Les sardines - Patrick Sebastien

Par Pouiny
Notes de l’auteur : https://youtu.be/PA3P1-aSvKQ

Je sais que cette Musique Capsule peut sembler être une blague, mais il n’en est rien. Je sais qu’elle peut paraître ridicule et même moi, je l’accorde bien volontiers, mais je suis bien obligé de constater que j’y tiens autant que toutes les autres.

 

J’avais 16 ans. J’avais choisi de prendre l’allemand en deuxième langue moins par passion pour la culture germanique que parce que mes parents espéraient que l’on se trouverait dans de meilleures classes avec cette option. Malheureusement, j’eus au collège une prof désastreuse qui n’usait d’aucune pédagogie dans l’apprentissage, et ma professeure au lycée n’était pas mieux, sinon pire. Si bien que désormais, ayant quitté le lycée depuis un moment, je ne sais rien dire d’autre en allemand que Ich habe mein buch fergessen. Ce qui pourrait être un début… pour pas grand-chose, j’en ai peur.

 

Mais il y a une chose que je dois à mes cours d’allemand de lycée, une seule. J’ai pu aller, à mes seize ans, une semaine gratuitement à Berlin avec ma sœur et notre meilleur ami, assister à la cérémonie des vingt-cinq ans de la chute du mur. Si j’ai dit ne pas être un grand passionné de la culture germanique, je parle surtout de l’apprentissage de la langue ; mais comme beaucoup d’adolescents de mon âge, j’étais très intrigué par l’histoire allemande du XXe siècle. Entre la Seconde Guerre mondiale, le nazisme, puis le découpage du territoire avec l’apparition de la Stasie, les tentatives désespérées de fuir Berlin-Est pour Berlin-Ouest… Il y a dans cette histoire, pas si ancienne, quelque chose de fascinant, aussi terrible qu’impressionnant. C’était tellement évoquant pour la plupart des élèves que c’était très souvent le seul moyen que la professeure avait pour qu’on l’écoute. Ce fut également le seul moyen qu’elle trouva pour que l’on fasse silence dans le bus lors du trajet de nuit, de passer un documentaire sur les rescapés du mur de Berlin, décrivant comment ils avaient réussi à franchir cette muraille de la mort. L’histoire des lapins tagués, ou du monsieur racontant son escapade en tyrolienne, berça notre nuit alors que l’on arrivait sur le territoire allemand.

 

Il faisait gris et froid, mais la semaine fut exceptionnelle. Nous dormions tous entassés dans une auberge de jeunesse et nous explorions plus ou moins en autonomie Berlin à pied. Autour de nous, nous remarquions les ballons blancs, accrochés aux endroits où se trouvait le mur à l’origine. Et le soir du neuf novembre, nous étions invités sur le toit du palais du Reichtag pour observer tous les ballons s’envoler en même temps dans le ciel, à la minute où le mur tombait.

 

Berlin est une ville déjà densément peuplée. Le soir des vingt-cinq ans de la chute du mur, dans les grandes avenues, alors que notre petit groupe de Français était en route pour le palais, je n’avais jamais vu autant de monde de ma vie. Il faisait nuit, mais nous étions tellement serrés les uns contre les autres qu’il était impossible d’avoir froid. Néanmoins, malgré les luminaires, il faisait sombre. Tous les élèves n’avaient plus qu’une seule angoisse ; se retrouver détaché du groupe, perdu dans la foule et manquer de se faire écraser par tous ces gens qui se pressaient pour la cérémonie.

 

Je ne sais pas qui a lancé cette idée. Je ne sais pas qui a pu se dire que c’était la meilleure chose à faire. Nous étions une trentaine d’adolescents, joyeux de rater une semaine de cours dans une des plus belles villes d’Europe pour assister à un évènement unique au monde. Nous avions marché toute la journée, la fatigue se faisait sentir en cette fin de semaine. Alors il est probable que plusieurs aient eu la même idée en même temps. Nous n’étions qu’une trentaine de Français, encerclés par les Allemands. La meilleure solution pour ne pas se perdre ? Se raccrocher à notre Patrick Sébastien national.

 

« Ah! Qu’est-ce qu’on est serré, au fond de cette boite… » Je crois qu’on écopa de deux ou trois regards de travers. Certains trouvaient ça tellement drôle qu’ils hurlaient la chanson. Mais c’était efficace. Je perdis ma sœur dans la cohue et je pus la retrouver grâce au son. Pour passer au-dessus du bruit de foule, tout le monde s’y mit, dans la joie et la bonne humeur. Ceux qui connaissaient les couplets chantaient plus fort. Et très vite, les petits Français que nous étions arrivèrent à reformer le banc sans s’égarer jusqu’au palais.

 

C’était peut-être mal, ce que nous avons fait ce soir-là. Et peut-être que certains Allemands ont, à cause de nous, une mauvaise image des Français. C’était un jour de commémoration, de souvenir, et nous n’avons rien trouvé de mieux que de chanter très fort une chanson paillarde. Néanmoins, je ne pense pas avoir ressenti un jour un tel sentiment de cohésion alors que nous avions entonné cet air. Nous étions heureux, mais nous étions surtout stressés à l’idée de s’égarer dans un pays dont on parlait à peine la langue. Plus qu’un moyen d’exprimer notre joie, c’était une manière désespérée de ne pas se perdre et se retrouver dans la masse. Et rien de mieux pour se réunir que des chansons, quelles que soit les paroles.

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