensé aux rumeurs : maintenant, certains des élèves de mon âge s'écartaient sur mon passage, comme ils le faisaient avec Dog. Un sourire ironique s'est figé sur ma face : rien de tout cela n'avait eu l’air d’alerter les profs.

- Ça veut dire que je peux, alors. Merci !

- De rien, ma grande.

Ah, ils avaient l'air si fiers, papa et maman. Si satisfaits d'avoir des enfants débrouillards et sages surtout, qu'ils pouvaient délaisser régulièrement et vers qui ils pouvaient revenir quand ça leur chantait, juste assez pour avoir bonne conscience. Ce qui nous convenait : leur présence était un bonus, ils nous surveillaient moins que Rosie. Alors que je débarrassais la table, je me suis surprise à me marrer seule : j'avais été conne, de penser qu'ils auraient remarqué quoi que ce soit.

 

Mercredi soir, il faisait un froid anormal. Sans passer par Dog ni Gold, Hakeem m'a entraînée à travers les rues. Son humeur s'était assombrie depuis plusieurs jours (je l'avais remarqué mais n'avais pas trouvé l'occasion de l'interroger, avec les parents dans le coin). Silence pesant, à peine ponctué par le bruit de nos pas : un escalier et l'on descendait, direction les lignes de métro.

- On va loin.

- Non.

Mon frère m'avait contredite sèchement.

- Excuse-moi de chercher à savoir ce qu'on va foutre, hein.

Hakeem s'est retourné et m'a fait face, interrompant notre descente.

- Toi, tu vas rien faire.

Ah.

- T'es sûr ?

Il a soutenu mon regard, mortellement sérieux.

- Ouais.

Quelques secondes de silence avant qu'il ne reprenne :

- T'inquiète, je sais me débrouiller seul.

Il s'est détourné alors que je haussais les épaules : je n'avais aucune idée d'en quoi consistait son job, je ne pouvais donc pas le juger.

On est descendus jusqu'à la station, puis Hakeem s'est assis sur un banc et m'a fait signe de l'imiter. Alors que son regard balayait la rame, s'attardant sur ceux qui y attendaient, je me suis rendue compte qu'il s'était fait moins morose. Presque confiant.

- Je vais t'expliquer ce qui va se passer.

Il parlait à voix basse, sans me regarder.

- D'ici un moment, une fille va arriver pour la première fois dans le coin et je vais être là pour l'accueillir.

Je suis restée muette, attentive, mais Hakeem ne semblait pas disposé à développer. Je l'ai pressé :

- Tu la connais ?

Il a souri.

- Non. Mais je sais une chose : elle cherchera un endroit où rester et c'est ce qu'on va lui fournir.

- Tu vas la ramener à l'appart ?

J'avais balancé ça sans y croire.

- Non. Au QG.

J'ai retenu mon souffle : je n'avais jamais eu la chance d'y aller.

Deux questions me sont venues en tête en même temps, j'ai choisi la moins dérangeante :

- Moi, j'ai rien à faire ?

- Toi, tu restes assise et tu me rejoindras dès que je te ferai signe.

J'ai hoché la tête : être inactive ne me plaisait pas particulièrement mais, d'un autre côté, j'étais curieuse de voir comment mon frère allait s'y prendre. J'ai résisté quelques secondes à l'autre question que je voulais poser puis, comme aucun métro ne passait, j'ai finis par céder :

- Tu vas la ramener pour quoi ?

- Pour jouer au Scrabble.

Le son de ma réponse a été couvert par le gémissement des rames. Un tube luminescent a pénétré l'espace et a freiné à notre hauteur. En un coulissement, les portes se sont ouvertes pour déverser une série de gens pressés. Saturée soudain par les détails, j'ai scruté les visages en quête du genre de fille que mon frère pouvait chercher.

Trop lente : Hakeem était déjà debout et fendait l'amas. Comme dans un film romantique, je l'ai vu marcher vers une adolescente à l'air perdu, qui serrait un sac à dos contre elle et jetait des regards tout autour. Alors que la foule s'éclaircissait, mon frère s'est arrêté et a commencé à lui parler. J'ai tendu l'oreille, en vain : ils étaient trop loin mais c'était peu important, au final : leurs corps parlaient pour eux.

Hakeem s'est penché vers la fille, tout séduction et sourire. Je l'ai vue froncer les sourcils, pas rassurée mais pas fuyante pour autant. Un temps, le quai se vidait et je la voyais se figer, hésiter. Mon frère, quant à lui, attendait, sans cesser de sourire avec une assurance que je ne lui connaissais pas. Puis, d'un coup, l'expression de la fille s'est modifiée. Après avoir secoué la tête, je l'ai vue contourner mon frère et se diriger vers les escaliers d'un pas vif et déterminé. Hakeem m'a jeté un regard surpris et presque un peu perdu : visiblement, les chose n'étaient pas censées se passer comme ça. Sans réfléchir, j'ai bondi de mon siège et ai entrepris de monter les escaliers à mon tour, deux marches par deux.

Au sommet, j'ai retrouvé la silhouette de la fille. Lorsque je lui ai posé la main sur l'épaule, elle a sursauté et s'est retournée vivement. J'ai tout de suite reculé et levé mes deux mains en réponse et il m'a semblé qu'elle s'est détendue en me voyant. Je n'avais pas l'impression de paraître particulièrement inoffensive, d'un côté, mais bon. Je n'allais pas me plaindre.

- Hey.

- ... hey.

Elle était jeune, peut-être autant que moi, et vraiment très jolie : pâle, avec des grands yeux marrons, des cheveux noirs et une coupe au carrée ridicule, qu'elle s'était sans doute faite elle-même.

- Ça va ?

J'ai essayé de ne pas la brusquer, de ne pas lui parler trop durement et d'utiliser mon ton de tous les jours, à l'école ou à la maison. Ça a eu l'air de marcher, puisqu'elle m'a répondu.

- Euh... pas trop ?

Je voyais - sans pour autant ressentir de réelle compassion pour elle - qu'elle se retenait de pleurer. Je lui ai posé la main sur l'épaule une nouvelle fois.

- Il se passe quoi ?

Doucement.

- ... si c'est pas trop indiscret.

- Ben...

Elle a baissé la tête et fixé ses baskets roses et noires, hésitante. Puis, d'une petite voix, elle a repris :

- Je suis partie de chez moi et je reviendrai jamais.

- D'accord.

J'ai repensé à ce que Hakeem m'avait dit : il voulait la ramener au QG. J'ai souri, lui tapotant l'épaule comme si on était dans une foutue émission TV.

- Bah, c'est bien non ? T'as sans doute pris une bonne décision. Bien joué.

- Ouais... mais le truc, c'est que je sais pas où aller.

- Ah !

J'ai essayé d'avoir l'air sincèrement surprise. La fille s'est mordillé les lèvres puis a levé un regard nerveux sur moi.

- Tu saurais pas, toi ?

Elle m'emmerdait, même si elle était vraiment belle. J'avais envie de lui demander ce qui lui avait pris, de se casser sans jeter ne serait-ce qu'un œil au bottin mais ça aurait été le moyen le plus sûr de la faire fuir. J'ai jeté un œil alentours.

- Hmm.

J'ai fait semblant de réfléchir : elle semblait crochée à ce que j'allais pouvoir dire.

- Y'aurait bien un truc mais... oublie.

J'espérais que Hakeem n'avait pas fait pareil avant moi. Heureusement, ça n'a pas semblé être le cas. La fille s'est rapprochée.

- Tu voulais dire quoi ?

J'ai fait semblant d'hésiter, me dérobant à son regard alors qu'elle commençait à trépigner, nerveuse. Puis j'ai repris :

- Mon frère accueille les filles comme toi, en fait. Mais vous vous êtes croisés, non ?

Elle s'est figée, je me suis crispée : peut-être que j'allais la faire fuir, peut-être que j'avais été trop cash.

- Le mec aux yeux gris ? T'es avec lui ?

- Ouais.

Elle s'est braquée un peu mais sans partir. J'ai poursuivi en utilisant le ton le plus doux possible :

- Ecoute, je sais pas ce qu'il t'a dit et je comprends que tu te méfies. Mais sincèrement ? C'est un bon gars.

Du moins, il l'est avec moi.

J'ai vu qu'elle hésitait, comme avec Hakeem.

- Il va rien m'arriver, tu promets ?

Elle me regardait, me crochait de ses yeux comme des putain de puits, en quête d'une réponse que j'avais intérêt à donner vite. J'ai ravalé la bile surprise qui m'est monté à la gorge.

- ...

La vérité, c'est que je n'avais aucune idée de ce que Hakeem ou les autres comptaient lui faire. Mais je savais que Dog n'avait aucun respect pour l'espace personnel des gens et je me rappelais très bien du nombre de filles que j'avais croisées dans le gang : zéro.

Devant ce problème moral, mon estomac s'est tordu un peu. Ignorant la sensation, j'ai lancé :

- Promis.

Elle m'a souri, visiblement soulagée : la perspective de dormir dans les rues froides - peut-être couplée au fait que j'étais une fille de son âge - avait suffi à la convaincre. En périphérie de mon champ de vision, j'ai vu une silhouette s'approcher puis une main familière s'est posée sur mon épaule.

- Rebonsoir.

- Salut.

La tension s'est un peu diluée alors que la voix de mon frère résonnait, grave et accueillante.

- Je vois que tu as rencontré ma soeur.

Elle a hoché la tête et souri faiblement.

- Ouais. Elle m'a dit que t'étais gentil.

- Elle a bien fait.

Hakeem a tendu sa main à la fille.

- Tu peux m'appeler Steel. Toi, tu es... ?

- Mina.

J'ai failli grimacer : c'était un joli prénom.

Hakeeem a souri à nouveau :

- C'est adorable.

- Hak... Steel, on peut parler ?

Il a eu l'air surpris, bien sûr. Je l'ai entraîné un peu à l'écart et il m'a adressé un sourire.

- Bien joué !

- Je sais pas...

Hakeem m'a fixé, perplexe.

- Hein ?

- Je lui ai promis que tu lui ferais pas de mal.

Nouveau sourire, encourageant.

- T'as bien fait.

- Parce que c'est vrai ?

Il a froncé les sourcils d'une façon presque comique alors qu'il me reprenait comme un prof :

- Bien sûr que oui. Les filles que je ramène sont en sûreté, avec nous.

- Tu vas coucher avec ?

C'était sorti tout seul et de manière bien plus agressive que prévue. Surprise mais obstinée - je n'avais jamais envisagé mon frère comme un être sexué et pourtant, ma question avait jailli avec une conviction étrange - je ne me suis pas reprise. Hakeem a soupiré :

- Ça fait partie du job, ouais.

J'ai ri, nerveusement : plus loin, Mina manifestait des signes d'impatience.

- Du job, hein ? Tu vas pas me dire que c'est toi, la pute du gang ?

C'était volontairement insultant et visiblement efficace, à tel point que je l'ai vu hésiter avant de me répondre sèchement :

- Pas moi, non.

- Qu'est-ce que tu veux di...

Ma voix s'est tue alors que mon regard passait de lui à elle, que la réalisation me frappait.

- Oh.

Il s'est passé la main dans les cheveux, embarrassé. D'une voix soudain bien faible, j'ai repris :

- T'as dit que tu lui feras pas de mal.

- Je vais pas lui faire de mal, Raïra, sois pas conne.

- Mais comment... ?

- Je vais la charmer, ok. T'inquiète pas.

Puis, sans me laisser l'occasion de répliquer, il est revenu vers Mina. J'ai refermé la bouche et l'ai suivi comme une abrutie.

- Tout va bien ?

Je sentais sa nervosité, son hésitation malgré ma présence. Hakeem lui a adressé un grand sourire :

- Oui, t'inquiète.

Il s'est approché de Mina mais ne l'a pas touchée. Sans rien dire de plus, je me suis placée à ses côtés et on s'est remis en route.

- Il est où, votre squat ?

- Pas loin, on y sera d'ici dix minutes au maximum. Ça va, t'as pas froid ?

Elle frissonnait, c'était vrai : avec une douceur que je ne lui connaissais pas, Hakeem s'est débarrassé de sa veste et l'a posée sur ses épaules. Je lui ai jeté regard perplexe, mais c'était comme s'il ne me voyait pas : dans son regard, je détectais des choses étranges, comme s'il ne voyait plus que Mina, comme si elle était désormais au centre de son monde. C'était trop bizarre, presque trop intime : j'ai préféré me détourner pour fixer les façades.

- Merci.

- Y'a pas de quoi, Mina. C'est le moins que je puisse faire, et puis... t'as l'air d'avoir vécu des trucs.

- Ouais.

Un temps.

- J'ai pas envie d'en parler.

La voix d'Hakeem a retenti, emplie d'une compassion qui me donnait envie de gerber :

- Je comprends, t'inquiète. Je vais te forcer à rien.

- Vous, vous habitez ici ?

Hakeem est resté évasif alors qu'il lui répondait, insouciant et sérieux à la fois. Plusieurs fois, il lui a demandé si tout allait bien, ce dont elle avait besoin. Et j'ai senti - à sa voix et à ce que je voyais lorsque je jetais un oeil - que Mina se détendait, s'ouvrait un peu plus. Je n'ai pas vraiment pris part à la conversation (mis à part quand Mina m'interpellait), habituée à toujours laisser mes équipiers mener les opérations.

Au bout d'un moment, les rues m'ont semblé plus familières. Alors qu'on passait devant le Gore, Hakeem a lancé :

- On est tout près.

- Ok.

- Y'a de fortes chances qu'il y ait des potes à nous au squat, mais t'inquiète pas, ils sont gentils.

- Même s'ils ont l'air bizarre.

Hakeem s'est marré devant mon intervention, avant de bifurquer dans une allée qui semblait mener à un cul de sac. J'ai failli le lui faire remarquer avant de voir, dessinée sur le mur dans l'obscurité des ruelles, une porte de résidence métallique et écaillée.

- C'est là.

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Alice_Lath
Posté le 12/10/2020
...
HAKEEEEEEEEEEM! Voilà la sensation que ça me fait haha, jsuis en train de fulminer devant mon clavier, j'ai genre de la fumée qui me sort par le pif, je vais déclencher l'alarme incendie. BON DIEU! SLP me donne vraiment des pulsions maternelles-soroternelles, je te jure. J'ai envie d'attraper ces deux loupiots et d'aller les renvoyer manger des glaces en discutant de leur crush, et fissa ! Hahahahaha, désolée pour mes états émotionnels, ça me fout en boule de les voir cons comme ça !
Elore
Posté le 23/12/2020
Au moins, on ne peut pas reprocher à Hakeem de ne pas utiliser son charisme... même si ce n'est pas à de bonnes fins :D

L'image des deux adelphes en train de discuter crushes devant une glace me plaît trop, ne t'étonne pas si tu vois une scène de ce genre 50 chapitres après ♥

Merci encore pour ta fidélité et ton enthousiasme ! ♥
MrIous
Posté le 31/07/2020
Je sais pas ce qui va se passer, c'est bien l'un des aspects du gang qui me rend au plus... flous. X)
Raïra a pris en assurance et avec les parents qui leur laisse faire leur vie, ca5doit soulager X)
Appréhension totale avec la rencontre entre Mina et le gang XD
Elore
Posté le 31/07/2020
Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer :) :) :)
(Plus sérieusement, je ne suis pas fan de la violence explicite juste pour choquer. Les scènes violentes dans SLP ont plus de chance d'être en ellipses !)

Quelque part, l'absence d'intervention des parents est un soulagement, mais c'est sans doute plus complexe que ça !

Merci pour ton commentaire ! Le fait que tu stresses montre que la tension que je cherche à instaurer marche bien !
_HP_
Posté le 17/07/2020
Ohh mais non !! Pauvre Mina, elle a l'air toute choupi !! 🥺😢
Pour tout t'avouer, je me doutais que Hakeem avait un rôle qui concernait le sexe, haha ^^ Avec Gold et Dog qui s'occupent de la drogue et la bagarre... Il restait pas trop d'autre choix, si je peux m'exprimer ainsi 😅
J'aimerais bien, même si j'y crois pas trop, que Raira fasse quelque chose, qu'elle les empêche... :/
Elore
Posté le 18/07/2020
Re !

Je ne vais pas trop en dire, tu verras comment le rôle de Raïra se précisera ! Et pour Hakeem, tu as eu bon instinct ♥

Merci de ta lecture !
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