Lui - Scène 12

— J'ai dû mentir sur mon attestation.

Le muret en pierre est froid sous ses fesses. Alexandre se tient donc juste à la limite de sa zone de un kilomètre. Et comme il est un peu parano quand même, comme beaucoup de gens, Samuel et lui sont séparés par un bon mètre de distance.

— Comment ça ?

Samuel est assis à califourchon sur le muret, dans un jean troué, baskets montantes et un sweat qui a l'air un peu trop léger pour le temps venteux. Il fume une cigarette sans filtre, faite à la main, un peu tordu. Ses doigts sont longs et un peu tachés, quelques traces noires discrètes.

— Je suis déjà sorti faire mes courses ce matin, on a le droit qu'à une sortie par jour non ?

— Mais qui viendrait vérifier ? Surtout vu à quoi tu ressembles.

La main de Samuel le désigne dans toute sa splendeur : grand mec blanc, en bas de jogging et baskets de sport, pas de sac en bandoulière, et, il faut bien l'avouer, l'air de celui qui veut se remettre au sport.

— Le pote qui m'héberge, il sort comme ça, il se fait contrôler trois fois. Et pas parce qu'il a des baskets de marque pas du tout faite pour la course comme toi.

Les épaules d'Alexandre s'affaissent.

— Tu vois, c'est pour ça que ce mémoire me flingue. Je suis incapable de voir plus loin que le bout de mon nez.

— Ouais, t'es super égocentrique en fait.

De deux choses l'une, s'ils n'avaient pas été en situation de crise sanitaire : soit Alexandre serait parti d'un coup, en colère et se demandant pourquoi il discute avec un mec qui le juge comme ça ; soit ils se seraient empoignés pour trouver un lieu plus ou moins isolés pour en parler de façon un peu plus agréable.

— Faut que je mette à jour mon programme, finit-il par dire.

— Ben y'a une mise à jour, tu l'as pas encore faite ?

Samuel part dans un éclat de rire qui fait tourner la tête d'une passante de l'autre côté de la placette. Elle leur lance un regard noir.

— Je suis un mec blanc hyper protégé et qui ne sait régler ses problèmes que par la fuite. Ou le cul. Mais seulement si le mec est mignon.

— C'est pas une si mauvaise façon de vivre.

— Et toi, tu te vois comment ?

Samuel prend une longue taffe avant de jeter le mégot par terre. Puis, devant les sourcils froncés d'Alexandre, le ramasse, l'éteint correctement, et se lève pour le mettre dans la poubelle adéquate.

Quand il revient s'installer, ses épaules sont un peu plus raides, il s'assoit correctement, les yeux ailleurs, en silence. Avant de reprendre dans un sourire qui sonne un peu faux : — J'ai pas une vie intéressante. C'est vraiment con qu'on puisse pas se caler là, derrière un buisson.

Que de la posture. Alexandre sent qu'il a fait une gaffe, une de plus dans leur très courte rencontre. Il veut s'excuser, mais de quoi il ne sait pas trop, quand Samuel se relève.

— Ton heure est bientôt passée, espèce de resquilleur.

— On se choppe sur discord ?

— Je vais pas avoir trop accès à un pc cette semaine, plutôt texto.

— Ok.

Quand il referme la porte de son studio quelque dix minutes plus tard, Alexandre ne sait pas encore ce qu'il ressent. Son téléphone se met alors à vibrer dans la poche de sa veste.

— Et si tu étudiais un peu comment être gay quand t'as un taff de merde ? Mais dis ça pour avoir l'air intelligent. XOXO comme dit ma frangine.

Bon, il n’a pas tout raté non plus, n'est-ce pas ?

 

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EnzoDaumier
Posté le 17/10/2021
J'aime la philosophie pratique d'Alexandre et sa manière de régler les conflits d'opinion dans la chambre ou derrière un buisson.
Tu rends bien ces premières rencontres où il est parfois très difficile de savoir si l'autre est intéressé ou si on a mis les plats dans le plat sans faire attention.
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