Matinée en montagne (5) - Coming-out

Par Pouiny

Grâce aux activités musicales de Bastien, après des mois de travail acharné, le spectacle des CP fut une réussite. Et après deux mois de vacances tranquille, perturbés peut-être que par les cours de danse exigent de William, Alexandre continua sa scolarité sans encombre. Il ne se souciait plus de ne plus avoir d’ami, car toutes les semaines, il pouvait discuter avec Bastien, qui continuait d’intervenir régulièrement dans l’école où il était.

« Fais attention, avec la pédale ! Si tu la fais tomber, elle va s’abîmer.

– Je ne vais rien casser, promis ! S’écriait le garçon. »

Plus Bastien voyait le garçon grandir et plus il appréciait travailler dans sa classe. La complicité qu’il avait développé avec lui était unique : il était le seul élève a qui il permettait de toucher à son matériel professionnel quand il le rangeait pour partir. Durant les séances, il s’appuyait sur sa voix, forte et juste, pour aider les élèves plus en difficulté. Alexandre rassurait Bastien dans son travail et Bastien rassurait constamment Alexandre sur ses capacités musicales, qu’il peinait encore à réaliser.

« Si j’avais eu le pied aussi sûr que toi à ton âge, crois-moi que je ne serai pas ici!

– Oh non, alors tant mieux ! S’écria Alexandre. »

Surpris, Bastien éclata de rire. Mais après quelques secondes de réflexion, il du réaliser :

« C’est vrai, tiens. Tant mieux, d’une certaine manière. »

Il regarda le gamin qui l’aidait à ranger son piano électrique. Il pliait tout avec soin, comme si les instruments étaient les siens. Il avait du mal à réaliser que l’enfant était déjà en CE2.

« Dis-moi, Alexandre, est-ce que tu as envie d’essayer ma guitare ?

– C’est vrai, je peux ?!

– Alors, je te donne aujourd’hui une autorisation exceptionnelle ! Tu n’y touches pas si je ne te regarde pas.

– Oh, d’accord. »

Il semblait assez déçu, bien qu’il essaya de faire en sorte de ne rien paraître. Mais dès que Bastien lui posa l’instrument sur les genoux, il oublia immédiatement sa déception. N’osant qu’à peine frôler les cordes, il se retrouvait à ne pas savoir par où aborder cet objet qui le fascinait depuis si longtemps. Bastien se posta derrière lui et , pour le temps de cinq minutes de retard, il lui appris à faire trois accords.

 

« Alexandre ! C’est là que tu étais ? Allez, viens, il ne va plus rien y avoir à la cantine ! »

Béatrice était entrée en trombe dans la grande pièce de musique et avait pris la main du garçon sans même se soucier de Bastien. Sa présence était la seule raison pour laquelle il ne s’inquiétait pas trop pour Alexandre : il le voyait assez solitaire et renfermé sur lui-même, et même si Béatrice et lui ne semblaient pas si proche, la petite fille continuait d’aller vers lui, malgré les années passantes. Bastien fit le test une fois d’évoquer son prénom : en voyant ses joues rougir immédiatement, il comprit la timidité qu’il ressentait quand elle était dans les parages et choisi de ne pas insister. Même s’il n’avait pas vraiment d’ami, Alexandre semblait bien entouré.

 

De son côté, il continuait toujours de s’ennuyer à l’école. Les cours lui semblaient parfois passer au ralenti. Mais ayant trop peur de se faire remarquer, il garda ses remarques pour lui. Il jouait très souvent au faux modestes, en espérant se faire de vrais amis, comme il peut y en avoir dans les histoires. Car même si l’école n’allait pas assez vite pour lui, depuis qu’il savait lire, cette lenteur pouvait devenir compensable par la lecture. Il aimait particulièrement dévorer les livres sur l’histoire de France et de l’Angleterre, essayant de comprendre pourquoi les deux pays avaient passé toute leur histoire à se taper dessus. Et quand le monde allait trop lentement , il se rattachait aux interventions de Bastien.

 

Et puis un jour, alors qu’il l’attendait avec impatience, la directrice de l’école vint elle-même en classe pour annoncer qu’il ne viendrait pas.

« Pourquoi ?

– Nous ne pouvons pas vous l’expliquer, ce sont des raisons personnelles.

– Mais s’il est malade, insista Béatrice, j’aimerais bien lui faire un dessin pour qu’il puisse se rétablir !

– C’est vrai, on pourrait dessiner un bateau, comme sur la chanson qu’on apprend en ce moment ! »

Mais la directrice ne répondit pas aux questions des élèves. Elle quitta la classe, et Alexandre devait gérer sa journée en ne voyant pas Bastien. Il était resté silencieux tout du long de l’annonce. Bastien n’avait jamais été absent une seule fois, depuis qu’il le connaissait. Il ne voulait pas croire que ce n’était rien de grave. Il commença a imaginer tout ce qui avait pu arriver, jusqu’à ce qu’il puisse tout raconter à son pama à la sortie de l’école :

« Il n’était pas là ! Il n’est pas venu, pas du tout !

– Oui, j’ai compris, Alex, répondit Charlie avec un sourire gêné. Mais qu’est-ce que j’y peux ?

– Tu es bien dans l’association des parents d’élèves, non ? Tu dois peut-être savoir quelque chose. »

Alexandre avait maintenant huit ans et il était loin d’être idiot. Mais il continuait de faire inlassablement le trajet entre les montagnes en tenant la main de Charlie, dans une vieille habitude dont ni l’un, ni l’autre, ne voulait se défaire.

« Si tu veux, on regarde ça dès qu’on rentre. Je vais regarder si je n’ai pas reçu des mails sur mon adresse personnelle.

– Oui ! J’espère qu’il y aura quelque chose… »

Ils pressèrent le pas pour rentrer jusqu’à la maison. Même Charlie était plutôt intrigué : depuis le temps que son fils lui parlait du fameux Bastien, il avait presque l’impression de le connaître. Il s’installa devant l’ordinateur portable, alors que le garçon regardait en sautillant d’impatience.

« Ah. Tu avais raison, Alex. On a bien reçu un mail en tant que parents d’élèves.

– C’est vrai ? Lis-le !

– Attends, mon grand, ça ne concerne peut-être pas Bastien. »

Mais alors qu’il lisait en diagonale, il commença à pâlir. N’y croyant pas, il lut cette fois-ci avec plus d’attention.

« Pama ! Il faut que tu me dise ce que c’est ! »

Alex essaya de lire au dessus de l’épaule de Charlie, mais celui-ci retira vivement l’ordinateur. Il poussa des cri de frustration, à tel point que William, qui se préparait à donner un cours, vint voir ce qui se passait.

« Will, il faut que tu lises cette horreur. Ça a été envoyé à tous les parents de l’association hier soir.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Lis-le, intima Charlie en jetant un coup d’œil à Alexandre qui s’énervait. »

Voyant son père lire et espérant que celui-ci lui dirait, le garçon décida de se taire. William lu le long mail avec attention et laissa échapper un juron.

« Fais quelque chose, Charlie. Tu ne peux pas laisser passer ça.

– Mais quoi ?

– On en reparle tout à l’heure, d’accord ? Je vais être en retard.

– William…

– Je suis vraiment désolé, je vais faire au plus vite. Mais commencez à y réfléchir de votre coté. Je vous rejoindrais. »

Il embrassa Charlie, désemparé, avant de partir de la maison. L’adulte en un soupir se laissa retomber sur une chaise. Profitant de l’instant, Alexandre lança :

« Pama.

– Quoi ?

– Il a dit ’’commencez.’’ »

Choqué par sa répartie, Charlie regarda son fils comme si c’était la première fois. Celui-ci lui arbora un sourire des plus brillant. Il était manifestement très fier de lui.

« Mais c’est que tu commences à devenir trop intelligent, espèce de petit singe ! S’exclama Charlie en le chatouillant. »

Il essaya de se débattre dans ses éclats de rire. Mais entendre la joie de son fils tant qu’elle le pouvait encore était trop important pour le jeune parent pour le laisser s’en tirer à si bon compte. Quand Alexandre sembla ne plus en pouvoir, il le laissa s’échapper et se réinstalla correctement devant l’ordinateur. Avec un soupir, il commença a réfléchir, la tête face au mail. C’était typiquement le genre de situation avec Alexandre qu’il aurait préféré éviter toute sa vie.

« Alors ? Insista Alexandre.

– Alors, alors… Je peux te lire quelques passages, si tu veux. ’’En tant que mère de Bastien Camin, ayant appris qu’il travaillait dans cet établissement scolaire, je me dois de vous prévenir. La personne qui a été engagée, avant d’être mon fils, est…’’

– Est quoi, Pama ? »

Il n’avait pu s’empêcher de trembler, en lisant les mots. Tout ceci lui rappelait trop de mauvais souvenirs. Il regretta de ne pas pouvoir compter sur William. Il regarda son garçon, posté les genoux sur la chaise, tendu vers l’ordinateur autant qu’il pouvait. Il prit une inspiration.

« ’’Mon fils est pédéraste et vos enfants ne sont donc pas à l’abri dans les murs de l'école. Je pense qu’il serait plus judicieux de le renvoyer avant que quelque chose d’affreux ne se passe, si véritablement rien ne s’est pas déjà passé. J’espère que vous prendrez ce message en considération.’’

– Ça veut dire quoi, pédéraste, Pama ?

– Ça veut dire que Bastien tomberait amoureux de petits garçons, Alex. C’est un mot très grave.

– Quoi ?! Mais c’est n’importe quoi !

– Comment ça, n’importe quoi ? Comment tu le sais ?

– Parce que j’ai déjà vu son étui de guitare !

– Je veux bien être imaginatif, Alex, mais je ne saisi pas trop le rapport…

– Le rapport, c’est que du coup, j’ai vu qu’il cachait des photos à l’intérieur, j’ai vu qu’il y avait lui et un autre garçon, et il était adulte ! Je lui ai demandé qui c’était, il m’a dit que c’était son fiancé. Il a l’air de beaucoup l’aimer ! Même qu’il porte une bague comme la tienne à l’annulaire ! »

Soulagé, Charlie laissa échapper un grand soupir. Ne comprenant pas forcément la gravité de la situation, Alexandre demanda :

« C’est à cause de ça, qu’il n’est pas venu aujourd’hui ?

– Alexandre. Est-ce que tu peux m’assurer que tu es sûr de ce que tu dis ?

– Quoi ? Bah oui, je suis sûr ! Je passe toujours du temps avec lui après les séances, je te dis !

– Et il n’a jamais eu des propos ou des gestes déplacés ?

– Non, bien sûr que non ! Il nous demande toujours avant, si il doit nous toucher. Il y a jamais rien eu de bizarre.

– Tu me le jure, Alexandre ?

– Je peux te le jurer, mais…

– Tu ne dis pas ça parce que tu l’aimes bien ?

– Bah, je l’aime bien, mais s’il m’avait fait quelque chose que j’aimais pas, je ne l’aimerais pas, répondit Alexandre tout simplement. »

Comprenant de moins en moins où voulait en venir son parent, il fut totalement perdu quand Charlie le prit brusquement dans ses bras.

« Tu veux que je te dise, pama ?

– Quoi ?

– Moi, je pense que sa maman n’est juste pas contente qu’il aime un garçon. »

Charlie le lâcha pour mieux le regarder. Alexandre semblait parfaitement sérieux. Pris de doute, elle relut le texte plusieurs fois. Après un moment de silence, il se laissa tomber sur la chaise.

« Tu sais quoi, Alex ? Je pense que tu as raison. Il est vraiment bizarre, ce mail. Il y a quelque chose qui n’est pas clair.

– Comme quoi ?

– Elle mélange tout ceci a une morale religieuse. Ça n’a rien a voir avec l’école, ça !

– Tu penses qu’il est au courant, qu’elle a envoyé ça ?

– Oui, le mail a manifestement tourné aussi chez les maîtresses. C’est vraiment pour ça qu’il n’est pas venu.

– Il doit être triste… »

Perdu, Charlie resta silencieux. Il réfléchissait, imaginait ce qui avait bien pu mener une mère, s’il s’agissait vraiment de sa mère, publier un message pareil. Et maintenant que le soulagement s’estompait, la colère prenait place. William avait raison, il était tout simplement incapable de laisser passer quelque chose de ce genre.

« Est-ce que ça te dit de m’aider pour Bastien, Alex ?

– Il faut faire quoi ?

– Je vais prévenir et discuter avec les parents. Toi, tu peux écrire des banderoles pour Bastien. Écris lui ce que tu veux ! Les rouleaux de papier se trouvent a coté de l’imprimante !

– Trop bien ! »

 

Charlie passa des jours au téléphone et sur son ordinateur, à envoyer toute sorte de mail. Charlie et Alexandre ne parlait plus que de ça. Quand le pama était au téléphone, il regardait son fils s’appliquer dans les plus beaux dessins qu’il pouvait faire. Alexandre mettait tout son cœur dans le projet et Charlie ne pouvait s’empêcher de trouver cette implication attendrissante. Alors lui aussi, il s’accrochait. Il échangeait des mails, allait rencontrer des parents, débattait, organisait. Quand il fatiguait, William prenait le relais. En lisant le message, il avait immédiatement senti que les accusations étaient infondées et ne fut pas long a convaincre de l’opération que menaient Charlie et Alexandre sous son toit. Les autres parents ne furent pas tous prompt à comprendre la situation. Effrayés pour leur enfants, ils avaient plus de mal à comprendre ce qu’avançait Charlie. Mais à force de discussion et d'enquête ne menant sur aucune violence ni aucun témoignage, la totalité se joignirent de son coté. C’est ainsi que commença à se préparer une manifestation pour sauver Bastien.

 

Le mardi de la semaine d’après, les parents, au lieu de partir en laissant leurs enfants, se joignirent a eux et accrochèrent toute sorte de pancarte et de banderoles. La plupart des maîtresses qui connaissaient Bastien depuis assez longtemps firent semblant de ne rien voir, en espérant que la situation ne leur retombe pas dessus. Au final, après une semaine de réflexion, plus aucune personne n’était d’accord avec ce mail.

 

Mais parmi tous les acteurs et les concernés, seul Bastien n’avait pas été prévenu de ce soutien inespéré. Cela faisait plus d’une semaine qu’il n’osait plus sortir de chez lui, anéanti. Il lui avait été imposé sept jour d’arrêt maladie, et s’il avait été au départ détruit par cette annonce, il regretta que ces jours de congé ne furent pas plus long. Aïden, affecté lui aussi, lui avait dit :

« Si ça peut t’aider à y aller, je viens avec toi. Si on t’insulte, on sera ensemble. »

Il avait hésité ; après tout, quitte à prendre des insultes, autant faire en sorte que le moins de personne possible l’entende. Il n’avait pas envie que son compagnon soit touché par la situation plus que nécessaire. Mais plus le jour fatidique approchait et moins il arrivait à se tenir à ses convictions. Quand il monta dans sa voiture en tremblant, le matin même, Aïden ne lui laissa plus le choix : il s’installa dans la voiture et lui prit la main. Il n’avait aucune idée de ce qu’il pourrait faire pour arranger la situation. Mais il tenait à être présent.

 

Ils firent le trajet jusqu’à l’école en silence. Les deux hommes étaient tendus et ne savaient même plus quoi se dire. En se garant fébrilement, Bastien lança avec un sourire nerveux :

« Si la situation était si grave que ça à l’école, ils ne m’auraient pas laissé revenir, hein ?

– J’en suis persuadé. Allez, ajouta Aïden en l’embrassant, ça va bien se passer.

– Tant que tu es là, tu veux bien m’aider à transporter mes instruments ?

– Pas de soucis ! »

Ainsi, ce fut Aïden le premier à sortir de la voiture et a voir le spectacle qu’avaient prévu les enfants et les parents ensemble. Choqué, il en resta sans voix. Les enfants avaient dessiné de gros cœurs a coté du prénom de Bastien. Sur les banderoles, il y avait des arc-en-ciel et des slogans sur l’amour et la liberté. Les adultes s’étaient tous regroupés autour de l’école et discutaient tranquillement entre eux, comme à une pause café. Aucun d’entre eux ne semblait concerné de près ou de loin par l’homosexualité. Néanmoins, ils étaient tous là.

« Bastien, il faut que tu vois ça.

– Quoi ?

– Sors de là, je te dit ! S’écria Aïden en ouvrant la portière. »

Le bonheur qui l’envahissait ne fut aussi fort, aussi agréable qu’à cet instant. Par réflexe, il attrapa dans sa main la béryl jaune qu’il portait à son cou et la serra fort dans sa paume. Face à tout ces gens qui avaient choisi de les regarder sans haine, il avait envie de courir, de crier de joie, de montrer son bonheur. Bastien se cachait toujours et n’avait pas vu la manifestation. Pourtant, quelques enfants qui reconnaissaient sa voiture commençait à regarder vers lui. Ne sachant même pas quoi lui dire, Aïden lui prit la main et le força à sortir. Quand Bastien fit face aux banderoles et aux mots colorés, portés par des cris d’enfants et quelques applaudissements de la part des adultes, son visage se décomposa immédiatement. Il avait tant souffert, tant craint ce moment : il s’était attendu à tout, des montagnes de haine jusqu’à des agressions pures et simple, qu’il n’arrivait même pas à croire ce qui se passait devant ses yeux. Aïden éclata de rire en voyant sa tête. Alors que Bastien cachait son visage dans ses mains pour garder ses larmes, il le prit dans ses bras avec joie.

« Tout va bien, Bastien ! C’est quand même super, non ?

– C’est une blague, non ? Murmura le musicien d’une voix apeurée. Il y a forcément une blague quelque part.

– Non. Je t’assure que non. Ce n’est pas une blague. Je te l’avais dit ! Ils ne pouvaient te détester pour ça. C’était pas possible, je te l’avais dit ! »

Bastien s’accrocha à Aïden d’une main tremblante. Celui-ci jubilait pour deux.

« Allez, il faut qu’on aille leur parler ! Ils ont fait tout ça pour toi. Tu n’as pas à avoir peur !

– Mais…

– Tu es aimé, Bastien, ajouta Aïden en riant. Et pas que par moi, il semblerait. Alors lève la tête, non ? »

Il renifla avant d’obéir. Et en prenant une longue respiration, il commença à s’avancer vers l’école d’un pas peu assuré. Aïden le suivait. Il avait pris sa main sa aucune peur. Un sourire illuminait son visage avec une intensité que même lui, son compagnon de vie, n’avait que très rarement vu. En voyant Bastien approcher, des enfants se précipitèrent sur lui en criant :

« Tu nous a manqué !

– Vraiment, les enfants ? Mais vous avez bien travaillé sans moi, évidemment ! »

En réponse, quelques uns se mirent à chanter avec application l’un des derniers chants que Bastien leur avait transmis. Touché, il regarda les parents du regard. Il vivait en campagne et intervenait jamais dans des grandes villes. Ainsi, vivant un peu à part, Aïden et Bastien n’avait jamais véritablement rencontré d’association ou des groupes de personnes qui seraient prêtes à défendre leur droit. En regardant les parents, il ne voyait pourtant aucun jugement, aucune suspicion. Et pensant tout ceci jusqu’ici impossible, il n’osait qu’à peine y croire. Voyant une maman s’approcher, Bastien se dirigea vers elle en souriant :

« Vraiment, c’est… Personne ne m’avait mis au courant !

– Vous pouvez remercier Charlie ! Lui-répondit-elle en lui serrant la main. C’est elle et son mari qui ont mis tout en place.

– C’est vrai ? Est-ce que je pourrai la trouver ? Il faut absolument que je lui parle !

– Bien sûr ! Vous ne pourrez pas la rater, c’est la seule femme qui porte de la barbe ici ! »

Plutôt circonspect de la remarque, Bastien fit le choix de ne pas le relever et essaya de retrouver la personne concernée avec la maigre description. Mais alors qu’il cherchait, il senti un poids s’accrocher à ses jambes.

« Bastien !

– Mais si c’est pas le petit Alexandre, s’exclama l’homme de manière assez théâtrale. Que fais-tu donc bien là ?

– Tu as vu, les banderoles ? C’est moi qui les ai faite, en partie !

– Ah vraiment ? C’est bien, tu dessines bien, répondit Bastien avec un sourire. Par contre, personne ne t’as dit que le violet se trouvait après le bleu dans l’arc-en-ciel, et pas avant ?

– Oh non, je me suis trompé ! S’exclama l’enfant comme si c’était la pire erreur de sa vie.

– Alors répète après moi : ce n’est pas une erreur, c’est un choix artistique ! »

L’enfant rit de bon cœur et s’exclama en voyant Aïden derrière son intervenant musical :

« C’est lui, ton amoureux ! »

Bastien eut pour réflexe de lui demander de parler moins fort, avant de réaliser que cette remarque n’avait pas lieu d’être. Alors il assura :

« Oui, c’est mon fiancé. Alexandre, je te présente Aïden.

– Bonjour, Aïden ! S’exclama l’enfant. Toi aussi, tu joues de la guitare ?

– Malheureusement non, répondit l’intéressé avec amusement. Moi, je suis plutôt dans la photographie. D’ailleurs, Bastien, si tu veux bien m’excuser, il y a vraiment des photos que j’ai envie de prendre, en voyant ça…

– Je comprends, va balader, lui répondit son compagnon avec un sourire. Moi, il faut que je trouve un certain Charlie, tu dois sûrement le connaître, Alex ?

– Oui, c’est mon pama !

– A vrai dire, je m’en doutais. Tu peux me présenter ? »

Avec un acquiescement, Alexandre guida vivement Bastien jusqu’à deux adultes, légèrement en retrait, en train d’observer avec satisfaction ce qui se passait sur le devant de l’école. En voyant le fameux Charlie, dans un costume d’homme très élégant, a l’allure très confiante posée alors qu’il discutait tranquillement avec un grand homme à la barbe noire, il comprit immédiatement qu’il n’aurait jamais trouvé qui il était avec les maigres indications de la maman d’élève. D’apparence, pour la première fois qu’il la vit, Charlie ne ressemblait en rien à une femme.

« Pama ! S’écria Alexandre en s’approchant du couple. C’est Bastien, je l’ai trouvé !

– Dis plutôt que tu l’as kidnappé, répliqua le parent avec malice. Tu es sûr qu’il est là de son plein gré ?

– Mais oui, il te cherchait !

– Mes hommages, Charlie, salua Bastien de manière exagérée. Il semblerait que ce soit vous qui soit derrière toute cette manifestation ?

– Oh, s’exclama Charlie avec étonnement, mais c’est que monsieur est joueur ! Et oui, c’est moi le grand organisateur, pour ne pas dire manipulateur, qui a organisé tout ceci dans l’ombre… Il me fallait au moins cela pour atteindre mon but, savez-vous ?

– Maniaque, froid et calculateur, vous êtes donc bien le méchant que je recherchais, répliqua Bastien, entrant lui aussi dans un jeu de théâtre. Mais que me voulez-vous donc, docteur Gang ?

– Ce que je voulais ? Pauvre fou. Vous n’avez donc pas encore deviné ? Ce que je voulais atteindre, mon cher Bastien, c’était votre cœur.

– Charlie… »

Avec un air consterné, William coupa court au jeu, comme pour rappeler son existence. A l’entente de la voix de son mari, il quitta immédiatement sa posture dramatique pour s’adresser à lui de façon naturelle :

« Son cœur, pour pouvoir le découper et le manger, voyons ! Tu ne me laisses pas finir mes impros, aussi, ça porte à confusion quand tu m’interromps comme ça !

– Tu vas surtout lui faire peur avec tes bêtises, répondit William en jetant un regard interrogatif à Bastien. »

Il avait peur que la discussion soit allée trop loin bien trop vite, mais loin de s’en formaliser, le musicien riait de bon cœur. Il était beaucoup trop reconnaissant pour se vexer de quoi que ce soit.

« Sergent Will, vous doutez des compétences de votre colonel ! Je n’aime pas trop cette insubordination !

It’s not my war, dear, répliqua le sergent avec amusement. »

Ne trouvant rien à répondre, Charlie prit le parti d’en rire franchement. Puis, retrouvant son sérieux, il reprit :

« Bon, mis à part, oui, c’est bien moi et Alex qui avons organisé ce petit évènement. J’espère qu’il a eu son effet ?

– Sincèrement ? Répondit Bastien émotion. Je ne saurai même pas comment vous remercier. J’étais persuadé que j’allais être renvoyé aujourd’hui, je m’attendais même à des agressions en arrivant jusqu’ici… Je pense vraiment que vous m’avez sauvé, et que vous avez sauvé mon travail.

– Ça fait du bien, d’être soutenu, n’est-ce pas ? »

Charlie avait prononcé ces mots avec une grande simplicité. Le regard qu’il posait sur Bastien était doux et compréhensif. Bien que tout ceci soit si banal, il eut l’impression que tout ceci le secouait plus qu’un jour de grand vent.

« Oui. Merci, vraiment.

– Mais de rien, Bastien ! C’est un plaisir, je vous l’assure. Néanmoins…

– Oui ?

– Pardonnez mon indiscrétion, mais qu’est-ce qui a bien pu se passer avec votre mère pour qu’elle envoie à toute l’école un message pareil ? »

Charlie se prit un vif coup de pied dans le tibia de la part de son mari pour avoir posé la question, mais Alexandre, attentif, ne put pas assez le remercier dans sa tête pour l’avoir prononcée. Bastien, gêné, mis du temps à répondre :

« Et bien… Vous voyez le jeune homme, là-bas, qui est sur la pointe des pieds en prenant des photos des banderoles ?

– Oui, je le vois.

– J’ai annoncé à ma mère que j’allais me marier avec lui et… ça ne s’est pas très bien passé.

– Tu vois pama ! J’avais raison ! Je te l’avais dit !

– Et toi, répliqua Bastien à l’encontre d’Alexandre qu’il avait totalement oublié, je pensais que tu m’avais promis que tu garderai ça pour toi.

– Mais ! S’exclama Alexandre, qui venait de réaliser seulement maintenant sa bêtise.

– Et bien alors, Alex, on ne tient plus ses promesses ? Remarqua Charlie pour le taquiner. Tu sais ce qui arrivent aux enfants qui ne tiennent pas leur langue ?

– Je n’avais pas vraiment promis ! J’avais croisé mes doigts dans le dos. »

Ce n’était pas vrai, mais aucun des adultes prit a cœur de le relever. Charlie fini par demander à nouveau :

« Mais, là encore, je suis sûrement indiscret, mais… Comment ?

– Il n’y a pas si longtemps, le Québec a légalisé le mariage homosexuel et Aïden et moi, nous avons profité de la brèche pour…

– Aïden ? Releva William. Ce n’est pas un prénom courant, par ici.

– Excusez-moi, vous êtes ? Demanda poliment Bastien.

– Je m’appelle William, je suis le père de ce garnement et le complice de cet énergumène, fit-il en pointant Charlie du doigt. J’aurais du me présenter avant, je suis désolé.

– Vous êtes donc irlandais, si je me souviens bien ?

– Irlande du nord, exactement. Aïden est un prénom d’origine gaélique, j’en suis quasiment certain !Áedán est un prénom qu’on retrouve souvent dans la mythologie irlandaise. Il signifie « petit feu ». Ce garçon a des origines galloises ? »

Bastien afficha un air désolé à son interlocuteur.

« Pas que je sache, mais il est très fier de son prénom. C’est une assez longue histoire…

– Mais au fait Bastien, tant que vous tiens ! S’exclama Charlie pour rompre le malaise. Il faut absolument que nous parlions affaire, tous les trois ! »

Les deux hommes partagèrent un regard circonspect, alors qu’Alexandre, plus éveillé, s’écria :

« Vous allez faire de la musique ensemble ?!

– Comment ça ? Demanda Bastien.

– A vrai dire, ça fait quelque temps que mon mari et moi cherchons un guitariste. On fait très souvent de la musique le soir, ensemble, mais ne savons jouer que des instruments mélodiques ! Ça manque de soutien harmonique, si vous voyez ce que je veux dire. Donc, il fallait que je vous demande…

– De la musique traditionnelle irlandaise, c’est ça ?

– Exactement. Alex me soutient depuis des années que vous savez jouer de la guitare comme personne, alors…

– Je suis désolé, je m’y connais très peu dans ce style de musique, commença Bastien avec un peu de gêne. Je fais plutôt de la musique moderne.

– Ce n’est pas grave, on pourra très bien vous initier ! S’exclama Charlie, essayant de se montrer persuasif. »

Il sentait qu’il n’aurait pas besoin d’insister beaucoup pour que le musicien cède. Bastien avait toujours aimé les activités en groupe mais n’avait malheureusement jamais trouvé de compagnon avec qui jouer de la musique. Alors que Charlie lui expliquait avec passion ce qu’ils pouvaient faire ensemble, William prit la main de son garçon et en profita pour s’éloigner.

« Qu’est-ce que tu fais, papa ? Où est-ce qu’on va ?

– On va laisser les deux bavards discuter tranquillement. Tu sais, c’est comme quand deux chats se font face, il ne faut surtout pas les déranger. »

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Cherry
Posté le 24/06/2021
Hey ! comment ça va Poui-Poui ?

je reviens en coup de vent ici pour te dire que je l'aime tout autant ce chapitre, il est très touchant.

J'apprécie ce chapitre, et j'en reviens pas de voir notre petit bébé alex grandir aussi vite ! je trouve que la transition entre ce chapitre et le précédent est rapide, peut-être... que tu devrais scinder ce chapitre en 2 ? bien sûr c'est une suggestion, à toi de voir mais je trouve ce choix peut-être plus intéressant. Cela permettrait de montrer l'amitié entre Alex et Bastien, puis finir en cliffhanger avec la disparition de Bastin (je parle de lui comme s'il était mort XD).

Je trouve aussi certains passages trop explicite, les lecteurs.rices le savent probablement déjà : "Les adultes s’étaient tous regroupés autour de l’école et discutaient tranquillement entre eux, comme à une pause café. Aucun d’entre eux ne semblait concerné de près ou de loin par l’homosexualité. " : ici tu nous donne déjà la descriptions des adultes qui n'ont pas l'air concerné par l'homosexualité dès la première phrase

Bref excuse-moi encore de manquer de temps pour t'offrir une analyse plus approfondie ! à plus sur PA !
Pouiny
Posté le 25/06/2021
Je suis vraiment nul pour couper en chapitre, parce que mon document word est à la base coupé uniquement en 4 parties x) J'ai déjà pour moi techniquement coupé cette scene en deux avec le chapitre suivant, mais effectivement j'étais pas très très convaincu, donc je prend note x)

Merci et pas de soucis ^^
Aspen_Virgo
Posté le 20/04/2021
Salut !
Un petit mot de passage pour te dire que ton histoire est toujours aussi bien, elle fait chaud au coeur malgré les tracas que subissent les personnages :)
J'aime beaucoup, et j'ai hâte de lire la suite...
Pouiny
Posté le 21/04/2021
Merci beaucoup ! ça me fait vraiment très plaisir :)
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