L'invitation

— Hey Flooo attend moi!!

Quelques mètres derrière moi, Justine trottine pour me rejoindre. Les joues rougies par l’effort et le souffle court, elle arrive enfin à ma hauteur.

— J’ai cru que je te rattraperais jamais… Les gens des grandes villes vous marchez trop vite pour nous autres!

— J’avais surtout hâte de me barrer de chez moi, je lui répondis tout en haussant les épaules.

                A une cadence plus tranquille, nous nous dirigeons vers le collège. Je suis contente qu’elle m’ait rejointe. J’avais si peur qu’elle et Mélanie se moquent de moi par rapport à hier soir.

— Pourquoi t’avais envie de te sauver de chez toi ce matin? Y’a rien qui pourrait me donner envie de partir pour aller au collège perso.

— Ça se voit que tu vis pas avec ma mère toi.

— Tant que ça?. Les sourcils froncés elle reprit la parole. En même temps c’est vrai qu’elle a l’air bizarre. Qu’est ce qu’on s’est marrées quand elle a débarqué hier!

                Sa phrase se termine dans un éclat de rire. Je sais pas quoi faire. Je me force à sourire. Devant le bahut, il n’y a presque personne. Le portail est encore fermé.

— Tu vois que tu marches vite! D’habitude quand j’arrive les portes sont ouvertes. Allez viens on va se caler contre le muret en attendant.

                Le temps d’échanger quelques banalités sur les parents trop pénibles, le trottoir se remplit peu à peu. De l’autre coté de la rue, Mélanie attend de pouvoir traverser. En  nous voyant, elle recrache le bout de sa mèche pour nous claquer la bise. J’ai envie de m’essuyer la joue mais j’ai peur de la vexer. Une vanne sur ma mère et nous changeons de sujet. A mon grand soulagement. J’ai un peu de mal à raccrocher les wagons sur la discussion qui s’enchaîne.

— Tu l’a vu hier? Il s’est passé quoi cet été?marmonne Mélanie tout en machouillant ses cheveux.

— je sais pas, mais j’ai hallucinée, répond Justine en roulant les yeux.

— Vous parlez de qui?

— de Simon! S’exclament-elles en choeur.

                Je hoche des épaules. Je vois pas qui c’est.

— T’aurai vu sa tronche l’année dernière…

— Truc de dingue!

— Non mais j’arrive pas à croire que c’est lui. Si ca se trouve c’est un clone.

— Il faisait quasi la même taille que moi l’année dernière et hier, j’ai été obligé de lever la tête pour lui dire bonjour!

— je craque trop pour sa nouvelle coupe…

—…sûr que Clara va lui mettre le grapin dessus.

— Flo, flo, regarde discrètement derrière toi, il arrive, me chuchote Justine.

                Nonchalamment, je tente de me retourner en me trouvant une soudaine passion pour les lampadaires. Y’a bien un gars qui s’avance vers nous. Je me demande si c’est lui le fameux Simon. Il me rappelle mes parents. Même cheveux blonds. Même yeux bleus. Pas de quoi emporter mon coeur. A quelques pas de nous, il ralentit son allure pour s’arrêter à mon niveau.

— Salut, t’es la nouvelle, c’est ça?

— Bien vu.

Ses sourcils se froncent légèrement à ma réponse. J’aurai dû sourire. Je souris. Il est jamais trop tard.

— je m’appelle Florine

— Ouais je sais, le proviseur l’a dit hier. Moi c’est Simon. Ben… bienvenue dans notre école.

— Merci, c’est cool.

                J’ai gagné la palme de la réponse la plus nulle. Le portail s’ouvre et tout le monde s’engouffre dans la cour. Mélanie et Justine me regardent les yeux ronds.

— Quoi? Pourquoi vous me fixez comme ça?

— Avoue qu’il est trop canon! Non mais t’a vu ses taches de rousseurs? Je fond…

— C’est pas trop mon truc les blondinets…

                J’ai l’impression d’avoir avoué une appartenance à un groupuscule politique extrémiste. Je peux lire l’incrédulité dans leurs regards.

— Ce qui est sûr c’est que Clara, c’est son truc. Regarde la tourner autour de lui comme un rapace, chuchote Justine en nous montrant une direction avec son menton.

                Au milieu de la cour, accompagnée de ses deux copines, Clara est en train de rire avec Simon. Je me demande quel est son secret pour avoir des lèvres si brillantes sans qu’elles ne paraissent poisseuse de gloss. Cette fille est efficace. En moins de trois minutes, elle a réussi à le rapatrier sur le banc. Celui de son groupe. Les autres garçons n’ont pas l’air enchanté par sa présence mais tente de faire bonne figure. C’est drôle de les voir lui taper dans les mains, tout en se jetant des petits coups d’oeil par dessus l’épaule en grimaçant.

                Le bruit strident de la cloche retentit en même temps que Madame Vandemeleubroucke apparaît. C’est parti pour une nouvelle journée de cours.

                A l’entrée de la classe, elle nous fait patienter.

— J’ai effectué quelques modifications. Sur chaque bureau, il y a un nom. Je vous laisse entrer et trouver votre place. Et sans se bousculer!

                Derrière moi, ça pousse. J’ai du mal à ne pas tomber sur la personne devant moi. Je remonte la première allée sans trouver mon prénom. J’aime pas ce moment. J’ai cette peur idiote que tout le monde soit assis, sauf moi. Que la prof m’ait oublié. Mon coeur commence à cogner un peu plus fort. Deuxième allée. Toujours rien. Il reste une place dont je n’ai pas vérifié le papier. C’est forcément ma place, ça ne peut pas être autrement. J’ai beau le savoir, l’angoisse m’assèche la gorge.

                Sur l’étiquette il y a bien “Florine” écrit. Soulagée, je m’écroule sur la chaise. Dernier rang, juste à coté de la fenêtre.

— Salut.

                Je lève la tête. Simon est en train de s’installer à coté de moi. Dans le stress de trouver mon prénom, j’ai même pas pensé à regarder qui était mon voisin pour l’année.

— Euh, salut.

                Je me mords l’intérieur de la joue. Est-ce qu’une fois, une seule toute petite fois je pourrais avoir les bons mots? Je lance un coup d’oeil sur Clara. Premier rang. Rude. Ses deux copines et elle me regardent. Je lance un sourire. Pas de réponse. Quand le cours commence, elles se retournent enfin. Même leurs dos semblent me toiser. J’ai du mal à me concentrer sur ce que dit la prof. Heureusement que j’ai déjà survolé le programme l’année dernière. Comme hier, je termine bien avant tout le monde. C’est plutôt chouette de pouvoir regarder dehors en attendant. Le chuchotement de Simon me tire de me pensées.

— Hey, t’as déjà fini? T’a mis quoi à la question quatre? J’ai un doute…

                A cette distance, je les vois ces fameuses taches de rousseur. C’est vrai que c’est mignon.

— C’est 7/3 la réponse.

— Merci, t’es chouette.

                Il me trouve chouette. Pas bizarre ou nulle. Je me mords la lèvre pour m’empêcher de sourire. Un simple mot qui me transporte dans les nuages. Je me mets à imaginer que cette année, je sois une fille cool. Invitée aux fêtes. Ça doit être sympa de passer les mercredis avec des amies. Je peux être cette personne.

                La sonnerie stridente de la cloche donne le signal de la récré. Je rejoins les filles à notre endroit. Mélanie mastique sa mèche encore plus fort que d’habitude. Ses yeux brillent super fort.

— Vas-y raconte!

— Te raconter quoi? Tu veux qu’on compare les réponses de l’exo de maths?

— Mais non espèce de nouille, éclate de rire Justine. Ca fait quoi d’être assise à coté de Simon?

— Petite veinarde, tu viens d’arriver et bam t’a la place à coté du beau gosse.

                Je sais pas quoi répondre. Elles ont l’air si excité, mais j’ai rien à raconter. Est ce que leur dire qu’il me trouve chouette est une anecdote intéressante? Mes amies se sont reculées, je ne comprends pas. Un coup d’épaule violent me stoppe dans ma réflexion. Clara et ses deux acolytes me font face. Comment une fille aussi menue peut avoir autant de force? Un coup d’oeil scanner sur ma tenue et elle se décide à me parler.

— La fameuse nouvelle. Le silence qui suite cette déclaration est glacial. Ma joue tremble sous l’effort de mon sourire

—  Moi c’est Clara. Elle c’est Emilie et elle c’est Audrey.

— Euh… salut.

                Je soulève timidement la main pour agiter mes doigts. C’est ridicule. Clara fronce le nez devant mon geste. Même avec cette grimace elle est jolie. J’avais pas remarqué les petites paillettes dorées dans ses yeux…

— J’organise une petite fête samedi soir. Tu peux venir, à moins que tu ais autre chose de prévu?

                Les pensées se bousculent dans ma tête. Elle est en train de m’inviter? Moi? Et elle me demande si j’ai un autre plan? C’est vrai que j’hésite… ma première soirée ou passer mon samedi soir devant la télévision avec mes parents… J’ai envie de hurler, sauter en l’air, courir autour de la cour. Je me contiens, faudrait pas qu’elle croit que je suis pas habituée à être invitée. J’essaie de prendre un regard blasé en fermant à moitié les yeux. En plus de son nez froncé, le sourcil droit de Clara vient de se lever.

— T’a un truc dans l’oeil?

                Mince, en voulant avoir l’air détendu, j’ai juste réussi à paraître bizarre.

— Euh ouais, c’est à cause du vent. Je dois avoir une poussière dans l’oeil. Pour samedi, tu peux compter sur moi.

                Je me retiens de dire merci. J’ai envie de lui demander si Mélanie et Justine peuvent venir. Je me sentirai plus à l’aise si elles étaient avec moi. Clara est sur le point de partir, je dois oser.

— Attend!

                Le regard qu’elle me lance me donne la sensation de l’avoir giflé. Tant pis je dois continuer. Les mots se bousculent en désordre. Je bégaie.

— je.. Tu… je…est-ce que tu…

                Le regard agacé qu’elle me lance me paralyse encore plus.

— Est ce que je quoi? Me lance-t-elle sèchement.

— est ce que Mélanie et Justine peuvent venir?

                J’ai prononcé cette phrase très vite et j’ai envie de fermer les yeux en attendant sa réponse.

— T’es sérieuse? Je t’invite à ma soirée et toi… toi tu veux ramener ces deux filles? Vraiment?

                Un rire éclate derrière moi. Je reconnais sans peine Justine qui s’avance vers nous.

— T’es si drôle Flo! Non mais de toute façon j’ai déjà un truc de prévu samedi soir. J’aurai pas pu venir. Mélanie vient chez moi. Hein Mél?

— euh ouais. On… on a un truc à faire. Enfin un truc de copines. Enfin amicale quoi.

                Clara me fixe. Une étincelle brille au fond de ses yeux, faisant scintiller les paillettes dorées qui y sont logés.

— Alors le sujet est clos. Je te fais passer mon adresse tout à l’heure.

                Je me sens emprisonnée entre un rêve et un cauchemar. Avant que mes jambes ne flanchent, je m’appuie contre le mur de l’enceinte. Je suis tellement partagée entre mon bonheur d’aller à cette soirée et la tristesse que  mes amies ne puissent pas venir avec moi.

— C’est nul que vous puissiez pas venir. Vous passez la soirée toute les deux?

— Bah non. On a dit ca pour pas que tu grilles…

— Que je me grille? Je comp…

— … Une invitation de Clara! Tu te rends compte? Ca se refuse pas Flo…

— En tout cas c’est cool que t’aies demandé pour nous. Tu nous raconteras tout, hein, promis?

                Justine tend le poing devant elle, rejoint par celui de Mélanie. Elles m’invitent du regard à faire comme elles. Je tends le mien avant de répondre.

— Bien sûr, que je vous raconterai tout!

                A la fin de la journée, un petit bout de papier plié en quatre arrive sur mon bureau.

12 impasse Victor Hugo

19h

Thème: Tenue chic, détail choc.

                Une goutte de sueur ruisselle le long de ma colonne vertébrale. Ma première soirée et je vais devoir me déguiser.