Les arbres ont-ils une âme sœur?

Par Elodie

Il était une fois, dans un beau pays, mais sec, un magnifique arbre planté au sommet d’une petite colline agricole.

Cet arbre était le seul à dominer les lieux, majestueusement ancré dans une terre qui, grâce à l’ombre qu’il procurait, servait à cultiver toutes sortes de plantations malgré l’aridité de la région. Depuis toutes ces années de loyaux services, l’arbre était devenu le talisman du village qu’il faisait vivre. Chacun de ses habitants admirait la solidité de ses profondes racines, la couleur et la densité de ses feuilles ainsi que l’incroyable résistance de son immense tronc. Une heureuse et nécessaire robustesse étant donnée la rudesse de la contrée qui l’avait vu pousser. Aucun arbre alentour n’avait supporté la succession d’orages qui secouaient violemment les interminables périodes sèches de ce climat si particulier. Plus d’un s’était brisé sous le coup de la foudre. Les autres s'étaient tout simplement fanés, déshydratés. Pourtant, lui tenait bon, comme s’il se renforçait toujours plus au fil des tempêtes qu’il traversait.

De ce fait, il était devenu l’arbre de référence des villageois qui le respectaient et le fêtaient à chaque occasion. À Noël, par exemple, plutôt que de décorer des sapins dans leurs foyers, tous les habitants du village se réunissaient sous l’arbre pour le parer de mille et une boules, guirlandes et bougies qui illuminaient toute la région. Pour fêter Pâques, chaque interstice entre les branches était occupé par un petit œuf que les enfants venaient gaiment récolter pour la fameuse chasse aux œufs. À l’occasion de la fête du Travail, l’arbre se retrouvait habillé d’une multitude de feuilles imprimées avant qu’un feu de joie ne brûle symboliquement tous ces contrats dépassés. Le reste de l’année, le bel arbre n’était pas en reste. Il recevait quotidiennement la visite d’habitants des forêts voisines qui venaient partager leur casse-croute et jacasser à tout-va, animant ainsi l’arbre de rires et de grabuges.

Pourtant, malgré cette adorable animation et cette sincère admiration, il arrivait à l’arbre de se décourager. Alors qu’il restait solide et fort, qu’il prenait soin de tout un village et qu’il abritait nombre de visiteurs, il lui manquait quelque chose. Dans ces moments, somme toute assez rares sur une année entière écoulée, il lui arrivait de s’affaisser, dépité, durant toute une journée ou de s’ébrouer aussi brusquement que vigoureusement, chassant ainsi ses visiteurs indignés. À qui voulait bien l’entendre, il protestait alors qu’il lui manquait des fruits pour le colorer. Mais qui peut bien entendre un arbre s’exprimer ?

Les villageois demeuraient perplexes puis reprenaient leur habituelle vénération, constatant que ce trouble ne restait, bien heureusement, que passager. Les visiteurs des forêts voisines pointaient à nouveau le bout de leur museau, avec précautions tout d’abord avant de s’installer confortablement, à leurs habitudes, face au calme retrouvé.

L’arbre reprenait sa fonction. Tout allait bien.

Un beau matin, alors que l’arbre s’étirait et faisait craquer ses ramures afin de déployer toutes ses feuilles, il s’arrêta net, car, pour la première fois de sa longue vie, il aperçut, au loin, une étoile filante. Fermant tous ses yeux, il formula alors silencieusement son vœu le plus cher.

Ce que le noble arbre ne savait pas, c’est que l’étoile filante qu’il avait vue était venue de très loin en quête de découvertes et visait la terre. Elle ne filait pas dans le ciel comme toutes ses consœurs, mais se dirigeait bien vers lui.

C’était une étoile spéciale.

Pour décider de s’éloigner de l’immensité céleste, il ne pouvait s’agir d’une banale étoile. Il fallait une bonne dose de courage et un sacré caractère à une étoile pour décider d’une telle aventure. En général, les astres sont bien connus pour leur discipline et leur obéissance aveugle. Mais cet comète-là était bien particulière. Née dans une galaxie située toute proche du soleil, elle avait engrangé une telle quantité de chaleur et de lumière qu’elle brillait de mille éclats. Bien décidée à ne pas passer sa vie à se lézarder au soleil, elle s’aventurait régulièrement hors de sa galaxie pour en explorer d’autres. Sous le regard désapprobateur de ses cousines, la petite étoile filait puis revenait, revigorée de son périple. Elle était si curieuse qu'elle avait fait de nombreuses rencontres, dont plusieurs planètes avec lesquelles elle ne s’était plus jamais séparée.

L’une d’entre elles était la terre. La petite étoile adorait converser avec elle. La terre lui parlait de tous les êtres vivants, humains, animaux et végétaux, qui l’habitaient et lui décrivait leurs innombrables prouesses. Petit à petit, rien ne tint plus à cœur de la petite étoile que de pouvoir les découvrir et les rencontrer.

C’est ainsi que, un soir de lune pleine, la petite étoile fit ses bagages. Elle fila en catimini en direction de la terre. Sa trajectoire était claire et l’impact cosmique fut adouci, même agréable, lorsqu’elle traversa la couche d’ozone pour une immersion immédiate dans le monde marin de la planète bleue. La petite étoile était arrivée dans un minuscule lac de montagne. Que c’était frais ! Et doux ! Et amusant ! Les poissons reflétaient son éclat avec leurs écailles qui devenaient multicolores. Que c’était beau !

Émerveillée, la petite étoile accompagna les poissons. Ils l’emmenèrent du lac dans la rivière qui coulait des montagnes en plaine. Elle suivit son cours pendant de longues semaines, y vécut de nombreuses aventures et fit de belles rencontres. Au passage, la petite étoile y laissa ses empreintes douces et chaleureuses. Selon les confluences, embouchures et lit d’eau, elle s’imprégna elle aussi de nouvelles formes et couleurs.

Lorsque la rivière qui la portait se tarît, la petite étoile décida qu’elle avait assez exploré le monde marin et se faufila dans les hautes herbes qui l’entouraient. Elle se mit à rire. Ça la chatouillait de partout ! Dansant de joie, elle suivit un sentier qui grimpait sur une colline. Progressivement, la végétation diminuait et se faisait plus pauvre. La verdure rescapée était moins sauvage, bien organisée en de longues rangées symétriques. Quel labeur ! Tout cela imposait le respect. Elle se tut et continua son ascension dans le calme, presque sérieuse.

Lorsqu’elle arriva tout au sommet de la colline, la petite étoile fit la rencontre d’un majestueux arbre qui trônait tranquillement au milieu des champs. Elle en resta muette, stupéfaite. Quelle splendeur !

À ce moment-là, quelque chose de magique se produisit : grâce au rayonnement de l’étoile, l’arbre se mit à fleurir immédiatement. La petite étoile était sous le charme.

Depuis ce jour-là, le grand arbre et la petite étoile ne se séparèrent plus. Chaque printemps, l’arbre fleurissait et produisait des fruits divers et variés sous la lumière émanant de l’étoile. Cette dernière se parait de nouveaux reflets grâce aux belles couleurs de l’arbre et répandait ainsi sa luminescence dans tout le pays, jusqu’au ciel, parmi les astres.

À ce jour, personne n’a jamais vu plus beau paysage. Il est même dit que le soleil en rougit de jalousie. Mais peut-être n’est-ce là qu’une légende…

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