Les catalyseurs

Par Sebours

Le mulet et la mule sont des hybrides statistiquement stériles de la famille des équidés, engendrés par un âne et une jument ou bien d’un cheval et d’une ânesse. C’est en observant la reproduction de ces deux espèces d’équidés que le phénomène d’hybridation des peuples originels (auxquels il faut rajouter les gobelins) a été déduit. La fertilité mille fois plus faible des enfants de Nunn comparée à celle du règne animal rend par essence un hybride des espèces intelligentes totalement infécond.

Le phénomène d’hybridation

Encyclopedia Gnomnica

Ugmar ne décolérait pas depuis les coups d’éclats de Ome lors de son investiture ! Le jeune représentant demeurait calme et docile depuis lors. Cependant, la discorde s’insinuait dans le camp politique du grand chambellan. Une fronde, menée par le général Ull, représentant de la troisième caste des gens d’armes, exigeait la tête de l’effronté dernier de Nunn. Le militaire n’acceptait tout simplement pas que ce proscrit ceigne l’épée. Le grand prêtre Elliec, représentant de la deuxième caste des gens de la foi et le maître questeur Anémo représentant de la quatrième caste des gens du commerce appuyaient les doléances du chef des armées.

Et Ome s’était joué de tous les interdits posés par les trois elfes. Il avait réussi à créer une milice humaine. Ugmar reconnaissait au moins cette qualité au garçon. Comme lui, il mettait tout en œuvre pour parvenir à ses fins. Le grand chambellan avait habilement manœuvré pour mettre ce jeune chien fou et ambitieux directement sous le commandement du général Ull. Celui-ci ne possédait plus aucune raison de se plaindre auprès du baron. La stabilité du camp du grand chambellan n’était plus menacée à court terme. Le chef militaire s’empêtrait dans des manipulations politique qui le dépassaient pour tenter de canaliser du représentant des derniers nés de Nunn. La fronde politique n’existait plus.

A présent, une fronde de la noblesse couvait ! Les gens du sang de la première caste s’estimaient aussi outragés par Ome et dans leur manque de sens commun exigeait sa mise à mort ! Les nobles ne menaçaient pas pour l’instant le poste du grand chambellan, mais cela constituait pour le baron la première anicroche avec ses semblables depuis son accession au commandement de sa caste.

Cette vague de mécontentement des élites s’opposait au tsunami de la ferveur populaire qu’engendrait l’investiture spectaculaire du représentant des derniers nés de Nunn. En une cérémonie, Ome avait fait plus pour la reconnaissance des peuples alliés que le lutin Barouf en cinq siècles ou tous les autres représentants avant lui. En montant sa propre milice, le fier garçon s’érigeait en héros des laissés pour compte. Chaque jour, des membres des castes inférieures, même elfes, qu’ils soient proscrits, artisans, pêcheurs ou poissonniers grossissaient les rangs de ses partisans.

Le grand chambellan prenait garde depuis toujours à être dans les bonnes grâces de la vox populi. Ugmar ne pouvait donc pas se débarrasser du juvénile dernier né de Nunn. D’autant qu’il avait passé huit longues années à former cet espion. Le supprimer, c’était courir de multiples risques. Slymock tirerait un trait sur un accès direct à la ligue des ombres. Le baron perdrait un potentiel chef militaire pour la faction des hommes. Et surtout, une éviction offrirait une opportunité au maire du palais d’introduire un de ses partisans au conseil du roi.

Ugmar attendait impatiemment la venue des membres de son cabinet noir. Dans la nuit, il avait trouvé une solution à son problème. Il tapotait fébrilement sur le coin de son bureau impeccablement rangé. Il ingéra machinalement un peu de sa fiole de bromure. Le remède semblait canaliser quelques peu ses ardeurs. Le clocher du temple de Batum-Khal sonna enfin sept heures. Ponctuels, Slymock et Ome entrèrent dans la pièce pour leur entrevue quotidienne. A brûle pourpoint, sans salutation et sans attendre qu’ils prennent place sur leurs sièges, le grand chambellan entama la discussion.

« Mon garçon, tu te plains depuis des semaines de l’oisiveté qui ronge ta milice ! Tu m’expliques que le général Ull refuse de t’octroyer la moindre mission ! »

« Ou...oui messire Ugmar. C’est tout à fait ça. »

« Eh bien cette nuit, j’ai eu une idée ! Ta milice pourrait devenir le service de messagerie privée de la première caste ! Pour l’instant, le service des postes demeure une mission entièrement dévolue aux fonctionnaires de la cinquième caste. Je verrais d’un bon œil de libérer la première caste du monopole du baron Otto ! Ce n’est pas grand-chose, mais c’est un début. Avec un peu de chance, Ull, Eliec et Anémo adopteront ma position et feront également appel à vos services. »

« Porter des missives...pour les nobles...qui nous détestent !!! C’est tout ? »

« Mais oui mon garçon ! Montre-toi plus enthousiaste ! Le but est de faire accepter ta milice par les nobles ! Et là, je t’offre une occasion en or ! Alors je te l’accorde, une tache subalterne, mais en fonction de la qualité de vos services, ta milice peut rapidement se rendre indispensable ! »

« Sauf votre respect, grand chambellan, vous voyez surtout là un moyen de damer le pion au maire du palais ! »

« Notre maître anticipe bien plus que cela, Ome. » coupa l’attentif Slymock. « Depuis une éternité, le cabinet noir cherche à lire les missives des grands du monde. Être dépositaire de la livraison de tous ces messages faciliterait grandement la tâche ! »

« En somme, ta milice serait une véritable cellule de renseignement. Tu comprends mieux ma vision, mon garçon ? Tu as pris du temps pour sélectionner tes hommes. Sont-ce des personnes discrètes et de confiance ? Car je te propose là une entreprise qui en requiert ! Tu le sais après huit années à mon service. » Ugmar insistait encore et toujours sur la relation quasi filiale qu’il avait tissée avec le garçon. C’était pour lui un moyen d’effectuer une sorte de chantage émotionnel.

« Messire Ugmar, vous pouvez avoir confiance en mes hommes comme en moi-même ! J’ai notamment bien pris garde à ce qu’ils n’aient aucun lien avec la ligue des ombres ! Par contre, le baron Otto risque de s’opposer à notre entreprise ! C’est tout de même lui qui finance la solde de ma milice ! »

« Dans ce cas, tu lui demanderas en conseil du roi qu’il vous affecte aux pigeonniers et aux postes. A coût sûr il refusera, et tu pourras continuer ton œuvre de renseignement au sein des services de la troisième caste ! »

« A présent, tu devrais chercher un lieu d’affectation pour ta milice qui soit fonctionnel et permette un accès direct du cabinet noir...pour le traitement des informations. Maître, je propose que Ome regarde déjà avec Louvois les biens en notre possession. Il nous fera des propositions demains matin. »

« Excellente proposition Slymock. Voilà. Je pense que c’est tout pour aujourd’hui mon garçon. Tu peux disposer. »

Le garçon se leva, s’inclina pour saluer ses mentors et quitta la pièce. Slymock balaya les différents messages récupérés par le cabinet noir depuis la veille. Aucune information stratégique essentielle n’était apparu. Le visage du maître espion trahissait sa préoccupation. Il désirait aborder un sujet épineux. Au bout de tant de siècles de collaboration, Ugmar connaissait parfaitement son éminence grise et le perça rapidement à jour.

« Je sens que tu es préoccupé, mon bon Slymock. Qu’y a-t-il ? C’est au sujet de Ome ? »

« Non, pas tout à fait, maître. C’est plutôt au sujet de sa mère, Fame... »

Un mot ! Un nom ! Et voilà que le grand chambellan perdait complètement sa contenance. Pourquoi sa fidèle âme damnée abordait-elle le sujet de cette divine catin ?

« Maître, je pense avoir découvert un secret sur les derniers de Nunn. J’attendais des certitudes pour vous en entretenir. A présent, je peux l’affirmer, j’ai eu un enfant avec Fame ! Une petite fille. »

« Toi Slymock ! Nous savons tous les deux que c’est impossible ! Tu es un hybride semi-gobelin! Tu es théoriquement stérile ! »

« Je le pensais également maître Ugmar ! C’est pourquoi je me suis assuré de ce constat avant de vous présenter la chose. Nous venons de découvrir que en plus de pouvoir créer des hybrides avec toutes les races, les derniers-nés de Nunn peuvent enfanter des quarterons. Dans mon cas, l’enfant est mi homme, quart elfe et quart gobelin ! Les perspectives sont vertigineuses ! »

« Le danger pour le peuple des elfes est encore plus grand que je l’imaginais ! Il faut éliminer les potentiels unions entre hybrides et dernières nées. Il faut exiler tous les hybrides recensés à Bordura ! Ils serviront de nourriture sacrificielle pour les dragons. Tristan se trouve à Zulla actuellement. Organise avec lui la déportation de ces menaces au plus vite ! Et depuis son arrivée à Zulla, Fame a permis de dresser une liste des elfes déviants. Il est peut-être temps de réaliser une véritable purge ! Il faudrait que le cabinet noir agisse de la même manière dans les autres villes de l’empire ! Tu es d’accord Slymock ? Slymock ?! »

Le cerveau d’Ugmar fonctionnait à son rendement maximum. Ses craintes sur la menace que constituaient les derniers nés de Nunn s’avéraient encore plus fondées qu’il ne l’aurait pensé. Slymock demeurait penaud, la tête baissée. Il transpirait la honte et ne relevait pas les remarques du baron. Son sac n’était pas entièrement vidé.

« Maître...il y a plus. Je préfère me confesser plutôt que vous l’appreniez de quelqu’un d’autre. Fame prétend avoir eut une fille de vous aussi ! »

Le grand chambellan s’affala sur son siège. C’était impossible ! Il n’avait fauté qu’une seule fois ! Pourquoi n’avait-il pu se contenir face à la beauté enivrante de la sublime Fame ! Non ! Décidément c’était impossible ! Sa mère avait été violée par un orc ! Il était un hybride stérile ! Il avait même tué sa femme de ses propres mains car cette catin l’avait trompé ! Il en était persuadé depuis toujours ! Victoire ne pouvait pas être sa fille biologique. Et là, Fame prouvait qu’il n’était pas infertile ! Une bouffée de violence monta jusqu’à la gorge du baron. Il balaya d’un revers de la main les dossiers et les dossiers méthodiquement rangés sur son bureau. Le pair de la nation elfe hurla sa rage. Puis il se leva et ramassa la fiole de bromure qu’il liquida d’une traite. Slymock restait calmement assis sur son siège, attendant que la nouvelle des plus en plus fréquents crises colère passe.

Ugmar rangea précautionneusement sur le bureau les affaires renversées, ce qui lui permit de se calmer et retrouver sa nature froide et calculatrice. Si cette femme avait eu un enfant avec lui, elle constituait à présent une menace politique indéniable. Ses adversaires pourraient exhiber l’enfant pour prouver sa déviance et provoquer son procès. Ou bien ils pourraient retourner Ome contre lui. Et le garçon commençait à en connaître beaucoup sur le cabinet noir !

« Mon bon Slymock, Ome connaît-il l’existence de ses demi-sœurs ? Quelle solution envisages-tu pour régler ce problème ? »

« J’ai placé Fame au secret depuis votre...hum...égarement. Je suis le seul à la voir depuis. Pour moi, la solution serait de l’exiler avec ses filles à Bordura et les mettre sous la garde du colonel Tristan. »

« Non ! Les filles doivent être sacrifiées aux dragons ! Par contre, nous avons toujours besoin de Fame pour avoir un moyen de pression sur Ome. Va Slymock ! Je veux qu’elles partent avec le premier convoi, au plus tôt ! Avant demain matin cela doit être fait ! »

L’espion quitta immédiatement le bureau. Ugmar n’avait pas voulu montrer à son fidèle serviteur sa surprise d’apprendre que Fame était au secret. Si elle avait eu également une fille avec Slymock, c’était que ce petit cloporte avait lui aussi cédé aux charmes de la femme fatale. C’était la première fois que son âme damnée lui dissimulait quelque chose ! Sa proposition d’épargner les enfants ne lui ressemblait pas. Ainsi, même ce triste sir demi-gobelin connaissait l’amour et la compassion !

Le grand chambellan ouvrit la porte qui communiquait avec le bureau de son secrétaire.

« Louvois, convoquez-moi Elga ! Tout de suite ! »

Dix minutes plus tard, Elga, la tueuse secrète du grand chambellan passait la porte. Ugmar se félicita d’avoir toujours conservé cet assassin déconnecté du cabinet noir. Il lui avait fourni une couverture au sein de son administration pour l’avoir toujours à disposition en cas de crise spéciale qui demandait l’absence de toute trace.

« Elga. Je veux que vous tuiez Fame. C’est une dernière née qui doit être prise en charge avec ses deux filles par Slymock. Si ça n’a pas changé, elle loge à l’hôtel de la divine. Bien entendu, il faut que cela est l’air accidentel. Même Slymock ne doit pas se douter de quelque chose. »

« Comme d’habitude, grand chambellan. Vous connaissez ma discrétion. »

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