Le sirop d'érable

Par Kieren

Lors de mes voyages, j'ai pu en goûter, et j'ai aimé, malgré son goût indéfinissable, sans doute sucré, malgré tout.

 

Tout le monde ne boit pas de la sève, et pourtant, il est dommage de s'en priver, au moins pour découvrir quelque chose de nouveau.

Bien sûr, cela fait de nous des vampires, l'arbre peut en souffrir, de cette hémorragie, de cette perte de chaleur profonde.

Bien sûr, certaines sèves sont empoisonnées, et le néophyte peut en souffrir, de ce rejet, de ce départ de l'âme.

Mais, les anciens se souviennent, et lorsqu'ils ne s'en souviennent pas, les livres et les contes, eux, si. Cette histoire, je l'ai retrouvé sur un continent lointain, quelque part entre le Nord et le Sud, quelque part entre la toundra et la forêt.

 

« Le jeune sèveur à plume quitte la forêt, poussé avec sa tribu vers la toundra.

Ils ont perdu la guerre, ils ont perdu leurs terres.

Il regarde la tribu à écaille manger les fruits à peine cueillis des arbres. Il sent son ventre gronder. Il se sent vieillir déjà.

Il regarde le vieux sèveur à écaille partir avec sa tribu. Un dernier regard, puis il se met en route.

 

Sa tribu à plume pleure sur le chemin, il soulage les vieux de leurs fardeaux. Ses bêtes meurent de faim sur le chemin, ils les soulagent de leur viande.

 

Sa tribu arrive dans la toundra, ils trouvent une cascade gelée, ils la brisent, ils sucent quelques gouttes d'eau qui leur glacent la langue.

Ils boivent leurs larmes chaudes de peur et de rancœur.

 

Sa tribu s'installe dans la toundra, ils chassent le blanc renard des neiges, ils le transpercent de leurs javelots de glace, le sang est blanc, ce n'était que de la neige.

 

Sa tribu se meurent dans la toundra. Ils succombent à la faim.

Il grandit, il est jeune homme. Il garde espoir.

 

Le sèveur à plume voit pointer à l'horizon, des taches noires mouvantes au dessus de la blanche glace immobile. Ils viennent du Sud.

Ce sont des poissons de bois, ils se meuvent dans les airs. Il annonce à sa tribu : « Les totems de sève sont arrivés. » Et la tribu pleure de joie.

 

Il attrape les poissons, ils ne se défendent pas.

Le sèveur à plume va voir les mourants et les affamés. Il dépose les poissons de bois dans leur bouche, ils tètent, le sang des arbres se déversent dans leur être.

Ils reprennent des forces, la tribu est sauvée.

 

Le sèveur plante les totems de sève dans la terre, derrière la glace, et un arbre pousse. Des fruits tombent. La tribu mange. La tribu grandit.

Le jeune homme est homme. Il arrache l'écorce des arbres, il sculpte des poissons, les poissons deviennent totems, ils nagent dans le ciel, vers le Sud.

 

Les années passent, des enfants meurent, des vieux naissent, le sèveur est content.

La tribu est entourée d'arbre, elle reçoit encore des totems de sève, elle mange à sa faim, mais son corps est refroidit par le vent et son cœur brûle de haine et de vengeance.

La tribu à plume coupe les arbres, elle en fait des lances, des haches et des épées.

La tribu à plume part en guerre dans la forêt du Sud, elle part en guerre contre la tribu à écaille.

Le sèveur à plume vieillit, il est triste.

 

Ils ne comprennent pas.

 

Au Sud, le sèveur à écaille rajeunit, il taille les arbres dans sa tribu en paix, il sculpte des totems de sève et plante ceux de son frère.
Il entend le cri du cor, la tribu à plume arrive, elle veut la guerre. Le sèveur à écaille soupire, et il s'écarte.

 

La guerre arrive. La guerre dévore. La guerre détruit. La guerre gâche. La guerre s'épuise. La guerre s'endort.

 

La tribu à plume a vaincu. La tribu à écaille doit partir vers le Nord, vers le froid et la toundra.

 

Le jeune sèveur à écaille voit venir le vieux sèveur à plume. Ils se regardent, frères, ils hurlent, ils courent pour se rejoindre, ils tapent dans leurs mains et crient «À toi ! ». Et ils s'écartent. Ils partent avec leur tribu, le sèveur à écaille vers la toundra du Nord, le sèveur à plume vers la forêt du Sud. Un sourire devant leurs cœurs qui soupirent déjà. »

 


La Mousse

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Le Saltimbanque
Posté le 22/10/2020
Un peu plus mitigé personnellement.

Le problème étant que j'avais pas grand chose à faire des personnages. Ou plutôt du personnage, le séveur, qui est pendant très longtemps le seul mentionné. Pas grand chose de très intéressants chez lui, si ce n'est à la fin : la fraternité avec le séveur d'une autre tribu est très touchante.
Les tribus sont des groupes... et c'est tout. Le texte ne s'est pas penché sur eux, on passe rapidement sur ce qu'ils sont et on s'intéresse uniquement à ce qui leur arrive. Mais bon, ils crèvent de faim puis partent à la guerre, il n'y avait pas grand chose à se mettre sous la dent pour moi (lol).

Je termine ici la critique de ce texte pour faire une critique de l'ensemble du recueil, qui est (j'ai l'impression) un peu en pause de parution.
Parmi les qualités générales, je les ai répétées tout au long de mes critiques, mais les voici à nouveau : la subtilité et la fluidité de l'écriture, certains personnages qui sont vraiment marquants (Hirondelle !), une description très vivante qui donne de la gueule, et surtout une créativité incroyable.
Il y a des textes que j'ai moins aimé que d'autres, et certains que j'ai relu plusieurs fois, mais ils ont tous quelques choses en commun : ils se lisent vite et bien, et c'est très bon.

Là est un peu le problème. LE grand défaut du recueil est pour moi très compliqué à exprimer, car dépendant de tes ambitions pour tes contes.
Je dirai que TOUS les textes ont quelque chose en commun : ils me laissent chacun sur ma faim (trololol).

Il y a souvent un univers, une écriture et des personnages très intéressants, mais le format très court et "simpliste" du conte enfantin ne laisse pas à ces histoires atteindre leur plein potentiel. Certaines mériteraient vraiment à être enrichies, détaillées, allongées : je cite au hasard Les Glaces, Les Raisins ou encore Le Café, qui ont vraiment du potentiel. Bien sûr, certaines nouvelles gagnent à rester courtes et simples (La Crêpe et L'Oeuf, pour ne citer qu'eux), et je ne demande pas de faire un immense récit d'aventure de 1500 pages pour chacun de tes contes.
Mais tous les ingrédients sont là pour faire des histoires délicieuses, qui restent ici à un état embryonnaire.

Voila voila. J'espère avoir de nouveaux contes alimentaires de ta part !
Kieren
Posté le 28/01/2021
Je crois que mes histoires préférées restent le thé, les oeufs, les myrtilles, ce dernier. J'aime beaucoup ce dernier conte car il est...pas vague, mais vaporeux, comme dirait un pote, je le vis à travers un rêve. Ce truc est le texte le plus expérimental que j'ai jamais fait, et il correspond à ce que je ressens quand je vis un de mes rêves.
Les deux tribus sont pauvres en caractéristique car il n'y a rien qui, profondément, les différencie, à priori; car il n'y a rien qui différencie deux personnes qui se battent pour des besoins primaires, comme se nourrir, boire ou se protéger. Et pourtant ils se battent quant même. C'est la vie, notre monde. C'est comme ça.

Ce recueil de recette est un exercice, en même temps qu'une oeuvre à part entière. Je veux savoir quelles atmosphères je suis capable de créer, quels mondes je peux inspirer, quels styles je peux maîtriser. Le tout pour enrichir 2 univers : d'abord, le notre, car je suis quelqu'un de terriblement fatigué et affamé, quelqu'un qui vit sans réellement vivre, quelqu'un qui engloutit n'importe quoi pour ne serait-ce ressentir qu'un petit peu de vie, d'émotion, de chaleur, quelqu'un qui vit par procuration, quelqu'un parmi tant d'autres. Je veux être capable de nourrir ces personnes là avec du rêve, leur dire que le monde était un terrain de jeux lorsque nous étions enfants, et qu'il n'a pas changé, il a toujours ce même potentiel. C'est à nous de le modeler comme nous le voulons. Nous avons ce pouvoir, nous avons cette responsabilité.
Le deuxième univers que je tiens à enrichir, il s'agit de celui de La Mousse, et il est temps que je me remette à vous le donner. Mon chateau de sable est bien beau, mais la marée monte et je tiens à vous faire visiter toutes les pièces avant que je ne finisse englouti. Ou vous.

Force et honneur, tout le monde. Restez extraordinaires.
Kieren
Posté le 28/01/2021
T'as vu ? Je suis sympa, j'ai fait un grand texte =)
Merci d'avoir fait un grand texte par ailleurs.

J'avais pas vu que tu avais fait d'autres histoires. Quel mauvais je fais =)
Le Saltimbanque
Posté le 29/01/2021
Et beh ! J'avais oublié m'être autant lâché sur ce texte, mais je vois que tu m'as bien renvoyé la balle. Jamais vu un commentaire aussi bien écrit !
Hâte de voir comment tu vas développer ces autres univers. Perso, je m'éloigne un peu de PA pour cause de concours et autre manque d'inspiration en tout genre, mais dès que je reviens, c'est avec plaisir que je te lirai.
Kieren
Posté le 29/01/2021
J'imagine que PA est un petit bistrot, on y revient quand on a soif.
Bon courage avec ton concours, j'espère que tu auras ce qui te faut pour être heureux.
lea2002
Posté le 19/07/2020
On dirait un poème. J'ai été transporté. Je l'ai lui plusieurs fois à la suite et j'ai toujours voyagé. Vraiment, merci. Pour ma part, je n'en raffole pas. Mais savoir d'où vienne toutes ces choses que nous mangeons au cotidiens ou pas. Je ne me coucherais moins bête ce soir.
Kieren
Posté le 19/07/2020
Merci à toi, de me lire et d'écrire. C'est chouette de ne pas se sentir seul.
Qu'est ce que tu aimes manger toi ?
lea2002
Posté le 20/07/2020
Je ne suis pas du tout compliquer. Je mange de tout. À part les carottes et le chocolat. Mais j'aime particulièrement le riz sous toutes ces formes. J'aime aussi la noix de coco, la mangue.
Kieren
Posté le 20/07/2020
J'y travaillerai
lea2002
Posté le 21/07/2020
merci beacoup
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