L'élection

Par Sebours
Notes de l’auteur : C'est à des détails que l'on voit que c'est un premier jet. Dans le système politique dryade, les maires deviennent des bourgmerstres. Je trouve que ça sonne mieux. Je ne sais pas si j'ai corrigé partout et si j'y avais fait référence avant dans mon récit. Donc voila, n'oubliez pas: maire = bourgmestre.

Les dryades prétendent pratiquer un régime démocratique.

  • Les enfants de Génoas-Khal sont regroupés en villes ou villages et élisent un bourgmestre.

  • Sept villages et une ville forment un comté. Les bourgmestres nomment un comte.

  • Sept comtés forment un marquisat. Les comtes votent pour un marquis.

  • Sept marquisats forment un duché. Les marquis choisissent leurs ducs.

  • Sept marquisats forment un des sept royaumes dryades. Les ducs désignent les princes électeurs.

    Sept ans avant la fin de chaque trêve séculaire l’ensemble des élus du peuple votent pour choisir le grand potentat qui guidera la nation dryade pour la prochaine guerre...

Le système politique dryade

extrait du Traité sur les sociétés de l’échiquier monde

du maître architecte Vinci


 

Depuis son départ du chantier d’Epiphonia, la princesse gardait le silence. Elle était soulagée d’avoir quitté ce lieu où la situation conflictuelle risquait à tout moment de saborder son alliance avec la famille des Marteaux d’Airain ou bien de faire vaciller le soutien des shardanes. Diplomatiquement, la dryade avait ménagé chaque camp avant de partir, mais elle savait que cette accalmie ne serait que temporaire.

Depuis son départ du chantier d’Epiphonia, la princesse gardait aussi le silence car elle savait ce que signifiait ce voyage. Traditionnellement, sept ans avant la fin de chaque trêve séculaire, le collège électoral des princes électeurs organisait l’élection du grand potentat des peuples de la mer. C’était lui qui guidait la bannière de Génoas-Khal pour la prochaine guerre lemniscate. La plupart des dryades étaient pacifistes et conservateurs, enclins au repli sur soi. Epiphone, dans l’attente de nouvelles élections, avait récupéré la charge de son père lors des derniers jours de la précédente guerre du centaure. Elle briguait le poste de grand potentat et se lancerait en campagne.

Certes, elle n’avait théoriquement rien à craindre pour son statut de princesse électrice. Cela faisait plus de trois cents ans que les ducs avaient avalisé son statut. Néanmoins, sa position belliciste pouvait à tout moment déclencher un vote de confiance. Pour l’instant, il n’en était rien car le peuple partageait sa vision. Le saccage de la baie d’Anulune et son occupation imposée par les elfes tiraient pour l’instant l’opinion générale en sa faveur. Cependant, le caractère traditionnellement pacifiste, conservateur et enclin au repli sur soi de la bannière de Génoas-Khal risquait tôt ou tard de remettre en question la position politique d’Epiphone. Lorsque le temps estomperait la douleur et la tristesse dans les cœurs de ses semblables, lorsque le quotidien effacerait le sentiment d’ignominie face à la colonisation elfe, il serait trop tard pour agir ! La princesse n’avait pas d’alternative. Elle devait se présenter et remporter l’élection ! Mener les dryades sur le sentier de la guerre !Pour venger Anulune ! Pour venger la nature ! Pour venger Nicéphore, le père de son fils, tué par les soldats d’Abath-Khal ! Pour venger Perséphone, abattue lors de leur fuite des geôles du dieu de la guerre ! Pour se venger, des sévices infligés par ces abjects orcs lors de son emprisonnement. Pour se venger de ces horribles elfes qui depuis temps de siècles abusent les peuples élémentaires ! Elle prendrait le pouvoir et elle les extermineraient tous, jusqu’au dernier ! Par la guerre elle obtiendrait la paix !

Alors, en silence, comme la tradition l’exigeait, Epiphone suivait le cortège grandissant des électeurs qui sillonnait les plages du bouclier-monde pour se rendre à Abynéas, la capitale de la bannière des peuples de la mer. Comme les autres, elle avait revêtu la grande toge de lin et tiré sa capuche pour cacher son regard. La transhumance s’effectuait toujours sans un mot, sans un regard pour empêcher les électeurs d’influencer leurs pairs ou de savoir s’ils sont en position de force pour se présenter.

Au bout d’une semaine, Epiphone arriva à Abynéas. La capitale ne se distinguait aucunement des autres villes dryades. Ce n’était pas l’arrogante et gargantuesque Zulla du monde elfe. Ici tout transpirait l’humilité, l’égalité, le respect de la nature et toutes les autres valeurs prônées par la déesse Génoas-Khal. On ne retrouvait d’imposants bâtiments de pierre affirmant la puissance militaire ou économique, mais seulement des modestes maisons en terre battue surplombées de toits de chaume. Abynéas s’était refusée à adopter le plan concentrique des elfes, inspiré de la forme du bouclier-monde. Ici, toute la structure urbaine s’organisait autour de l’unique grande avenue qui reliait le temple de la déesse de la mer et de l’eau au port. Comme toutes les autres villes des peuples de la mer. Et même ce boulevard de dix mètres de large demeurait modeste. Le peuple de la mer l’avait recouvert de simples cailloux là où toutes les autres nations auraient utilisé les matériaux les plus nobles, des pavés de granit, de marbre ou de calcaire. Des arbres fruitiers apportaient une ombre bienvenue ainsi que des plaisirs gustatifs aux promeneurs. A partir de cet axe champêtre, des ruelles adjacentes enherbées desservaient les différents quartiers qui s’étaient développés anarchiquement au fil du temps. Des fontaines coulaient à chaque intersection, insufflant la mélodie entêtante du clapotis au plus profond de chaque visiteur.

La structure de la capitale dryade constituait en elle-même un message adressé aux autres nations. La végétation omniprésente, le refus d’utiliser des matériaux transformés portaient en eux les valeurs de respect et de proximité de la nature. L’absence de toute infrastructure défensive affirmait la conviction profondément pacifiste des servants de Génoas-Khal. La dimension quelconque de l’entité urbaine, en comparaison des autres villes ramenait aux principes d’égalité et de démocratie. Les fontaines, l’importance du port et la mise en avant du temple, tout ramenait à la déesse de la mer et de l’eau.

Le voyage d’Epiphone avait duré une semaine. Il lui faudrait en attendre encore trois autres pour permettre l’arrivée des électeurs venant de tous les confins. Trois semaines vouées au silence pour ne pas influencer le grand collège avant sa réunion. Mais la princesse n’en avait cure. Voilà plus de quatre-vingts années déjà qu’elle était en campagne. Depuis le jour où elle avait fui les geôles d’Abath-Khal, au bord du bouclier-monde. A cet instant charnière de son existence, elle avait décidé de briguer le poste de grand potentat des peuples de la mer. Par la suite, la princesse n’avait agi qu’en fonction de sa future campagne. Elle avait tout anticipé, tout d’abord en quittant l’anonymat traditionnellement adopté par les élus. Elle avait ensuite développé une politique diplomatique forte et visible alors que jusqu’à présent, la bannière de Génoas-Khal brillait par sa discrétion sur l’échiquier international. Enfin, Epiphone avait tissé un lien fort avec le peuple qui partageait sa souffrance de constater le saccage de la baie d’Anulune. C’était aussi à dessein qu’elle avait pris le patronyme d’Epiphone, princesse d’Anulune la meurtrie. Elle envoyait ainsi un message aux autres grands électeurs et au grand potentat actuellement en place. Ils avaient signé un traité ratifiant la création de la colonie elfe et elle refusait de reconnaître une telle ignominie ! Non, elle n’avait pas à prendre la parole pendant l’attente. Tout le monde savait qui était Epiphone, la princesse électrice d’Anulune la meurtrie. Tout le monde savait quels combats elle menait.

Et la princesse ne s’était pas contenté d’afficher sa position politique à la face du monde. En secret, elle avait également commencé à tisser de multiples alliance. Elle avait tout d’abord fondé la confrérie secrète des élémentaires comprenant son amie et suivante Iphigénie, le vénérable gnome Bivot, l’impétueux satyre Diodore et l’inséparable couple de fées formé de Flamèche et Persuic. Ensemble, ils ourdissaient le projet de prendre le contrôle de leurs quatre bannières pour les mener à la victoire dans les guerres lemniscates. Epiphone avait également contracté un accord secret avec la famille des Marteaux d’Airain qui lui permettait de militariser son peuple et d’accroître le territoire de Génoas-Khal en créant de nouvelles îles. Et cette démarche lui avait offert un soutien indéfectible des shardanes, ces guerriers-pasteurs, véritables bergers des peuples de la mer.

Depuis quelque temps, l’ambitieuse dryade développait même un réseau d’espionnage et de propagande. Elle savait tous de ses adversaires potentiels. Le grand potentat était promis au candidat sortant Minos, le vieux Minos et sa vision conservatrice à l’extrême. Cela faisait huit cent mille ans que ce vénérable prince électeur de Nepturus n’avait jamais varié d’un iota et guidait le peuple de la mer sur le même chemin. Il prônait depuis toujours l’écologie, le pacifisme et le repli sur soi. Epiphone souhaitait de tout son être, de tout son cœur, de toute son âme imposer ces mêmes valeurs sur l’ensemble du bouclier-monde, mais elle savait que pour atteindre ce rêve utopique, elle devait faire la guerre.

Ainsi donc, pendant trois longues semaines, la princesse électrice respecta à la lettre la tradition. Elle afficha même une ferveur exacerbée lors des offices de Génoas-Khal. Elle ne bénéficiait plus du statut prestigieux de vierge de la déesse. Cependant, elle ne manqua aucune occasion de rappeler son rang de martyre en mettant en avant les multiples cicatrices que lui avait infligé les immondes orcs zébrés d’Abah-Khal. Il n’y a bien que son fils, Hector, symbole de l’union avec les satyres qu’elle ne pouvait pas valoriser. Et même si elle voulait viscéralement crier sa haine des orcs, sa haine des elfes et son dégoût de toutes ces autres races qui ne respectaient rien, la dryade vengeresse se taisait.

Le flot d’arrivées ininterrompues s’estompa progressivement pour s’arrêter au premier jour de Génoi, le mois de la déesse. Le grand collège électoral se réunissait symboliquement ce jour précis de l’année se situant vingt ans avant la fin de la trêve séculaire. L’assemblée de tous les dignitaires du peuple de la mer se déroulait dans l’amphithéâtre marin d’Abynéas. Epiphone s’y rendait pour la toute première fois. Un peu plus d’un kilomètre au Nord de la capitale, à flan de falaise se trouvait un cirque naturel formant un demi-cône inversé descendant vers le rivage. Des rochers avaient été disposés en cercles en guise de sièges pour l’oratoire. Au plus près de la scène, sept pierres gravées du nom d’un royaume dryade étaient destinées aux sept princes électeurs. Derrière se trouvaient trois rangs pour les duchés, puis six pour les marquisats, douze pour les comtés et enfin vingt-quatre pour les villages. L’amphithéâtre de pierre accueillait ainsi près de vingt mille personnes, bien ordonnés en fonction de leur statut. C’était théoriquement l’unique lieu où les différents représentants dryades sortaient de leur anonymat.

De manière intentionnelle, Epiphone s’arrangea pour pénétrer la dernière dans l’hémicycle afin que tout le monde puisse voir son entrée solennelle. Cet artifice fut vain. Tous attendaient debout devant leur siège, la capuche baissée sur leur visage et ne virent rien. Par mimétisme, l’ambitieuse adopta donc la même position que les autres. Daphné, la cheffe des vierges de la déesse souffla dans une conque puis déclama un discours d’intronisation à l’assemblée.

« Représentants des peuples de la mer ! Vous voici réunis en ce jour pour réitérer le processus démocratique mille et mille fois répéter conformément aux directives de Génoas-Khal ! Afin de conserver l’anonymat des réflexions du grand collège, je m’en vais donc en laissant la parole au vénérable Minos, actuel grand potentat dryade ! Que la déesse vous guide ! »

Sur ses mots, Daphné accompagnée de sa suite quitta l’amphithéâtre dans un cérémoniel parfaitement huilé, mélange d’humilité et de rigueur. Les élus s’essayèrent et retirèrent leurs capuches. Minos resta debout, rejoignit le centre de la scène et se retourna pour faire face à l’auditoire.

« Représentants du peuple dryade, nous voici ici réunis, sept années avant la fin de la trêve séculaire, pour choisir le guide de notre bannière pour la prochaine guerre ! Voilà huit cent mille cycles que j’occupe le poste de grand potentat, signe que je m’acquitte honorablement de ma tache. Existe-t-il parmi les princes électeurs des candidats à ma succession ? Doit-on organiser de nouvelles élections ? Ou bien reconduisez-vous ma modeste personne dans ses fonctions de guide de la bannière de Génoas-Khal ? »

La manière dont le rusé Minos présentait les choses biaisait quelque peu la perception des électeurs ! Se présenter, demander de nouvelles élections, s’était s’opposer à l’ordre établi, à la tradition. Mais comme cela correspondait exactement à son état d’esprit revanchard, Epiphone se leva et rejoint Minos au centre de la scène.

« Minos, vous vous êtes montré loyal et sage durant ces huit cent mille cycles, mais les si nombreux drames que j’ai vécus dans ma si courte existence me pousse à envisager une autre direction pour le peuple dryade ! Ainsi, moi, Epiphone, princesse électrice d’Anulune la meurtrie, je me présente à l’élection du grand potentat ! »

En deux phrases laconiques, la nouvelle candidate résuma tout ce qui la séparait de son adversaire. Minos et les cinq autres grands électeurs ne furent pas surpris par la déclaration de leur jeune congénère. Ils en sourirent même, estimant cette candidature vouée à l’échec. Jamais le grand conseil ne voterait pour une telle va-t-en-guerre. Eux, les princes et princesses ne le permettraient jamais. Et ils possédaient la majorité des voix du collège électoral. Epiphone restait droite et fière au milieu de la scène, plantant son regard incandescent dans les yeux de chacun de ces grands qui fuyaient toujours les conflits. Le grand potentat reprit la parole.

« Ainsi donc, il y a deux candidats à l’élection du grand potentat, moi-même et la princesse Epiphone ! L’élection aura donc lieu ici même dans un an jour pour jour. Ce laps de temps permettra aux candidats de présenter leurs programmes et offrira aux électeurs le temps de réflexion nécessaire pour faire leur choix ! »

Malgré ses espérances, aucun des grands princes électeur ne semblait séduit par la position novatrice et bellicistes d’Epiphone. L’ambitieuse candidate disposait d’une année pour inverser la tendance.

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