Les fleurs du bois

Par Pouiny

Je crois que cette boutique, elle a toujours été là. Depuis tout petit, je passe devant en allant jusqu'à l'école, ou maintenant, jusqu'au collège. Au début, je n'y faisais même pas attention. Je passais devant, tout comme je passais devant des épiceries, des supermarchés, des bar-tabacs. Puis un jour, j'ai remarqué le nom, la vitrine, la décoration.

 

Cette boutique s'appelle les fleurs du bois. La devanture a été entièrement fait à la main, en bois. La vitrine laisse voir une pièce minuscule, remplie d'instrument. On peut voir des squelettes de violoncelles, des dizaines d'archets, des contrebasses cachées dans le fond, dépassant de la réserve, des modèles de violon et d'alto, accrochés aux murs. Sur un coté, se trouve à coté même de la réserve, une énorme table de travail, avec tous les outils dont on pourrait rêver. Et oui, malgré ce nom de magasin très poétique, ce n'est qu'une simple lutherie comme une autre.

 

Mais tout ça me captivait. En musique, je ne m'y connaissais pas, et mes parents n'avaient pas l'argent pour me permettre d'apprendre… Mais je trouvais le travail du bois impressionnant. Alors, une fois, pour la curiosité, à force de passer devant, j'ai fini par sauter le pas, et y rentrer. J'ai été alors accueilli par un vieil homme à l'air simple.

« Entre, mon jeune ami ! Qu'est-ce que tu recherches ?

– Oh, euh, rien… en fait, je voulais surtout regarder.

– Bien sûr, ne te dérange pas ! »

 

Il travaillait sur un violon. Je l'ai regardé faire, pendant des heures, debout sans mot dire. Au bout d'un moment, il m'a dit :

« je vais devoir fermer, petit. Le travail du bois te passionne tant que ça ?

– Oh, c'est aussi que j'ai souvent rêvé de faire de la musique, mais mes parents n'ont jamais eu l'argent pour me permettre de m'acheter un violon… C'est dingue de se rendre compte que ces instruments si cher ne sont à la base que du bois, et un peu d'autre chose… Une fois fonctionnel, ils paraissent presque magique... »

Il m'avait regardé intensément derrière ses lunettes. Je me surpris à rougir, de m'être laissé emporté. Il se dirigea alors vers sa boite à outil, et me sorti quelques ciseaux à bois, et d'autres outil dont je ne connaissais même pas le nom.

« Voilà, ils sont à toi. Je peux te prêter aussi du matériel sur lequel travailler. Si tu arrives à faire un violon qui sonne, il sera à toi.

– Quoi, comme ça, gratuitement ?

– En échange de quoi, tu viens travailler sur du bois uniquement dans cette boutique, ou je regarderai ce que tu fais.

– Mais... enfin…

– Ce n'est pas ce que tu voulais ? Je ne te fais pas signer de contrat, tu es libre d'essayer, et de partir quand tu veux, même si ça te plaît mais que tu n'as juste plus le temps pour toi. Tu fais ce que tu veux. »

Décontenancé, j'ai pris les outils, et je suis parti sans même dire au revoir. A partir du lendemain, je devenais son apprenti. Je ne venais pas tous les soirs, il y avait des fois même des semaines ou entre le sport avec les copains et les cours, je ne venais pas du tout. Mais ça me plaisait de venir. Je le voyais s'occuper de temps en temps de certains clients, et surtout on discutait tout en travaillant le bois. Des fois, il me faisait réviser. Souvent, il m'apprenait des choses, sur le bois, sur le métier, sur la musique.


Il m'a même appris un peu de violon, au final. Comment tu veux savoir si ce que tu fais est bien, si tu n'as pas les compétences pour le tester, m'avait-il dit. Je m'étais senti bien ridicule au départ. C'est vrai que le violon est un instrument ingrat. Mais il n'a jamais été dur avec moi, malgré mon caractère trempé de collégien raté. J'ai appris avec lui bien plus que ce que j'aurais pu apprendre au collège. Cette boutique, perdue au milieu de la ville, et qui me semble avoir toujours été là, maintenant, mon rêve, c'est d'en reprendre les rennes, même si je n'ai jamais osé lui avouer.

 

On parle beaucoup, lui et moi, il m'a raconté beaucoup de choses, sur sa vie, son histoire, ses épreuves. Moi, je lui raconte souvent les problèmes que j'ai au collège, avec mes parents. On compare nos histoires, on tente de s'en sortir. Et souvent, le soir, je le vois s'approcher d'un détail de la lutherie.. Dans cette boutique, minuscule, remplie uniquement de musique, trône devant la vitrine, et ce depuis des années, des fleurs de bois, dans un vase rouge vif. Des fleurs vernies, même pas peinte, qui semble avoir traversé les décennies, et dont il s'occupe en parlant tout bas, comme discutant de secrets enfouis.

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Sorryf
Posté le 27/05/2023
Quelle belle histoire ! Je suis tombée dessus complètement par hasard (pour un bingo sur le forum, je devais lire une histoire avec un musicien, j'ai tenté celle là à cause du violon sur la couv), et j'en ressors enchantée !
Quelle émotion quand le violon fabriqué sonne pour la première fois !
Quelle tristesse quand on lui en offre un autre, un violon de luxe.
La scène ou il retourne au jardin et détruit tout m'a fait mal au coeur. Le pauvre s'est fait accaparer ses rêves d'enfant par les attentes de ses parents.
Et ces fleurs qui parlent, et ces enfants que le narrateur forme à l'amour du bois ! C'est si poétique, et la fin est très belle, jolie morale ! Merci pour cette belle lecture <3 !!!
Pouiny
Posté le 09/06/2023
Merci beaucoup pour ton commentaire, ça me va droit au coeur ! <3 Je suis ravi que ça t'ait plu, d'autant plus que c'est une histoire dont je suis assez proche personnellement !
Pluma Atramenta
Posté le 24/05/2021
Salut Pouiny !

Et voilà. Ce superbe conte est maintenant fini. Comme je te l'ai déjà dit précédemment, j'apprécie cette poésie, cette simplicité et cette délicatesse desquelles il rengorge littéralement. C'est vraiment très beau. Ton texte fouille des vérités. (des réalités aussi. J'ai trouvé le comportement et les réactions de David particulièrement captivantes, compréhensives et cohérentes) Il fouille des vérités donc ; et les purifies au maximum en les exprimant. C'est un exercice que l'on retrouve dans la plupart des contes, dans Le Petit Prince par exemple, et que j'aime beaucoup (sûrement parce que je me sens incapable d'avoir recours à de telles purifications)
Il est super le message de cette histoire ! C'est toujours très dangereux et déconcertant de s'être trompé de rêve, ou de ne pas l'avoir pris sous la bonne dimension. Les rêves et les passions ne devraient pas nous rendre prisonniers ; c'est le contraire qui devrait se produire ! Heureusement David a retrouvé sa voie.

Je verrais bien *Les fleurs de bois* en album illustré pour enfants (et crois-moi que s'il est un jour édité, je le ferai volontiers lire à mon neveu !) :)
Je lirai avec plaisir d'autres contes signés par ta plume <3

Remarques (les coquilles sont la plupart du temps corrigées à même le texte, en majuscules) :
CHAPITRE LE PREMIER CONCERT :

- « Le rythme ainsi que les cours commençaient à être vraiment difficileS. »

- « Malgré le manque d'entretien, les fleurs étaient encore deboutS, et reconnaissableS, bien que minusculeS. »

- « Son professeur l'accordait, lui répétait des derniers conseils, sur l'idée d'épater le jury en jouant comme un pro et non comme quelqu'un dans sa bulle qui s'excuse. » Cette dernière image est magnifiquement parlante <3

- J'aime infiniment ce dialogue entre David et la fillette. Il déborde de douceur et de vérité.

EPILOGUE :

- « La vitrine laisse voir une pièce minuscule, remplie d'instrumentS »

- « Mais tout ça me captivait. »
Le « mais tout ça » n'est pas très joli. Je te suggère de le reformuler.

« A partir du lendemain, je devenais son apprenti. »
Suggestion : Dès le lendemain, je devins son apprenti(...) ?

- « Des fleurs vernies, même pas peinte, qui semble avoir traversé les décennies, (…) » Des fleurs vernies, pas même peinteS, qui sembleNT (…)

Merci de nous avoir partagé ce merveilleux conte, et que les étoiles de ta plume se dispersent dans le ciel !
Pluma.
Pouiny
Posté le 24/05/2021
Le petit prince est clairement le livre qui m'a le plus influencé, de toutes les manières possible (sur mon caractère, mes goûts, mon écriture personnelle même parfois...) Donc je suis vraiment content que tu le cites !

Ce n'était pas évident pour moi, qui vient de ce milieu-là et qui l'ai quitté presque en claquant la porte, de décrire tout ce que ça pouvait être de ne pas avoir pris le bon côté de sa passion ^^ Je suis vraiment content que tu en retires et que tu parles de ce que je voulais transmettre ici ! Donc merci beaucoup :)

Si tu lis d'autre de mes histoires, n'hésite pas à commenter, c'est vraiment avec grand plaisir ! :)
Pouiny
Posté le 24/05/2021
Ce n'est pas la première fois qu'on me parle d'album illustré (pas forcément sur cette histoire-là mais sur d'autres) et j'avoue que je suis d'accord, et que je trouverai ça incroyable... Mais j'ai au moins de la relecture à faire d'abord ! Merci encore pour ce que tu as relevé ^^
Lalalie
Posté le 12/04/2021
La pression qu'exerce les autres sur notre art, notre façon de sentir les choses ou pas, est si forte parfois, que oui, on peut se venger sur l'instrument, le taper sur une table, vouloir en finir avec lui et le fracasser par terre ! Oh, j'ai honte soudainement, je me rappelle avoir cogné mon violon contre une table juste avant un concours à Paris, et m'être retrouvée désemparée avec un violon brisée juste avant de passer devant le jury à faire semblant de ne pas comprendre…
Ce personnage de David, dans sa solitude et ses rêves, dans sa délicatesse et sa ses doutes, est très attachant.
Pouiny
Posté le 12/04/2021
Je ne connaissais pas cette histoire, tiens !

ça me touche vraiment que tu aies pris le temps de lire cette histoire et de la commenter. Merci beaucoup ! J'aime beaucoup David, moi aussi, j'ai pris plaisir à l'écrire. Si jamais, n'hésites pas à regarder ce que j'ai pu écrire d'autre, il y a beaucoup d'histoires courtes.

A bientôt :)
Louison-
Posté le 07/04/2021
Coucou !
très très beau conte (conte, nouvelle?). Vraiment, j'ai adoré, peut-être parce que je suis sensible à l'instrument du violon? Mais voilà, le fait est que j'ai aimé sa poésie, la délicatesse qui sortait de cette histoire, et les belles paroles qui s'en dégageaient. En tant qu'enfant, c'est chouette de lire ce genre d'histoire, où l'accent est mis le fait de réaliser qqch par soi-même, de ses mains, sans essayer de prendre en compte l'avis des autres. Quand le violoniste a laissé tomber son violon volontairement et qu'il s'est cassé, on a bien senti un point de rupture, disons, comme s'il nous disait: mais ce que veulent les autres de moi, ce n'est pas ce que je veux et je l'assume. C'est pour moi l'un des messages les plus beaux qui ressort de ton histoire ! Et j'ai aimé, aussi, le fait qu'à la fin, lorsque la fille dit "mais c'est un truc de fille, les fleurs" le luthier (ou fleuriste du bois? haha) lui réponde qu'il n'existe pas de "trucs de" mais uniquement des choses qu'on aime. ça a fait fondre mon petit coeur haha.

M'enfin voilà, excellent conte, j'espère que tu pourras le faire lire à un maximum d'enfants, je le trouvais superbe (honnêtement je l'ai préféré à celui du caméléon volant, et pourtant ce conte était aussi réussi et le coup de la linguistique, ça me passionne tout autant haha, mais il me semblait que ce conte-ci était plus émouvant <3)
Pouiny
Posté le 07/04/2021
je pense que c'est un conte et une nouvelle ^^ Mais un conte un peu plus "réaliste" que les autres, ancré dans une réalité qui nous est plus proche ^^

J'avoue que c'est une histoire qui m'est assez personnelle, parce que mon rapport à la musique classique, notamment au conservatoire, a été très intense et très compliqué ^^ Clairement, c'est aussi la scène que je préfère de cette histoire, celle où le violon s'écrase au sol. Mon ex, qui était violoniste, m'avait dit : mais non, on ne peut pas casser un violon aussi cher et aussi important, c'est trop horrible, surtout si le personnage aime le bois ! Et bien si, on peut. xD et j'ai beaucoup aimer le casser, d'ailleurs ! :D

Merci beaucoup, je suis vraiment heureux et touché qu'il te plaise, car honnêtement elle est longtemps resté dans un coin sans que j'ose vraiment la partager ! J'avais peur que mon propos ne soit pas clair, par exemple :)
Louison-
Posté le 07/04/2021
haha tu as bien fait de mettre cette scène, malgré les réticences de ton ex, j'approuve totalement, c'est si symbolique !
Oh aucune raison que ça reste dans un coin, ton propos est des plus clair, et original, en plus :)
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