Son visage l’enchantait. Elle s’admirait quotidiennement dans tous les étangs, ruisseaux, et autres points d’eau. Elle brossait et peignait avec délectation ses longs cheveux soyeux. Quelle beauté que ces traits parfaits qui lui avaient été accordés par Dame Nature !
Fruit du sang de Méduse absorbé par une mortelle humaine, elle était manticore : mi-lionne, mi-femme, son corps svelte et somptueux la comblait de délices. Elle aimait à parcourir le monde à son rythme tranquille et flegmatique. Bâillant au vent en découvrant ses longues dents acérées, agitant sa queue de scorpion en cadence avec l’ondulation de ses larges hanches félines.
Immortelle, elle ne craignait rien ni personne. Jamais quiconque ne pourrait lui faire le moindre mal. Et d’ailleurs, qu’auraient-ils pu tenter ? Avaient-ils une queue de scorpion hautement venimeuse comme celle qu’elle arborait avec fierté ? Possédaient-ils de longues griffes affûtées capables de trancher net le tronc d’un jeune arbre ?
Non… Aucune créature au monde ne pouvait la blesser. Seul l’ennui aurait pu la menacer. Mais heureusement, elle avait trouvé une activité fascinante qui occupait son temps.
Les êtres humains.
Hommes, femmes, enfants. Elle ne se lassait pas d’observer ces visages si beaux, si parfaits… Et si semblables au sien. Ces humains dont elle possédait les traits délicats étaient, contrairement à elle, d’une fragilité étonnante, certes, mais également absolument fascinants. Son cœur s’emplissait de joie lorsque son chemin croisait le leur.
Cependant, pour sa plus grande tristesse, ils la craignaient autant qu’elle les aimait.
C’est ainsi que chaque jour, elle se contentait de les observer, immobile. Elle s’était installée tranquillement à l’orée de leur village, les regardant jouer et babiller au loin. Ils étaient tellement gracieux, tellement attirants, qu’elle regrettait souvent de ne pouvoir les côtoyer de plus près. Mais malheureusement, ils fuyaient à la moindre tentative d’approche de sa part.
Qu’importe, elle avait le temps. Ils étaient si captivants !
Et le temps finit par payer.
Peu à peu, l’apercevant immobile et tranquille, certains humains commencèrent à l’approcher et cela la ravissait. Désormais, ces êtres qui la redoutaient se mirent à la vénérer tout autant. Ils étaient hésitants en sa présence, lui tournaient autour à petits pas, prudemment.
Puis ils se firent plus hardis, ils se mirent à lui peigner les cheveux, et elle se surprenait à ronronner de plaisir. Oh qu’ils étaient charmants !
Et puis vint l’Enfant.
L’Enfant, qui, lui, était sans peur aucune. En effet, avec les années qui s’étaient écoulées lentement depuis son arrivée, les enfants nés alors qu’elle était déjà présente n’avaient pour elle plus aucune crainte. Elle était des leurs. Acceptée telle une humaine avec un corps de déesse. Quelle joie que de les voir ainsi l’admirer et la caresser sans la moindre appréhension !
L’Enfant fut le premier à la monter. Il grimpa sur son dos naturellement, comme si elle n’avait été qu’un étalon. Intriguée, elle le laissa faire. Il était chaud et doux contre son corps. Il la caressait et lui parlait d’une voix exquise et apaisante. Se redressant, elle se promena alors dans le village avec l’Enfant sur son dos, tel un roi sur sa monture rentrant en son royaume.
Et les hommes l’admiraient, ils admiraient son corps de manticore, son visage si humain. Et ils l’admiraient, Lui, l’Enfant sans peur, qui à leurs yeux semblait l’avoir domptée.
Elle termina son cheminement au centre du village, s’allongeant avec sa grâce habituelle près de la fontaine, son endroit favori pour les observer, maintenant qu’ils étaient apprivoisés.
L’Enfant descendit de son dos prestement, et lui sourit.
Sa beauté attendrissante lui alla droit au cœur, et elle ne put faire durer le plaisir plus longtemps : Elle planta ses crocs dans ce visage angélique, ses trois rangées de dents se délectant de ces os croustillants et de cette chair imbibée de sang.
Quel régal ! Les autres fuyaient désormais en courant en tous sens. Et plus ils fuyaient, plus elle chantait sa joie en plantant ses crocs, déchirant la peau et les muscles, inondant ses longs cheveux de leur sang onctueux.
Oh vraiment, qu’elle aimait ces êtres ! Ils étaient à croquer !
Toujours une plume fort belle ! Triste sort pour l'Enfant malheureusement. De mon côté j'ai été surpris par la chute car le style innocent ne la laissait pas présager. Bien joué !
Bien à toi (=
Ella
(mais je n'écris pas que ça, sinon cela deviendrait trop facile à deviner...) ;)
J'ai beaucoup aimé l'expression finale, je me demande si c'est elle qui t'a inspirée le texte ?
C'est atroce, ça m'a fait rire !
Non, l'expression finale n'est venue qu'après :)
Contente de t'avoir fait rire ;)
Maintenant que je l'ai lue, je pense que je ne vais pas tarder à aller lire tes autres textes, j'ai beaucoup aimé ton style :D
Bref, j'ai adoré, merci pour ce partage.
Et là, on se rend compte qu'on s'est laissée séduire et surprendre... exactement comme les villageois ... et on se dit : Chapeau !
J'attendais avec impatiente la chute mais je n'ai pas été déçu. Petit bonus pour la description sanglante du festin. Simple mais efficace, une histoire comme je les aime.
ps: Le titre a vendu la mèche
En effet, les manticores ne sont pas connues pour leur douceur en général :D
J'ai beaucoup aimé le format court de cette nouvelle. On va à l'essentiel, sans détour, avec une touche subtile d'humour... Tu ne nous "caches" pas la dureté de la fin, ce qui est d'autant plus déstabilisant. Je m'attendais à ce revirement de situation mais pas à la façon de narrer. "os croustillants"... "chair imbibée de sang" ... à ça, je ne m'y attendait pas XD. Ah lala, tu nous as tous bien eu, d'une façon ou d'une autre...
Une petite pépite ! Bravo ! ^^
Je m’attendai bien à un rebondissement tel que celui-ci : rappelons qu’elle reste manticore !
J’aime ce petit récit, en particulier la partie descriptive, que je trouve très bien écrite !
J’ai bien aimé l’expression « Ils sont à croquer ! » de fin :). Pauvre enfant...
Ce texte est court, mais direct : j’adore ça !
Bref, c’est excellent !
A bientôt !
Ceci dit, j'ai quand même été bluffée par la fin, à la fois par la rapidité de la chute et par le jeu de mot sur "à croquer", qui fait magistralement écho à tous les épithètes utilisés plus tôt (charmants, etc...).
En tout cas, c'est court, efficace, ta plume est recherchée et fluide, très agréable à lire, et le ton que tu as choisi sert très bien le récit. Tu nous berces pour mieux nous croquer ;) Quelle maîtrise !
Merci pour ce texte !
Très contente que les épithètes que j'ai semé dans le texte fassent écho, c'est exactement ce que j'espérais ! :)
C'est qu'elle les aime vraiment ces êtres humains ! Juste pas comme le pauvre lecteur humain pourrait le penser ;)
Merci beaucoup pour ce commentaire :D
AH ! JE LE SAVAIS ! J'étais sûre que ça finirait comme ça xD
C'est très bien écrit, et tu noies très bien le poisson, ce qui rend la chute absolument pas prévisible. Mais comme j'ai tendance à utiliser les mêmes techniques, je ne me suis pas laissée avoir. Mouahahaha !
J'adore deux choses ici : le fait que ce soit court (j'adore les textes courts), et l'intelligente rupture de la chute.
Bon... en vrai j'aime aussi tout le reste, cela dit !
Merci pour cette chouette lecture.
J'avoue que je craignais que beaucoup plus de monde ne devine la fin, mon avantage ayant été que je viens d'arriver sur PA donc on ne me connait pas encore ;)
Ravie que tu ai aimé cette lecture malgré tout :)
Qué que c’est que ça crénom de diou ?
Olalalalalaaaaa !
Comme tu peux le voir, j’ai trouvé les mots justes et précis pour bien décrire mon ressentit.
Maintenant, en langage normal : excellent ! Si ça ce n’est pas une chute de ouf…
On passe du monde enchanté de Disney avec des fleurs, des oiseux et des cœurs partout, à l’horreur façon Alien et tout le sang qui va avec.
C’est vachement tordu.
Bref, j’adore.
Chapeau bas, l’artiste !
Cette fin... mais cette fin !
Je tenais absolument à lire ta nouvelle en priorité car dans l'une de mes histoires il y a également des manticores, aussi voulais-je voir comment tu avais exploité la bestiole. Là où j'ai été encore plus biaisée que ce que ton texte laisse supposer au départ, c'est que dans mon texte, les manticores sont globalement gentilles - du moins, elles ne mangent pas les gens. Alors j'ai abordé ton histoire avec mon cadre de référence, alors la fin m'a d'autant plus ébranlée ! C'est génial.
J'ai un petit regret : j'aurais bien aimé que ce soit plus long. Ah, et aussi, j'ai trouvé que, lorsque la manticore décide de s'installer près d'un village, cela manquait un peu de motivation. J'aurais aimé dès le départ connaitre une raison de pourquoi elle s'installait là. Evidemment, ça forcerait à un peu plus de gymnastique puisque la raison du pourquoi du comment est en fait la chute de la nouvelle, mais bon... cette absence m'a perturbée un peu lorsque j'ai entamé ma lecture, je dois l'avouer.
M'enfin, en dehors de ce détail, j'ai trouvé ta nouvelle super !
Plein de bisous !
Je la garde précieusement dans un coin si je reprends cette nouvelle par la suite :)
Je trouve qu'on ne voit pas assez souvent de manticores dans les récits alors je me suis lancée ! Effectivement vu ton état d'esprit au moment de la lecture, la chute n'a pu être que plus rude (et j'en suis ravie!) ;)
Je crois que c'est ce que j'ai le plus aimé dans cette nouvelle =D
Franchement, jusqu'au bout j'ai cru que la Manticore voulait juste être acceptée et puis d'un coup... gnap.
Bien joué !
Merci pour ce concours et pour l'inspiration qu'il m'a apporté :)
Merci beaucoup pour cette lecture !
Tu maîtrises plutôt bien les codes de la nouvelle, et malgré le caractère très court du texte, tu nous fais passer par plusieurs émotions et pensées. La chute est à la fois logique et parfaitement inattendue ! Bravo, c'est du génie. Bref, c'était "exquis" (restons dans la métaphore culinaire...).
Merci encore pour cette lecture bien sympathique qui m'a fait éclater de rire au moment de la chute !
Bon ! tout de même cet être est physiquement effrayant, le croisement d'un fauve, d'un scorpion et d'un homme ! D'un être étrange tu fais une créature merveilleuse et gracieuse, ou est-ce simplement son point de vue à elle car on apprend qu'elle se voit belle, les représentations des manticores ne sont pas si élogieuses. Les hommes du village sont-ils aveuglés par son charme qu'ils ne la redoutent plus ?
Mais outre son côté narcissique, on découvre son machiavélisme. Comme une araignée elle tisse lentement sa toile pour attraper sa proie. Elle ose tout, puisqu'elle finit par prendre ses aises dans le village avant de porter son coup de griffe final.
Plutôt que de se laisser apprivoiser par les hommes, ici c'est l'inverse, c'est elle qui apprivoise les hommes pour mieux atteindre son objectif, dont on comprend qu'il est sa seule motivation dès le début ('elle aimait les hommes'!).
Mais elle s'attaque à l'innocent des innocents, un enfant. C'est la proie la plus facile. Alors même si elle est parfaitement satisfaite d'elle-même (toujours son narcissisme), ) à vaincre sans combat, elle triomphe sans gloire.
La leçon à tirer est qu'il ne faut pas se laisser abuser par trop de beauté et de charme, on peut finir par se faire croquer !
Merci pour cette fantasy !
Comme tout le monde, je suis bluffé ! Géniaaaaal !
J'adore être bluffé par une nouvelle, pour moi c'est le critère numéro 1, et là tu as ma palme !
Rien d'autre à ajouter, on frôle la maîtrise de la nouvelle. Bravo !
Bravo pour ce beau texte ! Tu réussis bien à nous envelopper dans cette ambiance de douceur et de bonheur apparemment sans nuage. Je ne m’attendais pas à la chute. Toute cette patience pour un instant de plaisir ! Normalement, ce genre de ruse ne fonctionne qu’une fois ; les humains sont peut-être un peu bêtes, mais quand même pas à ce point. ;-)
Le contraste entre l’ambiance du récit et la chute m’a un peu fait penser à un texte de notre talentueuse grenouille (https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/cette-nuit-je-tai-fait-un-dessin).
Coquilles et remarques : (Ne t'inquiète pas : je fais ça à tout le monde.)
— Elle s’admirait quotidiennement dans tous les étangs et autres ruisseaux [Tu ne peux pas dire « les étangs et autres ruisseaux » parce que les étangs ne sont pas des ruisseaux (n’en déplaise aux journalistes de télévision). Je propose « les étangs, ruisseaux et autres points d’eau ».]
— elle était manticore : Mi-lionne, mi-femme [Minuscule après les deux points.]
— Baillant au vent en découvrant ses longues dents [Bâillant ; « bailler » a une autre signification, comme dans « bailler des fonds » (d’où le bailleur de fonds).]
— Dommage d’avoir employé deux fois « acérées », pour les dents puis les griffes. Je propose « affûtées » pour ces dernières.
— Ces humains dont elle possédait les traits délicats étaient contrairement à elle d’une fragilité étonnante [Il faudrait placer « contrairement à elle » entre deux virgules.]
— C’est ainsi que chaque jour, elle se contentait de les observer, immobile, elle s’était installée tranquillement à l’orée de leur village, les regardant jouer et babiller au loin. [Il faudrait un signe de ponctuation plus fort après « immobile » : un point-virgule ou un point.]
— de ne pouvoir s’avancer plus avant. [Ça sonne comme une répétition.]
— Qu’importe. Elle avait le temps. Ils étaient si captivants. [Au lieu de trois points, je propose : point d’interrogation, point, point d’exclamation.]
— Désormais, ces êtres la redoutaient la vénéraient tout autant [ces êtres qui la redoutaient ? la redoutaient et la vénéraient ?]
— L’Enfant, qui lui était sans peur aucune. [Ponctuation : L’Enfant qui, lui, était sans peur aucune.]
— Pour éviter la répétition de « peur », je propose « n’avaient pour elle plus aucune crainte » et pour éviter d’avoir « crainte » et « craintivement », je propose « inquiètement ». :-)
— Il grimpa sur son dos naturellement, comme il l’eut fait d’un étalon [« comme il l’eût fait » (subjonctif imparfait employé comme un conditionnel, parfois appelé « conditionnel deuxième forme ») ou « comme il l’aurait fait » / avec un étalon / Finalement, comme il y a « elle le laissa faire » un peu plus loin, je propose quelque chose dans le genre de : « comme s’il s’agissait d’un étalon » ou « comme sur celui d’un étalon ».]
— Il était chaud et doux contre son corps / d’une voix apaisante et douce [Pour éviter la répétition : d’une voix apaisante et câline, ou cajoleuse, peut-être ?]
— avec l’Enfant sur son dos, qui était tel un roi sur sa monture [« qui était » casse un peu l’harmonie de la phrase ; je propose « avec l’Enfant assis sur son dos, tel un roi sur sa monture »]
— ils admiraient son corps de manticore, au visage si humain. Et ils l’admiraient Lui, l’Enfant sans peur [On comprend que son corps a un visage ; je propose « son corps de manticore, son visage si humain » / il faudrait placer « Lui » entre deux virgules.]
— ses trois rangées de dents se délectant de ces os / Quelle délectation ! [Pour éviter la répétition, je propose : « Quel régal ! » ou « ses trois rangées de dents savourant ces os ».]
— Comme il y a deux fois le verbe « ravir », je propose « enchanter ».
Merci beaucoup d'après pris le temps non seulement de relever tout ceci mais en plus de proposer des corrections :)
Je vais étudier tout ça dès que possible.
J'ai été voir le texte de la grenouille (?) (désolée je suis arrivée il y a peu, je ne connais pas encore tout le monde), et effectivement, je vois la ressemblance dans le style :)
J'ai même déjà écrit un récit avec une phrase qui rythmait exactement de le même façon d'ailleurs (mais il n'est pas sur PA pour l'instant, il faudrait que je le retrouve pour voir) !
Merci de m'avoir fait découvrir ce site "short édition" car j'aime bien le très court aussi, je vais aller y jeter un œil (et même deux d'ailleurs) ;)
D'ailleurs, je dois rectifier quelque chose : le « subjonctif imparfait employé comme un conditionnel » est en fait un subjonctif plus-que-parfait.
Concernant notre grenouille, je te laisse un indice : c'est une admine. ;-)
C'est vrai que les répétitions se voient plus sur un texte court... et j'avais essayé de les enlever toutes, mais visiblement on ne se relit jamais assez :)
Me reste plus qu'à partir à la recherche de la grenouille... :D
Nouvelle courte mais très amusante et bien écrite, c'était un plaisir de passer par là 😉
Comme tout le monde, j'ai été pris de court par la chute. Je trouve en fait que le texte nous piège autant que la manticore le fait elle-même dans l'histoire, nous aussi l'adorons, quoique pas dans le même sens que les malheureuses victimes. Presque une mise en abyme. Joli travail pour un texte bien dosé !
Ha ha ! Une super nouvelle ! Aimant beaucoup les manticores, j'ai tout de suite accroché ! j'adore la chute ! Il faut toujours se méfier !
Bravo !
(je plaisante bien sûr, tu fais ce que tu veux)
Merci !!
Bravo pour ce doux texte qui nous mène là où il nous mène haha (j'évite le spoil au cas où!)
J'ai beaucoup aimé haha, tu t'es bien joué de nous !
En tout cas, j'ai aimé laisser mon imagination vaquer sur ta plume !
Je pensais trouver la nouvelle la plus simple, terre-à-terre, et reposante de tout le concours, et au final je tombe sur la plus cruellement drôle.
C'est bien écrit et surtout vraiment imprévisible. Je m'attendais à une histoire tragique où la Manticore se faisait trahir ou un truc dans le genre...
Je me suis bien marré. Bravo.