Le tour de la propriétaire

Notes de l’auteur : Les deux chapitres qui suivent en formaient au départ un seul. J'ai finalement préféré le scinder en deux. Le texte reste identique.

Le rendez-vous était fixé pour 14h00. Evidemment avec Awena, il fallait ajouter 14h00 pétantes ! Toute la famille Petitbond se retrouva donc au complet pour une promenade dans le jardin. Trop occupés par le déballage de leurs cartons et leurs projets professionnels, Léonard et Marie n'avaient pas pris le temps jusqu'ici de visiter le domaine.Evidemment, Merlin s'était bien gardé de dire qu'il l'avait déjà parcouru quelques nuits auparavant. Evidemment, sa mère aurait pris immédiatement sa température et l’aurait bombardé de questions, jusqu’à ce qu’aveux s’en suivent. Evidemment, son père lui, aurait raconté qu'à son âge, il montait déjà aux arbres pour construire des cabanes, et se serait réjoui que son fils montre enfin les prémices d'une âme aventureuse. Depuis, il avait guetté par la fenêtre la silhouette de Coventine, mais la fille du jardinier n'était point réapparue. Le garçon avait dû se contenter du chant des grenouilles.

C'est ainsi, que le petit groupe avec à sa tête la propriétaire du manoir, débuta sa marche. Awena avançait d'un pas étonnamment alerte pour une dame de son âge. Elle semblait connaître chaque recoin du jardin, chaque creux, chaque gravillon. Sapristi la suivait de près, la queue haute, la tête altière, la patte preste, bref royal. Merlin découvrait le domaine au grand jour. Il fixait la canne d'Awena,  qui indiquait par ci, par là, un arbre vénérable. Il était un peu engourdi par sa nuit tourmentée de cauchemards et  surtout troublé par le souvenir d'un mot dans sa tête, qui résonnait soir après soir comme une évidence.C'était comme un message venu de très loin qu'il ne parvenait pas à chasser. Pas question de dire à ses parents qu'il entendait des voix. Heureusement, le phénomène semblait nocturne.

Awena l'examinait du coin de l'œil. Son regard sombre lui paraissait moins effrayant, mais l'attention qu'elle lui portait, était si forte, qu'il avait parfois l'impression d'être sous la lentille d'un microscope. Malgré cela, le petit garçon parvenait à s’émerveiller de la beauté du jardin. Cependant, il était surtout fasciné par la canne de leur guide. On aurait cru un pendule doté d’une force hypnotique ou le bâton de magie d’un enchanteur. C’est le pommeau arrondi qui le captivait, il en avait déjà vu en argent ou en ivoire dans les livres, mais jamais dans cette matière à la couleur changeante et indéfinissable. Il réalisa alors qu’elle lui rappelait les yeux de Sapristi, eux-aussi insaisissables.

Ils marchaient depuis un petit bout de temps lorsqu’ils parvinrent au lac.

« Awena, ce n’est pas un jardin que vous possédez, c’est un grand parc ! » s’écria Marie impressionnée. 

Un petit vent animait la surface. Merlin se rappela un brin amusé la légende de Narcisse, mais pensa que vu son physique, il ne courrait pas grand risque de s’amouracher de son image. Pour un lac, l’eau était étrangement cristalline. Pas de vase. Pas non plus l'ombre d'une pantouffle enchantée abandonnée par sa Cendrillon d'un soir. Elle avait disparu si précitamment, comme une vision que la lueur matinale dissipe, qu'il se demanda un instant si Coventine n'était pas un songe, plus inquiétant un fantôme, peut-être celui d'une petite fille noyée. Il frisonna et agita sa main pour éloigner un moustique vorace, en même tant que cette sombre pensée.

Quelques fleurs sauvages qui avaient le charme de la simplicité et de grands roseaux ornaient les bords  par touches délicates. Lorsqu’il se pencha tout près de l’onde, il vit certes une silhouette, mais c’était celle d’un homme grand. Il vit certes un visage, mais c’était celui de… Impossible à dire car Sapristi vint se poser sur un gros caillou saillant et de sa queue frappa l’eau si vigoureusement, que l’étonnante apparition se dissipa comme un nuage de fumée. Surpris, Merlin sursauta et le charme fut brisé, comme l'aurait été un miroir magique, s'il avait existé. Heureusement ce furent des gouttes qui  éclaboussèrent le garçon, et non des éclats de verre. Il observa le chat et lui trouva presque une expression humaine. La situation semblait l'amuser. Puis, Merlin aperçut son père posté juste derrière lui et se dit que c’était sans doute son image qui l’avait troublé, mais sans être vraiment convaincu par cette explication. 

« Un peu plus et on pourrait se croire devant le miroir aux fées de Brocéliande, j’ai bossé mes classiques » dit Léonard sur le ton de la plaisanterie.

Il ajouta : « Enfin, pour Merlin, ce sera le miroir aux lutins. Qu’est-ce que tu en penses mon grand ? »

Awena regarda gravement Léonard, comme s’il avait commis un sacrilège. Celui-ci se tourna vers sa femme en haussant les épaules d’un air d’incompréhension. Ils poursuivirent leur visite, perdant de vue le manoir et s’enfonçant plus profondément dans le domaine. La végétation était plus sauvage, désordonnée. Sur quelques restes d’un vieux mur de pierre, le lierre avait repris ses droits, le chant des oiseaux était plus intense. Ils avaient l’impression de cheminer au cœur d’une forêt, et c’était peut-être bel et bien, ce qui se produisait.

Marie se retournait de plus en plus souvent, un peu inquiète de constater que le paysage n’était plus du tout familier. Cependant, Awena avançait avec une telle assurance, qu’elle n’osait lui demander si elle savait où elle les menait. Léonard, quant à lui, sous couvert de faire des photos, vérifiait qu’il y avait bien du réseau. Et mauvaise nouvelle, il n’y en avait plus depuis quelques instants.

Le ciel jouait à cache cache avec les frondaisons qui gagnaient en  densité, des battements d'ailes invisibles les enveloppaient, les odeurs de résine envahissaient leurs narines de citadins. Awena et Sapristi s’arrêtèrent soudain. Soit ils étaient perdus, soit ils étaient arrivés à destination. Après être passés sous une arche de ronces, ils ne tardèrent pas à découvrir la réponse. La famille Petitbond marqua un temps d’arrêt devant le spectacle qui s’offrait à sa vue.

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Maric
Posté le 29/04/2022
Bonsoir,
Un beau chapitre, Merlin découvre le domaine d'Awena et il se pose beaucoup de questions, en vérité les même que moi !
Et cette fin qui donne envie de tourner la page pour savoir quel est ce spectacle.
Une lecture toujours aussi riche et agréable.
Laure Imésio
Posté le 05/05/2022
Coucou à nouveau,
Merci infiniment pour ton adorable commentaire. Je viens enfin de découvrir ton premier chapitre, qui se passe aussi en Bretagne. Cette région a la cote niveau inspiration. :) A bientôt.
Claire May
Posté le 02/03/2022
Très beau chapitre, le rôle de la grand-mère dans la passation de pouvoir se confirme et le vieux Merlin commence à se manifester, sous l'oeil savant de Sapristi. L'histoire se déroule de manière fluide et élégante.
Laure Imésio
Posté le 12/03/2022
Bonsoir Claire,
Merci pour ta lecture attentive et tes retours réguliers et encourageants. J'espère que tu découvriras la suite avec plaisir. A bientôt.
Romanticgirl
Posté le 18/08/2021
Bonjour Laure,
Ce chapitre est très intéressant, très riche. J'ai aimé les références littéraires à Narcisse et à la fontaine de Jouvence sans parler des multiples allusions à la chevalerie, très maîtrisées. Tu maintiens le suspense avec la canne étrange de la grand-mère, le visage qui apparaît, le royaume oublié et surtout le mot "héritier" qui clôt très bien le chapitre. La description de la forêt qui envahit peu à l'espace et surtout des statues est très réussie. Le passage sur la reconversion professionnelle m'a fait beaucoup rire. Une petite remarque. Ce chapitre est très dense et me semble plus long que les précédents. N'est-il pas possible de le scinder en deux parties ? "la nuit dernière", j'aurais écrit "la nuit précédente". A bientôt !
Laure Imésio
Posté le 19/08/2021
Merci Romanticgirl pour la précision de ton commentaire et la constance de tes lectures. Le chapitre était d'abord scindé en deux, puis j'ai changé d'avis. Au final, je pense que tu as raison. Merci beaucoup. A bientôt.
Riviera
Posté le 27/07/2021
Un chapitre bien intriguant qui donne envie de connaître la suite ! J'aime toujours autant l'humour même si je me demande parfois si les enfants auront toutes les références. Au pire, ça éveillera leur curiosité et ça fera sourire les parents !
Je trouve aussi que ton style se complexifie au fur et à mesure, ce qui est une bonne chose. On garde la fraîcheur et la facilité de lecture, mais tu apportes un peu plus de descriptions et de vocabulaire et les deux sont les bienvenus ! :)

J'ai repéré des répétitions qui alourdissent un peu en revanche:
"il vit certes une silhouette, mais c’était celle d’un homme grand. Il vit certes un visage, mais c’était celui de" (deux fois "il vit certes")
Même chose au tout début, il y a trois fois "Evidemment" dans le premier paragraphe, mais c'est peut-être voulu de ta part. Je préfère le préciser au cas où ! ;)
Laure Imésio
Posté le 29/07/2021
Coucou,
Merci pour tes encouragements et tes commentaires précis et constants, c'est très motivant. Pour les répétitions, j'avais tenté des anaphores, mais cela nuit peut-être à la fluidité de la lecture. Je prends note en tout cas de tes remarques toujours aussi judicieuses. A bientôt.
Riviera
Posté le 29/07/2021
En réalité si c'est voulu et que ça te plaît, garde le ! Je le fais parfois également et c'est un procédé auquel je suis attachée, si c'est aussi ton cas, oublie mon commentaire. A la limite, pousse les curseurs pour qu'il n'y ait aucun doute sur ta volonté d'utiliser ces formules. Pour "Evidemment" je m'en suis doutée parce que c'est répété trois fois. Seulement deux fois, ça peut laisser un doute...
Dans tous les cas, fais ce qui te semble le mieux pour ton texte !
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