Max Angel

Max Angel

Les aller-retour nerveux du capitaine donnaient le tournis à Tan. Lui-même n’était pourtant pas très inquiet ; son frère aurait sûrement une grosse bosse — pas la première —, mais c’était tout. Après tout, Darwin ne s’était pas alarmé plus que ça, il l’avait juste envoyé au dispensaire par sécurité. Étrange, d’ailleurs, que ce ne soit pas lui qui ait accompagné Ulys ou Billie. C’était pourtant une vraie mère poule lorsqu’il s’agissait de la santé des occupants du WOW, malgré son côté lunatique. Encore que… maintenant qu’il y pensait, Tan se rendit compte qu’il n’avait assisté à aucune de ses fameuses colères depuis longtemps.

– C’est bizarre, non, que Darwin ne travaille pas au dispensaire ? lui murmura Oxan, les yeux rivés sur le médecin qui bavardait un peu plus loin avec Victor Charque.

Ses pensées avaient dû suivre plus ou moins le même cheminement que celles de Tan, car elle poursuivit :

– Il fait partie de l’équipe d’arrachage avec Skull et Karl, il se plaint tous les soirs que c’est le pire boulot qu’on puisse imaginer à cause de la fatigue, du bruit des machines, de la puanteur des arbres malades, bla bla bla… Si c’est si horrible, pourquoi est-ce qu’il n’exerce pas au dispensaire ? Il est médecin, non ?

– Peut-être que les Galatims ne veulent pas travailler avec des étrangers ? suggéra Tan sans conviction.

– Ou peut-être qu’il n’a même pas dit qu’il était docteur, répondit l’adolescente d’un air suspicieux. Peut-être qu’il n’a pas le droit.

Tancred n’eut pas le temps de lui demander des précisions. Les yeux sur son proxcom, Skull cessa enfin ses rondes et poussa un grand « ouf ! » de soulagement.

– Ulys n’a rien ! annonça-t-il en se laissant tomber dans l’herbe à côté d’eux. La prochaine fois, empêchez-moi de jouer à ce sport de fous !

– Pourtant, il a du succès, ce sport de fous, répliqua Tan en riant. Vous avez attiré tout le chantier et d’après les cris et les applaudissements, tout le monde a aimé. Regarde ça.

Un peu plus loin, Diego répondait aux questions d’un groupe de curieux qui avaient assisté au match. Sa main était posée sur l’épaule de Calixt à qui il assénait des bourrades enjouées toutes les dix secondes. Le garçon, lui, affichait un sourire hésitant et des oreilles rouge brique.

– Les voilà, dit Skull en désignant un airkart qui approchait à grande vitesse. Ils ont l’air bien pressés.

– Blacky est mort, annonça Paddy en descendant du véhicule. Quelqu’un du dispensaire va arriver pour te parler, Skull.

Tan jeta un coup d’œil à Ulys et à Billie. Tous deux étaient très pâles et paraissaient un peu choqués. Oxan passa son bras autour des épaules de son amie.

– Ça va ? chuchota Tan à son frère.

– Ben… je viens de voir quelqu’un mourir, mais oui, ça va, répondit Ulys comme s’il avait avalé quelque chose de travers.

– Il aura quand même tenu depuis Stadium, dit Diego qui s’était rapproché. Ça parait presque miraculeux, compte tenu de…

Il s’interrompit, les yeux dans le vague. Tan savait à quoi il pensait. À présent, Karl n’était plus seulement coupable d’agression, mais de meurtre. Derrière Diego, Calixt versait des larmes silencieuses. Est-ce qu’il pleurait pour Karl ou pour Blacky ?

– Excusez-moi, fit une voix, vous avez parlé de Stadium ? Vous y êtes passés ?

Une femme se tenait à quelques pas du groupe. Sa silhouette longue et mince, sa peau sombre, son regard pénétrant et ses intonations énergiques donnèrent à Tan tout à la fois envie de baisser le front et de se recoiffer. Il ne devait pas être le seul à ressentir ça, car Skull ouvrit d’abord la bouche dans une mimique assez ridicule, avant de lui tendre la main en redressant avantageusement les épaules.

– Alistair Burningskull, capitaine du Worldless Optimal Walrus, dit-il d’une voix un peu plus profonde que d’habitude.

– Max Angel, je fais partie de l’équipe publicité du chantier, répondit l’arrivante en acceptant la poignée de main. Excuse mon indiscrétion, Capitaine, mais je m’intéresse à cette planète.

– Vous êtes la journaliste qui a écrit sur les hikers ! s’exclama soudain Ulys. Je reconnais votre nom.

Tous les regards étaient braqués sur elle. Max Angel écarquilla les yeux en rougissant, parut hésiter puis hocha enfin la tête.

A ce moment, un second airkart se gara derrière celui de Paddy. Il était piloté par un homme vêtu de l’uniforme de la sécurité du chantier.

– Je cherche le capitaine de vaisseau de Blacky Dollum, dit-il à la cantonade, pour les formalités liées à son décès.

Juste à côté de Tan, la journaliste émit un hoquet de surprise.

– C’est moi, je t’accompagne, répondit Skull en montant à côté de lui, après un regard désolé vers Max Angel.

Le garde pianota sur la console du véhicule, puis suspendit son geste quand ses yeux tombèrent sur Diego. Il observa alors plus attentivement l’assemblée.

– Oh ! Mais c’est vous qui jouez à ce sport ! Avec le bâton et les modules d’aéroglisse ! Au poste de sécurité, on a suivi votre match grâce aux images des drones de surveillance et croyez-moi, le camp aurait pu être attaqué, on n’aurait pas quitté les écrans des yeux ! D’ailleurs, l’ingénieur du chantier était là, lui aussi et il va vouloir parler à celui qui a eu l’idée d’utiliser les modules comme ça !

L’attention se focalisa immédiatement sur Calixt dans un brouhaha d’éclats de rire et de congratulations.

– C’est lui ! criait Diego, le doigt pointé vers le haut du crâne du garçon. C’est lui, l’inventeur !

Tan se fraya un chemin vers son cousin en applaudissant. Les paupières de Calixt clignaient à tout rompre, mais son sourire faisait plaisir à voir. Enfin, les acclamations se calmèrent et le groupe s’écarta pour laisser partir l’airkart.

Max Angel avait disparu.