Le triste amant

C’était un drôle de soir qui passait dans la ville

Soufflant sur la chaussée des pas évanescents

Son grand corps vaporeux semblait apparaissant

S’élever lentement comme les crues du Nil

Il quadrillait ainsi de ses membres traînants

Les rues les boulevards les quais les galeries

Et cela ressemblait à une hémorragie

Qui s’écoule sans peine entre des pavés blancs

Ses yeux fauves avaient l’air d’être peints sur le ciel

Comme dans les nuits d’Arles fenêtres étoilées

Sur lesquelles il frottait son manteau de flanelle

En sortant il l’avait secoué puis épaulé

On pouvait en sentir le souffle et la poussière

Qui tombaient nuit profonde et respirée d’un trait

Sa marche semblait celle d’un long et maigre hère

Avec de grandes jambes fauchant dans les borées

 

Il allait le cœur froid chez une femme aimante

Dont les appartements lui faisaient un écrin

Miroitant des lueurs de la rue pâlissante

Et des éclats dans l’ombre de son ventre brun

Tour à tour déployée serrée contre un fantôme

Elle avait dans la bouche une ombre qui coulait

Et c’était pour lui seul un cadeau sans arôme

Une langue passée comme sur une plaie

Ses mains la caressaient sans fièvre ni lenteur

Devinant au passage des muscles et des tendons

Au lieu du flot sanglant des hoquets de son cœur

 

Il sentait contre lui s’étaler des frissons

 

C’était des convulsions de femme empoisonnée

Qui cherchait un remède dans une fiole vide

Et telle une mécanique absurde, abandonnée

Leurs visages oscillaient d’une face impavide

A son revers inquiet tordu vers les ténèbres

Quand elle penchait sa tête pour mieux saisir un souffle

C’était la nuit entière qui courbait ses vertèbres

Dans l’autre sens ainsi jusqu’à ce qu’elle s’essouffle

La privant de ses dents et des pluies de sa bouche

            

Cet axe solitaire autour duquel tournaient

D’un mouvement contraire deux visages à la touche

Semblait d’un pli du soir tirer des eaux fanées

 

Dans cette horloge de brume

Des pièces de chair

Tournoyaient en silence et l’écume

De leurs jeux pleurait dans l’air

 

Balancier ton poids est mort

Au plafond gris

Tes rouages asséchés animent de l’or

Mais ton heure est à la nuit

 

Comme la vie soudain lui parut malheureuse

Quand au matin défait du mystère de ses ombres

Il vit ses deux mains jaunes et froides et noueuses

Posées sur le drap blanc à côté d’un corps sombre

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