Les Rokhs

Par Sebours
Notes de l’auteur : Je sais déjà que je dois intégrer le coût qu'implique l'utilisation de la magie. N'imaginiez pas que l'on peut manipuler si facilement les éléments.

Le rokh est le premier animal que Nunn a créé après les dragons et bien avant les elfes. C’est pourquoi cet oiseau ressemble tant aux dragons. Comme eux, il vole et crache du feu, affiche une immense résistance et pond des œufs. Leur envergure peut atteindre les huit toises. Nunn les a dotés d’une relative intelligence pour survivre face à ces grands prédateurs du ciel. Il possède l’immortalité, mais revers de la médaille, sa fécondité est extrêmement faible. Le rokh est sans doute l’animal le plus intelligent du bouclier-monde derrière les enfants de Nunn.

Les rokhs sont en voie d’extinction car à l’instar des dragons, leurs corps sont réputés présenter des vertus magiques. Une simple plume de rokh coûte pas moins de cent mille pièces d’or. Il faut compter le triple de ce prix pour une serre. Les quelques rares spécimens survivants de rokh sont élevés en captivité dans un endroit tenu secret par la corporation des oiseleurs gnomes qui commercialisent également des phénix.

Le rokh

Encyclopedia Gnomnica

Au centre de l’île microcosmique, Ome et Hector se tenaient droit, face à face. Le dernier né de Nunn n’arrivait pas à détourner son regard des yeux dorés, quasi hypnotiques de son ami. L’hybride trancha les paumes de leurs deux mains gauches, celles du coté du cœur. Malgré la douleur vive, ils s’empoignèrent et le prince enroula une longue bandelette ornée de textes en satyrique autour des membres ensanglantés. Il prononça ensuite des psaumes incantatoires incompréhensibles pour le jeune espion tandis que leur sang mêlé goûtait dans une petite écuelle d’étain. Au bout de quelques minutes, Hector enleva le lange et le pressa pour en récupérer les dernières parcelles de fluide vital. D’un mouvement du poignet, il tourna le récipient pour en mélanger le contenu puis porta la coupe à ses lèvres. Il la tendit ensuite à son acolyte qui ingurgita l’intégralité du restant. La cérémonie terminée, un sourire naquit sur le visage des deux amis. Ils étaient désormais frères de sang conformément à la tradition satyre.

« Et maintenant mon frère ? » demanda Ome encore très ému du moment exceptionnel qu’il venait de passé.

« Maintenant nous allons nous occuper des rokhs, mon frère ! » proclama avec une grande fierté le prince.

La dernière femelle rokh venait de s’éteindre en captivité, dans les cages des oiseliers gnomes, des suites d’une longue agonie. Les marchands de la bannière de Fladalf-Khal, le dieu du commerce et des transports, n’avaient eut aucun scrupule à lui prélever ses différents organes, alors qu’elle était vivante, pour les revendre au plus offrant, année après année, siècle après siècle. Dryades comme satyres condamnaient cette pratique infâme. Malgré d’excellentes relations depuis la nuit des temps entre les quatre « peuples élémentaires », personne n’était parvenu à stopper ce commerce immonde, et cela entraînait l’extinction de la première espèce animale créer par Nunn.

Un espoir demeurait néanmoins. Le vénérable Bivot, le parrain d’Hector était parvenu à subtiliser quatre des derniers œufs de la rokh avant qu’elle ne décède. Ome ne comprenait pas vraiment pourquoi, mais il s’agissait pour le gnome d’un gage de confiance manifesté à la princesse Epiphone, la mère de son ami. Et l’héritier des deux royaumes avait pensé à Ome et son sac de Batum-Khal pour tenter de ressusciter les rokhs.Après d’interminables négociation, Hector était parvenu à convaincre sa mère du bien fondé de son point de vue. Pour le protégé de Slymock, le choix de son ami constituait autant une marque de confiance qu’une stratégie pour se ménager les bonnes grâces des derniers nés de Nunn. Quelques instants après une cérémonie d’une pureté émouvante, où ils avaient échangé leur sang, la déclaration abrupte de l’hybride remettait totalement en question sa sincérité. Son amitié, feinte ou non faisait partie d’un plan d’ensemble ! Alors oui, Ome accomplirait l’exploit de ressusciter les rokhs, mais pour son propre compte ! Pas pour celui des dryades ou des elfes ! Il ne serait pas encore le pantin des grands du bouclier-monde.

Quoiqu’il en fût, les deux compères se trouvaient devant défi de taille. Le premier problème concernait la finalisation de la couvaison. Aucun oiseau, à part le phénix ne procurait suffisamment de chaleur pour permettre d’amener les oisillons à terme. Les seuls spécimens connus à Zulla appartenaient aux volières royales. Cependant, au regard de sa valeur, il était impossible de subtiliser un tel animal sans lever un vent de panique. Sans oublier le caractère retors du majestueux rapace qui refuserait à coup sûr de couver un nid autre que le sien. Après avoir compulsé le grimoire de la fauconnerie, Ome découvrit une ancienne technique appliquée sur les œufs de phénix et autres oiseaux-feu, une ancienne technique qui méritait d’être tenté. Les deux amis creusèrent donc un grand trou dans le sol et y placèrent les avortons en puissance sur un lit de pierres plates. Par-dessus, les garçons montèrent un feu puis posèrent des branches entrecroisées et un tapis de feuilles de palmiers. Ils prirent bien soin de laisser une cheminée suffisamment large pour embraser leur construction et la recouvrirent d’une épaisse couche de sable. Cette couveuse artisanale était censée simuler le trait de feu que les rokhs envoyaient sur leur progéniture juste avant leur naissance pour provoquer l’éclosion. Ome alluma le feu avec une certaine anxiété. Afin de ne pas trop penser aux risques de l’opération, les deux apprentis sorciers s’attachèrent à un autre sujet de discussion.

« Frère, comment commandes-tu à l’eau ? Explique-moi. »

« Eh bien, c’est un don dryade que l’on tient de naissance. Il est plus ou moins développé d’ailleurs. Mère fait partie des plus puissantes du bouclier-monde, c’est une chance pour moi ! Et l’hydrokynésie est assez intuitive. Il faut concentrer son esprit sur une pensée. Par exemple, tu imagines un cube, et puis tu le dessines avec de l’eau. »

« Ça ne marche qu’avec de l’eau, ton pouvoir ? »

« Avec la plupart des éléments liquides qui possède de l’eau en fait. Je peux manipuler la bière par exemple. Mais en fait, je ne maîtrise que l’eau présente dans ce divin breuvage. »

« Tu as déjà essayé sur d’autres éléments ? Comme tu es hybride, tu as peut-être d’autres pouvoirs ! »

« C’est vrai que je n’ai jamais pensé à faire le test. Mère a toujours insisté pour que je travaille mon hydrokynésie sans jamais investiguer au-delà. C’est vrai que je suis le fils d’un druide du Lugnasad. »

Le feu crépitant attira soudain leur attention. Leurs regards se croisèrent et une idée folle germa concomitamment dans leurs esprits espiègles. Hector dirigea son esprit sur la petite flamme qui dépassait de la cheminée et une immense gerbe explosa. Tout à l’excitation de leur découverte, les deux garnements reculèrent d’une dizaine de mètres et le prince poursuivit l’expérience. Pour son deuxième coup, il produisit une colonne de feu qu’il fit flotter à cinq mètres du sol puis qu’il transforma en cercle, en sphère, en cube, en flèche pour finir en oiseau. Excité comme un farfadet, Ome prit son frère par les épaules.

« C’est incroyable ! Et l’air ? Maintenant essaie avec l’air ! Et puis la terre aussi ! Peut-être que tu maîtrises tous les éléments ! »

Un sourire jusqu’aux oreilles, Hector tendit la main au ciel, paume ouverte. Il se concentra de toutes ses forces, mais rien ne se produisit. Il fixa le sol, puis un caillou et là encore, les choses demeurèrent inertes.

« Il aurait été étonnant que j’hérite du pouvoir des fées et des gnomes ! Déjà que les satyres ne contrôlent pas le feu ! »

« Mais toi, tu es extraordinaire, mon frère ! Tu ordonnes au feu ! Tu es peut-être bien le messie annoncé par Nunn ! » Après avoir félicité son ami, Ome repensa aux propos d’Hector. « Tu veux dire que les fées et les gnomes contrôlent l’air et la terre ? Tous les écrits que j’ai consultés remettent en cause cette croyance populaire ! »

« Hein !? Ah ! Oui ! Quoi ??! Heu...oui, oui. Des croyances populaires. »

« Je te sens hésitant dans ta réponse. Tenterais-tu de me cacher la vérité, mon frère ? Pourtant nous venons juste de prêter notre serment de sang ! »

Hector fuyait son regard. Ome avait tapé juste. Le prince tentait de camoufler sa bévue. Heureusement que le dernier né de Nunn conservait son acuité aiguisée malgré l’ascenseur émotionnel qu’il traversait. Entre les preuves de confiances et les mensonges de son ami, l’espion ne savait plus sur quel pied danser. Penauds, la tête baissée, l’héritier d’Epiphone hésita. Il finit par faire ses aveux en plantant ses yeux d’or dans ceux de Ome.

« C’est un secret multi-séculaire ! Personne d’autre ne doit savoir, mon frère ! C’est un avantage que les peuples élémentaires utiliseront pour mettre fin aux guerres lemniscates et établir la paix sur le bouclier-monde ! »

Ome ressentit un frisson similaire à celui qu’il connaissait lors de ses entretiens avec le grand chambellan. L’instant comptait ! Le prince sollicitait son silence. Autant demander un avantage en échange. Un avantage à la hauteur de l’ambition d’Hector.

« Si ton armée libère les miens, je garderai pour toi tous les secrets des peuples élémentaires, mon frère ! »

« Pour cela, nous aurons besoin de votre aide ! Il faudra vous révolter au moment opportun lorsque la bataille fera rage ! »

« Tu l’as toi-même constaté à l’académie ! Les elfes sont plus grands, plus puissants et mieux armés que quiconque ici-bas ! Cela fait cent batailles qu’ils n’ont pas perdues ! Je doute même que si les six autres bannières s’alliaient, ces oreilles pointues ne maintiendraient pas leur hégémonie sur les guerres lemniscates ! »

« Ça c’était avant ! Avant que ma mère ne change son peuple ! Avant que j’apprenne à devenir un chef de guerre ! Avant que je ne maîtrise le feu en plus de l’eau ! Je délivrerai les derniers de Nunn, ainsi que tous les autres races du joug impérialiste elfe, mon frère ! »

Cette fraternité revenait bien trop souvent dans les propos songea Ome. Il disposait de la moitié d’une année dans le sac microcosmique pour séparer le grain de l’ivraie et découvrir le degré de sincérité d’Hector. Pour désamorcer l’instant, l’espiègle garçon trouva une parfaite échappatoire.

« Trêve de bavardages, mon prince ! Il s’agit à présent de construire une cage suffisamment solide pour nos oisillons ! »

« Tu sais que je suis contre le fait d’emprisonner les animaux ! »

« Je ne cherche pas à les emprisonner, je veux les protéger au contraire ! »

En effet, l’écosystème du microcosme présentait une affolante vitalité. Lapins, dindons, canards, le gibier foisonnait. Le couple de renard, devenu plusieurs familles ne suffisait plus à les réguler. Pourtant, Ome avait subrepticement introduit des poussins de rapaces voler aux volières royales. Il encourait la mort pour un tel crime, mais personne ne se souciait de la disparition d’un oisillon lorsqu’il ne provenait pas d’une espèce rare. Faucons, éperviers, aigles et gerfauts, le garçon les avait tous dressés. Et malgré les quantités astronomiques de proies qu’ils engloutissaient, volailles et lapins ne cessaient de croître. Il manquait des super prédateurs au sommet de la pyramide alimentaire de cet écosystème. Alors, pendant la construction de la volière, le créateur de ce nouvel univers osa soumettre une nouvelle requête au prince Hector.

« Mon frère, j’aurai encore besoin de ton aide pour compléter ce monde. J’ai lu le chapitre sur les rokhs. Il faudrait introduire des chèvres. »

Avec quelques planches et piquets, tout en bavardant, les deux compères venaient de bâtir un abri suffisamment vaste pour accueillir trois taureaux ! Il conviendrait donc bien pour quatre poussins. Les compères démontèrent fébrilement le four-couveuse. Là, au milieu des braises rougeoyantes, des bruits secs retentirent. Puis trois becs pointèrent, cassant les coquilles. Trois oisillons sur quatre possibles, ce n’était pas si mal. Ome se plaça devant les poussins pour qu’ils le considèrent comme leur mère conformément aux règles de base de la fauconnerie. Avec des trésors de précaution, il utilisa une poêle en fonte pour déplacer un à un les trois nouveaux nés et leurs coquilles brûlantes jusqu’à l’espace qui venait d’être aménagé. Il donna ensuite amoureusement la becquée, émerveillé par les instants privilégiés qu’il vivait. Il les nomma Flèche, Voile et Caresse. Son cœur battait presque aussi fort qu’en présence de Victoire ! Le dernier né de Nunn tissa des liens forts avec les trois poussins. Seraient-ils suffisants pour que les rokhs ne l’oublient jamais ? Même lorsqu’ils les rendraient à Hector ?

Au retour du prince, Ome connut les moments les plus heureux de son existence depuis sa naissance. Il savoura avec délectation cette période de félicité au cours de laquelle le rythme effréné de sa vie s’arrêta pour se caler sur le rythme de croissance des jeunes rokhs. Hector semblait partager sa perception. Éduquer ces extraordinaires oiseaux s’avérait une aventure prenante et passionnante. Les trois poussins piaillaient sans cesse affamés dans leurs premiers jours. Les deux compères passaient des heures à chasser volailles et lièvres au cours du premier mois. Lorsque les mythiques rapaces sortaient du nid, les adolescents s’attachèrent à les affaiter. Au début, Ome éprouvait quelques difficultés. En effet, il n’avait jusqu’alors pratiqué que le vol au poing avec les oiseaux qu’il avait éduqués. La taille déjà monumentale des rokhs interdisait l’utilisation de cette technique. Leurs serres auraient brisé le bras du dernier né de Nunn si celui-ci eut été en capacité de soulever un tel poids. Heureusement Hector maîtrisait la chasse du vol en amont et lui enseigna. C’était de loin la pratique préférée du prince et de ses peuples, tant dryade que satyre. Le vol en amont nécessitait une symbiose avec un oiseau libre car il n’était pas lâché du poing telle une flèche après lui avoir enlevé son masque occultant. Le rapace devait monter à l’aplomb de son fauconnier et répondre à ses instructions, transmises par des cris et des sifflements. Les deux éducateurs souffraient pour se faire obéir des juvéniles et dissipés rokhs. Six mois ne furent pas de trop pour obtenir des résultats acceptables avec Flèche, Voile et Caresse ainsi qu’ils les avaient baptisés.

En parallèle, les deux amis continuaient à s’entraîner et s’endurcir. Ils joutaient quotidiennement, à l’épée de bois le matin et avec l’arme de leur choix le soir. Ils s’exerçaient également aux épreuves de la ligue des ombres sur les machines qu’ils avaient construites de leurs propres mains. Ils dévoraient enfin les divers volumes et parchemins chapardés ça et là, en privilégiant bien évidemment les traités de fauconnerie et les manuels de stratégies militaires. Les deux adolescents continuaient de partager leurs rêves et leurs joies de vivre. Hector ne cessait de taquiner Ome sur sa présumée passion secrète pour Victoire, la fille du grand chambellan. Le prince mimait tour à tour l’indifférence de la fille du baron Ugmar, la timidité maladroite de son ami puis l’arrivée maniérée et grandiloquente de Sirius, l’héritier du roi Roll. Le dernier né n’en prenait pas ombrage, conscient du ridicule, mais également de la vérité de la situation. Ome répliquait en inventant des lettres farfelues que la princesse Epiphone envoyait à son fils. Ensemble, ils riaient à gorges déployées, conscients de vivre leurs derniers moments d’insouciance.

Six mois passèrent, les rokhs grandirent, les adolescents forcirent et le temps des adieux arriva. Les deux amis s’extirpèrent du sac microcosmique pour se rendre à l’ambassade dryade où les attendait Iphigénie. Celle-ci, bien qu’apparemment réticente, dégrafa sa boucle d’oreille droite, curieusement similaire au bijou que le prince portait à gauche. Hector la prit et la déposa dans la paume de Ome.

« Mon ami, mon frère, je me dois de t’abandonner. Mère requiert ma présence à ses cotés ! Les peuples élémentaires dans leur ensemble te remercient déjà pour le miracle tu vas réaliser en ressuscitant les rokhs ! Afin que nous restions en contact, voici pour toi un cadeau. C’est un des sept présents des Sept, les boucles de Cess-Khal. Mets-la, mon frère ! »

« Tu m’offres un des sept présents des Sept ! Quel est son pouvoir ? »

« Les deux boucles permettent de communiquer à distance. Lorsque tu le tournes ainsi, le bijou envoi un signal. Si le deuxième est également tourné, il est possible de converser. Ainsi, tu seras toujours un peu avec moi et tu pourras me tenir au courant de l’évolution des rokhs. »

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