Mardi 8 octobre

Par Aude JB

Le téléphone d’Ambre fini sa courte vie sur le mur de sa chambre. C’était le cinquième qu’elle cassait depuis septembre. Il ne lui restait plus qu’a en racheter un autre au voisin. Elle constata que le choc avait encore un peu plus décoller le papier peint hideux. Sa mère et elle avaient emménagé dans ce nouvel appartement en juillet quand son frère, Adam, avait rejoint leur père dans son cabinet d’avocat à Washington. En quatre mois, elles n’avaient jamais pris le temps de décoller le papier peint rétro-moche Bambi. Une multitude de Bambi et de Pan-Pan s’amusaient à l’infini sur les murs, un calvaire sans fin. Elle en avait presque oublié que son réveil avait sonné, ce qui avait provoqué sa mort prématurée. Ambre n’avait jamais supporté le bruit des réveils quel que soit le son ou la musique choisi. Elle se tira difficilement de son lit redoutant la sensation de froid qui ne vint jamais. Sa mère avait dû allumer le chauffage. Elle enfila un vieux legging et un sweat taché avant de se diriger vers le salon. Sa mère, Amélia, était déjà en train de petit-déjeuner sur le bar de la cuisine. Pareille à elle-même, elle était impeccablement coiffée, maquillée et habillée. Ambre enviait énormément son habilité à être toujours belle et apprêté. Elle se sentait personnellement incapable de mettre autant d’énergie là-dedans ce qui lui faisait ressentir un mélange d’admirations et de jalousie à l’égard de sa mère. Elle articula, ou grogna, un vague bonjour et tenta de se faire la plus petite possible. Amélia se tourna vers elle avec un sourire.

- Bonjour ma Puce

Elle marqua une courte pause, se plongea dans son téléphone puis enchaîna.

- Il va falloir que tu arrêtes de balancer tes téléphones à 22 ans, il me semble que tu as passé l’âge de faire ce genre de chose.

Ambre tenta de répliquer en vint.

- Et, s’il te plaît (elle insista particulièrement sur ces mots.) n’achète plus de téléphone au voisin, tu sais très bien que ce sont des téléphones volés. On ira t’en acheter un ce soir, ma réunion est annulée.

Elle avait fait l’ensemble de son pitch sans quitter son IPhone des yeux, d’une voix calme et douce. Elle était redoutable. Elle n’avait jamais eu besoin de crier sur ses enfants son ton doux et froids leur avait toujours fait peur. Ambre avait dû l’entendre crier deux fois : la première fois, quand Ambre avait 4 ans et qu’elle avait failli se faire écraser en traversant sans l’accord de ses parents. La deuxième fois, 6 ans, auparavant, quand elle avait appris que son père la trompait et qu’elle avait demandé le divorce. Deux souvenirs dont elle se passerait bien.

Elle ne répondit rien et alla sortir la boite de céréale, le lait et s’installa à côté de sa mère. Elles mangèrent en silence jusqu’à ce qu’Amélia se lève. Elle débarrassa sa table et embrassa Ambre sur le front avant de lui souhaiter une bonne journée.

***

 

Son cours de recherche et controverses en sociologie était un véritable calvaire. L’amphi, le froid, la voix monocorde du prof tout lui donner envie de mourir, ou du moins de fuir le plus loin possible. Ces deux « amies », Mélis et Anna, n’arrêtaient pas de déblatérer sur la soirée de vendredi.

- Tu viens hein ?

Mélis venait de la sortir de sa torpeur. Elle articula un vague oui peu convaincant.

- Tu dis ça à chaque fois et à chaque fois, tu nous mets un plan.

Anna acquiesça de la tête et enchaîna.

- On a vraiment envie que tu viennes avec nous. Tu vas voir ça va être cool et Thomas sera là.

Un large sourire illumina le visage des deux filles. Un sourire plein de bague pour Mélis et un sourire parfaitement blanc pour Anna. Ambre se sentit instantanément mal à l’aise. Elle avait flashé sur Thomas dès la L1, mais ne l’avait jamais vraiment approché. Trop beau pour elle et trop inintéressante pour lui. Depuis la L2, les filles n’avaient de cesse de la torturer avec ça l’incitant toujours plus à aller le voir. Elles semblaient ne pas comprendre que lui parler était au-dessus de ses forces et qu’un refus de sa part briserais le peu de confiance en elle qui lui restait. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’en vouloir aux filles. C’était tellement facile pour elles : belles, intelligentes, intéressantes, tout le contraire d’Ambre. Elle détestait son physique ! Petite, ronde, des yeux bruns banal au possible qu’elle cachait derrière ses lunettes, des cheveux brun, terne, épais et vaguement ondulé qui lui arrivais mollement aux omoplates, sans parler de ses taches de rousseur sur le nez et les joues. Elle ne se sentait ni belle, ni attirante, ni intéressante. Elle faisait d’ailleurs le maximum pour rester invisible : vêtements communs toujours pris une taille au-dessus, jamais de maquillage et les cheveux lâchés pour pouvoir se cacher derrière. Thomas et les filles faisaient partis de ces gens populaires que la majorité apprécie et qui n’ont aucun souci à communiquer ou à draguer. Pour elle, le reste du monde était une épreuve. Elle était d’ailleurs persuadée que ses « amies » n’était là que par pitié pour elle et que lui tenir compagnie était un geste de charité, de miséricordieux pour cette pauvre âme sans intérêt. C’est pour cette raison qu’elle ne faisait jamais l’effort de sortir avec elles, elle ne supportait pas de se sentir seule au milieu de la foule, coupable de ne pas trouver sa place en société. Elle préférait de loin rester chez elle à s’inventer une vie sur les Sims, à s’oublier sur Netflix ou à se créer une sexualité sur Pornhub. Ambre se contenta de murmurer qu’elle ferait son possible pour venir, une gentille façon de décliner l’invitation. Les filles n’étaient pas dupes et arrêtèrent d’insister. Elles étaient vraiment déçues, mais Ambre préférait l’ignorer.  

 

***

 

            Ambre devait retrouver sa mère au Apple du marché Saint-Germain. Pour une raison incompréhensible, cette dernière avait décidé qu’avec un IPhone neuf Ambre n’aurait pas envie de le jeter contre le mur. A priori sa mémoire lui jouait des tours car quel que soit la marque ou le prix ses téléphones ne vivait jamais bien vieux. Vol plané, rencontre avec le sol, apprentissage de la natation, Ambre pouvait citer des dizaines de méthode pour assassiner un portable. Même le vieux 3310 de son père n’avait pas survécu à leur collaboration. Elle en tirait d’ailleurs une certaine fierté. Elle aperçut sa mère, plongée dans ses mails professionnels, devant l’entrée du magasin. Son jeu favori depuis ses 6 ans était de lui faire peur puis de la faire culpabiliser en lui disant qu’elle était trop obnubilée par son travail pour faire attention à ses enfants. Un jeu sadique certes, mais qui lui avait permis d’échapper à bon nombre de punitions pour ses mauvaises notes. Elle s’approcha, sans trop de discrétion, d’Amélia et posa sa main sur son épaule. Comme à son habitude, sa mère fit un bon en criant avant de reconnaître sa fille.

- Tu vas finir par me tuer tu sais !

- Rhooo tu m’aimes trop pour m’en vouloir.

Le chantage affectif ne serait pas de la partie aujourd’hui. Elle enchaîna.

- Comment s’est passé ta journée ?

- Pleine d’homme à la masculinité fragile et toi ?

Amélia était une féministe de la première heure, elle parlait haut et fort sans peur de froisser quelques egos aux passages. Cela lui était bien utile en tant qu’ingénieure dans le domaine de la Défense. Ambre éclata de rire, sa mère tout crachée.

- C’était chiant comme d’hab’

-Tu sais que tu peux changer de filière si tu t’ennuies. Rien ne t’oblige à faire de la socio.

Elles avaient cette conversation quatre fois par an depuis la terminale. Ambre ne savait pas quoi faire de sa vie et ne voulait pas y réfléchir et Amélia ne savait plus comment l’aider.

- Je sais, mais t’inquiète ça va le faire.

- Ce fait longtemps que je ne m’inquiète plus ma chérie, mais il va bien falloir qu’on trouve une solution.

Ambre éluda d’un geste de main avant de rentrer dans la boutique. Amélia se dirigea immédiatement vers le présentoir des téléphones suivis par sa fille. Une magnifique sélection de téléphones plus cher les uns que les autres s’offraient à elles.

- Tu veux lequel ?

- Je veux celui qu’ils ont sur les chantiers, les incassables. Je suis curieuse de voir si je peux le détruire.

Elle imita un rire diabolique en grand dam de sa mère.

-Ambre ! Lequel ? Quelle couleur ? On ne va pas y passer la nuit !

Ambre souffla. Elle aurait aimé que sa mère rie à sa blague nulle, qu’elle la laisse acheter un téléphone pourri (et volé) au voisin plutôt que de lui imposer un gadget hors de prix qui n’allait pas tenir un mois. Concrètement qu’elle lui foute la paix.

- N’importe, mais en noir …

- Comme ton âme ! Je connais la chanson.

Sa mère n’était vraiment ni drôle, ni d’humeur aujourd’hui, merci les connards à la masculinité fragile. Ambre préféra sortir du magasin pendant qu’Amélia s’approcha du vendeur pour lui demander un IPhone X noir et si possible avec une coque ultra résistante. Après l’avoir renvoyé vers Amazon pour la coque et le protège écran Amélia sortie triomphante de l’Apple Store.

- C’est ton nouveau bijou, prend en soin.

Ambre articula un vague hourra sans aucune joie. La voyant dépité Amélia proposa

- On prend chinois et on regarde un film ?

- Ok, mais uniquement si on regarde Mission Cléopâtre

- Mais on l’a déjà vu mille fois !

- C’est ça ou je boude

L’heure du chantage était finalement arrivée et Ambre avait encore gagné.

 

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Dodonosaure
Posté le 09/11/2020
Je commence par la partie la moins fun : des petites fautes ça et là.
Ambra, au lieu d'Ambre.
Tu m'aime auquel il manque un "s"
Dépiter dont la forme devrait être un participe passé...
Des bricoles qu'un bon correcteur repérerait assez vite.

La partie fun maintenant :
Mais pourquoi donc assassiner autant de téléphones ! N'a-t-elle jamais entendu parler de la crise environnementale ?
(Ces jeunes, je te jure...)

J'aime son côté fleur bleu, sa naïveté et à côté son caractère capricieux et impulsif (après tout, on ne balance pas un téléphone hors de prix en se réveillant juste pour le fun). Encore que... si je voyais du papier peint bambi au réveil, peut-être qu'il me faudrait au moins ça pour éviter l'apoplexie.
Aude JB
Posté le 02/05/2021
Merci beaucoup !
Je vais corriger ça et m'équiper d'un bon correcteur. (dyslexie bonjour)
Haha, non pour l'instant, elle est bien trop self-centrée pour penser à la crise environnementale. Mais qui sait ? Un jour peut-être...
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