Midi sur les trottoirs (4) - La bagarre

Par Pouiny

Malgré la difficulté de l’exercice, Alexandre retourna au collège sur son vélo le jour suivant, puis le jour d’après. En sentant la chaleur dans ses jambes alors qu’il pédalait en respira avec douleur l’air froid du matin, il ne pensait qu’à la musculature qu’il gagnerait pour la danse pour se donner du courage. Avec son père, ils reprirent les cours. William avait toujours été quelqu’un d’exigeant malgré la bienveillance, mais il senti qu’il avait passé un cap depuis l’entrée au collège. Son père attendait plus de précision, plus de maîtrise, plus de complexité, et Alexandre faisait tout pour être à la hauteur. Bien qu’il se sente soutenu et non jugé par son professeur, il ressentait avant ses cours une légère inquiétude, qui l’empêchait de manger. La peur de ne pouvoir jamais atteindre ce que voyait Alexandre chez son modèle.

 

Ainsi, avec un tel travail et de tels objectifs en tête, le collège lui paraissait moins difficile. Il s’était désormais un peu plus habitué au mouvement et au bruit, bien que tout ceci pouvait encore pouvoir lui faire mal au crâne. Il enchaînait les cours sans jamais vraiment y participer. Les professeurs n’avaient rien à lui dire, il avait un bon niveau, il était même excellent, bien que silencieux. Tout ce qu’ils pouvaient remarquer chez lui était cette volonté d’être invisible, comme si le reste de la classe lui faisaient peur. Mais ils ne remarquaient pas les petits bouts de papiers qui pouvaient parfois voler dans sa direction, avec des griffures étranges écrites dessus, ou les bousculades presque involontaire qui arrivait quand il entrait dans la classe. Alexandre n’en parlait jamais, ni à ses parents, ni a quiconque. Pour lui, au collège, tout ceci lui semblait parfaitement normal.

 

Après seulement quelques repas à la cantine, il arrêta tout bêtement d’y aller. Le réfectoire était un lieu de non-droit, où les enfants se laissaient aller aux pires jeux de bac à sable. Après avoir manqué plusieurs fois de trébucher en passant devant des élèves joueurs, il avait également reçu du pain mouillé lancé dans ses cheveux, puis il fini un jour par recevoir tout un pot à eau sur la tête alors que des camarades inconnus riait de leur blague. Alors, il laissa tomber. De toute façon, face à l’assiette dégoûtante de la cantine, il n’arrivait jamais à trouver l’appétit. Il restait toute la pause de midi à l’extérieur, profitant d’un peu de répit pour lire toute sortes de livre. Parfois, il prenait de l’avance sur ses cours. Mais souvent, il profitait de la bibliothèque du collège pour élargir sa culture fictionnelle, maintenant qu’il n’avait plus autant le loisir qu’avant d’écouter son pama. C’était le seul endroit où il se sentait en sécurité, et il regrettait très souvent qu’il ne puisse pas s’y réfugier le midi. Mais à chaque pause il sortait de cours en courant, comme s’il avait passé les dernières heures en apnée. Il se précipitait dans la bibliothèque et se perdait dans la contemplation des tranches des livres qu’il pouvait trouver dans les étagères. A force d’emprunter des livres et de donner son avis avec passion, la documentaliste fini par le connaître et l’apprécier. Au bout d’une moitié d’année seulement, elle était déjà capable de le guider sûrement dans ses goûts de lecture et lui conseiller toute sortes d’œuvre qu’il appréciait la plupart du temps. Bande dessinée, manga, roman, tout passait entre ses doigts. Tout était bon pour oublier le collège durant la pause de midi.

 

Charlie constata que son enfant avait maigri. Mais il ne semblait pas malheureux, et puis il grandissait également. William le rassura, l’assurant que c’était dû à son travail. « Il est en train de se former un corps de danseur », lui avait-il dit durant une de ces longues nuits qu’ils passaient à discuter. Et Charlie, beaucoup plus amateur que son compagnon sur la pratique de la danse, accepta cette idée. Ainsi, Alexandre resta tranquille, acceptant que ce corps fin et athlétique, avec un creux au milieu du plexus solaire et quelques cotes apparentes quand il respirait, était le meilleur corps qu’il pouvait espérer malgré ses inquiétudes.

 

« Eh, le loser. »

Alexandre leva les yeux de son livre. Trois garçons le surplombaient, faisant de l’ombre sur le livre qu’il lisait. Ils avaient tout trois un regard qui ne lui revenait pas. Un regard qui ne reflétait que de l’ignorance et du dégoût. Ainsi, il ne répondit pas et continua à lire.

« Eh, on te parle ! »

Alexandre resta silencieux, continuant de les ignorer. Alors, celui qui parlait depuis le début, énervé qu’il ne prête pas d’attention à lui cracha dans son livre.

« C’est vrai que ton père est une pédale ? »

Alexandre ne le regarda toujours pas. Dégoûté, il regardait le crachat qui s’imprégnait dans les pages d’un livre qui n’était même pas le sien. Il n’avait pas envie de répondre. Même s’il avait voulu répondre, il n’avait aucune idée de quoi dire. Un des gamins, jusque là en retrait, mit un immense coup de pied dans le livre déjà abîmé.

« Réponds quand on te cause ! »

Le livre fit un vol plané vers le goudron. Alexandre le vit se déchirer, légèrement, sous l’impact. Maintenant, il voyait le monde extérieur, le soleil qui se cachait sous les nuages. Alors il eut l’impression qu’il avait pris le coup de pied dans la poitrine. Il perdit immédiatement le contrôle de lui-même.

 

Il brisa le nez du premier, et une dent au second. Quant au troisième, il lui assena un immense coup de poing dans le ventre, à tel point qu’il en recracha de la bile. Le gamin avec le nez en sang hurla et tenta de lui sauter dessus, mais Alexandre, plus grand que lui, le plaqua au sol. Il n’avait même plus conscience de ce qu’il faisait. Il frappait comme si c’était la seul chose qu’il y avait à faire. En les frappant, il hurlait à s’en déchirer la voix. Ses yeux écarquillés firent peur à tout ceux qui s’étaient approché pour profiter du spectacle. Très vite, un surveillant essaya de l’arrêter en l’attrapant, mais il prit un mauvais coup dans le ventre. Alexandre avait perdu toute sa raison. Il n’arrivait même plus à penser. Tout ce qu’il y avait dans son cerveau, était le rouge qu’il faisait couler et le noir qu’il provoquait.

 

Il fallut se mettre à trois pour l’arrêter. Toujours hurlant comme une bête sauvage, il se débattait, essayant de donner des coups de pieds dans les tibias des adultes qui criaient son prénom avec sévérité. Mais plus rien ne l’atteignait, ni sa promesse d’être sage, ni le sourire de son parent. Une horreur, une solitude, un sentiment d’exclusion de plusieurs années, qu’il n’avait jamais réussi à exprimer jusque-là, se dévoilait sous le soleil de midi. Plus personne ne comptait pour lui, à cet instant : tout ce qui comptait était de faire payer ceux qui n’avaient pas respecté un ouvrage qui n’était même pas le sien.

« Alexandre, on va convoquer tes parents ! »

A force de crier, les surveillants réussirent à se faire entendre. Alors, le temps reprit son cours. Aussi vite qu’elle était apparue, la colère s’était évaporée. Alexandre était retenu par trois adultes qui lui tenait les bras et le corps. Devant lui, il y avait trois élèves sonnés et ensanglanté. Au dessus, le soleil continuait de tourner. Malgré tout, le soleil continuait de tourner. Et en le regardant lentement, il senti sa chaleur lui monter à la tête. Il tomba évanoui dans les bras de ceux qui avaient tout fait pour le retenir.

 

Charlie arriva dans le bureau de la conseillère d’éducation en courant. Il était essoufflé, et il savait que son maquillage avait légèrement coulé avec la transpiration. Mais si son cœur se serrait dans sa poitrine, ce n’était pas qu’à cause de sa course.

« J’ai fait aussi vite que j’ai pu !

– Charlie Fearghail, c’est bien ça ?

– Oui, c’est bien moi. »

Essayant de reprendre son souffle, il s’assit à coté de son fils, devant celle qu’il l’avait convoqué. Il jeta un regard inquiet à Alexandre : il était prostré sur sa chaise. Charlie ne l’avait jamais vu dans un état pareil. Son t-shirt avait des taches de sang, qui n’était manifestement pas le sien. Le regard fixe dans le vide, il semblait perdu dans son propre collège. Il ne bougeait pas. Il ne parlait pas. Il respirait à peine. Charlie crut le voir trembler, quand elle fut obligé de porter son attention sur la conseillère d’éducation.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

– Il ne m’a rien dit depuis qu’on l’a amené ici. Mais il a passé à tabac trois élèves d’une classe supérieure.

– Comment ils vont ?

– Il y en a un qui a le nez cassé. Un autre a perdu une molaire, mais c’était manifestement une dent de lait. Le troisième est bien sonné, mais il n’a rien de grave.

– Vous avez contacté les parents ?

– Oui, mais ils sont actuellement au travail.

– D’accord. »

Charlie regarda à nouveau son fils. Il n’avait toujours rien dit ni bougé malgré tout ce qu’avait dit la conseillère d’éducation. Dans cet état, elle ne le reconnaissait qu’à peine.

« Vous êtes consciente qu’ils sont parfaitement en droit de porter plainte pour coups et blessures ?

– Oui, j’en ai conscience. Alexandre n’avait jamais été brutal avec qui que ce soit auparavant et je suis le premier étonné par cet accès de violence. Qu’en pensez-vous ?

– Comment ça ?

– Est-ce qu’il a tenté de se défendre, où était-ce un passage à tabac pur et simple ?

– Honnêtement, madame Fearghail, je ne saurais pas quoi vous dire. Les trois autres enfants assurent qu’ils n’avaient rien fait, mais comme vous dites, Alexandre n’avait jamais posé de problème jusqu’à présent. Il faudrait qu’il nous raconte sa version des faits, mais, il refuse de parler depuis tout à l’heure… »

En entendant la conseillère d’éducation parler, Alexandre eut un tressaillement. Attentif, Charlie le fixa avec intensité, espérant qu’il se décide enfin à raconter ce qu’il s’est passé, mais il murmura simplement entre ses dents, après un long silence :

« Ce n’est pas une dame. »

Charlie se senti alors complètement perdu. Il n’avait plus aucune idée de quoi dire, quoi faire, quoi penser. Son petit garçon était si fidèle à lui-même tout en lui étant si étranger. Il n’arrivait plus à faire la part des choses entre son inquiétude, sa peur et sa colère.

« Est-ce que vous pensez que je pourrai avoir un instant avec lui, pour lui parler ? Demanda Charlie d’une voix blanche. Peut-être que j’arriverai à savoir…

– Oui, je comprends. Je vais vous laisser, appelez-moi si vous avez besoin d’aide. »

La conseillère d’éducation s’éloigna, quittant son bureau. Après un soupir, Charlie orienta sa chaise pour se placer face à son fils, qui ne le regardait toujours pas.

« Qu’est-ce qui s’est passé, Alex ? »

Aucune réponse. Elle eut presque l’impression qu’il ne l’avait pas entendu. Pourtant, si Charlie avait parlé d’une voix douce, il savait qu’il avait été parfaitement clair. Essayant de mettre son irritation de coté le plus possible, elle retenta :

« Alexandre. Regarde-moi, s’il te plaît. »

Alors que Charlie ne l’espérait qu’à peine, son fils obéit, lentement, en tremblant. Ils établirent un court contact visuel, mais assez long pour comprendre que même Alexandre avait été dépassé par tout ce qui s’était déroulé. Alors qu’il fuyait son regard, elle se pencha vers son visage sali par la bagarre :

« Nous avons besoin, la conseillère d’éducation et moi, que tu expliques ce qui s’est passé. Raconte-moi, Alex. J’ai besoin de comprendre pourquoi tu as réagi de cette manière. »

Mais il ne lui répondait toujours pas. Sentant sa patience s’amenuiser, Charlie ajouta :

« Tu sais très bien ce que je pense de la violence physique, n’est-ce pas ? Mais ne pas me parler, ça ne va pas effacer ce que tu as fait. On va assumer les conséquences de tes actes, tous ensemble. Alors, il faut que tu m’expliques. Pourquoi tu as cassé le nez d’un de tes camarades ? Pourquoi tu t’es comporté comme un sauvage ? Qu’est-ce qui s’est passé dans ta tête, pour en arriver là ?

– Il a abîmé mon livre. »

Entendre enfin son fils parler, même d’une voix aussi minuscule et éraillée, aurait du lui faire plaisir. Mais cette explication si faible, face à la violence de ses actes ne fit que l’irriter davantage :

« Et ça valait le coup de casser le nez de quelqu’un ? Pour un livre ?

– J’en avais marre.

– Mais marre de quoi, bon sang ! Alexandre, si tu ne m’expliques pas, on ne va pas s’en sortir !

– Qu’on se moque de moi. »

Le regard d’Alexandre reprenait de la vivacité. Une forte colère brillait dans ses yeux noirs. Charlie recula, prenant sa tête dans ses mains. Il savait que les relations avec les autres étaient difficile pour son fils, mais il n’avait pas imaginé que ça pouvait emmener jusqu’à des conséquences aussi grave.

« Comment ça, ils se moquent de toi, Alex ? Ces enfants-là, précisément ?

– Non.

– Qui ça, alors ?

– Ils se moquent. C’est tout. »

La colère d’Alexandre se reflétait dans ses larmes. A cet instant, Charlie ressenti toute l’impuissance, toute la détresse que ressentait son fils. Et plus il creusait, plus il avait peur ce qu’il allait trouver. Perdu, il prit alors son fils dans ses bras. Alexandre resta immobile, sans réaction. Charlie s’en voulu alors de ne pas avoir réalisé plus tôt qu’il était en état de choc :

« Ça va aller, Alex. On va trouver une solution, d’accord ? Je vais en parler avec la conseillère d’éducation. On va mettre fin aux moqueries, je te le promet. Ils ont fait quoi, à ton livre ?

– Ils ont craché dedans, répondit Alexandre avec une voix qui commençait à pleurer.

– C’est tout ?

– Ils l’ont déchiré. En mettant un coup de pied dedans.

– Ils ont dit quelque chose, en faisant ça ? Tu sais pourquoi ? »

Mais Alexandre connaissait les faiblesses de son pama. Alors, il ne lui dit pas que c’était de sa faute. Restant silencieux, il ne parla pas des insultes qui tournaient dans sa tête.

« D’accord, Alex. C’est bien, déjà, de m’avoir dit ça. Merci, merci de me l’avoir dit. C’est très courageux. On va arranger ça ensemble, d’accord ? Je vais en discuter avec la conseillère d’éducation. On va trouver une solution, je te le promet. »

Alexandre resta silencieux, mais il hocha la tête. Ils restèrent un moment dans les bras l’un de l’autre. En dehors de la pièce, Charlie entendait des enfants crier et jouer, comme si rien ne s’était passé. La vie restait banale, malgré tout.

 

Il laissa son fils dans le bureau de la conseillère avant de partir pour la retrouver. La conseillère d’éducation était à l’infirmerie, avec les trois blessés par son fils.

« J’vous jure qu’on a rien fait, madame !

– Ne me prenez pas une idiote, personne ne s’énerve comme ça sans raison ! »

Charlie s’approcha en jetant un regard interrogatif à la conseillère d’éducation. La femme n’ayant rien à dire à sa présence, il s’installa face aux élèves amochés par son fils. Ils avaient été soigné autant que l’infirmière du collège le pouvait et faisaient peine à voir. Alexandre n’y était clairement pas allé de main morte.

« C’est qui, lui !

– Les garçons, c’est le parent d’Alexandre et il est ici pour qu’on puisse régler le problème tous ensemble, déclara à la conseillère d’éducation, essayant de faire attention.

– Je m’appelle Charlie, déclara-t-elle avec plus de simplicité. Mon fils vient de me dire que vous avez craché et abîmé son livre. Est-ce que c’est vrai ?

– C’est n’importe quoi ! Nous on a rien fait, on lui a même pas parlé !

– C’est vrai, ça ! Affirma un autre des gamins. On le connaît même pas !

– Un des surveillants m’a rapporté ce livre, déclara la conseillère d’éducation. Il était juste à coté de vous et il a bien été abîmé.

– C’est bien le livre d’Alex, remarqua Charlie en voyant sa couverture. Je l’ai vu le lire à la maison.

– Est-ce que vous avez conscience, reprit la conseillère, que c’est un livre de la bibliothèque et qu’il va falloir qu’il soit remboursé ?

– C’est pas nous, madame, nous on n’y va jamais à la bibli !

– Oui, contrairement à Alexandre qui emprunte plus de cinq livres par mois, répliqua la femme avec irritation, et qui en a toujours pris soin ! »

Ne sachant pas quoi répondre, les trois gamins restèrent silencieux. Ils étaient partagés entre l’inquiétude et la colère.

« C’est pas juste ! Fini par s’écrier celui qui avait le nez cassé. C’est nous qui avons été frappé et c’est nous qui nous faisons engueuler !

– Alexandre aura droit à sa punition pour son comportement, assura la conseillère d’éducation, mais il va falloir que vous assumez vos actes !

– On l’a un peu bousculé, et alors ? Il m’a pété une dent !

– Et donc, vous bousculez un élève assis en train de lire, maintenant ? Joli tableau. Pour quelle raison ?

– On voulait juste savoir si son père est…

– Mais ta gueule ! S’exclama le gamin au nez cassé.

– Si son père est quoi ? Reprit Charlie avec un air grave. Ça m’intéresse. »

Penauds, les trois gamins restèrent silencieux. Après un moment d’attente, l’assistante d’éducation répondit :

« C’est simple, si vous ne dites rien, je vous colle six heures au lieu de trois. C’est vous qui choisissez. Vous aurez le temps de réfléchir à ce que vous auriez pu nous dire, comme ça. »

Ils s’échangèrent un regard inquiet. Et n’y tenant plus, celui qui avait été le moins blessé répondit d’une voix faible :

« Si vous étiez pédé. C’est ça, qu’on lui a demandé. »

Abasourdi devant tant de bêtise, Charlie resta sans voix. Les enfants lui jetèrent un regard presque curieux, comme s’il allait leur répondre. Mais ce fut la conseillère d’éducation qui répondit d’un ton sévère :

« Très bien. Alors vous aurez un mot dans vos carnets, vous serez collé trois heures et vous aurez comme obligation de me rendre un devoir sur les droits des personnes LGBT des années soixante-dix à nos jours ! Il a intérêt à être bien fait, sinon je vous colle trois heures supplémentaire pour le terminer ! Ah, et évidemment, vous aurez à rembourser le livre que vous avez abîmé, tous les trois !

– Mais madame !

– Si vous discutez, je vous rajoute des heures, ça ne me pose aucun problème ! Soyez assuré que vos parents seront mis au courant de ceci ! »

Et sans plus d’avertissement, elle sorti de l’infirmerie. Sans un mot, Charlie la suivi. Avec la punition et son ton ferme, elle avait gagné son respect. Alors qu’ils marchaient dans le couloir, elle finit par dire :

« Pour calmer les parents de ces garnements, et aussi pour le bien d’Alexandre, j’aimerais l’exclure pour trois jours. Ça permettra durant ce temps de mener une sensibilisation sur le harcèlement et sur l’intolérance. Je ne sais pas exactement encore ce que je veux faire, mais… Je pense qu’il serait mieux pour lui de l’éloigner un temps du collège.

– Ça ne va pas figurer dans son dossier scolaire ? S’inquiéta Charlie.

– Ce sera effacé au bout d’un an.

– D’accord…

– Vous acceptez cette punition ?

– Vous me demandez vraiment mon avis ? »

Alors qu’ils arrivaient devant la porte de son bureau, la femme ne fit pas mine de rentrer. Elle dit d’une voix plus basse :

« Alexandre me préoccupe depuis quelques mois maintenant. Je n’ai pas l’impression qu’il s’épanouit au collège. Les professeurs m’ont déjà parlé de lui pour dire qu’il fuyait les contacts et les paroles des autres. Il ne fait jamais aucun exposé, il refuse catégoriquement de venir au tableau, même s’il se prend des zéro ou des punitions.

– A ce point là ?

– Je pensais que vous étiez au courant…

– On nous a simplement dit qu’il était un très bon élève, qui pourrait fournir plus d’effort dans sa participation en classe, avoua Charlie.

– Comment il est, à la maison ?

– Plein de vie, répondit le parent sans hésiter. Il consacre beaucoup de son temps à la danse et nous dit souvent qu’il veut devenir danseur. Il nous parle souvent de ce qu’il voit en cours, il est sérieux dans ses devoirs à la maison et il lit très fréquemment. De ce qu’on en voit, il n’y avait pas vraiment nature à s’inquiéter…

– D’accord, je comprends. Est-ce que donc vous êtes d’accord avec cette exclusion temporaire ?

– On va dire que oui, répondit Charlie avec un petit sourire triste. »

Ils rentrèrent alors dans le bureau. Alexandre n’avait pas bougé d’un pouce, sur sa chaise. Avec beaucoup de tristesse et peut-être un peu de culpabilité, Charlie s’assit de nouveau a ses cotés. Ce fut la conseillère d’éducation qui déclara :

« Alexandre. On va t’exclure du collège pour les trois prochains jours, pour que tu prennes le temps de réfléchir à ce que tu as fait.

– Quoi ?! »

Il sorti comme d’un seul coup de sa torpeur. Il avait l’air désespéré pour une raison qu’ignorait Charlie, mais la conseillère d’éducation resta inflexible :

« Pas de discussion ! Ton parent est d’accord.

– Pama… ? »

Le regard lui jeta son fils lui brisa le cœur. Il eut l’impression d’avoir cassé sa confiance. Charlie, désolé, eut un mouvement de recul.

« Ce sera tout, pour l’instant. Je vous rappellerai si jamais j’ai des nouvelles des autres parents. Charlie, merci pour le temps que vous m’avez accordée.

– Merci à vous, pour le temps que vous accordez pour régler cette situation.

– C’est mon travail, fit remarquer simplement la conseillère avec un sourire poli. Au revoir. »

Charlie la salua une dernière, avant de sortir du bureau avec son fils. Celui-ci s’était à nouveau renfermé sur lui-même. Le parent, confus, essaya de le faire parler tout le long du trajet, sans succès. Le vélo d’Alexandre accroché, Charlie et Alexandre rentraient en voiture et le fait de ne pas pouvoir regarder son fils comme il le voulait l’handicapait fortement dans la prise de dialogue.

 

Alexandre, de son coté, se sentait injustement puni. Il n’avait rien demandé à personne. Ce n’était pas de sa faute, s’il s’était mis à frapper. Et son pama n’était pas d’accord avec lui. Même si la vie scolaire ne lui plaisait pas, il n’avait jamais eu envie de rater des cours. La seule chose qui le motivait, même aussi jeune, à enfourcher son vélo tous les matins était son envie d’apprendre. Enfermé à la maison, il se sentait véritablement privé de quelque chose d’important. Il se sentait humilié, pris pour cible. Peu lui importait, finalement, si le milieu où il pouvait étancher sa curiosité était oppressant et anxiogène, un milieu où il ne pouvait pas manger. Dès qu’il fut rentré à la maison, il s’enferma dans sa chambre sans même laisser le temps à son pama de s’expliquer.

 

Au bout de plusieurs heures à juste regarder son plafond d’un air énervé, sans rien faire, il entendit quelqu’un entrer dans sa chambre. William s’assit sur sa chaise de bureau, le regardant avec un air qui lui semblait totalement hors de propos.

« Alors, mon grand, tu joues aux terreurs, maintenant ? »

Il ne semblait pas en colère. Contrairement à pama, il semblait même plutôt doux. Comme si la violence et la punition lui passait au-dessus. Alors, Alexandre lui répondit :

« J’ai pas fait exprès.

– Tes poings ont tapé tout seul ? Tu as été ensorcelé ?

– Peut-être. »

William étouffa un rire. Mais Alexandre semblait vraiment en colère.

« Tu sais, c’est pour ton bien, s’ils ont décidé de t’écarter du collège un petit moment.

– Je m’en fiche.

– Alex… Je vais poser aussi des jours de congé, pour ces jours-là.

– Pourquoi ?

– Par solidarité. »

Il attendit une réaction qui ne vint pas. En soupirant, il ajouta :

« Si tu veux, on recréera un collège à la maison. Je ferai ce que je peux.

– C’est vrai ? »

Alexandre se redressa. Son air avait immédiatement changé. William comprit alors qu’il avait tapé juste.

« A quelques conditions, seulement.

– Quoi ?

– Premièrement : Ne pas en vouloir à ton pama, tu devras.

– Hein ?

– Allez quoi, pardonne à ton pama, il n’y est pour rien, dans cette histoire. »

William le regardait avec un peu de pitié dans les yeux. Alexandre, boudeur, convint néanmoins :

« Bon. D’accord.

– Bien ! Alors deuxièmement : faire des efforts, tu devras.

– Faire quels efforts ?

– Travailler à la maison, c’est bien, mais on aimerait que tu essaies aussi de faire des efforts au collège.

– C’est pas juste ! Tu vas poser quelques jours de congé et moi je vais travailler toute ma vie ! »

Pris à revers, William ne trouva pas quoi répondre de suite. Il sentait un malaise et ne savait pas comment le traiter.

« Bon, mais au moins essayer ? Négocia William avec un air peu convaincu.

– Il faut que tu fasses toi aussi quelque chose sur le long terme, avança Alexandre.

– Comme quoi ?

– Je sais pas. »

William prit le temps de réfléchir. Puis il fini par essayer :

« Je m’engage à te donner un deuxième cours de danse par semaine.

– Un deuxième cours ?

– Oui. On verra de la danse moderne et classique, on prendra le temps d’explorer encore davantage de possibilité. Ça t’irait ? »

Alexandre resta silencieux, évaluant l’offre. Après un long moment d’attente, William insista :

« Alors ?

– Si je n’y arrive pas, tu vas laisser tomber ?

– Faire des efforts, répondit William, c’est subjectif. C’est à toi de considérer si tu fais des efforts ou non, pas tes résultats.

– Comment tu vas le savoir, alors ?

– Je te fais confiance. »

Au vu de la tête que fit Alexandre, William comprit qu’il avait bien du mal à y croire.

« Je ne devrais pas ? Insista le parent, un peu sarcastique.

– D’accord. J’accepte.

– Super. Et troisième condition…

– Encore une ?

– Parler de tes problèmes à tes parents, avant de casser le nez de quelqu’un, tu devras. »

Son regard fit comprendre à Alexandre que c’était de loin la condition qui était la plus importante à ses yeux. Pourtant, c’était celle qu’Alexandre avait le plus peur de ne pas réussir à tenir. Après un long moment d’hésitation, il finit par dire.

« Je vais essayer…

– Tu me promet ?

– Je … je sais pas…

– Attends. »

Prenant une feuille au hasard sur le bureau d’Alexandre et un stylo-feutre, William se détourna de son fils pour écrire avec beaucoup d’attention. Ne voyant pas ce qu’il écrivait, Alexandre essaya de lire, mais il se trouvait trop loin et il pas envie de bouger. Il resta immobile, en attente, et finalement William fini par lui donner la feuille, qu’il commença à lire pendant que son père l’observait.

 

Contrat de bonne entente parents-enfant.

 

Créateurs du contrat : William (dit sergent Will) et Charlie (dit colonel) Fearghail

Contractant : Alexandre (dit Alex) Fearghail

 

Première clause : le contractant s’engage à pardonner les créateurs du contrat en cas de boulettes imprévues ou d’erreur de compréhension. En compensation, les créateurs du contrat s’efforceront à faire de même et à être indulgent en cas de bêtise du contractant.

 

Deuxième clause : le contractant s’engage à faire des efforts pour sociabiliser et produire des travaux qui nécessite de se mettre en avant dans l’enceinte de son établissement. En compensation, le créateur du contrat William s’engage à fournir un cours de danse supplémentaire au frais de ses genoux au contractant.

 

Troisième clause : le contractant s’engage à parler avec plus de liberté et de franchise aux créateurs du contrat. En compensation, les créateurs du contrat s’engagent à ne pas juger le contractant ni se blesser sur ce qu’il pourrait dire, promettant de rester calme et objectif sur ce qui sera dit. Cette troisième clause nécessite une bonne application de la première évoquée ci-dessus.

 

Le contrat de bonne entente parents-enfant sera immédiatement applicable dès que les trois signatures seront effective au bas de cette page.

 

William Fearghail.

 

Alexandre, choqué, prit le temps de lire plusieurs fois le contrat, regardant son père avec un air médusé. William s’amusait de voir son fils aussi perdu devant un simple bout de papier. Après lui avoir laissé un long temps de lecture en détail, il fini par lui tendre le feutre stylo qu’il avait lui-même utilisé pour l’écriture de son contrat.

« Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? »

Après un temps d’hésitation, Alexandre fini par lui prendre le stylo des doigts et signa en bas de la page. Avec un peu de soulagement, William soupira.

« Bien ! Maintenant, votre mission si vous l’acceptez, caporal ?

– Quoi ?

– Montrer ce contrat à pama et le convaincre de signer ! »

Alexandre fut un peu circonspect de l’enthousiasme apparent de son père. Mais le sourire de William était contagieux. Ainsi, quand Alexandre sorti de sa chambre, dans sa tête, il était parti en mission. Mais Charlie ne fut en vérité pas difficile à convaincre. En quelques minutes, le contrat était signé et effectif.

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