L'exposé

Mme Lomas perçut les rires de la fille aux yeux noirs et de ses amis qui se trouvaient auprès d’elle qui se moquaient ouvertement de Clarissa. Le professeur leva enfin la tête. Elle devina le problème qui se posait et intervint immédiatement : « Charline Tagrenne, c’est l’heure de la pause, descends dans la cour immédiatement. »

Quand les élèves revinrent en classe après la récréation, Clarissa était toujours déboussolée. Elle n’était pas habituée à ce type d’attaque violente et gratuite. Dans son ancienne école, les élèves se contentaient de l’ignorer mais ne s’étaient jamais montrés méchants avec elle. Clarissa se demanda si la cruauté était propre aux collégiennes ou aux filles de Paterpin.

Charline Tagrenne, ce nom résonnait encore dans l’esprit de Clarissa. Elle se souvint de alors des noms des bâtiments du collège que Jules lui avait présenté le jour de son inscription : Barde, Tagrenne, Violet et Parseau, le nom des grandes familles de Paterpin. Charline devait être l’héritière d’une des ces familles influentes. Elle profitait de son pouvoir pour se moquer des autres, ceux qui comme Clarissa n’appartenaient pas à ces familles de notables.

Heureusement, pendant la récréation, Jules avait fait tout son possible pour la réconforter avec beaucoup de délicatesse c’est-à-dire sans mentionner l’incident. Il avait parlé sans cesse, souvent maladroitement, abordant des sujets incongrus, pour que Clarissa n’ait pas à prendre la parole. Il n’avait posé aucune question et ne lui avait présenté personne car il savait que la fillette ne pouvait pas encore parler.

Quand ils retournèrent en classe, avant de s’asseoir, Charline regarda encore une fois Clarissa avec un petit sournois narquois, visiblement très satisfaite de sa remarque blessante. Mme Lomas reprit sa présentation de l’établissement et de l’année scolaire.

Les élèves qui écoutaient jusqu’à présent distraitement le professeur, se redressèrent sur leur chaise et se montrèrent beaucoup plus attentifs. Mme Lomas leur présenta le projet de fin d’année.

Il s’agissait d’un travail obligatoire et évalué, une présentation orale où chaque élève de sixième, par groupe de deux ou trois, traiterait le sujet de son choix au mois de juin devant tout le collège. La seule contrainte était la suivante : le thème de l’exposé devrait avoir un lien avec la ville de Paterpin.

Clarissa fut saisie d’effroi. Elle était extrêmement mal à l’aise quand elle devait prendre la parole en public et elle le faisait moins souvent possible. S’adresser à deux ou trois interlocuteurs en même temps était déjà difficile pour elle et elle ne pouvait ne serait-ce qu’imaginer présenter un exposé devant des centaines de collégiens.

Mme Lomas sortit un grand carnet et un stylo plume et commença à noter les sujets des élèves. Ce projet scolaire dont Clarissa ne soupçonnait même pas l’existence était familier aux élèves de Paterpin qui avaient déjà commencé à le préparer.

Les élèves levaient la main et Mme Lomas notait patiemment l’intitulé de leur travail : « La manufacture du rubis à Paterpin », « L’usine de chocolat de Paterpin », « L’incendie de la bibliothèque de Paterpin », « La construction de l’hôtel de ville de Paterpin »… Les sujets étaient précis et les groupes constitués.

Clarissa avait emménagé en ville quelques semaines auparavant et n’avait aucune idée du thème qu’elle pourrait traiter. Elle regrettait maintenant d’avoir passé tout son temps à remettre en état leur vieille maison et d’avoir oublié d’explorer Paterpin comme elle le faisait dans la ville où elle vivait auparavant.

Ses pensées se bousculaient dans sa tête. Jules n’avait pas levé la main. La fillette était tellement surprise et angoissée par cet exercice qu’elle n’avait pas perçu le trouble de son camarade qui n’avait pas prononcé un mot et qui avait même blêmi.

La fillette vit à ce moment-là une élève qu’elle n’avait pas remarquée jusqu’à présent, assise au premier rang. Elle avait une peau d’ébène très soyeuse et de longues tresses qui tombaient sur ses épaules en d’infinies cascades. Elle portait un sweat capuche qu’elle semblait avoir emprunté car il était bien trop grand pour elle.

Elle dut sentir que Clarissa l’observait car elle se retourna lentement. Clarissa craignit un regard hostile ou une remarque désagréable mais la fillette esquissa un sourire. Clarissa n’eut pas le temps de réagir car Mme Lomas se leva, relut distinctement les titres des exposés, compta le nombre d’élèves inscrits et dit :

« Très bien ! Il ne nous reste plus que deux élèves dit Mme Thomas : Jules et Clarissa. J’imagine que vous travaillerez ensemble, reprit le professeur avec un sourire bienveillant. Quel est le sujet de votre projet de fin d’année ? »

Jules était toujours très pâle, pinçait nerveusement ses doigts et clignait des yeux, toujours silencieux. Clarissa se leva et dit instinctivement d’une voix claire et forte qui lui sembla inconnue : « La disparition de Sacha. »

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Ozymandia-Sadek
Posté le 28/03/2022
Elle y va a l'audace avec son sujet de fin d'année. Une fin qui ne laisse rien présager de bon pour la suite. Je pense que Mme Lomas va changer de ton.
Romanticgirl
Posté le 28/04/2022
Je te remercie de partager tes impressions de lecture qui me permettent de progresser. A bientôt !
Edouard PArle
Posté le 22/11/2021
Coucou !
Sympa ce petit rebondissement ! J'ai bien aimé la chute.
C'est intéressant d'apprendre que la peste est héritière d'une des grandes familles de Paterpin.
Une petite remarque :
"à ce type d’attaque violente et gratuite." virgule après attaque
Un plaisir,
A bientôt !
Romanticgirl
Posté le 28/12/2021
Bonjour Edouard,
Je te remercie pour ton retour et m'excuse pour ma réponse tardive.
A bientôt !
AnneRakeCollin
Posté le 19/08/2021
Ah sympa la chute !!
Bon et bien, elle qui ne voulait pas se faire remarquer, c'est gagné ! Je me demande comment les autres vont réagir ! Sinon passage un peu court mais très bien écrit encore. Je suis contente aussi qu'elle rencontre une autre fille sympa !
Romanticgirl
Posté le 20/08/2021
Merci pour la constance de tes commentaires et pour ton enthousiasme !
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