Maître et assistant

Par Dédé

 

— Maître, vous ne comprenez pas...

— Au contraire, j'ai très bien compris...

— Ah ?

— Oui, vous voulez que je demande à un notaire de rédiger un faux contrat de mariage.

— Mais non !

— Insinuez-vous que je vous ai mal compris ?

— Un petit peu, maître. Un petit peu...

— Qu'exigez-vous de moi alors ?

— A défaut de retrouver mon actuel contrat de mariage, je veux juste que vous m'aidiez à en rédiger un autre. Je le connais par cœur, ce ne sera pas bien compliqué...

— Et la date ? Que faites-vous de la date sur le document ?

— Je connais la date de mon mariage, tout de même ! Ce ne sera pas un problème.

— Mais le document n'aura pas été rédigé ni signé le jour-même de votre mariage, ce sera donc un faux...

— C'est bien du raisonnement d'avocat ça...

— Non, ce sera un faux aux yeux de tout le monde.

— Mais non puisqu'il existait un document identique avant que je ne le perde, je vous dis !

— Êtes-vous sûr de l'avoir perdu ?

— Vous êtes en train de dire que j'inventerais ce contrat de toute pièce ?

— Tout à fait, monsieur.

— Je jure sur la Bible, le Code Pénal et la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen que je vous dis la vérité, rien que la vérité et que mes intentions sont pures.

— Justement, vos intentions... Parlons-en ! Pourquoi un nouveau contrat de mariage en urgence ? C'est une requête si peu commune...

— Vous vous attendiez à quel type de requêtes, maître ?

— Vous auriez pu vouloir porter plainte car votre voisin s'intéresse de trop près à votre plante verte, parce que votre femme veut kidnapper votre chat, venir me voir pour retrouver votre mari parti s'exiler en Birmanie...

— Depuis que ma femme est partie sans ses souvenirs, je n'ai ni plante verte, ni chat...

— Ah bon ?

— Je n'ai vraiment pas la main verte...

— Et le chat ?

— Il se sentait plus heureux chez le voisin.

— Tant mieux pour le chat, donc.

— Parfois, il vient à la fenêtre pour me saluer le matin...

— Ah ?

— Oui.

— Revenons-en à ce contrat de mariage... Pourquoi est-ce si urgent ?

— Maître, comme je vous le disais en parlant de la plante verte et du chat, ma femme a quitté le domicile conjugal sans ses souvenirs et j'espère que le contrat lui prouvera que je suis bien son mari.

— C'est fâcheux que vous l'ayez perdu...

— Pas vraiment, vu que vous allez m'aider à en refaire un autre.

— J'ai dit ça, moi ?

— Pas encore. J'ai encore des chances de vous convaincre de m'aider ?

— Je ne pense pas mais vous pouvez toujours essayer...

— Et si je vous disais à quel point j'aime ma femme ?

— Je n'ai jamais été marié ni même amoureux, ça me ferait une belle jambe...

— Et si je vous disais à quel point je me sens seul ?

— Il m'arrive moi-même de me sentir seul mais je ne demande pas pour autant à un avocat d'exiger d'un notaire qu'il lui rédige un faux contrat de mariage pour autant...

— Mais il ne sera pas faux, je vous dis !

— C'est vous qui le dites, monsieur. C'est vous qui le dites...

— Vous serez prêt à m'aider à fouiller dans mes papiers ? Peut-être qu'une nouvelle paire d'yeux y verrait mieux...

— Je suis avocat, pas fouilleur de papiers à domicile, mon cher ami.

— Vous considérez que nous sommes amis et vous ne m'aidez pas ?

— Ne soyez pas aussi outré, ce n'était qu'une façon de parler. Vous êtes un potentiel client, rien de plus.

— Je suis un prétendu mari, un potentiel client... Ma vie est bien triste...

— Je ne pleure jamais, vous ne m'aurez pas par les sentiments.

— Vous êtes un vrai requin, dites donc !

— J'essaie de m'incruster dans les affaires pénales. Vous ne savez pas ce que c'est... Il faut mettre sa vie privée et ses sentiments de côté pour tenir le coup.

— A ce point ?

— Boire un café avec les employés de la morgue pour glaner des informations alors que je déteste le café, se perdre dans les couloirs de la prison pour parler aux clients, porter un gilet par balle sous la robe, au cas où... C'est épuisant...

— C'est ce que je constate... Et vous voulez faire dans le pénal malgré tout ?

— J'ai toujours aimé vivre dangereusement.

— C'est bien quelque chose que je ne pourrais pas faire...

— Vivre dangereusement ?

— Oui.

— Quand le danger devient votre quotidien, la vie devient plus saine.

— Ah...

— Vous ne semblez pas convaincu.

— Du tout.

— Bien, revenons à notre affaire.

— Laquelle ?

— Le contrat de mariage. Ce pour quoi vous êtes venu me voir...

— Ah oui ! Vous acceptez de m'aider finalement ?

— Toujours pas.

— Par hasard, vous ne connaîtriez pas quelqu'un qui pourrait venir m'aider fouiller tous ces papiers ? Peut-être que le contrat sait se cacher...

— Non, je n'ai pas de fouilleurs de papiers à domicile parmi mes contacts.

— C'est pas de chance...

— Vous ne vous êtes jamais dit que si le papier se cachait, c'est qu'il ne voulait pas être trouvé ?

— Euh... Non. Mais ce n'est pas idiot. Ça expliquerait bien des choses.

— Comme le fait que vous ne le trouvez pas ?

— Tout à fait !

— Et vous ne vous êtes pas dit non plus que si votre femme ne voulait pas retourner chez vous, c'est qu'elle n'en avait pas envie ?

— C'est plus compliqué que ça, maître. Elle n'a pas ses souvenirs, je vous dis !

— Vous êtes de ceux qui pensez que les souvenirs dictent nos actions ?

— Assurément !

— Bref, sinon vous avez envisagé la possibilité que ce papier n'existe pas ?

— Impossible.

— Vraiment ?

— J'en suis sûr, maître.

— Parce que vous m'avez dit avoir une excellente mémoire. Vous vous souviendrez des moindres détails de votre vie depuis votre naissance mais pas de l'endroit où vous avez rangé votre contrat de mariage ?

— Je sais que c'est tiré par les cheveux mais c'est la stricte vérité...

— Peut-être que votre mémoire devient normale...

— Quelle horreur ! Mais c'est affreux !

— Peut-être avez-vous tout inventé et vous n'êtes pas encore capable de retrouver des documents qui n'existent pas ?

— Impossible, maître.

— Vous savez retrouver des documents qui n'existent pas ?

— Non, mon document existe.

— Oh...

— Vous semblez déçu ?

— Légèrement. Si vous saviez retrouver des documents qui n'existaient pas, je vous aurais embauché comme assistant.

— Ça paie bien, ça ?

— Un peu moins qu'avocat, certes, mais ça fait vivre.

— Je vois. J'ai donc raté une vocation.

— Désolé de vous l'apprendre...

— Après avoir perdu ma femme, plus rien ne m'affecte, vous savez.

— Mais elle n'est pas perdue ! Elle a perdu ses souvenirs, de ce que vous m'avez dit. Ce n'est pas la même chose.

— Elle me rejette ! C'est bien pire...

— Un document officiel n'y changera rien, si vous voulez mon avis...

— Vous avez d'autres options ?

— Essayez le divorce !

— Quoi ? Maître, avez-vous perdu la tête ?

— Non. Si vous n'êtes pas vraiment mariés, un divorce ne vous fera rien. Dans le cas contraire, votre femme sera heureuse et avec un peu de chance, elle sera disposée à revenir vers vous par la suite. Réfléchissez-y ! Tout le monde serait gagnant. Ce n'est pas si absurde que ça...

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