Marie-Claire

Par Letorpe

Nerveuse, car elle voulait se donnait encore une chance, Marie-Claire se coupa le menton avec son rasoir et tacha la robe qu'elle avait mis des heures à choisir en vue de sa première rencontre avec Didier, une simple robe d'été, ni trop échancrée, ni trop couvrante, avec un feuillage vert entrelacé imprimé sur fond blanc, avant que plusieurs gouttes de sang n'en complètent le motif. À l'aide d'une eau savonneuse tiède, elle tâcha de les faire disparaître et ne réussit, à son grand désespoir, qu'à mieux les étaler, et pire, le tissu mouillé laissait maintenant entrevoir à son insu ses sous-vêtements, détail qui quelques instants plus tard, retiendrait toute l'attention de son nouvel ami, lequel n'avait pas passé autant de temps à se préparer, mais avait compensé par un excès d'eau de toilette, dont l'effluve le précédait et lui annonçait, selon la publicité, un succès garanti.

Entre deux êtres entre deux âges dont la vie monotone ne leur avait pas apporté beaucoup de joies, cette sortie qui rompait l'ordinaire était déjà en soi un évènement. Installés en terrasse d'un restaurant, le parfum sembla faire son effet, de même que ce feuillage enlacé, où ses yeux accrochés, cherchaient désespérément deux bourgeons de rose. Elle prit son regard baissé pour de la timidité, et cela ne fut pas pour lui déplaire, un gage de sécurité qu'il n'était pas un de ces hommes violents. Il prit sa robe transparente pour un gage de gaité à venir, ce soir, il avait un ticket gagnant et ne prêta aucune attention à l'imposant bouton qui ornait son menton. Leur dîner était bien avancé et ils n'avaient que très peu parlé. Ne pas dire de sottise, de banalité, ni trop se dévoiler, ne pas poser de question embarrassante se répétait-elle. Quant à lui, il se perdait dans ses pensées, toutes occupées à reconstruire les formes de sa  partenaire. Et puis, il y avait ces mots qui ne sortaient pas toujours de leurs gorges, ces mots emprisonnés par des années de solitude et qu'on n'ose plus prononcer. Des demi-mots qui formaient des phrases inachevées. Et vint le silence, compagnon habituel des êtres solitaires.

Et vint l'addition qu'il s'empressa de régler pour montrer ses bonnes manières. Quand il eut fini de déposer toute sa petite monnaie, elle le remercia pour un dîner si charmant et souhaita faire une promenade au bord de l'eau. Ils déambulèrent sur les quais en toute banalité dans le crépuscule qui enveloppait maintenant la ville. Ni l'un ni l'autre n'avait l'envie de rentrer chez lui, simplement prendre quelques minutes encore, reporter ce moment où il faudrait se décider à franchir le pas et basculer ou non dans un autre monde. Perspective terrifiante s'il en est, abandonner sa liberté pour la partager avec une personne si éloignée de ses rêves de jeune fille, car ici encore, aucun prince à son bras ce soir.

Marcher pour réfléchir toujours. Minuit sonna sur la ville et sur l'ancien pont au-dessus de l'eau noire, elle le pria de l'excuser car il lui fallait rentrer au plus vite. Leurs adieux à peine dits, ils partirent chacun vers une rive opposée. Sans un bruit, elle enjamba le parapet et disparut dans l'eau vive. Il se retourna pour apercevoir sa silhouette, mais déjà elle était partie. Enfin seul, il se félicita de sa bonne soirée et gambada au rythme de ses flatulences par trop contenues, et devenues hors de contrôle.

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