MARIE ET COMPAGNIE

Notes de l’auteur : Armand ajouta dans son panier six tranches de jambon cru de Bayonne et un bocal de cornichons au vinaigre. Pour ce qui était annoncée comme la dernière raclette de la saison, il fallait voir grand pensa-t-il en attrapant un Chardonnay du Jura, médaille de bronze à la Foire de Paris.

Une fois encore, Armand est arrivé le premier. Le Boulevard Voltaire est à deux pâtés de maison chez lui. Il a tapé le code sans hésiter. Au moment il a eu le doigt sur la sonnette de Gustave, il s’est souvenu que Marie adorait les dattes avec le champagne. Sans hésiter, il est retourné sur le boulevard. Il a marché en direction de la supérette rue de Charonne. « Revoir sa petite Marie ». Il y avait pensé tandis qu'il taillait sa moustache à la tondeuse électrique. Marie avait toujours été un conducteur étonnant de l’énergie positive.  Elle n’opposait pour ainsi dire aucune résistance ni à l’enthousiasme ni à la joie. Pour une nature pessimiste comme celle d’Armand, elle était le parfait compagnon. Elle lui avait manqué sa petite Marie. Il ajouta dans son panier six tranches de jambon cru de Bayonne et un bocal de cornichons au vinaigre. Pour ce qui était annoncée comme la dernière raclette de la saison, il fallait voir grand pensa-t-il en attrapant un Chardonnay du Jura, médaille de bronze à la Foire de Paris. Armand se félicita de ce choix rapide et efficace. Ça ne lui ressemblait tellement pas. D’ordinaire c’était l’incertitude qui le caractérisait. Et la peur de ne pouvoir revenir en arrière. Il sentit sa mâchoire se contracter quand il repensa au syndrome du domino. C’est ainsi qu’il avait surnommé cette crainte qui le paralysait si souvent ; c’était tellement flou, la vie, alors décider quelque chose, c’était aussi déclencher quelque chose, une suite de réactions et de mouvements dont il était impossible de prévoir les conséquences. Avec Marie, c’était quoi la suite de tout ça ? Il pensa que, peut-­être, ce soir il pourrait précipiter les choses et lui montrait un peu de ce sentiment brulant qu’elle déclenchait en lui.

Gustave était en grande forme ce soir. Violeine venait tout juste de s’en aller quand le coup de sonnette d’Armand avait retenti. Ils avaient baisé toute la journée. C’était à peu près aussi inexact que de dire qu'on a couru toute la journée, mais c’était cependant l’impression qui dominait chez Gustave avant l’arrivée des copains. Avec son efficacité proverbiale, il avait organisé la pièce à la perfection en quelques minutes à peine. Il avait surélevé sa table basse pour que ses convives puissent profiter du repas depuis les canapés sans avoir à se baisser outre mesure. Et quand Armand franchit sa porte, il venait de parachever les préparatifs en jetant une couverture propre sur le lit encore fumant. Le salon de Gustave était un deux-en-un astucieux, avec d’un côté un espace de vie convivial avec table basse et canapés et de l’autre un lit king size. Les deux espaces communiquant sans aucune séparation. On pouvait donc passer de la relation sociale à la relation sexuelle sans perte de temps. De sorte qu’il était excusable que Gustave eut le réflexe naturel bien qu’un peu hâtif parfois, de proposer à ses invitées de passer de l'une à l’autre. Un lit au milieu du salon, c’était résumer une bonne partie du génie de Gustave. Armand et lui se firent la bise et sans plus de préliminaires, embrayèrent sur le programme de la soirée. Après le repas, Gustave proposait de se rendre à l’anniversaire d’une copine dans le dix-huitième. Armand savait qu’il n’aurait pas la vitalité nécessaire à une virée nocturne avec ses copains. La journée l’avait vidé. Le matin, il donnait des cours de théâtre en banlieue à des adolescents. Et puis l’après-midi, il apprenait le chant en vue d’une audition à la fin du mois pour un rôle de chanteur de variété. En réfléchissant à la proposition de Gustave, qui dans un langage clair était un traquenard, Armand jeta un œil à l’agenda de son téléphone. Rien de prévu demain. Mais il décida pour l’heure de jouer la carte de la prudence et répondit qu’il était crevé avant d’ajouter qu’il aviserait néanmoins après avoir manger les dattes. Devant la mine perplexe de son ami, Armand lui montra le contenu de son tote bag Kenzo

-          Des dattes avec une raclette ? Quelque chose m’échappe là.

-          C’est parce que tu n’es pas sur Instagram mec, c’est hyper trendy les dattes fourrées à la raclette.

-          Sérieux ? Mais comment tu fais pour…

Avant de finir sa phrase, il remarqua qu’Armand avait son petit air ironique habituel. Il n'aimait pas tellement cet état d'esprit chez son ami. 

-          T’es con. Enfin bon, ça ne répond pas à ma question : pourquoi des dattes ?

-          C’est pour Marie, elle adore les dattes avec le champagne

Gustave lui lanca un sourire entendu qu'Armand préféra ne pas relever.

-          Bon sinon, y a qui d’autres qui vient bouffer ?

-          Émilie, Farid, Guillaume, sa meuf, et peut-être Soso si elle ne finit pas trop tard

-          Guillaume, c’est cool ça, ça fait un bail que je ne l’ai pas vu

-          Ils étaient à un concert à la Gaîté Lyrique, du coup c’était pratique pour eux.

-          Trop bien

-          Qu’est-ce que tu veux boire au fait ? Une petite bière pour commencer ?

-          IPA ?

-          Non, Tsing-Tao 

Les sourcils d'Armand sursautèrent tandis que sa bouche adoptait une moue peu réjouie. 

-          T’es sérieux une bière chinoise ?

-          Bein ouais moi les bières du terroir, tout ce buzz sur les bières artisanales, ce n’est pas mon truc, et en plus c’est fort, c’est lourd, j’ai l’impression de boire un cassoulet.

-          N’importe quoi.

-          TsingTao c’est léger, ça se boit tout seul

-          Vas-y remballe-là ta bière de Chine. T’as du vin sinon ?

-          Ouais un petit vin du Cameroun.

-          Oula ça va être sympa ce soir, ça sent la grosse poilade 

Les deux amis rirent de concert.

-          À propos de la Chine, t’as vu qu’ils ont découvert un virus de malade ? 

-          Un virus informatique ?

-          Non non, un vrai virus, une maladie, une saloperie quoi !

-          Ha

-          Il paraît qu’ils mettent des villes en quarantaine. T’as Wuhan, une ville qui fait dix fois la taille de Paris et dont tu n'as jamais entendu parler qui est fermée entièrement. Comme au Moyen-Âge. Apparemment c'est la peste ce truc !

-          Tiens en parlant de fermeture rien à voir mais t’as vu qu’ils vont fermer le OSLO. De ce que je sais, les riverains les ont tellement emmerdés, qu’ils ont décidé de délocaliser le club à Juvisy.

-          Juvisy sérieux ? bon courage pour faire venir les gens. J’avais un pote qui vivait là-bas à l’époque.

Armand ne poursuivant pas sa phrase, Gustave lui lança un regard interrogateur. 

-          Eh bien voilà j’avais un pote. Complètement perdu de vue depuis.

-          T’es en forme ce soir toi

La sonnette retentit. 

-          Tu peux aller ouvrir, faut que j’aille mettre les patates à chauffer !

À peine arrivée, Marie dansa au son de la musique propulsée par le mac de Gustave. Les deux amis la rejoignirent, un peu maladroits, subjugués par la grâce avec laquelle la fille faisait tournoyer ses bracelets au dessus de leurs têtes. Elle raconta ensuite le voyage qu’elle avait prévu de faire au Mozambique cet été. Armand écouta fasciné avant de lui parler avec entrain de l’anniversaire du pote de Gustave. Voulait-elle y aller ? Elle était partante à condition qu’ils rentrent ensemble, parce qu’elle avait eu une mauvaise expérience l'autre soir du côté de Jules Joffrin, près du bar de Momo. Armand était heureux d’être ici. Sa fatigue s'était envolée à présent. Gustave se demandait ce que ses amis diraient s'il leur proposait une séance de triolisme tandis que les pommes de terre finiraient leur cuisson. 

Il n’eut pas le temps de formuler ses pensées érotiques. Marie changea la musique et fit le choix d’un morceau aux pulsations clairement charnelles. Ils dansèrent encore un moment, à un cheveu les uns des autres, et leurs souffles emplirent l’atmosphère d’une buée chaude et chargée en nicotine. Puis Armand se retourna, et dans son jeans serré en toile japonaise, avec un visage devenu beau et décidé, il dit à Marie qu’elle avait des yeux magnétiques, et qu’elle était plus sexy et sauvage que la musique de Prince.

 

 

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Grde Marguerite
Posté le 21/06/2020
Une faute de temps à signaler : "Devant la mine perplexe de son ami, Armand lui montre le contenu de son tote bag Kenzo." Je mettrais plutôt "montra", la phrase venant à la fin d'un paragraphe écrit entièrement au passé.
Pour le dernier paragraphe, on repasse au temps présent, petite discordance avec le reste du texte. C'est voulu ou est-ce une chose que tu as laissé passer ?
Voilà pour la "technique".
Sinon, j'ai l'impression d'une histoire pas tout à fait achevée (et je ne dis pas ça à cause de la fin". Cela dit, bien vu, la façon dont le coronatruc est survenu dans nos vies (une nouvelle assez anodine, au départ).
Edgar Fabar
Posté le 21/06/2020
En ce jour du seigneur, je vous rends grâce pour ces remarques fort justes. Voilà ce qui arrive quand on change de temps en cours de route. Je vais lisser tout ça au verbe à friser.
Après sur le récit, je comprends ton point. Je cherche encore comment y remédier.
Namasté !
Edgar Fabar
Posté le 21/06/2020
J'ai trouvé un truc je crois, tu me diras.
Tchüss
Grde Marguerite
Posté le 21/06/2020
Ah oui, autre chose : je ne voyais pas trop l'intérêt de mettre dans la note de l'auteur préliminaire un extrait du texte (ça n'apporte rien...).
Edgar Fabar
Posté le 21/06/2020
la flemme n'apporte rien.. c'est bien là son principe ^^
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